Biblionet
Commentaire
critique du livre de Michel Onfray,
«Le
crépuscule d’une idole – l’affabulation freudienne»
par
Xavier Saint Martin 18/02/2011
* Xavier
Saint Martin est l'auteur de "L'appareil psychique
dans la théorie de Freud. Essai de psychanalyse
cognitive.
Voir présentation sur notre site
http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2009/nov/psychanalisecognitive.html
Voici
donc un ouvrage de près de six cents pages,
livré par un philosophe contemporain dont la
notoriété n’est plus à faire.
Il nous invite à une critique extensive et
fouillée de l’homme Freud, sa théorie,
sa pratique, ses thuriféraires, enfin ses successeurs.
Ouvrage pédagogique, d’une lecture aisée,
toujours extrêmement documenté, parfois
faux, rarement haineux.
Ce
n’est pas chose aisée que de commettre une
revue, voire une opinion, sur une telle somme. Tout
en traitant d’aspects très divers de la psychanalyse,
le livre de Michel Onfray fourmille de considérations
qu’il faudrait reprendre une à une. Nous nous
sommes donc contenté de commenter quelques
citations de ce livre, en italiques ci-dessous.
L’homme
Freud : mythe et réalité
Freud
n’aurait donc été qu’un minable escroc
intellectuel, dévoré par l’ambition
et l’appât du gain, qui aurait élevé
au rang d’universel sa seule psychopathologie personnelle,
en faisant passer sa démarche pour une découverte
scientifique. Escroc qui aurait soigneusement dissimulé
ses emprunts aux philosophes et scientifiques qui
l’ont précédé, Nietzsche par
exemple. Créateur d’une théorie non
scientifique, qui prendrait ses racines dans ses fantasmes
incestueux.
Tout
cela soutenu par une falsification et une dissimulation
délibérées d’une multitude de
documents écrits par Freud, falsifications
et dissimulations soigneusement exécutées
par les thuriféraires et vulgarisateurs de
son œuvre, à commencer par sa fille Anna Freud.
Traitons
rapidement de ces dénonciations. Michel Onfray
se livre là à une enquête de type
historique, qui laisse à tout un chacun le
bénéfice d’investigations complémentaires
ou contradictoires. Si tel était Freud, il
est bon que ce soit dit. Il s’agit d’une enquête
d’historien, qui a l’avantage d’être vérifiable.
Elle est également salutaire.
Jusqu’à
la page 345, Michel Onfray conduit ce procès.
Au milieu de son ouvrage cependant, il se laisse aller
à un déplacement de son sujet :
d’une part il conduit une critique de la scientificité
de la psychanalyse, d’autre part il attribue à
toute la communauté psychanalytique ce qu’il
a découvert de Freud. Il ne s’agit plus seulement
du crépuscule d’une idole, mais d’une
attaque de la psychanalyse et des psychanalystes,
qui s’appuie hélas sur une incompréhension
de quelques points essentiels de la théorie
psychanalytique. Car si Michel Onfray a bien lu Freud,
ses hagiographes et ses thuriféraires – lesquels
ont tout de même écrit il y a plus d’un
demi-siècle – il déclare ne pas avoir
à tenir compte de ce que les psychanalystes
ont écrit après Freud.
Une
idéalisation du processus de la découverte
scientifique
Toute
la partie du livre de Michel Onfray consacrée
à la scientificité de la psychanalyse
est fondée sur une vision illusoire et idéale
de la science. Avec pour effet, a contrario,
que sa critique de la scientificité de l’œuvre
de Freud se retrouve sujette à caution. Par
exemple :
La
psychanalyse, c’est la thèse de ce
livre, est une discipline vraie et juste tant
qu’elle concerne Freud et personne d’autre.
(page 39)
Je
propose également de montrer les assises
éminemment biographiques, subjectives,
individuelles du freudisme malgré ses prétentions
à l’universel, à l’objectivité,
à la scientificité. (page 50)
Or,
il s’agit là d’une question essentielle, qui
touche aux sources de toute activité créative.
Que la théorie de Freud soit issue de ses fantasmes,
soit. Ce ne serait condamnable que s’il n’en était
pas de même de multiples autres créations
intellectuelles. Prenons d’abord pour exemple l’œuvre
de Michel Foucault, qui traite des diverses formes
de violence institutionnelle. Faudrait-il, sous le
prétexte que Michel Foucault était masochiste,
rejeter pour négligeable son œuvre, au seul
motif qu’elle plongeait ses racines dans une problématique
personnelle ? La science physique elle-même
n’échappe pas à de telles motivations, et je
renvoie pour cela à la théorie quantique
des fluctuations du vide, dont l’origine personnelle
a été exposée en 2007. Pensons
également au débat entre Heisenberg
et Einstein dans les années 1940 à propos
du Principe d’Incertitude quantique, débat
à l’occasion duquel Einstein avait déclaré
« je ne crois pas en un Dieu qui joue aux
dés ». Si de telles motivations
rendent un travail intellectuel inacceptable, alors
il ne reste plus qu’à rejeter la science au même
titre qu’on rejette la théorie de Freud. Michel
Onfray conclut d’ailleurs cette question en dernière
page de sa préface :
Le
freudisme est donc, comme le spinozisme ou le
nietzschéisme, le platonisme ou le cartésianisme,
l'augustinisme ou le kantisme, une vision du monde
privée à prétention universelle.
La psychanalyse constitue l'autobiographie d'un
homme qui s'invente un monde pour vivre avec ses
fantasmes - comme n'importe quel philosophe...
(page 40).
Nous
voilà donc rassurés, et nul psychanalyste
ne réclame pour la théorie de Freud
une autre reconnaissance, puisque la psychanalyse
estime que les scientifiques ne sauraient puiser leur
inspiration dans d’autres sources psychiques que celles
offertes au commun des mortels, philosophes et psychanalystes
compris.
De
même :
Tout
comme, on le verra, le complexe d'Œdipe, lui aussi
magnifique trouvaille conceptuelle, mais uniquement
pour mettre une étiquette sur la pathologie
de son auteur. Freud prend son cas pour une généralité...
Voici donc la clé de l'épistémologie
freudienne : l'extrapolation d'une théorie
universelle à partir d'une aventure personnelle.
(page 124)
En
quoi cela pose-t-il problème ? Existe-t-il
une seule théorie qui ne prenne pas son origine
dans les aventures personnelles de son auteur ?
La seule question est de savoir si une telle théorie
est partageable, fait sens, et est utile.
Plusieurs
fois dans sa correspondance, Freud parle de «
roman historique » (lettre à Lou Salomé,
6 janvier 1935; lettre à Jones, 2 mars
1937) pour qualifier L'Homme Moïse et
la religion monothéiste. On reconnaît
là le pendant du « mythe scientifique »
de Totem et tabou. Car, que serait un roman
historique ? Un nouvel oxymore : en effet, le
roman suppose l'imagination, l'invention, la fiction,
et Freud y recourt sans difficulté, il
confie même à Arnold Zweig qu'il
va « donner libre cours à [s] a fantaisie
à propos de Moïse » (page 223)
« Ces représentations et autres similaires
appartiennent à une superstructure spéculative
[sic] de la psychanalyse, dont chaque pièce
peut être sacrifiée ou échangée
sans dommage ni regret, dès l'instant où
une insuffisance est avérée ».
(page 295)
On
est alors dubitatif : Michel Onfray critique
le Freud qui se déclare scientifique, le Freud
qui se déclare prêt à modifier
ses théories face à l’expérience,
et le Freud qui reconnaît la part spéculative
de ses travaux. Que faut-il donc écrire pour
ne pas subir les foudres du philosophe ? En
effet, il est aisé de constater chez Michel
Onfray une certaine idéalisation des scientifiques,
et des théories qu’ils peuvent produire. Par
exemple :
Le
géocentrisme n'est pas un mythe forgé
par Copernic, l'évolution des espèces
ne constitue pas un mythe inventé par Darwin,
pour en rester aux génies tutélaires
et aux héros dans la lignée desquels
Freud souhaite s'inscrire, mais des découvertes
scientifiques qui supplantent les mythes judéo-chrétiens
du géocentrisme ou de la création
des hommes. (page 200)
Par
malheur, la théorie de l’évolution des espèces
est l’exemple de ce qu’il n’aurait pas fallu citer
comme un modèle, car, au moins du temps de
Darwin, elle était indémontrable. Il
en était d’ailleurs de même de la théorie,
opposée, de Lamarck. Et pourtant, elles étaient
toutes deux des théories scientifiques. A cela
s’ajoute que Darwin est fortement soupçonné
d’avoir « emprunté » la théorie
de l’évolution des espèces à un certain
Alfred Russel Wallace. Entre une théorie indémontrable
et une forte inspiration – pour ne pas dire plus –
des travaux d’un autre, nous voilà justement
bien près de ce que Michel Onfray critique
si fermement chez Freud. Précisons enfin, à
titre purement documentaire, que Copernic défendait
non pas la théorie du géocentrisme,
mais celle, opposée, de l’héliocentrisme.
Deux théories, elles aussi contradictoires,
pourtant défendues toutes deux par des personnes
qui se déclaraient scientifiques.
Idéalisation,
donc de la découverte scientifique, mais idéalisation
également de la personne du scientifique :
Disons-le
clairement pour qui n'aurait pas encore compris,
Freud est superstitieux - ce qui s'articule mal
avec la raison scientifique et le mode de pensée
rationnel. (page 357)
Doit-on
en conclure qu’aucun scientifique ne serait superstitieux,
ni même qu’il en aurait le droit ?
Dès
lors, on pourrait appliquer cette phrase de Freud
à Freud lui-même et avancer l'hypothèse
que la psychanalyse obéit au mécanisme
de cette pensée primitive, autrement dit
: pensée première, pensée
des origines qui postule une causalité
magique temporaire en lieu et place d'une causalité
scientifique à venir. Les lois psychologiques
freudiennes seraient donc là par défaut,
dans l'attente que les lois scientifiques dispensent
de recourir à ce pis-aller préscientifique.
(page 365)
[…]
entre la vérité idéale anhistorique
d'une pure doctrine intellectuelle et le pragmatisme
indexé sur la dialectique progressiste
de l'histoire, que choisir? La parole datée
de Freud pour le verbe et contre le médicament?
Ou sa proposition prospective pour le médicament
contre le verbe ? Le divan ou les neuroleptiques?
Le texte de Freud peut légitimer les deux...
(page 256)
Le
texte de Freud, en effet, légitime les deux,
mais l’un attendant l’autre : il a clairement
énoncé que la psychanalyse (il citait
en fait, plus généralement, la psychologie)
offre des explications causales qui ne sont pas premières,
mais que les causes premières, biologiques
à son avis, étaient pour l’instant hors
de portée. Qu’est ce qui pousse donc Michel
Onfray à ne pas reconnaître à
Freud ce point de vue strictement scientifique ?
En tout cas, Michel Onfray nous offre, en pages 326
à 333, une remarquable synthèse de l’importance
de la biologie dans la pensée de Freud, et
il est dommage qu’il invente une fausse contradiction
entre le Freud biologiste et le Freud psychologue.
Freud
a bien indiqué, en maintes occasions, le caractère
spéculatif de ses travaux, ce que Michel Onfray
considère, on l’a vu, comme une tare. Or, aucune
science ne naît toute constituée ;
elle prend toujours, dans ses débuts, une forme
préscientifique. A titre d’exemple amusant,
on pouvait lire au début du 19ème
siècle des articles, déclarés
« scientifiquement plausibles » par
leurs auteurs, sur la physiologie des habitants des
planètes du système solaire…
Tentons
d’élever le débat : il importe de souligner
ici que la question de la scientificité de
la psychanalyse bute sur la diversité et la
singularité de toute observation clinique :
Car
s'il existait une seule interprétation
pour un même fait psychique et si
tous les psychanalystes se retrouvaient systématiquement,
sans se concerter, sur une même interprétation,
alors on pourrait parler de vérité,
de science, de certitude puis envisager l'inscription
du travail de Freud et des psychanalystes dans
la lignée des découvertes définitives
de Copernic en astronomie ou de Darwin en sciences
naturelles. (page 374)
En
effet, avant d’exiger une seule interprétation,
il faudrait pouvoir parler de mêmes faits
psychiques. On attend donc de Michel Onfray qu’il
donne la méthode pour déclarer que deux
faits psychiques sont identiques. Il faudra aussi
qu’il élabore le protocole qui permette à
deux psychanalystes de recueillir la même chose
d’un unique patient, dans le même contexte,
mais à deux moments différents, puisque
telle est la méthode des sciences expérimentales.
Il est donc globalement exact que :
[…]
le freudisme échappe à la vérification
de ses hypothèses par la reconduction régulière
d'expériences susceptibles d'en vérifier
la validité. (bibliographie, page 599)
C’est
tout le problème de la non-reproductibilité
de l’observation en sciences humaines, et c’est la
raison pour laquelle leur scientificité fait
question, question que j’ai abordée dans un
ouvrage. Il s’agit donc bien, comme le dit Michel
Onfray, de perspectivisme. C’est également
la raison pour laquelle on ne peut invoquer Karl Popper
pour condamner la théorie de Freud. Pour autant,
de quel droit considérer que la vérification
d’hypothèses ne peut se faire que dans le cadre
de la méthode expérimentale ?
Hors la science, point de salut ni de savoir ?
D’ailleurs,
Frank J. Sulloway, que Michel Onfray cite à
charge, est en fait très mesuré dans
sa critique de Freud, puisqu’il reconnaît qu’elle
peut prétendre à la scientificité
dans certains cas précis, du fait qu’elle est
bel et bien falsifiable, au sens de Karl Popper. Frank
J. Sulloway donne deux exemples où Freud indique
que si on peut observer telle chose, alors sa théorie
est à revoir. Ce qu’il a d’ailleurs fait en
maintes occasions, en particulier à propos
de sa théorie de la séduction, malgré
que Michel Onfray, on ne sait pourquoi, ne reconnaît
pas à Freud d’avoir énoncé son
erreur :
Ainsi,
la théorie de la séduction montre
un homme certain de sa doctrine en vertu de laquelle
les pères abusent de leurs enfants, ce
qui provoque le trauma de tout névrosé
venant le consulter, avant qu'il n'effectue un
repli en rase campagne, non sans difficultés,
par incapacité à avouer son erreur.
(page 279)
Par
ailleurs :
L'auteur
vindicatif qui fustige les universitaires n'ayant
pas compris la nature sérieuse de sa discipline,
le polémiste rageant contre les sceptiques
rangeant sa production du côté des
fantaisies, peut écrire, sans craindre
la contradiction, que la psychanalyse est « un
art de l'interprétation » (54). En effet,
on aura bien lu, un art, donc autre chose qu'une
science... (page 397)
Pourquoi
faire cet amalgame entre la théorie et la pratique
psychanalytique ? que la théorie soit
une science ou non, ce n’est pas contradictoire avec
le fait que sa pratique soit un art. Pour exemple,
beaucoup d’ingénieurs estiment que la pratique
de leur domaine relève de l’art.
On
ne sera donc pas surpris de l’idéalisation
de la science et de la technique, par Michel Onfray,
à propos de l’acte de soin :
[…] pas d'auscultations, pas d'examens cliniques,
pas de stéthoscope ou d'instrument pour
prendre la tension ou la température, pas
de matériel médical, pas d'ordonnance,
pas de médicaments, rien d'autre que ce
dispositif destiné à soigner par
la parole. (page 390)
Faut-il
donc que le critère d’efficacité d’une
thérapie consiste dans son armement matériel ?
Condamner la pratique psychanalytique sous
le seul prétexte qu’elle est une thérapie
par la parole condamnerait également une bonne
partie des psychothérapies, ainsi qu’un élément
important de la relation médecin-malade.
Concluons
cette section en précisant que la question
de savoir si la psychanalyse, telle qu’inventée
ou découverte par Freud, mérite le qualificatif
de scientifique, continue à faire débat
au sein des spécialistes de la discipline.
Il est d’ailleurs possible que cette question soit,
épistémologiquement parlant, indécidable,
principalement du fait de l’impossibilité de
reproduire à volonté un contexte expérimental
donné. Pour autant, en quoi cela prouve-t-il
la fausseté du freudisme ? Devrait-on
s’interdire de comprendre, sous prétexte qu’on
ne peut reproduire ? Voilà une question
qui concerne toutes les sciences humaines et sociales.
La
psychanalyse n’est pas seulement celle de Freud
Michel
Onfray indique :
Ajoutons
à cela que la psychanalyse n'a jamais guéri
Anna O. au contraire des affirmations constamment
répétées par Freud pendant
toute sa vie; qu'elle n'a pas non plus tiré
d'affaire les cinq cas présentés
comme archétypiques de la psychanalyse.
Pour quelques-uns d'entre eux, elle a même
aggravé les choses... (page 35)
D'autres
travaux d'historien montrent qu'il en va de même
pour la totalité des cas présentés
par Freud comme des guérisons. (page
413)
[…]
les guérisons furent loin d'être
au rendez-vous, ce que des enquêtes scrupuleuses
effectuées par des historiens dignes de
ce nom montrent aujourd'hui à quiconque
veut savoir. (page 414)
Pourquoi
n'existe-t-il pas une galerie de portraits négatifs
à même d'illustrer la thèse
freudienne et qui montrerait son auteur sous un
autre jour que celui du guérisseur à
qui aucune pathologie ne résiste ?
(page 413)
Une
telle galerie de portraits négatifs existe
bel et bien, mais Michel Onfray s’est gardé
de la rencontrer. En termes juridiques, cela s’appelle
instruire à charge. Il semble ignorer que,
dès les années quatre-vingt, de nombreux
psychanalystes ne s’étaient pas gênés,
à l’Université ou ailleurs, pour faire
savoir que Freud avait raté ses cinq psychanalyses,
et qu’une multitude d’autres « cures »
conduites par Freud n’étaient pas dignes d’être qualifiées
de cures psychanalytiques, ne serait-ce que pour des
raisons de format des cures en question. Ces mêmes
psychanalystes initiaient également à
la lecture de Pierre Janet, et n’avaient pas caché
les graves erreurs de Freud quant à certains
de ses patients (par exemple, quand il prescrivit
de la cocaïne, pour laquelle il ne développait
pas de dépendance). Nul besoin d’historiens
pour cela, les psychanalystes contemporains suffisent.
Mais il est vrai que Michel Onfray tient leurs travaux
pour négligeables :
La
littérature sur la psychanalyse est pléthorique.
Le nombre d'ouvrages qui expliquent, racontent,
théorisent, simplifient, compliquent, commentent,
analysent, abrègent, condensent, développent,
obscurcissent la théorie de Freud, est
considérable... Autant que de gloses sur
le christianisme ou, il y a peu, sur la patristique
marxiste... Il n'y a rien à sauver de ces
tonnes de papier inutiles. (bibliographie,
page 588)
De
même :
L'onirocritique
antique et celle de Freud procèdent des
mêmes principes : poser arbitrairement des
équivalences, installer selon le caprice
de l'interprète un signe d'égalité
entre une chose et une autre - avec chez Freud
un tropisme sexuel évident : dans son esprit,
un fragment du réel signifie toujours quelque
chose de sexuel. (page 373)
Ces
équivalences, en effet, quand elles obéissent
aux caprices de l’interprète, ne vont
pas plus loin qu’une vulgaire « clé
des songes », et aucun psychanalyste contemporain
ne commettrait de tels raccourcis symboliques.
Ou
encore :
Il
n'intervient pas, ou très peu. Il ne questionne
pas. Il ne sollicite ni ne suscite. Il ne donne
aucun conseil, sauf cas exceptionnels - et, ici
comme ailleurs, Freud ne sera pas toujours freudien
en donnant régulièrement des conseils
de vie quotidienne à ses patients... (page
397)
Il
est faux que l’analyste ne sollicite ni ne suscite.
Par contre, il est vrai que Freud donnait des conseils
de vie quotidienne à ses patients, ce qui n’est
pas de mise chez les psychanalystes contemporains.
Ainsi, la pratique psychanalytique évolue.
J’imagine que si elle n’évoluait pas, Michel Onfray
se serait empressé de le dénoncer.
Erreurs,
contradictions et amalgames
Voilà
donc ce qu'est une psychanalyse : la parole d'un
patient dite à une personne qui se tait
- et, ainsi, dit qu'elle soigne. (page 390)
Voilà
pourquoi l'échange verbal sur le divan
est assimilable à une action magique :
le psychanalyste connaît le pouvoir enchanteur
de sa parole, il se sait l'acteur principal de
cet enchantement, un mécanisme qui n'est
donc pas récusé ni refusé
par le fondateur de la psychanalyse. (page
399)
Alors,
ce psychanalyste, parle-t-il, ou se tait-il ?
Plus grave : dans l’esprit de Michel Onfray,
faut-il qu’il parle ou qu’il se taise ? On
ne peut tout de même pas reprocher au psychanalyste
une chose et son contraire.
Disons-le
autrement : pour guérir, le patient doit
croire que le thérapeute va le guérir.
Le mystère et la magie du traitement se
trouvent tout entiers dans ce contrat : abandon
corps et âme entre les mains du guérisseur...
(page 395)
Dès
lors, dans une psychanalyse, le succès
revient à la sagacité de l'analyste
et l'échec à la mauvaise volonté
du patient qui ne veut pas, donc ne peut pas.
Faudrait-il conclure qu'en matière de guérison
par le divan, vouloir c'est pouvoir ? Nous
nous retrouverions alors devant une méthode
Coué viennoise. (page 468)
A-t-on
déjà vu guérir un patient qui
ne croit pas que son médecin va le guérir ?
Vouloir n’est pas pouvoir (ni pour le
médecin, ni pour le psychanalyste), mais vouloir
est une condition nécessaire à la guérison.
L'analyste
ne prélève donc rien dans le flot
de paroles déversé, pour la bonne
raison qu'il ignore ce qui serait important. Il
se laisse surprendre. (page 392)
Comment
peut-on écrire, sur deux lignes, que l’analyste
ne prélève rien, et qu’il se laisse
surprendre ? Curieusement, Michel Onfray nous
livre, par devers lui, l’essentiel : l’analyste
ignore ce qui serait important. En effet, il
le découvrira au fur et à mesure de
sa relation avec le patient, ce qui garantit précisément
qu’il ne projette pas sur le patient des éléments
qui lui seraient personnels, à lui l’analyste.
Et c’est précisément ce qui rend impossible
d’appliquer la méthode de reproductivité
propre aux sciences expérimentales.
[…]
la doctrine le dit : la gratuité augmente
la résistance, donc elle retarde ou empêche
la guérison... En d'autres termes : payez
et vous guérirez, mieux : payez cher et
vous guérirez vite. (page 404)
Cette
vision n’est pas partagée. Certains psychanalystes
renommés conduisent des analyses gratuites
– pour le patient –, y-compris dans le cadre d’institutions
hospitalières. D’autres psychanalystes considèrent
– et c’est une option opposée – que la gratuité
crée une dépendance du patient à
l’égard de son thérapeute, dépendance
néfaste à la bonne conclusion de la
cure. Cette question fait donc débat, et ne
relève heureusement pas de la vénalité
dont Michel Onfray accuse les psychanalystes. Quoi
qu’il en soit, il est naturel qu’une personne consacrant
son temps à aider d’autres personnes puisse
en recueillir une rétribution qui lui permette
de subvenir à ses besoins.
Pourquoi
donc, souhait refoulé, ne rêve-t-il
pas la scène telle qu'elle se passerait
si elle devait avoir lieu : un fils dans le même
lit que sa mère, copulant avec elle? L'inconscient
serait-il prude au point de recourir à
un mécanisme complexe de formation du rêve
que Freud prétend avoir découvert
?
Quel
motif justifie que l'inconscient travestisse,
dissimule, déplace, modifie, change les
perspectives, au point qu'un fils désireux
d'inceste rêve d'aéronefs disant
l'érection, d'énurésie signifiant
la puissance, d'une petite maison entre deux grosses
indiquant la voie sexuelle à suivre pour
mener à bien son projet libidinal ?
(page 378)
Le
motif, précisément, Michel Onfray l’écrit :
c’est un souhait refoulé. Le problème,
c’est que Michel Onfray confond le travail de l’inconscient
et celui du conscient, ce qui n’est pas peu :
l’inconscient ne refoule pas. Par contre, il peut
déplacer, lequel déplacement n’est pas
dans ce cas un mécanisme de défense
contre ce qui est à refouler.
Il
ressort de ces citations que Michel Onfray ne semble
pas avoir saisi que la psychanalyse soutient que l’appareil
psychique est un lieu de conflit entre le désir
et l’interdit.
Mauss
écrit : « La simulation du magicien n'est
possible qu'en raison de la crédulité
publique » […]. Et pourquoi y a-t-il crédulité
? Parce que le quidam fragile préfère
une fausse réponse à une vraie question,
un mensonge qui soulage à une vérité
troublante, une fiction réconfortante à
une véracité inquiétante,
l'angoisse le perturbe, tout ce qui lève
cette anxiété le rassure. Fût-ce
la parole d'un enchanteur.. (page 448)
Marcel
Mauss a certainement raison, mais qu’est-ce qui permet
à Michel Onfray d’appliquer à la cure
psychanalytique cette remarque exacte par ailleurs ?
Cette cure a précisément pour objectif
de ne pas laisser le sujet se contenter de ses fausses
réponses, de ses mensonges, de ses
fictions. Ceci imposera en effet au psychanalyste
et à son patient de faire face à l’angoisse
du patient face à sa propre vérité.
C’est d’ailleurs une spécificité de
la psychanalyse d’avoir toujours tenu que s’arrêter
à une fausse réponse ne résout
rien, mais que la dépasser représente
un risque nécessaire, risque qui est un paramètre
majeur de la cure.
« […]
Il n'est probablement pas inutile, pour éviter
tout malentendu, d'expliciter d'avantage ce que
l'on entend par la formule : liquidation durable
d'une revendication pulsionnelle. Sûrement
pas l'amener à disparaître au point
qu'elle ne refasse plus jamais parler d'elle.
Car c'est en général impossible
et ce ne serait pas non plus du tout souhaitable
[citation de Freud] ». Disons-le de manière
plus courte et plus directe. Question : la psychanalyse
peut-elle guérir? Réponse : non.
Ajout : serait-ce même possible que ce ne
serait pas souhaitable... (page 575)
Où
Michel Onfray a-t-il trouvé que la disparition
d’une revendication pulsionnelle serait une guérison ?
Compétence
du critique
Il
va de soi que la psychanalyse est critiquable. Mais
face à de telles erreurs et contradictions,
on se demande fatalement à quel titre Michel
Onfray la critique.
Premier
sophisme : toute opposition venant d'un individu
non analysé est nulle et non avenue. Pour
pouvoir s'exprimer sur la psychanalyse, le corpus,
la doctrine, les idées fortes de Freud,
la validité de ses hypothèses, la
pertinence de ses résultats cliniques,
on doit donc avoir été analysé.
(page 458)
Faudrait-il
donc qu’un chirurgien soit critiqué par un
physicien, et vice-versa ? Toute communauté
de chercheurs et de praticiens se conforme au principe
du jugement par les pairs ; pourquoi cela ne
s’appliquerait-il pas aux psychanalystes ?
Il est d’expérience courante de voir des incompétents
critiquer la psychologie, qui ne se permettraient
pas de critiquer la sociologie ou l’anthropologie.
Y aurait-il une exception consistant en ce que les
philosophes s’arrogent implicitement le droit de critiquer
les théories et les pratiques de tous les spécialistes
de toutes les disciplines ? Ainsi, quand Michel
Onfray déclare :
Les
différents accidents de la psychopathologie
de la vie quotidienne font effectivement sens,
mais aucunement dans la perspective d'un refoulement
strictement libidinal et encore moins œdipien.
(page 38)
Le
rêve a bien un sens, mais dans la même
perspective que dans la proposition précédente
: nullement dans une configuration spécifiquement
libidinale ou œdipienne. (page 38)
Je
n’ai pas vu, malgré une lecture attentive de
l’ouvrage de Michel Onfray, la moindre preuve convaincante
de ces assertions, et j’avoue estimer que les psychanalystes
sont mieux placés que lui pour en décider.
L'analyste
qui analyse a été analysé
par un analyste ayant été analysé
- la reproduction incestueuse ne fait aucun doute
: on reste entre soi, dans une même famille,
d'où les psychodrames avec les enfants
rebelles que furent Jung et Ferenczi, avant tant
d'autres. (page 396)
Le
chirurgien qui forme des chirurgiens a été
lui-même formé par un chirurgien. Or,
en psychanalyse, il se trouve que la situation de
la cure doit faire partie de la formation. Où
est donc le problème ? Quant au fantasme
selon lequel cette formation évoque l’inceste,
laissons-en le droit à Michel Onfray.
Freud
serait un philosophe et non pas un scientifique, et
donc cible potentielle de ce que Nietzsche en disait :
[Le
texte de Nietzsche « Par-delà le
bien et le mal »] annonce « le roi est
nu » et détaille le tableau : le philosophe
prétend s'appuyer sur la raison pure, il
revendique l'usage de la dialectique, il prétend
à l'objectivité, or il fonctionne
à l'intuition, comme les mystiques ; il
pose ses thèses en vertu de caprices ;
il se croit libre alors qu'il obéit à
la volonté de puissance, une puissance
plus forte que lui qui le conduit là où
elle veut; il se dit maître de lui, or il
erre en esclave et en domestique de ses instincts,
de ses vœux secrets, de ses aspirations intimes.
Ce qu'il nomme ses vérités ? Des
préjugés... (pages 72-73)
Ce
qui est sûr, c’est que la psychanalyse a adopté
ce point de vue non pas seulement à propos
des philosophes, mais pour tout un chacun, et a qualifié
ce processus de rationalisation. On ne voit
donc pas pourquoi Freud y aurait échappé.
Pour autant, c’est peut-être là que se
situe la justification critique de Michel Onfray :
déclarer que la psychanalyse est une philosophie
est en effet la seule solution pour qu’un philosophe
s’autorise à la critiquer. Pour autant, un
tel contournement ne saurait valoir quant à
la pratique clinique de la psychanalyse.
La
défense d’une option politique fait-elle partie
de la mission du philosophe ?
En
pages 519 à 533, Michel Onfray dénonce
avec force détails la relation de Freud aux
dictatures du premier tiers du 20ème
siècle. Il est louable d’exposer la position
douteuse de Freud à ce sujet – d’autant plus
que ses biographes l’ont, en effet, passée
sous silence –, mais on peut être surpris qu’un
philosophe oppose ses opinions politiques à
celles d’un autre, avec la ferme conviction que cet
autre à tort, tandis que lui a raison. Ce n’est
plus de la philosophie ni de l’histoire, c’est seulement
un signe d’animosité envers le personnage.
Par exemple :
Bonheur,
surabondance, prospérité, douceur,
abolition de la contrainte, disparition de l'agressivité,
construction de l'égalité par la
révolution marxiste ? Freud n'y
croit pas une seconde. Mussolini non plus.
(page 536)
Passons
sur le déplacement racoleur de Freud à
Mussolini. Ils ne sont pas seuls à ne pas croire
en l’idéal marxiste, et l’opinion de tous ceux
qui n’y croient pas ne vaut pas plus, ni moins, que
l’opinion de Michel Onfray.
Ou
encore :
Au
mieux, la psychanalyse nourrit un courant conservateur,
au pire, un courant réactionnaire...
(page 477)
Mais
plus loin, citant Freud :
Une
trouvaille contraceptive se trouve pensée
par lui comme « une méthode évidente
pour réformer la société
- membres et nerfs - par stérilisation
du commerce sexuel » (7 mars 1896). C'est le
même Freud, un Freud privé, qui dit
son désir d'académies dans lesquelles
on apprendrait à faire l'amour... (page
490)
« Nous
ne sommes certes pas des réformateurs,
nous sommes de simples observateurs, mais nous
ne pouvons nous empêcher d'observer avec
un œil critique, et nous avons trouvé impossible
de prendre parti pour la morale sexuelle conventionnelle,
de tenir en haute estime la manière dont
la société tente de régler
dans la pratique les problèmes de la vie
sexuelle [citation de Freud] » (page 491)
La
Morale sexuelle « culturelle » et la nervosité
moderne paraît en mars 1908, c'est un
texte franchement critique sur la morale sexuelle
dominante dont Freud considère qu'elle
enferme la sexualité dans le cadre étroit
et strict de la monogamie conjugale. Cette contrainte
oblige au mensonge, à l'hypocrisie, à
la tromperie. Chacun s'abuse et trompe les autres
en même temps. (page 492)
Pour
un conservateur ou un réactionnaire, il y a
mieux : ces propos sont, à l’évidence,
progressistes et libertaires… Pour autant, nul n’est
tenu d’y adhérer, et il est vrai qu’en de nombreuses
occurrences Freud a tenu des considérations
qualifiables aujourd’hui de réactionnaires.
Quand
Michel Onfray nous précise « Or
la tâche du philosophe n'est pas de s'agenouiller
devant les totems. » (page 471), on est
surpris de la naïveté avec laquelle il
se positionne dans un débat partisan, sans
le reconnaître comme tel :
Les
psychanalystes, vexés par le rapport de
l'Institut national de la santé et de la
recherche médicale qui montrait en février
2004 qu'ils arrivent bons derniers dans les succès
thérapeutiques en matière de psychothérapie
alors que les TCC occupent la première
place, trouvaient ici l'occasion de faire la publicité
de leur colloque confidentiel d'août 2005
: leur Anti-livre noir obéit ainsi aux
règles élémentaires de la
publicité si l'on veut être poli
- de la propagande si l'on veut parler vrai.
(pages 585-586)
En
effet, Michel Onfray s’arroge le droit de décider
qui fait de la propagande et qui dit la vérité,
en ignorant les enjeux de politique de santé
publique dont l’INSERM est le bras armé, et
en omettant d’indiquer qu’une étude américaine,
autrement plus volumineuse, a conclu que toutes les
thérapies psychologiques ont des taux de réussite
comparables.
Que
reste-t-il de la psychanalyse ?
Pour
autant, de multiples critiques de Michel Onfray contre
Freud sont fondées. Il est vrai, par exemple,
que Freud a largement profité de ce que sa
théorie de l’inconscient permet de ne jamais
avoir tort, et qu’il y a chez Freud de nombreuses
tautologies qui lui assurent d’avoir raison à
tout coup :
Car
l'alternative est simple : soit on avoue, et l'on
confirme la vérité; soit on refuse,
et l'on confirme plus et mieux encore, puisqu'on
manifeste de la sorte la puissance du refoulement,
cause de la pathologie. Dans les deux cas, Freud
triomphe. (page 283)
De
même, Freud a maintes fois exploité abusivement
le discours de ses patients pour tenter de prouver
la justesse de ses présupposés (théoriques,
ou concernant le cas).
Au
fil des pages, on ne sait donc plus si Michel Onfray
s’élève contre Freud, contre ses hagiographes,
contre la psychanalyse, ou contre les psychanalystes.
Il semble que la psychanalyse échappe un peu
à la mise à mort, car Michel Onfray
ne se prive pas, en maintes occasions, de s’appuyer
sur des conceptions psychanalytiques pour appuyer
son argumentaire, ce qui donne à penser qu’il
y croit. Il va même jusqu’à s’en servir pour
tenter de psychanalyser Freud, ce qui n’est pas rien.
De même, il semble adhérer à la
théorie du refoulement :
Lorsqu'il
élabore sa seconde topique, dans Le
Moi et le ça, Freud entretient du «
plasma germinal » - il laisse de la sorte apparaître
un peu de ce qu'il refoule. (page 325)
D’ailleurs,
Michel Onfray nous livre, pages 320 à 323,
une remarquable présentation de l’inconscient,
au point qu’on ne comprend plus pourquoi il s’élève
contre par ailleurs. Pour autant, c’est une entreprise
louable que de dénoncer les dissimulations
et autres arrangements pratiqués par ceux que
Michel Onfray qualifie de gardiens du temple freudien :
Car
la relation sexuelle prêtée à
Freud avec sa belle-sœur Minna Bernays, la sœur
de sa femme donc, passe chez eux qui ne se privent
pas par ailleurs de voir du sexe partout, pour
une descente dans les caniveaux (page 162)
Cependant,
on ne voit pas ce que cela apporte quant à
la psychanalyse : on se moque éperdument
de savoir si Freud entretenait une relation amoureuse
ou érotique avec sa belle-sœur. Coureur de
jupons ou impuissant, c’était son affaire.
On
remarquera que, sur le principe généalogique
mythique, le premier homme, le géniteur
de tout le lignage, l'Adam de la Genèse,
c'est Freud lui-même et en personne : in
fine, le père unique de tous les enfants
semble un double du père de la horde primitive.
Un père chez lequel on revient tous les
cinq ans afin de se faire à nouveau analyser.
(page 396)
Il
n’est pas mauvais que l’image de Freud comme père
de la horde primitive soit ici dénoncée.
Il est exact que le mouvement psychanalytique, particulièrement
dans ses déchirements incessants, a révélé
une relation particulière au Père fondateur,
relation qu’il ne suffit pas de dénoncer (à
juste titre), mais qu’il faudrait d’abord analyser
jusqu’à la comprendre.
[…] tout cela a contribué à entretenir
une mythologie relayée depuis un quart
de siècle par la grande presse : la
psychanalyse soigne et guérit. (page 413)
Michel
Onfray est mal informé. La psychanalyse soigne.
Elle soigne même des cas très graves.
Maints psychanalystes tiennent que, compte tenu de
ses risques et de son coût, la cure psychanalytique
est particulièrement indiquée face aux
souffrances les plus lourdes. Soigne-t-elle tous ses
patients, certes non. Quel médecin prétendrait
que la médecine soigne tous les patients ?
Et
pourtant, la critique de la psychanalyse par Michel
Onfray eût été salutaire si elle
avait été conduite avec le sang-froid
et le recul émotionnel qui sied au philosophe.
Quel gâchis !
La
question qui demeure est donc de savoir si la psychanalyse
est utile ou ne l’est pas. A l’occasion d’un séminaire,
Bernard Golse nous invitait à distinguer « modèle
valide » (qui appelle une preuve) de « modèle
utile » (qui fait cohérence).
Cette
invention – puisque Michel Onfray requiert qu’on qualifie
ainsi la psychanalyse – présente également
un grand intérêt pour les sciences cognitives :
force est de constater que la promesse de réaliser
des systèmes artificiels intelligents, faite
il y a une quarantaine d’années, n’a pas été
tenue. En lieu et place, on dispose de robots compagnons
ludiques relevant de processus de type stimulus-réponse
basiques, fussent-ils dotés de capacités
d’apprentissage, tandis que les performances des systèmes
d’action autonome s’effondrent dès que l’environnement
s’éloigne de ce qui a été pré-spécifié
par leurs concepteurs. D’intelligence, point. Pourquoi ?
Il semble que manque aux cogniticiens un modèle
général du fonctionnement de l’appareil
psychique. Or, Freud en a proposé un, et, fût-il
seulement un modèle, de nombreux spécialistes
de l’humain le jugent parfaitement opératoire,
tout particulièrement du fait qu’il est fondé
sur le couple motivation / gratification, ou désir
/ plaisir.
Et
si l’on veut, on peut espérer, comme Freud,
que la biologie offre un jour un modèle général
de l’appareil psychique aussi opératoire que
celui de la psychanalyse. Mais, à ce sujet,
depuis des décennies, le silence de la biologie
est assourdissant.
Retour
au sommaire
|