Géopolitique.
Occupy Wall Street. Petit essai d'analyse
systémique
Jean-Paul
Baquiast 04/10/2011

Il est un peu vexant de se trouver obligé, en
France, de se référer à l'actualité
américaine pour comprendre les mouvements d'opposition
au Système, comme si le prestige de l'Amérique
restait si grand que rien ne mériterait de retenir
l'attention en dehors de ce qui s'y passe. Le silence
anormal qui pèse encore ici sur Occupy Wall Street
doit être considéré comme un signe.
Nous
avons comme beaucoup d'observateurs noté le grand
nombre de manifestations qui ont surgi spontanément
en Europe à la suite de l'exemple donné
par les Indignados espagnols. On a pu les rapprocher
des mouvements d'occupation de certaines places publiques
qui ont déclenché ou à tout le
moins accompagné le printemps arabe. Aux Etats-Unis,
un mouvement d'opposants aux Républicains à
Madison, dans l'Etat du Wisconsin, avait attiré
l'attention sur les germes de tels mouvements latents
dans la société américaine. Les
théoriciens de la mémétique y ont
vu une confirmation de leurs thèses.
Mais
aujourd'hui le retentissement pris par l'occupation
de Wall Street oblige à tenter de mieux interpréter
un tel phénomène. Encore extrêmement
minoritaire, il se propage très vite. Certes,
il pourrait s'éteindre de lui-même, mais
il pourrait aussi s'étendre jusqu'à remettre
entièrement en cause ce qu'avec beaucoup d'entre
nous nommons le Système, le Système politico-financier
qui étreint comme une pieuvre l'ensemble de la
planète. C'est sans doute par peur d'encourager
une telle extension que ni les médias ni les
hommes politiques européens au service de ce
Système ne jugent bon d'en parler.
Occupy
Wall Street évolue tous les jours. On suivra
l'actualité du phénomène sur les
deux sites qui lui sont consacrés par ses militants,
ainsi que sur la page très documentée
que lui consacre Wikipedia (voir références
ci-dessous). Nous avons cependant assez d'éléments
aujourd'hui pour tenter un début d'analyse. Cette
analyse permettra de retrouver une partie des causes
qui ont expliqué les manifestations d'Indignés
en Europe.
Plusieurs
traits distinguent Occupy Wall Street des différentes
formes d'opposition aux pouvoirs politiques et économiques
étant apparu tout au long des cinquante à
cent dernières années dans le monde. Il
s'agit aujourd'hui de mouvements apparemment spontanés,
hostiles a priori aux manifestations violentes, notamment
du fait des enchaînement qu'elles déclenchent,
faisant appel principalement à de jeunes diplômés
sans emploi et enfin, grand objet d'étonnement,
ne proposant aucune solution précise de réformes.
Ils fustigent certes le pouvoir financier, mais comme
celui-ci à leurs yeux tient en mains l'ensemble
de la société, ils ne soutiennent aucun
parti, Démocrates, Républicains, Tea Party,
non plus que les oppositions syndicales ou altermondialistes
traditionnelles.
La
priorité des priorités, pour le mouvement,
est le refus. Mais dans la bouche de certains de ses
activistes, ce refus prend une forme prophétique,
qui pourra surprendre (mais nous sommes aux Etats-Unis)
Ainsi les termes de Chris Hedges, ancien prix Pulitzer
pour le compte du New York Times, sont clairs. http://www.truthdig.com/report/item/the_best_among_us_20110929/
«
Il n'y a pas de détours possibles. Ou bien vous
rejoignez les révoltés occupant Wall Street
et les différentes places financières
du pays, ou bien vous vous placez dans le mauvais sens
de l'histoire. La seule arme qui vous reste est la désobéissance
civile, face au pillage organisé par la classe
criminelle qui possède Wall Street, ainsi qu'à
la destruction accélérée de l'écosystème.
Sinon vous devenez l'agent passif d'un mal monstrueux.
Ou bien vous partagez le vent de liberté et de
révolte ou bien vous sombrez dans le désespoir
et l'apathie. Ou bien vous êtes un rebelle, ou
bien vous êtes un esclave. Choisissez mais choisissez
vite. Les pouvoirs économiques et l'Etat sont
déterminées à écraser un
mouvement qui les terrifie. Ils ne vous attendront pas
» .
L'énorme
succès que rencontre actuellement Occupy Wall
Street à travers l'Internet et les réseaux
sociaux montre que le mouvement dans sa structuration
spontanée n'est pas comme on pourrait le supposer
nihiliste. S'il incite au refus, ce n'est pas pour prôner
une sorte d'anarchie destructrice. Tout se passe comme
si ceux qui s'y expriment comptaient sur ce que l'on
pourrait appeler les forces vives pour inventer le moment
venu des solutions créatrices qui n'apparaissent
pas encore.
L'organisation en réseau devrait dans leur esprit
permettre l'émergence d'un type de société
débarrassée de l'oppression des pouvoirs
actuels. La créativité pourrait enfin
s'y libérer, appuyée par les ressources
des technologies modernes enfin mutualisées.
Ce serait de ce fait une Révolution. Mais il
est encore trop tôt pour préciser un tel
avenir, car les solutions possibles seraient très
vite récupérées ou détournées
par ceux qui détiennent encore le pouvoir.
Une
vision constructiviste
Nous
serions pour notre part proches de partager cette vision
optimiste. Face à l'omniprésence du pouvoir
financier mondialisé, il paraît évident
qu'aucune opposition ne serait assez forte si elle ne
s'exprimait pas au sein des réseaux de la communication
et de la coopération. Sans ces réseaux,
Occupy Wall Street resterait aussi ignoré que
le sont chez nous les occupations d'usine à la
suite d'un licenciement abusif. Nous serions tentés
de dire que ces réseaux traduisent la mise en
place quasi spontanée d'un vaste système
anthropotechnique (selon le vocabulaire que nous utilisons),
dont les formes futures sont en voie d'émergence.
Prétendre le définir, le rationaliser
a priori serait ne rien comprendre à sa nature,
et le tuer. Cecine voudrait pas dire qu'il ne faudrait
pas s'engager individuellement mais faire confiance
à de grands mécanismes obscurs. Ceci voudrait
seulement dire qu'il ne faudrait pas prétendre
pouvoir tout comprendre et tout prédire.,
Plus
il y aura de manifestations sur le mode de Occupy Wall
Street, en Amérique et dans le reste du monde,
plus ces manifestations seront diverses, mais plus aussi
elles seront déterminées à bloquer
le fonctionnement des pouvoirs actuels, plus il y aura
de chance qu'un nouveau système plus satisfaisant
apparaisse. Ce ne sera pas l'intervention du saint-esprit
qui le rendra plus satisfaisant. Ce sera parce qu'il
donnera via les réseaux la parole et le pouvoir
à des activistes jeunes et moins jeunes pétris
de compétences, voués aujourd'hui à
la disparition par les appareils économico-politiques
dominants.
Si
l'on partageait ce point de vue, on pourrait s'étonner
de voir les oppositions de la gauche officielle en Europe
(et plus particulièrement en France) ignorer
pratiquement les possibilités de tels mouvements
spontanés, et par conséquent ne pas les
encourager. Sans doute est-ce du au fait que ces oppositions
appartiennent encore au Système actuel et ont
peur d'être balayées avec lui, au cas où
se généraliseraient les refus catégoriques
sous-jacents aux divers mouvements d'Indignés.
Elles ne veulent pas voir les potentialités créatrices
qui les sous-tendent. Elles se bornent à se demander
comment les économies pourraient continuer à
fonctionner si les banques et les bourses, sous leurs
formes actuelles, se trouvaient paralysées. Elles
se refusent à admettre que des formes mutualistes
d'économie en réseau, totalement originales,
pourraient prendre le relais- si du moins le mouvement
n'était pas détruit dans l'oeuf par des
provocations violentes du pouvoir.
*
Occupy Wall Street http://occupywallst.org/
* Site complémentaire Occupy together http://www.occupytogether.org/
* Wikipedia. (francais) http://fr.wikipedia.org/wiki/Occupy_Wall_Street
(anglais) http://en.wikipedia.org/wiki/Occupy_Wall_Street
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