Sciences,
technologies et politique
Fusion
thermonucléaire, Iter: nous devons dépasser
l'horizon de nos propres vies !
par René Tregouët,
Sénateur Honoraire, Fondateur du Groupe de Prospective
du Sénat
Comme
nous le faisons dans certaines occasions, nous reprenons
ici, avec son accord de principe, le texte d'un article
publié par René Trégouët dans
sa revue RTFlash. Nous l'en remercions.
L'article
avec les commentaires joints peut être lu directement
à l'adresse suivante:
http://www.rtflash.fr/fusion-thermonucleaire-nous-devons-depasser-l-horizon-nos-propres-vies/article
Automates Intelligents
Depuis
la deuxième guerre mondiale, la consommation
mondiale d'énergie et les émissions humaines
de CO2 ont été multipliées par
8. Aujourd'hui le monde consomme 12 gigatonnes d'équivalent-pétrole
et émet 8 gigatonnes de carbone par an et chaque
terrien consomme en moyenne 1,6 tonnes équivalent-pétrole
et émet plus d'une tonne de CO2 chaque année
!
En
supposant que la demande mondiale d'énergie continue
à croître au rythme actuel de 2 %, hypothèse
plutôt prudente, l'humanité consommera
au moins 30 Gigateps d'énergie en 2050 et en
admettant que l'humanité parvienne à stabiliser
à son niveau actuel ses émissions de carbone
par habitant, celles-ci atteindraient tout de même
15 gigatonnes par an en 2050, sous le simple effet de
l'évolution démographique mondiale (il
y aura au moins 9 milliards d'habitants en 2050 selon
les dernières prévisions de l'ONU).
Notre
planète est désormais soumise à
un triple défi : le premier est l'épuisement
accéléré des réserves de
combustibles fossiles (80 % de l'énergie primaire)
qui seront entièrement consommées avant
la fin de ce siècle, à l'exception du
charbon. Le second est climatique : l'immense majorité
des scientifiques pensent, en s'appuyant sur des études
très solides, que l'accumulation de gaz carbonique
dans l'atmosphère (+ 40 % depuis la révolution
industrielle) résultant de la consommation d'énergies
fossiles est la cause majeure du réchauffement
du climat (même si des incertitudes subsistent
quant à l'importance de ce mécanisme).
Enfin, le troisième défi est la croissance
économique très forte des pays émergents
tels que la Chine (le premier consommateur mondial d'énergie),
l'Inde et le Brésil qui font exploser la demande
mondiale d'énergie.
Selon
les termes de cette équation redoutable, l'humanité,
si elle veut éviter une catastrophe géoclimatique
de grande ampleur aux conséquences désastreuses,
doit donc absolument stabiliser sa consommation globale
d'énergie et décarboner massivement (au
moins à 80 %) cette consommation de façon
à diviser par deux ses émissions mondiales
de CO2 d'ici 2050 et par quatre ou cinq d'ici 2100.
Mais
il faut savoir qu'aujourd'hui, l'énergie primaire
consommée par les 7 milliards d'habitants de
notre planète repose pour 78 % sur l'utilisation
des combustibles fossiles, pour 16 % sur celle des ressources
renouvelables et pour 6 % sur les technologies nucléaires.
Avec une population mondiale de 9 milliards d'habitants
en 2050, nous devons donc impérativement réussir
à réduire drastiquement l'utilisation
des énergies fossiles, tant en proportion qu'en
valeur absolue.
Mais
quels que soient les efforts que le monde fera pour
maîtriser ses besoins énergétiques
en réduisant sa consommation à la source
partout où cela est possible et en améliorant
l'efficacité énergétique de nos
systèmes industriels et économiques, il
semble illusoire de penser que cette sobriété
nouvelle suffira à elle seule, compte tenu de
l'évolution démographique, à répondre
à la soif mondiale d'énergie et à
réduire de moitié nos émissions
de CO2 d'ici 2050. Il faudra donc également développer
de manière massive l'ensemble des énergies
renouvelables existantes (vent, soleil, biomasse et
hydraulique) ainsi que celles qui en sont encore à
un stade quasi-expérimental mais recèlent
un fort potentiel : énergie des mers et solaire
spatial notamment. Mais ces énergies renouvelables
ne parviendront pas à répondre à
elles seules à l'immense soif d'énergie
de l'humanité, notamment dans les vastes régions
du monde qui connaissent un développement économique
sans précédent.
C'est
dans ce contexte qu'il faut expliquer à chacun
l'immense enjeu que représente la mise au point
de la fusion thermonucléaire contrôlée.
Si nous parvenons à maîtriser la fusion
thermonucléaire, qui repose sur l'équation
d'Einstein E=MC2 établissant l'équivalence
entre matière et énergie, un gramme de
deutérium (isotope naturel de l'hydrogène)
fusionné avec un gramme et demi de tritium nous
permettra de produire environ 100 000 kWh, autant d'énergie
que 10 tonnes de pétrole ou un kilo d'uranium
ou encore suffisamment d'énergie pour alimenter
40 foyers français pendant un an en électricité
!
Pour
parvenir à domestiquer la fusion qui se produit
naturellement dans notre soleil (chaque seconde, 600
millions de tonnes d'hydrogène fusionnent et
se transforment en hélium, ce qui permet au soleil
de dégager la chaleur et la lumière dont
nous bénéficions sur Terre), la communauté
internationale a uni ses efforts dans un projet unique,
le projet Iter (International Thermonuclear Experimental
Reactor ou réacteur thermonucléaire expérimental
international). Son objectif principal est d'atteindre,
d'ici 2030, un gain d'énergie d'un facteur 10
avec la production d'une puissance thermique de 500
MW. Le succès d'Iter devrait ensuite déboucher
sur la réalisation d'un prototype préindustriel
d'ici 2050. Cette perspective mais également
les avancées considérables dans la production
de plasmas stables et denses depuis un demi-siècle,
a convaincu 34 pays de s'associer dans le cadre de l'Organisation
Iter, implantée en France, à Cadarache.
En
raison de sa complexité, ce projet ITER a effectivement
vu son coût doubler depuis 2001 et la contribution
européenne atteint à présent 6
milliards d'euros, ce qui a provoqué il y a quelques
semaines une violente polémique au Parlement
européen et ravivé l'opposition à
ce projet. Il s'agit certes d'une hausse très
importante mais le coût annuel du projet pour
l'ensemble des partenaires d'Iter représente
moins de 0,5 % du budget européen pour 2011 et
moins de 0,02 % du marché européen de
l'énergie (moins de 0,01 % du PIB de l'Union
européenne). Ce coût est-il vraiment excessif
si les promesses de la fusion thermonucléaire
contrôlée se concrétisent d'ici
2050, ce qui bouleverserait totalement la donne énergétique
pour l'humanité et ouvrirait d'immenses perspectives
de développement pour notre planète toute
entière ?
En
50 ans, la performance des plasmas produits par les
machines de fusion a été multipliée
par 10,000. En novembre 1991, le JET (Joint European
Torus) a démontré la faisabilité
de la fusion en produisant de manière contrôlée
une grande quantité d'énergie (plusieurs
MW) à partir d'un plasma de fusion. Il reste
aujourd'hui à multiplier leur performance par
moins de 10 pour réaliser un réacteur
capable de produire de l'énergie de manière
continue.
Ces
extraordinaires avancées scientifiques et technologiques
démontrent donc, contrairement à ce que
veulent faire croire au grand public les opposants irréductibles
à la fusion thermonucléaire, que cette
technologie est viable et qu'elle peut être maîtrisée.
En outre, il faut le rappeler inlassablement, la fusion
est radicalement différente, dans ses principes
et son fonctionnement, de la fission atomique qui est
la voie technologique utilisée par tous les réacteurs
nucléaires produisant de l'électricité
actuellement en service dans le monde.
La
fusion se distingue en effet de la fission sur trois
point essentiels : en premier lieu, elle ne nécessite
comme combustible que de petites quantités (quelques
centaines de kilo par an pour un réacteur) de
deutérium dont les réserves sont quasiment
inépuisables et de tritium relativement facile
à produire.
Le
deuxième avantage majeur de la fusion est sa
sécurité intrinsèque : seule la
quantité de combustible nécessaire au
fonctionnement du réacteur (quelques grammes)
est injectée dans le réacteur et aucun
incident de fonctionnement ne peut entraîner un
événement catastrophique de type Tchernobyl
ou Fukushima, qu'il s'agisse d'une explosion ou d'émissions
massives de radioactivité.
Troisième
point, le seul élément radioactif produit
par la fusion est le tritium mais son temps de vie,
c'est-à-dire la période pendant laquelle
il émet des rayonnements potentiellement dangereux,
est très courte (environ 12 ans). En outre, la
réaction de fusion ne génère pas,
directement ou indirectement, de sous-produits radioactifs
à très longue durée de vie et les
déchets de la fusion seront à la fois
très faibles en quantité et faciles à
retraiter et à stocker de manière sûre.
Il s'agit bien là d'une différence fondamentale
car dans les futurs réacteurs à fusion,
la question du retraitement et du stockage de déchets
radioactifs à très longue vie (plusieurs
milliers d'années) ne se pose pas alors que dans
la fission nucléaire cette question est majeure
et n'a toujours pas trouvé de solutions satisfaisantes.
Enfin,
il faut bien comprendre que la maîtrise de la
fusion thermonucléaire aura des conséquences
immenses, non seulement dans le domaine de l'énergie
puisqu'elle permettra la production d'une énergie
propre et bon marché, mais également dans
l'ensemble des secteurs d'activités économiques
et industriels qui bénéficieront des retombées
scientifiques considérables liées à
cette avancée majeure dans la connaissance et
l'utilisation de la matière et de l'énergie.
Pour
toutes ces raisons, l'effort international sans précédent
de recherche engagé à Cadarache avec le
réacteur expérimental ITER est parfaitement
justifié et il faut le poursuivre et l'amplifier
sur le long terme car il fera franchir à l'humanité
et à notre civilisation, comme en son temps la
vapeur, le pétrole et l'électricité,
une étape décisive de son développement.
René
Trégouët