Sciences
politiques. Le concept de grande coalition
et la gouvernance européenne
Jean-Paul Baquiast
16/05/2012
Les
militants de la construction européenne, dont
nous sommes, ont constaté avec satisfaction que
lors de leur première rencontre le 15 mai, la
chancelière Merkel et le président Hollande,
loin de s'enfermer dans des frontières infranchissables,
ont ouvert la voie à de plus grandes coopérations
entre l'Allemagne et la France. Certains ont parlé
de l'amorce d'une grande coalition susceptible d'unir
les deux pays.
Ce
dernier concept a généralement mauvaise
presse, y compris en Allemagne où il a été
largement expérimenté (Große Koalition).
On l'assimile parfois à un gouvernement par des
partis du centre (le rêve impossible d'un François
Bayrou) ou à défaut d'un gouvernement
au centre dans lequel les deux ailes marchantes, à
droite et à gauche, risquent de perdre leurs
spécificités au profit d'une recherche
permanente de consensus (prenant parfois la forme de
« paix armée ») pouvant conduire
à la paralysie. On ne sait comment s'orientera
le futur gouvernement fédéral allemand
tel qu'il résultera des prochaines élections.
Peut-être verra-t-on revenir une grande coalition.
Ce sera peut-être aussi le cas dans d'autres Etats
européens, si la droite comme la gauche y montraient
une incapacité à gouverner seules. Il
est certain en tous cas qu'en France, à titre
intérieur, cette perspective n'est demandée
par personne. La gauche, dans l'immédiat, accède
au pouvoir. Qu'elle y fasse ses preuves.
Au
plan international au contraire, entre deux Etats dotés
de régimes politiques ou de choix différents
mais désireux de s'allier dans la poursuite de
buts communs, le concept de grande coalition retrouve
sa place. Il dépasse celui beaucoup plus courant
d'alliance, ou même d'"alliance cordiale",
car il marque une grande volonté de convergence
malgré les différences politiques. Au
plan multilatéral européen, le concept
de grande coalition devrait aller de soi. Il serait
justifié par la constatation qu'il n'est pas
réaliste, pour le moment, d'espérer voir
des majorités uniformément de droite ou
de gauche s'imposer au Parlement ou au Conseil européens.
Des représentants de plusieurs tendances seront
appelées à y coexister, couvrant une grande
part de l'éventail politique. Or faudrait-il
se résigner à admettre qu'entre elles
aucune coopération concrète pour gouverner
le présent et le futur de l'Europe ne serait
possible, que ce soit à l'échelle de l'Union
toute entière ou de l'Europe monétaire?
Certainement pas. De facto se produiront des regroupements
entre partis de gouvernement. N'en seraient exclus que
les « extrêmes », d'une part ceux
qui refusent le concept d'Europe mais aussi ceux qui,
notamment à l'extrême-gauche, souhaiteraient
une véritable sortie du capitalisme financier
international, encore refusé par les majorités.
Une
sorte de grande coalition serait donc tout-à-fait
envisageable, rapprochant dans la gouvernance européenne,
ceux qui voudraient que l'Europe ne s'enferme pas dans
l'immobilisme mais qu'elle progresse dans une direction
qui sera nécessairement de plus en plus fédérale,.
A tout le moins devrait-elle être expérimentée
dans les prochains mois. Pour cela, des plates-formes
de gouvernement, complétées de réformes
structurelles, devraient pouvoir être négociées
entre les Etats. La gauche française, incluant
les Verts, aurait un rôle essentiel à jouer
dans cette voie.
Les
bases en existent déjà entre les deux
grands moteurs de l'Europe que sont l'Allemagne et la
France. Le début de dialogue réussi qui
vient de s'établir entre ces deux pays est de
bonne augure. D'autres Etats souhaiteront sans doute
s'y joindre. Mais il faudra préciser les grands
objectifs reconnus par les partenaires, objectifs qui
n'ont rien d'incompatible: réduire les dépenses
improductives et relancer l'investissement et l'emploi.
Y ajouter une copieuse dose d'ambition politique, tant
en interne que pour le grand international, sera d'ailleurs
nécessaire. Jusqu'où les gauches, les
centres et les droites voudront-elles aller dans cette
voie sans se neutraliser? L'avenir le dira. Dans un
premier temps la question se pose entre les gouvernements,
définissant ainsi la capacité d'action
du Conseil européen. Mais en bonne démocratie
elle intéresse aussi et devra de plus en plus
mobiliser le Parlement européen.
Nous
sommes de ceux ici qui pensent qu'entre la France et
l'Allemagne, sans oublier la petite et turbulente Belgique,
il faudrait aller plus loin qu'établir une grande
coalition. Il faudra mettre en place une réforme
constitutionnelle rapprochant de plus en plus les Etats
concernés. Le ministre vert allemand Joschka
Fischer l'avait proposée en son temps, mais la
France avait repoussé cette initiative. Peut-être
pourrait-elle être reprise aujourd'hui. Certes
les intérêts économiques et les
engagements extérieurs des deux pays sont généralement
considérés comme trop différents
pour le permettre. Mais on pourrait aussi montrer qu'ils
pourraient se compléter dans une synergie commune,
notamment si le concept d'euroRIC se substituait à
celui d'euroatlantisme encore trop dominant pour l'encourager,
que ce soit en Allemagne ou en France.
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