Article
Le milieu terrestre primitif et les premières
formes de vie
Jean-Paul Baquiast - 03/12/2011

La
plupart des chercheurs s'intéressant aux premières
formes de vie terrestre pensent qu'elles sont apparues
très tôt, environ 500 millions d'années
après la mise en forme de la Terre primitive.
Elles se seraient formées dans des milieux saturés
de méthane, sulfure d'hydrogène, monoxyde
de carbone et ammoniaque. Véritables poisons
pour les formes de vie terrestres modernes, ces gaz
étaient au contraire favorables aux synthèses
biochimiques ayant donné lieu à l'apparition
des acides aminés et de l'ADN(1).
Les premières formes vivantes auraient donc pris
naissance dans des milieux riches en méthane
et sulfure, soit dans les océans, autour des
émissions magmatiques sous-marines, soit éventuellement
à la surface des terres volcaniques émergées.
Les organismes modernes tirant leur énergie des
phénomènes d'oxydation rendus possible
par l'existence de milieux devenus riches en oxygène
ne seraient apparus que bien plus tard. .
Or une équipe de l'Institut polytechnique Renneselaer
(RPI) dirigée par le Pr. Bruce Watson vient de
publier dans Nature un article intitulé "The
oxidation state of Hadean magmas and implications for
early Earth's atmosphere". Il résulte
de ces travaux que les conditions de l'atmosphère
terrestre il y a 4 milliards d'années auraient
pu se rapprocher de celles régnant de nos jours,
comportant, notamment, de l'eau et du CO2.
Ces éléments auraient résulté
de la remontée des magmas profonds lors de leur
dégazage en surface, selon un processus proposé
par cette équipe.
Nous renvoyons à l'article pour le détail
des manipulations longues et complexes ayant permis
à l'équipe du RPI de former des hypothèses
concernant la composition en oxygène des magmas
primitifs et de leurs produits de dégazage. Disons
seulement qu'ils ont analysé à cette fin
des zircons, ou silicate de zirconium naturel, qui sont
des minéraux rares considérés comme
appartenant aux plus anciens de la planète. Ils
ont recréé en laboratoire des conditions
proches de celles ayant permis la production des zircons
supposés avoir été présent
dans les laves primitives. Ils ont étudié
leur richesse en cérium, élément
pouvant servir à mesurer le degré d'oxydation
de la lave. Ils ont constaté que l'atmosphère
résultant de la décomposition de ces laves
primitives expérimentales était proche,
au regard de leur richesse en oxygène, de l'atmosphère
actuelle. Un oxygène de dégazage aurait
donc fait partie, dans des quantités importantes,
des gaz composant l'atmosphère initiale.
Cependant rien n'indique le temps mis par cet oxygène
pour se répandre dans l'atmosphère entière.
Les volcans devaient émettre, comme ils le font
aujourd'hui, de nombreux autres gaz. Les hypothèses
relatives aux rôles joués par des organismes
anaérobies dans l'histoire de la vie ne devraient
dont pas être bouleversées. Tout au plus
devraient-elles tenir compte d'une compétition
possible avec des organismes aérobies.
L'étude du RPI a été financée
par la Nasa, dans le cadre de recherches sur l'exobiologie.
Elle pourrait avoir des conséquences importantes
pour cette discipline. Si l'évolution biochimique
terrestre n'avait pas eu le temps de faire apparaître
suffisamment tôt dans l'histoire de la vie des
organismes capables d'utiliser l'oxygène présent
dans le milieu, ceux-ci auraient pu être apportés
sur la Terre à partir de l'espace. Autrement
dit, bien d'autres planètes aux conditions voisines
de celle de la Terre pourraient être porteuses
de formes de vie aérobies proches de celles que
nous connaissons.
Les hypothèses de l'équipe de Bruce Watson
entraînerait donc, en cas de confirmation, une
remise en cause ou tout au moins une diversification
de la plupart des théories relatives à
l'origine de la vie au regard des conditions géochimiques
ayant permis son apparition(2).
En principe, on devrait pouvoir retrouver très
tôt dans la chronologie quelques traces d'organismes
aérobies. Mais en pratique, la chose semble impossible
pour le moment. Cependant, un direction de recherche
différente pourrait fournir des indices précieux
en ce sens.
LUCA
(Last Universal Common Ancestor)
Il s'agit des recherches destinées à préciser
les caractéristiques de notre « dernier
ancêtre commun », l'hypothétique
LUCA (Last Universal Common Ancestor). Nous avions
indiqué dans des articles précédents
que les paléobiologistes appellent ainsi un organisme
ancêtre commun des trois grandes lignées
d'organismes identifiées aujourd'hui, les bactéries,
les archées et les eucaryotes (dotés de
noyau)(3).
Rappelons, concernant la chronologie en cause, que si
selon les estimations récentes, la Terre est
vieille de 4,5 milliards d'années (mdsA), de
premières traces chimiques de vie sont apparues
il y a -3,8 mdsA, des fossiles de cellules pouvant correspondre
à LUCA ont été identifiés
vers -3,4 mdsA . LUCA pour sa part se serait différencié
en bactéries, archées et eucaryotes vers
- 2,9 mdsA. Enfin les premiers organismes multicellulaires
ne se seraient constitués qu'après - 0,9
mdsA.
Pourquoi dit-on que LUCA pourrait être l'ancêtre
commun des bactéries, archées et eucaryotes
? Un article récent de Michael Marshall dans
le NewScientist (voir sources, ci-dessous) donne de
nouvelles précisions à ce sujet. Selon
les hypothèses actuelles relatives à l'origine
génétique des premiers organismes, ceux-ci
ne disposaient pas, au contraire de leurs successeurs
bactéries, archées et eucaryotes, de génomes
spécifiques. Or de tels génomes, indispensables
à la diversification darwinienne en espèces,
interdisent en général les échanges
de gènes par transfert (4).
Le milieu originel, celui des océans primitifs,
offrait au contraire des conditions permettant l'échange
permanent des gènes. On a parlé de "foire
aux gènes" ou de "libre-échange
des gènes". Il offrait des ressources vitales
en très grande quantité par rapport aux
petits effectifs des premiers organismes. Ceux-ci n'étaient
donc pas soumis à une pression d'inter-sélection
sur le mode décrit par le néodarwinisme.
Certes, ils devaient lutter pour survivre, mais ils
luttaient davantage contre le milieu que contre leurs
homologues.
Pour ce faire, ils ont fait spontanément appel
à la coopération, la solution la moins
coûteuse. Les gènes pouvaient s'échanger
comme c'est souvent encore le cas en ce qui concerne
les bactéries, d'une façon beaucoup plus
libre qu'aujourd'hui. Il en est résulté
une floraison permanente, non pas comme ultérieurement
d'espèces caractérisées par des
génomes rigides, mais de ce que l'on pourrait
appeler des variétés d'un même organisme.
D'où la tentation de considérer ce pool
de gènes variant sans cesse comme caractérisant
un méga-organisme unique, répandu dans
tous les océans, LUCA.
Bien plus tard seulement apparurent les trois domaines
d'organismes mentionnés ci-dessus. Ils se différencièrent
en s'isolant, sous la pression d'une compétition
accrue nécessitée par la diminution des
ressources au regard des populations, ainsi que par
des spécialisations imposées par la transformation
des milieux géographiques. Les archées,
anciennement nommées archéo-bactéries,
constituèrent sans doute le premier domaine apparu.
Elles signèrent la fin du rôle de LUCA
en tant qu' ancêtre commun ou universel.
Mais comment caractériser LUCA ? Il semble aujourd'hui
possible de reconstituer certains des gènes présents
dans ses cellules, à partir d'une analyse des
protéines produites par l'expression de ses gènes
supposés.. Si certaines protéines paraissent
avoir traversé les millions d'années et
les espèces en conservant des structures très
proches, on pourrait suspecter qu'elles correspondent
à des gènes présent dans LUCA.
Il s'agirait de véritables fossiles vivants.
Or le Pr. Gustavo Caetano-Anollés de l'Université
de l'Illinois pense avoir identifié de telles
structures, dans une base de données recensant
les protéines de 420 organismes modernes.
Cinq
à dix pour cent de celles-ci seraient universelles.
Elles pourraient donc avoir été héritées
de LUCA. Ces protéines auraient pu produire des
enzymes capables de fabriquer de l'énergie à
partir des nutriments des milieux supposés entre
les siens à son époque, soit des nitrates
et des composés carbonés. Mais il n'avait
sans doute pas d'enzymes capables de fabriquer de l'ADN.
Pour aller plus loin dans la description de la carte
d'identité de LUCA, il pourrait être intéressant
d'exploiter l'hypothèse évoquée
en début de cet article, selon laquelle les milieux
origines comportaient des composants oxygénés.
Pour ce faire, il faudrait rechercher si LUCA disposait
aussi d'enzymes susceptibles d'en tirer parti.
Autrement dit, pour poser la question autrement, des
protéines correspondant à cette exigence
figureraient-elles dans la liste de fossiles vivants
étudiés par le Pr. Gustavo Caetano-Anollés?
Notes
(1) On distingue classiquement les
organismes anaérobies, vivant sans oxygène,
et les organismes aérobies, utilisant l'oxygène
dans leur métabolisme.
(2)Voir sur ce sujet notre présentation
du livre de Nick Lane 'Life
ascending"
(3)Voir "Nouveaux
nouveaux regards sur la biologie, Carl Woese, Freeman
Dyson"
ainsi que "Le
mimivirus, un monstre prometteur"
(4) Sur le transfert horizontal de
gènes, voir
notre article.
Sources
Institut polytechnique Renneselaer : http://rpi.edu/
Bruce Watson et al. "The
oxidation state of Hadean magmas and implications for
early Earth's atmosphere"
Les Zircons
: http://fr.wikipedia.org/wiki/Zircon
Michael Marshal "Life
began with a planetary mega-organism".
Sur l'ensemble de la question, on consultera le Colloque
du 11 novembre 2011 "Les origines de la vie",
organisé par The Institute of Structural and
Molecular Biology (ISMB) . UCL Symposium on the Origin
of Life : http://www.ismb.lon.ac.uk/origin_of_life.html
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