A
propos du livre de Jean-Pascal Capp, Nouveau regard
sur le cancer. Pour une révolution des traitements,
Belin, 2012
Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin
- 2 avril 2012

Ce
texte a été approuvé par l'auteur
et Jean-Jacques Kupiec. JPB
NB. Un entretien avec Jean-Pascal Capp a déjà
été publié sur ce site. Nous
y renvoyons le lecteur afin d'éviter les répétitions
et aborder au plus vite l'essentiel. Voir le lien in
fine.
Nous
nous abstiendrons ici de la réserve qui consiste,
pour des chroniqueurs scientifiques présentant
un ouvrage intervenant dans un domaine sensible, à
rapporter les propos de l'auteur, en évitant
de prendre parti.
Nous
ferons cependant une exception à propos du livre
de Jean-Pascal Capp, qui vient de sortir en librairie
: "Nouveau regard sur le cancer. Pour une révolution
des traitements".
Non seulement nous pensons que nous devons inciter le
plus de lecteurs possible à lire ce livre, mais
nous voudrions ne pas nous limiter à cela. Le
nouveau regard proposé par l'auteur nous paraît
effectivement si révolutionnaire, en termes non
seulement d'analyse mais de thérapie, qu'il nous
semble nécessaire d'inviter les chercheurs et
médecins intéressés par cette thèse
à se regrouper. Dans un premier temps ils pourraient
ainsi mutualiser leurs réflexions, mais peut-être
par la suite faire décider et financer une action
de recherche exploitant les percées conceptuelles
exposées dans l'ouvrage. Cela ne semble pas être
encore le cas, du moins en France. Notre voix aura du
mal à se faire entendre, dans un domaine dominé
par des intérêts puissants peu favorables
aux remises en causes, mais l'effort mérite d'être
tenté.
Une
révolution conceptuelle
Jean-Pascal
Capp a pris un certain risque en évoquant la
perspective d'une révolution dans les traitements
du cancer. Nous prenons, à un moindre niveau,
le même risque en contribuant à la diffusion
de son propos. Le cancer est un sujet difficile, propice
aux annonces ostentatoires se révélant
ensuite sans fondements. Il ne faut donc pas faire naître,
même d'une infime façon, de vains espoirs.
Un
très grand nombre d'humains, que certains épidémiologistes
évaluent à 1 sur 3, se heurteront personnellement
au cancer, à un moment quelconque de leur vie
et partout dans le monde. Peu seront traités
avec un minimum d'efficacité. Parmi ceux-ci,
les rémissions, nul n'en disconvient, sont rares,
Plus encore le sont les guérisons réputées
comme définitives. Le coût individuel et
social des traitements ne cesse par ailleurs d'augmenter.
Des projets politiques de grande ampleur ont été
lancés à partir des années 1970
(National Cancer Act aux Etats-Unis, Plan Cancer en
France) pour exploiter les perspectives que l'on croyait
offertes par la biologie moléculaire, la génétique
et l'étude des facteurs de risques environnementaux.
Ce n'est pas faire de mauvais procès que constater
leurs échecs relatifs. Si des avancées
considérables ont été apportées
dans divers domaines de connaissance fondamentale, les
résultats thérapeutiques demeurent très
insuffisants et incertains.
Les
deux tiers du livre de Jean-Pascal Capp sont consacrés
à présenter les différentes voies
de recherche explorées depuis trente ans et plus
particulièrement dans les dix dernières
années, destinées à comprendre
les causes du cancer, sous ses multiples formes. Cette
première partie de l'ouvrage est très
technique, malgré l'incontestable pédagogie
déployée par l'auteur. Elle découragera
certains lecteurs. Mais elle est indispensable à
bien comprendre si l'on veut éviter de continuer
à penser que des résultats-miracle de
grande ampleur pourraient encore être espérés
en provenance des démarches actuelles. D'autres
sont en chantier, reposant systématiquement sur
l'analyse génétique comparée (recherche
de nouveaux bio-marqueurs). Mais des résultats
nouveaux ne semblent pas avoir encore été
publiés. Il est donc difficile de juger de leur
efficacité éventuelle. La cellule cancéreuse
apparaît, au terme de cette lecture, comme un
démon malin qui trouve toujours une façon
nouvelle de détourner à son profit les
armes déployées contre lui.
Une
nouvelle approche s'impose donc. Vu l'ampleur des difficultés
à résoudre, elle s'inspirera nécessairement
d'une véritable révolution conceptuelle.
D'où peut venir cette révolution ?
Selon Jean-Pascal Capp, elle découlera d'une
exploitation de l'hypothèse fondatrice présentée
depuis déjà une quinzaine d'années
par Jean-Jacques Kupiec, sous le nom d'ontophylogenèse
(ie "de la lignée à l'individu").
Dès le début, nous avions ici reconnu
le caractère fondateur de cette hypothèse
et donné la parole à son fondateur, le
biologiste Jean-Jacques Kupiec. Longtemps considérée
avec réticence, sinon avec hostilité,
par les généticiens, l'ontophylogenèse
fait dorénavant, sous des formes diverses, un
nombre croissant d'émules.
Pour
preuve le n° d'Avril 2012 de la revue La Recherche
qui, contrairement à sa concurrente britannique
NewScientist, n'a pas l'habitude de prendre de risques
en évoquant les sujets de recherche encore marginaux.
Or La Recherche consacre trois articles à l'ontophylogenèse,
sans prononcer ce mot, dans son dernier numéro
d'avril 2012, sous un titre plus général
: Epigénétique, L'hérédité
au-delà des gènes. Comment l'environnement
modifie les chromosomes. Le principal article a été
confié à Andras Paldi, professeur à
l'école pratique des Hautes Etudes spécialiste
d'épigénétique au généton
d'Evry. L'auteur ne fait pas allusion aux travaux de
Jean-Jacques Kupiec ni à ses applications à
la compréhension du cancer, mais la référence
est intéressante.
En
quoi l'ontophylogenèse permet-elle une approche
révolutionnaire du cancer ?
Revenons
ici à la compréhension du cancer.
En quoi l'ontophylogenèse permet-t-elle une approche
révolutionnaire de ce fléau ? La deuxième
partie du livre de Jean-Pascal Capp, beaucoup plus facile
à lire que la première, s'efforce de le
démontrer. C'est cette partie qu'il convient
d'étudier attentivement et, comme nous l'indiquions
plus haut, de tenter d'exploiter.
Comment
en quelques lignes résumer un sujet qui reste
ardu pour les non-biologistes ? Une des bases de l'ontophylogenèse
repose sur le principe de l'expression aléatoire
(stochastique) des gènes. Les gènes sont
les parties actives de l'ADN constituant le génome
des organismes. Ils s'expriment par l'intermédiaire
de protéines, les histones, avec lesquelles ils
sont plus ou moins étroitement associés
au sein d'un ensemble dit chromatine. La génétique
classique considérait que les gènes s'exprimaient
de façon linéaire lors de la reproduction
et au cours de la vie de la cellule, selon le processus
: "un gène, une protéine, un caractère".
L'ontophylogenèse postule au contraire que, lorsque
la cellule se reproduit, ses gènes peuvent s'exprimer
de manière désordonnée, en conséquence
du fait que chacun d'entre eux, ou plusieurs d'entre
eux simultanément, peut faire appel pour s'exprimer
à un grand nombre des protéines qui lui
sont associées au sein de la chromatine. Il "choisit"
entre les diverses protéines au terme de règles
complexes, mal connues, d'une façon qui de ce
fait paraît aujourd'hui encore relever de l'aléatoire.
Autrement dit, le gène ne s'exprime pas de façon
déterministe.
Ainsi,
lorsqu'elle se reproduit, une cellule de foie, par exemple,
ne donne pas obligatoirement naissance à une
autre cellule de foie, mais à une cellule indifférenciée.
C'est l'environnement de la cellule qui oriente son
choix en l'obligeant à se reproduire de façon
conforme à celle des autres cellules composant
le tissu propre à cet environnement. De la même
façon les cellules embryonnaires ne sont pas
spécifiques. Ce sera leur emplacement dans le
tissu embryonnaire qui en fera des cellules adaptées
à la configuration des organes en développement.
L'environnement qui joue un rôle ainsi déterminant
dans la stabilisation de l'évolution initialement
aléatoire de la cellule peut être constitué
des autres cellules de l'organisme (micro-environnement),
comme résulter des propriétés plus
générales de celui-ci ou même du
milieu général dans lequel évolue
cet organisme.
On
nomme généralement épigénétique
un facteur extérieur aux gènes qui impose
un choix déterminé à la reproduction
génétique. Ce facteur, d'origine environnementale,
peut se traduire par des caractères reproductibles
s'associant aux gènes, responsables de l'évolution
ultérieure des cellules et de l'organisme. Se
transmettant comme l'ADN du génome, les ajouts
épigénétiques sont responsables
de caractères transmissibles, heureux ou néfastes
pour la vie des cellules, qui se transmettent avec celles-ci.
La
méthylation est une modification chimique de
l'ADN résultant d'une interaction de la cellule
ou de l'organisme avec l'environnement. Elle est donc
un produit de l'évolution épigénétique.
Un taux élevé de méthylation réprime
l'expression des gènes, un taux bas la favorise.
La méthylation peut se transmettre de celule
à cellule ou d'individu à individu sans
que le génome lui-même soit modifié.
Ceci ne remet pas en cause la théorie darwinienne
de l'évolution (mutation-sélection-ampliation)
mais la complète. On a pu parler d'une résurgence
partielle du lamarckisme ou transmission à l'espèce
des caractères acquis par l'individu (le phénotype).
Mais cette transmission peut ne pas être durable,
au-delà d'un certain nombre de générations.
Rappelons
à ce propos que pour Jean-Jacques Kupiec et les
autres théoriciens de l'ontophylogenèse,
le mécanisme de la sélection darwinienne
s'exerce à tous les niveaux de l'évolution,
depuis les molécules, les gènes, les cellules
jusqu'aux organismes et même à leurs productions
sociales (ou culturelles). Ce mécanisme suppose,
selon les termes de Monod, le hasard dans l'apparition
des mutations et la nécessité imposée
par les contraintes micro et macro-environnementales.
Le cancer peut être considéré comme
la face la plus sombre d'un tel mécanisme universel.
Un
processus général
Selon
l'ontophylogenèse appliquée à la
compréhension de la cancérisation, on
peut faire l'hypothèse que dans certains cas
(la plupart des cas ?) l'apparition du cancer comme
aussi celle de ses récidives pourraient provenir
de perturbations dans lenvironnement tissulaire
ou organique qui empêchent les cellules de se
stabiliser. Ceci maintient leurs capacités à
sexprimer de façon aléatoire, ce
qui risque de les transformer en cellules cancéreuses,
ou, plus dangereusement encore sous l'angle des métastases,
en cellules souches cancéreuses (non différentiées).
L'apparition des gènes dits du cancer, identifiés
dans les cellules cancéreuses (oncogènes)
ou la neutralisation des gènes qui devraient
être répresseurs de la reproduction cancéreuse
anarchique mais qui ne s'expriment plus, peuvent être
les effets de cette épigénétique
dévoyée.
Or
Jean-Pascal Capp explique qu'une amorce de guérison,
autrement dit la ré-expression des gènes
de la différenciation, permettant à ces
cellules de sintégrer à leur micro-environnement
cellulaire, pourrait être encouragée par
des molécules identifiées comme pouvant
jouer un rôle dans la stabilisation du caractère
instable de la cellule. Il mentionne par ailleurs (p.224),
ce qui rejoint des hypothèses insistant sur l'importance
d'un milieu et d'une alimentation adéquate dans
la prévention, l'existence de molécules
présentes dans certains aliments, favorisant
lexpression de protéines impliquées
dans la différenciation cellulaire. Il
cite des caroténoïdes et des rétinoïdes
et propose une voie de recherche visant à sélectionner
de futures molécules thérapeutiques sur
ces bases. Il s'agirait d'une "thérapie
par la différenciation, comme réponse
à l'instabilité des cellules cancéreuses".
On
devine que, vu la diversité extrême des
sujets pouvant être atteints de cancer, comme
celle de ces cancers eux-mêmes, il faudrait des
recherches importantes, non pour découvrir une
molécule anti-cancéreuse-miracle, mais
pour proposer certaines des conditions permettant de
favoriser la prévention et la guérison.
Mais il ne s'agirait plus de recherches au hasard ou
se dispersant dans de multiples directions, dans la
mesure où un principe fondateur aurait été
identifié. De plus ces recherches seraient à
la portée d'une pharmacologie relativement simple,
associée à des prescriptions en matière
d'hygiène de mode de vie qui n'ont rien de révolutionnaire
génératrices au contraire de nombreuses
économies dans le domaine de la consommation.
Initialiser
une démarche collective
Que
faire à partir de ces prémisses ? Nous
pensons pour notre part que tous ceux, scientifiques,
médecins, décideurs économiques
et politiques s'étant convaincus de la pertinence
des travaux et analyses résumés par le
livre, ont un devoir. Il s'agirait de se regrouper et
agir pour engager ou faire engager la stratégie
de recherche et de thérapie esquissée
par l'auteur, ou toute autre qui en serait proche par
l'esprit..
Dans
un premier temps, une association de la loi de 1901
pourrait être créée. Si cela était
le cas, nous nous ferions un devoir de donner à
ses travaux toute la diffusion compatible avec nos moyens.
De toutes façons, dans la suite de cet article,
nous informerons nos lecteurs des suites éventuellement
données à cette suggestion.
A
lire également :
Interview
de Jean-Pascal Capp (2012)
Interview
de Jean-Jacques Kupiec (2009)
Une
approche darwinienne de l'ontogenèse (article
de Jean-Jacques Kupiec, septembre 2009)
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