Sciences
et vie politique. La
méthode de conceptualisation relativisée
(MCR) . De la physique quantique à l'ensemble
des processus de construction des connaissances.
Exemple d'application pratique:
le chômage
Jean-Paul Baquiast 06/12/2011
Extrait de: J.P.Baquiast. Pour un principe matérialiste
fort, chapitre 1, section 5, p. 65. Ed.J.P. Bayol 2007
Ce
texte complète nos articles précédent:
Présentation de la méthode MCR http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2011/122/mcr.htm
et http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2011/122/mcr2.htm
Pour
en savoir plus sur cette dernière, voir :
Mioara Mugur-Schächter, " L'infra-mécanique
quantique " Ouvrage au format.pdf accessible en
téléchargement gratuit http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2011/115/IMQ.pdf
Un
exemple d'utilisation de MCR, le chômage
Les
processus de la mécanique quantique (MQ) étant
encore mal connus du grand public, proposons au lecteur
une application simplifiée de MCR, en nous situant
dans le champ des connaissances ordinaires afin d'éviter
de laisser croire qu'elle n'intéressera que les
physiciens. Cette transposition a été
approuvée par l'auteur du Tissage des connaissances.
Elle ne dispensera pas les épistémologues
de se référer à son livre.
Supposons
un économiste qui cherche à comprendre
le chômage qui persiste dans les économies
occidentales malgré la reprise de l'activité.
Cet économiste constate que les définitions
classiques du chômage ne suffisent pas à
expliquer les phénomènes constatés
sur le marché de l'emploi dans un pays comme
la France. Il en vient à les critiquer. Sont-elles
pertinentes ?
Dans une science économique " réaliste
", c'est-à-dire persuadée de l'existence
d'un réel existant indépendamment de l'homme,
on a tendance à considérer qu'il existe
des objets en soi, le chômage, l'inflation, la
mondialisation, que l'on peut étudier de l' extérieur
et décrire de façon objective, en "
tournant autour " comme on le fait en étudiant
une machine ou un phénomène relativement
objectif, par exemple une éruption volcanique.
Mais
un peu de réflexion montre que le chômage
ou l'inflation sont des entités construites pour
les besoins de tel ou tel discours. Le chômage
n'est pas conçu ni décrit de la même
façon par le Medef, la CGT, le ministre des finances
ou une personne en recherche d'emploi. En d'autres termes,
on ne peut pas " réifier " le chômage,
c'est-à-dire parler de lui comme s'il s'agissait
d'une réalité dont la définition
s'imposerait à tous. L'entité chômage
ne peut être décrite d'une façon
qui fasse abstraction de la personne qui en parle. Les
deux sont inséparables.
Que
faire alors? Maintenir l'hétérogénéité
des discours, reposant sur la diversité des personnes
parlant du chômage et sur la non-compatibilité
de leurs motivations ? C'est en général
ce qui se passe. On aboutit à une sorte de babélisation,
chaque personne (chaque locuteur) désignant sous
le même mot des choses différentes et surtout,
voulant provoquer des réactions politiques différentes.
Ceci explique pourquoi la science économique
est généralement considérée
comme inexacte sinon menteuse, au même titre que
la météorologie vue par le prétendu
bon-sens populaire.
Mais
si l'on voulait introduire de la rigueur dans le discours
sur le chômage, il faudrait pour bien faire que
celui qui en parle précise qui il est, à
qui il veut s'adresser, ce qu'il veut démontrer,
la définition qu'il propose de donner au concept
de chômage, les raisons qu'il a de considérer
que cette définition est scientifiquement pertinente
et, finalement, les raisons qu'il a de considérer
que les autres définitions ne le sont pas. On
constatera alors que la plupart des gens parlant prétendument
scientifiquement du chômage refuseront cette façon
de relativiser leur discours, non pas parce qu'il s'agirait
d'un processus trop complexe susceptible de créer
une autre sorte de cacophonie, mais parce qu'ils refuseront
d'admettre qu'ils ne sont pas objectifs quand ils abordent
la question du chômage. Chacun en fait s'appuie
sur la prétendue réalité de l'entité
dont il parle pour se crédibiliser, c'est-à-dire
pour donner de la " réalité "
à son discours et à sa personne. Il s'agit,
comme nous l'avons dit, d'une tentative de prise de
pouvoir sur ceux à qui ce discours est destiné.
Le chômage est une question politiquement sensible
et donne lieu à de multiples exploitations partisanes.
Spécifier
des opérations de mesure
Que
me propose la méthode MCR pour éviter
cela ? Il faut d'abord que j'accepte une régression
conceptuelle : je dois poser en principe que le chômage
n'existe pas en soi. Je décide ensuite de créer
une entité virtuelle inobservable que j'appellerai
chômage, puis de la fixer en tant objet d'étude,
c'est-à-dire de connaissance. Connaître
veut dire décrire et décrire qualifier.
Quand il s'agit de qualifications par des opérations
physiques, il faut spécifier une " opération
de mesure " et l' " appareil de mesure "
correspondant. Je réaliserai donc un certain
nombre d'appareils non-virtuels pouvant fournir, à
partir d'interactions avec cet objet virtuel supposé,
des marques ou mesures qui me soient perceptibles.
Il
pourra s'agir d'enquêtes auprès de l'ANPE
ou d'organisations professionnelles, mais aussi de sondages
d'opinion ou toutes autres formes d'observation. En
préparant ce matériel, par exemple en
définissant les questions et les réponses
possibles, j'accomplis ce que les physiciens nomment
une "opération de préparation d'état"
et je pose en principe que cette opération produit
un état virtuel "correspondant" qui
est précisément l'objet de l'étude
que présuppose toute tentative de description.
J'admets
a priori que l'entité virtuelle " chômage
", lorsqu'elle est soumise au mode d'interaction,
change d'une façon que je ne connais pas. Mais
ce changement inconnu peut être défini
factuellement (objectivement), à savoir "c'est
celui qui correspond au mode opératoire mis en
action" et que je constate sur l'appareil de mesure.
L'interaction ne détecte pas une propriété
intrinsèque de l'objet, elle crée une
propriété perceptible d'interaction. Si
j'enquête auprès de l'ANPE, l'entité
virtuelle chômage, susceptible d'innombrables
définitions, est modifiée par cette enquête
et devient, à travers celle-ci (et seulement
à travers elle), le chômage tel que se
le représente l'ANPE. Lorsque j'enquêterai
auprès de la CGT, l'entité virtuelle sera
à nouveau modifiée. Elle deviendra le
chômage tel que le voit ce syndicat.
Les
manifestations perceptibles de l'observable virtuel
sont dénommées ses "valeurs propres".
L'ensemble des valeurs propres d'un observable virtuel
constitue son "spectre". Le mode opératoire
d'interaction qui définit l'observable virtuel
crée une valeur propre perceptible de cet observable.
Mais l'observable n'est pas une propriété
de l'entité virtuelle. C'est une opération
d'interaction d'une entité virtuelle avec un
appareil matériel. De ce fait la valeur propre
créée qualifie l'interaction et non l'entité.
Si l'enquête auprès de l'ANPE me dit que
le taux de chômage est de 13% de la population
inscrite auprès de ses caisses, ce chiffre qualifie
l'interaction de l'entité virtuelle chômage
avec les moyens d'information dont disposent ces caisses,
et non l'entité virtuelle chômage toute
entière.
Ainsi,
afin de qualifier une entité virtuelle, je définirai
des dimensions de qualifications opératoires
qui seront des interactions entre cette entité
et des appareils d'observations et qui créeront
des effets d'interaction perceptibles interprétables
selon certaines règles en termes prédéfinis
de "valeurs propres d'observables...". On
voit que dans le but de connaître une entité
virtuelle du type du chômage, je suis obligé
d'adopter une attitude de description radicalement active.
Je dois créer aussi bien les objets de descriptions
que les qualifications.
Imaginons
maintenant que je refasse un grand nombre de fois l'opération
de mesure, en m'adressant à d'autres interlocuteurs,
le Medef, la CGT, le ministère du travail. Imaginons
aussi que je change d'instruments de mesure, par exemple
en réalisant des sondages individuels auprès
d'un échantillon de population, salariés
d'abord, chefs d'entreprise ensuite... Imaginons enfin
qu'à chaque fois je trouve le même résultat
(soit un chômage estimé à tel pourcentage
de la population salariale, par exemple 10%). A ce moment
je pourrai dire : " la qualification de l'entité
virtuelle chômage, soumise à telles opérations
de mesure, conduit invariablement au résultat
10%. Donc la caractérisation du chômage
face à ces opérations de mesure est terminée.
Elle consiste dans la valeur propre 10% ".
Un
spectre de valeurs
Mais
en général, la réitération
d'un grand nombre de fois une opération de mesure
et le recours à un grand nombre d'opérations
de mesure différentes font apparaître tout
un spectre de valeurs propres de l'entité virtuelle
chômage, allant par exemple de 8% à 15%
et portant sur des catégories de travailleurs
ou de chômeurs différentes. La situation
se révèle être statistique.
Dans
ces conditions, la valeur propre 11%, à elle
seule, n'est pas caractéristique du chômage.
Je suis obligé de faire un nouveau pas vers la
caractérisation de cette entité virtuelle
en établissant la distribution statistique des
fréquences relatives obtenues pour l'entier spectre
des valeurs propres. Mais je dois me souvenir que la
distribution statistique du spectre des valeurs propres
est elle-aussi relative aux diverses opérations
de mesure mises en jeu. Aussi, afin d'augmenter les
probabilités d'avoir véritablement caractérisé
le chômage, je rechercherai la distribution des
fréquences relatives des "valeurs"
de qualification obtenues par plusieurs biais de qualification
différents. Je choisirai plusieurs observables
différents tels que les opérations de
mesure correspondantes soient mutuellement exclusives.
On
résumera en disant que par un très grand
nombre de réitérations d'opérations
de mesure mutuellement exclusives, j'obtiens de l'entité
virtuelle chômage une certaine connaissance globale,
probabiliste, qui est un invariant observationnel pouvant
lui être associé et le caractériser.
Je puis aller plus loin en établissant un algorithme
mathématique prévisionnel donnant une
représentation abstraite du résultat obtenu.
J'établirai, pour toute opération de préparation,
une fonction d'état ou fonction de probabilités
qui représentera l'ensemble de tous les résultats
expérimentaux en fonction du temps - ce qui s'impose
dans le cas du chômage puisque celui-ci est supposé
évoluer dans le temps.
Une
fois que cette fonction de probabilité a été
construite, des calculs simples permettront d'obtenir
des prévisions quantitatives. Mais il ne s'agira
que de prévisions probabilistes globales et pas
de prévisions individuelles affirmées
avec certitude. Elles pourront cependant se révéler
d'une précision déconcertante. Ainsi l'entité
chômage qui au départ n'était qu'un
simple étiquetage subit finalement une transmutation
en un outil mathématique de description probabiliste
prévisionnelle, qui me sera fort utile dans la
suite de mes travaux économiques. Ce sera en
quelque sorte, pour reprendre le terme utilisé
par la MQ, la fonction d'onde ou vecteur d'état
de l'entité virtuelle chômage. L'opacité
qui sépare le supposé niveau virtuel du
chômage et mon propre niveau de perception et
d'action sera - en ce sens et en ce sens seulement -
levée. Une structure descriptionnelle prévisionnelle
et vérifiable aura été mise en
place.
Malgré
les apparences, on voit que la méthode MCR est
très différentes des méthodes classiques.
Ainsi, en ce qui concerne le chômage, l'observateur
économique classique affirme a priori l'existence
d'un phénomène, le chômage, tel
qu'il le définit. Il exclut toute autre définition
et c'est à partir de cette définition
qu'il travaille. Ainsi tel auteur inclura dans le calcul
du chômage les emplois à temps partiel
et tel autre en enlèvera les emplois féminins
non salariés. Ces auteurs procéderont
ensuite à des mesures statistiques qui donneront
une apparence de scientificité à leurs
définitions, dont ils se garderont bien d'annoncer
le caractère relatif. Evidemment, les économistes
honnêtes ne sont pas tous incapables d'efforts
destinés à exclure la subjectivité
et le caractère partisan de leurs travaux. En
croisant les points de vue, ils peuvent aboutir à
des caractérisations, toujours relatives mais
plus générales, des phénomènes
qu'ils étudient. Mais dans ce cas, ils retrouveront
sans le savoir les procédures de la MQ résumées
dans la méthode MCR exposée ci-dessus.
Ils courront cependant à tous moments le risque
de retomber dans l'erreur de la réification -
ce qui est plus difficile, bien que pas totalement impossible,
en matière de physique quantique.
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