Sciences
poltiques
Chine:
mauvais passage ou annonce de difficultés durables
?
Jean-Paul Baquiast - 17/04/2012
On
considère généralement, en Europe,
que la Chine est l'un des super-Etats auxquels nous
sommes confrontés et dont nous devrions nous
inspirer. Certes, la Chine n'est pas organisée
à l'européenne, avec des élections
démocratiques, une séparation des pouvoirs
et beaucoup de libertés d'expression. Mais elle
dispose, pense-t-on, d'un gouvernement central fort,
capable de définir des objectifs stratégiques
à long terme et d'organiser la convergence des
différentes politiques économiques. Tout
ceci manque évidemment à l'Europe. Les
événements de ces dernières semaines
peuvent conduire à nuancer ce tableau.
Des
failles à la tête de l'Etat
On
savait déjà que la "croissance"
effrénée de la Chine accumulait des risques
pour l'avenir : pollution, destruction de l'environnement,
inégalités sociales, corruption au niveau
des provinces. Aujourd'hui, c'est à la tête
de l'Etat que des failles apparaissent. Beaucoup d'hommes
politiques, en Chine comme à l'étranger,
le soupçonnaient, mais l'opinion n'en avaient
pas connaissance. Dorénavant, le silence n'est
plus de mise. C'est avec la démission forcée
imposée par le Politburo à l'un de ses
membres emblématiques, Bo Xilai, que tout a commencé.
Celui-ci, qui était maire de la ville en pleine
expansion de Chongqing, personnage jeune, brillant,
favori des médias occidentaux, s'est vu reprocher
par ses pairs du Bureau politique des pratiques de corruption.
Il en a été chassé en mars.
Dans
le même temps, sa femme Gu Kailai était
suspectée d'avoir trempé, pour des raisons
d'intérêts, dans le meurtre de l'homme
d'affaires britanniques Neil Heywood. Une investigation
est en cours. Un épisode digne d'un roman d'espionnage
s'était produit dans l'intervalle. Le bras droit
de Bo, un certain Wang Lijun s'est, apparemment pris
de panique, réfugié au consulat américain
en y apportant certains documents. Depuis il est retourné
en Chine et l'on semble sans nouvelles de lui.
La
censure à l'oeuvre : sites et blogs fermés
Les
enquêtes en corruption menées à
l'instigation des dirigeants du Parti dans l'entourage
de Bo Xilai et de sa femme ont apparemment soulevé
beaucoup de questions gênantes, dont l'opinion
n'a pas été vraiment informé, mais
qui ont fait parler. Comme on pouvait s'y attendre,
ce n'est pas seulement la ville de Chongquing qui est
en cause, mais beaucoup d'autres municipalités
et provinces. Le monde de l'internet s'en est ému,
malgré la sévérité de la
censure auquel il est soumis. Les autorités ont
fermé des douzaines de sites web, détruit
des milliers (ou centaines de milliers) de microblogs
et même arrêté certains auteurs pour
propagation de fausses nouvelles. Ceci n'a pas empêché
que se répande l'impression d'un ébranlement
touchant les fondements même du régime.
Il
fallait réagir au plus haut niveau. C'est ce
qu'a fait le 16 avril 2012le Premier ministre Wen Jiabao
dans un article publié par Qiushi, le
journal du Parti (http://english.qstheory.cn/).
Il a promis de consacrer sa dernière année
de pouvoir à combattre la corruption rampante,
sous toutes ses formes. Il s'est engagé aussi
à diminuer les pouvoirs de plus en plus incontrôlés
que s'étaient appropriés des dirigeants
importants. Si cette situation ne change pas, avait-il
prévenu lors d'une réunion de cabinet
seulement révélée le 16 avril,
la nature du pouvoir politique pourrait changer et ceux
qui le détiennent pourraient périr.
Selon
Wen Jiabao: "Le nombre
des leaders et des responsables officiels impliqués
dans la corruption est très grand, les sommes
en cause importantes et l'influence néfaste de
ces nids de corruption sur la société
est désastreux. Une des raisons qui font que
ces problèmes ne sont pas traités au fond
tient à l'hyper-concentration des pouvoirs et
à un manque de contrôle efficace".
Le
mal paraît très profond en effet. Mais
on ne sait pas comment cette énergique proclamation
sera reçue par l'opinion. Vraisemblablement avec
scepticisme, dans la mesure où les membres du
Parti sont les premiers appelés à se réformer,
autrement dit à abandonner les prérogatives
qu'ils s'étaient données au fil des ans.
On doutera de leur zèle. Il y a plus grave. Les
citoyens n'ont pas oublié la Révolution
culturelle des années 70, les déportations
et les morts qui l'avaient accompagnée sous prétexte
de purification. Certes, avec le développement
d'une démocratisation de facto en Chine, on voit
mal une telle terreur reparaître. Néanmoins,
des chasses aux sorcières de diverses provenances
pourraient se généraliser, au détriment
d'une croissance économique et sociale qui devrait
au contraire se faire d'une façon harmonieuse.
Autrement
dit, et plus qu'auparavant, le colosse risque de montrer
ses pieds d'argiles. Ses principaux rivaux, l'Inde en
premier lieu, ne manqueront pas d'en prendre note. Ce
sera aussi une raison pour que les Européens
renoncent à se comporter en petits garçons
face à la Chine et n'hésitent plus, notamment,
à revendiquer des rapports de réciprocité,
à l'OMC et autres instances.
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