Sciences
politiques
Que dire de l'affaire Murdoch?
Jean-Paul Baquiast- 25/07/2011
Murdoch, banalité de notre temps ou cas pathologique
atypique? En l'état de l'affaire, il nous parait
difficile de formuler une opinion définitive.
Le mieux sera d'observer comment le scandale évoluera
dans les prochaines semaines. Nous sommes évidemment
tous concernés
Que
dire de l'affaire? Certains commentateurs répondront
« rien ». Les Murdoch ont toujours existé.
Dans
les dictatures, la presse dispose de peu de libertés
en propre. Elle est directement soumise au pouvoir politique.
Dans les démocraties libérales, on constate
le phénomène contraire: le pouvoir politique
y est plus ou moins soumis à la presse. Ceci
depuis que la presse existe et dans tous les pays sans
exceptions. Inutile de rappeler ici l'influence prise
dans l'histoire récente par ce que l'on appelle
les magnats de la presse et par les groupes financiers
crées par eux pour rassembler sous leur contrôle
le maximum de maisons d'édition et de journaux.
Nécessairement ces structures, les hommes qui
les dirigent et les journalistes à leur service
peuvent jouer un rôle important pour servir ou
desservir les pouvoirs en place, favoriser ou affaiblir
les oppositions. Les hommes politiques le savent et
déploient le maximum de séductions pour
se faire entendre d'eux. En contrepartie, les représentants
de la presse s'appuient sur les hommes politiques pour
accroitre leur influence et leurs profits.
Avec
le développement de l'audiovisuel, le phénomène
s'est étendu. La radio et la télévision
touchent pratiquement désormais tous les citoyens.
Les groupes de presse traditionnels (la presse-papier),
auraient perdu une partie de leurs pouvoirs s'ils n'avaient
pas tentés de prendre le contrôle des nouveaux
médias. Mais ce faisant, ils se sont trouvés
en concurrence avec les entreprises capitalistes qui
utilisent ceux-ci, à travers la publicité,
pour développer leur influence sur les consommateurs.
Les messages publicitaires ne sont pas toujours cohérents
avec les messages directement politiques, bien que les
uns et les autres concourent à la mise en place
d'un système peu favorable à l'autonomie
de la pensée indispensable au fonctionnement
de la démocratie. Il reste que les patrons de
presse habiles savent parfaitement rassembler dans leurs
mains l'ensemble des médias, afin de bâtir
des empires.
On
objectera que récemment, l'explosion de l'internet
et des réseaux sociaux a multiplié les
occasions d'expression offertes aux citoyens. Il en
résulte la formation d'une opinion publique difficile
à contrôler et même à analyser
par les faiseurs d'opinions médiatiques et politiques.
Les groupes de presse tentent dans une certaine mesure
d'influencer en leur faveur les contenus d'expression
sur ces nouveaux supports. Mais ils n'y réussissent
imparfaitement. Cependant, encore aujourd'hui, les opinions
s'exprimant sur internet en dehors de l'influence directe
des médias restent trop dispersées pour
exercer réellement un contre-pouvoir à
l'égard des entreprises de presse et de leurs
patrons. D'où la persistance dans tous les pays
de l'influence dont jouissent ces derniers. Chaque démocratie,
notamment en Amérique et en Europe, dispose donc
de l'équivalent de personnalités d'influence
telles que Rupert Murdoch en Grande Bretagne et aux
Etats-Unis.
Les
mesures législatives destinées à
limiter la concentration dans les groupes de presse,
afin d'assurer la pluralité des opinions, a toujours
été ressentie, notamment à gauche.
Mais elles sont pratiquement sans influence. Ainsi en
France une loi dite Hersant ou anti-Hersant avait été
adoptée en ce sens en 1984 mais elle fut abrogée
dès 1986 devant les résistances des patrons
des médias, plaidant la difficulté de
définir et faire appliquer le concept de pluralité.
Dans l'audio-visuel, le CSA est depuis chargé
d'assurer un certain pluralisme des opinions mais son
action demeure marginale, d'autant plus qu'il est directement
soumis à l'influence du pouvoir politique.
Pour
d'autres commentateurs, l'affaire Murdoch est véritablement
exceptionnelle.
On
peut y voir en effet la captation à un niveau
encore jamais vu des moyens d'un grand Etat démocratique
par un véritable gang. Prenons une image. Supposons
un défilé naval où tous les Etats
seraient représentés par un vaisseau amiral.
Que se passerait-t-il si une petite équipe de
pirates s'emparait discrètement du vaisseau battant
le pavillon britannique, sans rien modifier dans un
premier temps au commandement de ce navire. Le chef
de cette équipe deviendrait le patron effectif,
mais ni le commandant ni l'équipage ne seraient
changés. Ceux-ci seraient seulement, par un mélange
de corruption et de menaces, voire de cocaïne,
convaincus de servir les intérêts des pirates.
Les autres commandants de navires continueraient donc
dans un premier temps à faire confiance au commandant
du vaisseau britannique, même si celui-ci se lançait,
pour complaire aux pirates, dans des manoeuvres dangereuses.
C'est
à un tel coup d'Etat interne que s'est livré
Rupert Murdoch et son équipe. Contrairement à
l'affaire du Watergate aux Etats-Unis, née de
la révélation en 1974 par les journalistes
du Washington Post des malversations du pouvoir républicain
visant à espionner le parti démocrate,
l'affaire Murdoch est née de la révélation
des manuvres de la presse tabloïde appartenant
au groupe Murdoch pour contrôler le pouvoir politique
et administratif britannique. On a découvert
ces jours-ci jusqu'où sont allés ces manuvres:
corruption de Scotland Yard pourtant parangon dans l'opinion
de toutes les vertus civiques du royaume, corruption
et menaces portant sur un grand nombre de parlementaires
appartenant à un pays présenté
comme la mère des parlements, complicité
active probable du Premier ministre. Certes dès
le temps de Margaret Thachter le parti conservateur
s'était appuyé politiquement sur le groupe
Murdoch, mais c'est bien ce dernier et son chef, malgré
ses dénégations, qui a pris ces derniers
temps l'initiative des écoutes à grande
échelle, des corruptions et des chantages. C'est
bien lui qui a finalement, pour poursuivre notre comparaison,
pris le contrôle du navire britannique à
l'insu des autres commandants de navire.
Il
ne semble pas, pour autant que l'on soit bien informé,
qu'un tel phénomène de prise de pouvoir
généralisé par un groupe de presse
ayant asservi une majorité politique, se soit
produit ailleurs. Ni aux Etats-Unis, malgré le
poids pris par des médias tels que Fox News,
ni en France malgré les connivences entre le
gouvernement et tel ou tel groupe médiatique.
La diversité des sources et des opinions reste
suffisantes pour qu'à ce jour un coup d'Etat,
réel ou virtuel, associant le pouvoir et la presse
ne puisse se produire. Les risques demeurent mais l'équivalent
de l'affaire Murdoch ne semble pas très probable
dans l'immédiat.
On
peut alors de demander comment la Grande Bretagne se
tirera de ce mauvais pas. En bonne logique, les responsables
du coup d'Etat comme leurs complices, à tous
les niveaux du corps politiques, devraient démissionner
et être mis au ban de l'opinion. A commencer par
Murdoch lui-même mais aussi David Cameron. Or
il ne semble pas que l'affaire s'achemine vers une telle
fin, pourtant nécessaire au renouveau de la confiance
en les vertus de la démocratie occidentale. Si
rien ne se passait, nous pourrions faire le constat,
paraphrasant Shakespeare, que définitivement
« something is rotten in the State of England
» . Mais il faudrait aller plus loin, en se
persuadant que le système corporatocratique actuellement
dominant dans le monde, dont Murdoch est le symbole,
ne touche pas seulement la Grande Bretagne mais tous
les pays qui s'accommoderaient de ce scandale.
Quelques
articles sur l'affaire:
* Democracy
now
* Telegraph
* Wall
Street Journal