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Sciences
et politique
Les
élections françaises et les enjeux du
spatial
Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin - 17/04/2012
Il
faut regretter l'indifférence sinon la dérision
qu'ont provoqué les propos du candidat Jacques
Cheminade concernant les enjeux du spatial pour la France
et l'Europe. Jacques Cheminade connaît bien le
domaine. Il a notamment rappelé que d'ambitieux
projets d'exploration de l'espace constitueraient, pour
l'immédiat comme pour le long terme, les meilleurs
moteurs qui soient au service des progrès scientifiques
et technologiques dont nous avons besoin pour résister
à la concurrence des autres puissances. Au contraire
de la Chine, de la Russie, du Brésil, de l'Amérique,
la France est sans doute le seul pays où ces
propositions rencontrent une telle incompréhension,
tant des médias que des milieux politiques.
Nous
espérons que nos lecteurs ne sont pas aussi ignorants
que le reste de nos compatriotes, depuis le temps que
nous discutons avec eux de ces enjeux.
Revenons cependant un instant sur la question, en nous
plaçant dans la perspective géopolitique
qui s'impose désormais à l'Europe.
Il faut en effet constater que les programmes européens,
principalement conduits au niveau de l'Agence spatiale
européenne (Esa), marquent désormais le
pas faute de crédits. Pendant ce temps, les Etats-Unis
ont clairement annoncé que la Nasa renonçait
à collaborer avec l'Esa dans l'important programme
d'exploration de la planète Mars, ExoMars, et
dans d'autres plus mineurs, sur lesquels comptaient
beaucoup les Européens. Enfin, comme l'annonce
régulièrement la presse consacrée
à l'espace, la Chine, l'Inde, la Russie et le
Brésil, poursuivent ou relancent d'importants
programmes dans les différents segments intéressant
l'exploration ou l'exploitation de l'espace. Si l'Europe
se désintéressait de l'espace, elle compromettrait
non seulement sa place dans le monde de demain, mais
plus généralement son indépendance
et sa souveraineté.
Des
technologies de souveraineté
Appelons
technologies de souveraineté celles qui, outre
leur intérêt intrinsèque, permettent
à un pouvoir géopolitique d'affirmer sa
volonté d'indépendance et de puissance
dans un monde devenu multipolaire. Pour cela, elles
doivent être développées par ce
pouvoir avec ses propres ressources, afin d'échapper
à la dépendance que cherchent à
continuer d'imposer les pouvoirs concurrents lorsque,
pour des raisons historiques, ils dominaient jusque
là les secteurs concernés.
Un
bon exemple d'une telle technologie de souveraineté
est l'avion de combat français Rafale. Réalisé
dans la tradition gaullienne par la France seule, il
lui permet aujourd'hui d'échapper à la
domination que tentaient d'imposer les Etats-Unis. Ces
derniers obligeaint de fait la plupart des armées
du monde à s'équiper, pendant au moins
la première moitié du XXIe siècle,
du Joint Strike Fighter F 35. On a souvent reproché
à la France de réaliser un avion dont
aucun autre pays ne voulait. Aujourd'hui, alors que
le programme F 35 semble en train d'échouer,
il apparaît que le Rafale offre à tous
ceux qui s'associeraient à son développement
et à sa production des atouts d'indépendance
et de souveraineté irremplaçables. La
France n'a ni l'ambition ni les moyens d'en faire un
objet de domination. Elle ne vise qu'à la coopération.
Les sceptiques se demandent à quoi bon se mobiliser
pour un système d'armes. Sommes-nous en guerre
? A notre avis, ils ont tort. Si une coopération
internationale entre l'Europe et certains des pays du
BRICS(1), notamment le Brésil et l'Inde,
pouvaient s'organiser autour du concept Rafale, il s'agirait
d'un succès décisif pour l'ensemble des
partenaires.
Or
le domaine spatial, né de l'aéronautique,
doit être considéré, à une
tout autre échelle, comme celui par excellence
des technologies de souveraineté. Il permet d'assurer
aux puissances géopolitiques qui s'y investissent
une présence en toute indépendance dans
des dimensions du monde déjà vitales pour
leur survie et qui le deviendront de plus en plus. Il
s'agit généralement de technologies dites
duales, c'est-à-dire à usages autant civils
que militaires. Beaucoup sont de nature commerciale
mais aussi de nature régalienne, autrement dit
intéressant les puissances publiques, indépendamment
des retombées commerciales envisageables.
Enumérons
les principales d'entre elles :
-
les
centres spatiaux, de préférence situés
sur la ceinture équatoriale,
-
les
lanceurs, de puissances variées, indispensables
pour atteindre les différentes orbites requises
selon les applications,
-
les
satellites de télécommunications aux innombrables
applications,
-
les
satellites d'observation de la terre, des océans
et de l'espace proche, indispensables à la protection
raisonnée de notre environnement terrestre,
-
les
sondes interplanétaires, à usage principalement
scientifique,
-
les
stations dite sol, pour la réception, le traitement
et l'exploitation des données.
On
ajoutera ici tout ce qui concerne l'exploration des
autres planètes, qu'elle fasse appel à
des robots ou à des humains: capsules, orbiteurs,
atterrisseurs, robots d'exploration, lesquels seront
de plus en plus autonomes. La Station spatiale internationale
actuelle ou des équipements futurs de même
nature, qu'il n'est plus question d'abandonner, ainsi
que les moyens d'y accéder, se situent à
l'interface de certaines des applications précédentes.
Perspectives
de coopération
Depuis
les origines, les Etats-Unis ontdécidé
qu'ils devaient pleinement dominer l'espace en s'assurant
une avance de plusieurs années sur les autres
Etats : c'est le concept de "full spatial dominance".
Malgré leurs difficultés économiques
actuelles, ils ne renoncent pas à cette ambition.
Les Etats européens ont, non sans discussions
ni réticences, convenu qu'ils devaient, en propre
ou à travers l'Agence Spatiale européenne,
assurer une présence dans certains créneaux.
Le domaine le plus réussi à ce jour est
celui des lanceurs et des satellites civils et militaires.
La Chine, suivie par l'Inde, semble résolue à
se doter de moyens propres, sur le modèle américain,
y compris dans le domaine le plus risqué, celui
des missions interplanétaires. La Russie, longtemps
très en avance, elle aussi, est en train de reconstituer
un potentiel mis à mal par la recherche d'économies
et une privatisation mal fondées. Sa coopération
avec l'Europe est déjà exemplaire.
Serait-il
envisageable que, compte tenu des coûts et des
difficultés, les Terriens puissent s'entendre
sur un pied de relative égalité pour coopérer
au service des programmes spatiaux de ce siècle
? Ce serait sans doute souhaitable, mais pour le moment,
les grandes puissances sont plutôt en concurrence.
Les coopérations, quand elles s'organisent, se
font sur la base de l'inégalité. Ceci
parce que, comme indiqué ci-dessus, les technologies
spatiales sont des technologies de puissance et qu'aucun
des grands Etats ne veut partager leur développement
ou leur mise en oeuvre.
On
pourrait en revanche espérer voir s'établir
des coopérations intéressant des aires
géographiques ou géostratégiques
bien définies.
Cette perspective intéresse directement l'Europe.
Au-delà de la coopération entre Etats
européens eux-mêmes, désormais bien
acquise (malgré certaines rivalités qui
relèvent du bon voisinage), une alliance stratégique
entre l'Esa et la Russie est désormais une réalité
[voir
notre article qui illustre les derniers développements].
A ce propos, on notera qu'au moment où l'Europe,
pour des raisons sans doute politiciennes, était
"lâchée" sinon "trahie"
par l'Amérique, la Russie s'est montrée
décidée à prendre le relais. La
Russie et l'Europe gagneront certainement à conjuguer
leurs efforts dans le domaine martien, comme c'est déjà
le cas dans celui des lanceurs et des stations sols.
Mais
au-delà ?
Il n'échappera à personne que la Russie
est un membre influent du BRICS cité plus haut.
Une coopération euroBRICS pourrait-elle être
envisagée dans l'avenir ? La Chine en ce qui
la concerne a mené jusqu'ici un parcours sans
faute, élargissant progressivement ses ambitions.
Un Livre Blanc publié fin 2011 pour les cinq
prochaines années envisage une station spatiale
en orbite basse et peut-être un débarquement
humain ponctuel sur la Lune. Il reste que les technologies
utilisées, autant que l'on puisse en juger, sont
encore assez rustiques. Des faiblesses risquent d'apparaître.
L'Inde s'efforce de suivre la trajectoire chinoise,
mais ses ressources paraissent bien moindres que celles
de la Chine. Le Brésil pour sa part ne peut actuellement
envisager qu'un rôle d'appoint. On peut penser
que, orgueil national mis à part, la seule solution
technologique raisonnable pour ces trois pays serait
de coopérer entre eux et avec l'Europe
tout en gardant évidemment un pouvoir de décision.
L'argument
budgétaire semble le plus convaincant. Il est
difficile d'estimer le coût d'une mission, telle
que par exemple l'envoi d'un équipage sur la
Lune. Nous dirions pour notre part que l'équivalent
de l'ancien programme Apollo américain dépasserait
aujourd'hui 300 milliards de dollars. C'est à
la portée d'un grand pays (en dix ans, les guerres
au Moyen Orient ont coûté environ 3 trillions
de dollars à l'Amérique). Un Etat tel
que la Chine, qui préférerait semble-t-il
une expédition spatiale à une guerre,
pourrait la financer, non sans sacrifices. Par contre,
pour des raisons politiques et économiques, ni
l'Europe ni la Russie, ni sans doute l'Inde ou le Brésil,
n'accepteraient de se lancer seuls dans de telles opérations.
La coopération budgétaire et humaine s'imposerait
donc pour minimiser les coûts.
Ceci
étant, le spatial a toujours été
et reste dominé par les Etats-Unis. Pourquoi
ne pas faire appel à des coopérations
avec la Nasa ? Peut-être faut-il répondre
que, pour le moment, et sans exclure des changements
à l'avenir, coopérer avec les Etats-Unis
serait se mettre, en grand et en détail, au service
de leurs propres impératifs géostratégiques
et économiques. Car comme ils l'ont toujours
fait, Ils imposeraient à leurs "partenaires"
des abandons de souveraineté insupportables.
Une autre raison doit être évoquée
: aujourd'hui, l'appauvrissement de leurs finances publiques
semble devoir leur interdire les projets ambitieux qu'avait
planifiés la Nasa. Tout au plus parle-t-on de
faire appel à des opérateurs privés
pour des vols en orbite terrestre vols dont les
coûts seront d'ailleurs très élevés,
seulement à la portée de quelques riches
privilégiés, s'il s'en trouve.
On
voit que pour l'Europe et les Etats composant le BRICS,
la mutualisation des efforts paraît la seule façon
d'avancer vite et bien. Elle permettrait de définir
des champs de coopérations industrielles et scientifiques
associant l'ensemble des partenaires. Elle permettrait
d'aller plus loin, en accélérant la réalisation
d'investissements en réseau dans chacun des Etats
ou Fédérations concernés. Les retombées
scientifiques, industrielles, organisationnelles, seraient
encore plus importantes.
Certains
ne manquent pas de demander si, pour des pays, y compris
européens, où une grande partie de la
population peine à survivre, il est raisonnable
d'envisager de telles dépenses ? N'en profitent
qu'une infime minorité.
On peut répondre que les sommes impliquées
sont marginales. Y renoncer n'augmenterait que de quelques
euros les revenus individuels, mais supprimerait en
contrepartie beaucoup d'opportunités de croissance
et d'emploi. De plus les sociétés humaines
n'ont-elles pas toujours vécu, pour le meilleur
et pour le pire, les yeux fixés au delà
de l'horizon immédiat ? On ne peut que souhaiter
de tels rêves aux citoyens de l'EuroBRICS.
On
pourrait presque parler ici de rêves civilisationnels...
En effet, en cas de succès, compte tenu de la
force réprésentative du spatial dans les
esprits, on imagine ce que représenterait aux
yeux du monde la mise en place dans les prochaines années
d'une station lunaire voire à terme martienne,
portant les couleurs de l'EuroBRICS.
(1)
BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique
du Sud.
Documents
* Amarrage de l'ATV européen Eduardo Arnaldi
à l'ISS le 29 mars 2012 http://www.esa.int/esaCP/SEMUASGY50H_index_0.html
* Mission ExoMars http://www.esa.int/SPECIALS/ExoMars/SEM10VLPQ5F_0.html
* Colonisation de la Lune (Wikipedia) http://fr.wikipedia.org/wiki/Colonisation_de_la_Lune
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