Sciences
et politique. Privatisation partielle de l'espace et
redressement industriel
Jean-Paul Baquiast 01/06/2012
La
Nasa semble avoir définitivement sous-traité
à des entreprises privées américaines
la charge d'assurer des liaisons avec la station spatiale
internationale. Elle compte se débarrasser ainsi
de la contrainte coûteuse- de faire appel
aux Russes pour de telles missions. Dans un premier
temps, l'objectif se limite au transport aller et retour
de matériel, mais le transfert de cosmonautes
est prévu. A terme, les capsules devraient être
dotées de capacités de propulsion autonome,
leur donnant l'aptitude à des atterrissages en
douceur. Rien n'empêcherait dans ces conditions
de les utiliser dans des missions vers la Lune, voire
Mars.
C'est la société SpaceX (http://www.spacex.com/)
qui a réalisé une première liaison
sans faute. Après une opération ayant
duré 9 jours, la capsule-cargo de SpaceX, nommée
Dragon, a amerri au large de la côte mexicaine
le 31 mai et a été récupérée
avec son fret de retour. Le lanceur, lui aussi conçu
et réalisé par SpaceX, avait donné
quelques inquiétudes avant son départ,
mais tout était rentré dans l'ordre.
La Nasa, par la voix de l'administrateur Charles Bolden,
ainsi que les autorités publiques américaines,
ont applaudi l'exploit, y saluant un succès pour
les capacités d'innovation et l'esprit d'entreprise
du pays. Il est certain que SpaceX, ayant été
fondée par le milliardaire Musk, créateur
du système de banque en ligne Paypal, n'avait
pas à l'origine la moindre expérience
spatiale. Mais elle a su recruter, n'ayant pas les contraintes
budgétaires imposées désormais
à la Nasa, de très bonnes équipes
provenant de celle-ci et d'autres laboratoires californiens.
La voie semble dorénavant ouverte à d'autres
entreprises privées se donnant une vocation spatiale.
Une concurrente, Orbital Sciences Corporation http://www.orbital.com/,
a, conjointement avec SpaceX, été commissionnée
par la Nasa pour assurer la desserte de l'ISS, ceci
au moins jusqu'à 2020. Elles ont bénéficié
de contrats pour ce faire de 2 milliards de dollars
environ chacune.
Ces compagnies et d'autres, regroupée au sein
de la Commercial Flights Federation http://www.commercialspaceflight.org/,
visent aussi à proposer des vols payants en orbite
basse à de riches touristes. Ceux-ci, malgré
la crise mondiale, ne semblent pas manquer. Mais au
plan stratégique, ce sont les missions s'inscrivant
dans la volonté ancienne des Etats d'occuper
l'espace, au triple plan militaire, scientifique et
d'exploration, qui susciteront le plus grand intérêt.
Les Etats-Unis n'ont évidemment pas renoncé
à de tels objectifs, dans lesquels ils sont maintenant
vivement concurrencés par la Chine, où
les crédits semblent couler à flot. L'Europe
et la Russie sont pour le moment, malheureusement, en
retrait.
Partenariats publics-privés
Concernant le pari fait par le gouvernement américain
et la Nasa de confier de lourdes responsabilités
spatiale et d'importants crédits à des
capitalistes privés, les puristes du régalien
s'interrogeront. Ne va-t-on pas retrouver dans ce domaine
ce qui est devenu en Europe une des plaies des partenariats
dits publics-privés: coûter plus cher que
des financements purement publics, avec des résultats
qui ne sont pas meilleurs?
Les défenseurs de tels choix aux Etats-Unis répondent
que des activités privées florissantes,
notamment dans le domaine des technologies de l'information,
ont généré des capitaux qu'il vaut
mieux utiliser dans des applications industrielles et
scientifiques domestiques que consacrer à la
spéculation financière. Par ailleurs,
le pays dispose de capacités humaines considérables,
menacées de sous-emploi. Les recruter au service
d'une démarche à forte connotation stratégique,
fut-elle commerciale, constitue une excellente solution.
Ils font valoir également que la Nasa avait fini
par se bureaucratiser dans des responsabilités
devenues routinières et que la crise des crédits
fédéraux, y compris dans le domaine militaire,
rend sans espoir la reprise de grandes opérations
régaliennes telles que l'ancien programme Apollo.
La Chine, dotée d'un Etat essentiellement autoritaire
et dont les activités économiques restent
sous la tutelle de grandes familles d'entrepreneurs
ne remettant pas pour le moment en cause les volontés
du parti, peut apparemment sans problèmes mobiliser
les bénéfices provenant de l'industrie
et du commerce au service d'ambitions spatiales dans
lesquelles semble-t-il se reconnaît la société
toute entière. Elle ne manquera pas non plus
de scientifiques et d'ingénieurs y trouvant emploi
pour des compétences acquises à grand
frais, y compris aux Etats-Unis. Elle offre donc l'exemple,
notamment dans le domaine spatial, de partenariats publics-privés
où formellement le centre de gravité se
trouve du côté du public, mais qui ne différeront
pas sensiblement des partenariats publics-privés
américains dans lesquels le privé prendra
de plus en plus d'importance.
Il
s'agira en fait de solutions voisines à une ambition
commune aux deux puissances, s'assurer dans les décennies
à venir une « full
spatial dominance ». Or,
cette ambition, dans les deux cas, semble correspondre
à une vision nationale bien implantée
dans la population.
L'Europe malheureusement, non plus d'ailleurs que la
France qui disposait pourtant d'une forte tradition
spatiale, semblent ne plus avoir la moindre ambition
dans ces domaines. Ses décideurs ne se rendent
pas compte que, renonçant à la faire revivre,
ils se ferment les portes, non seulement du 21e siècle,
mais d'un « redressement industriel »
élémentaire.
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