Article
Felisa Wolfe-Simon et l'arsenic biologique
Jean-Paul
Baquiast et Christophe Jacquemin - 09/12/2010
La
presse généraliste a abondamment commenté
un article publié dans la revue Science
par des chercheurs de l'Université d'Arizona.
Ceux-ci, dans le cadre d'un programme financé
par la Nasa, auraient identifié des bactéries
utilisant de l'arsenic comme nutriment, au lieu du
phosphore présent dans l'ensemble des autres
biomolécules (baptisées GJAJ-1, ci-contre).
Une telle découverte n'aurait intéressé
que des spécialistes, si ce n'était
le fait que la Nasa inscrit ces recherches dans une
démarche plus générale relevant
d'une discipline en plein développement, l'astrobiologie.
L'objectif principal en est la recherche de formes
de vie extraterrestres, soit dans l'espace, soit dans
les corps célestes de notre entourage. A défaut
de recueillir de tels échantillons lors d'une
future mission spatiale, l'astrobiologie recherche
les formes de vie terrestres acclimatées à
des conditions proches de celles régnant sur
un corps céleste extérieur. Parallèlement,
des travaux faisant appel à la biologie synthétique
s'efforcent de construire des molécules artificielles
répondant à de telles contraintes.
La
découverte d'une possibilité de vie
extraterrestre, bien que logiquement attendue, provoquera
dans le public et dans les diverses communautés
scientifiques l'effet d'une véritable bombe.
Les répercussions philosophiques n'en seront
pas moindres. La Nasa ne voudrait pas laisser à
d'autres agences la gloire d'un tel succès.
C'est
la raison pour laquelle elle avait annoncé
il y a quelques temps l'identification sur une Lune
de Saturne nommée Rhéa de traces d'oxygène
et de carbone, briques de base de la chimie biologique.
Par ailleurs elle vient de lancer le nanosatellite
O/OREOS (Organism/Organic Exposure to Orbital Stresses),
de la taille d'une boîte à chaussures,
destiné à conduire des observations
en orbite basse terrestre sur divers micro-organismes
afin d'étudier leur résistance et leur
capacité de reproduction en environnement spatial.
Mais
comme rien de tout cela n'a encore donné de
résultats probants, on comprend l'intérêt
du public pour la découverte des chercheurs
de l'Université d'Arizona. Rappelons que la
géomicrobiologiste Felisa Wolfe-Simon a réussi
à prélever puis cultiver des organismes
se nourrissant de l'arsenic présents dans les
eaux très salines et alcalines du Lac Mono,
en Californie.
Les
biologistes considèrent généralement
que les constantes de la vie limitent étroitement
les choix ouverts à la diversification des
espèces. Six éléments sont à
la fois indispensables et suffisants. Il s'agit de
l'ensemble dit CHNOPS, carbone, hydrogène,
azote, oxygène, phosphore et soufre. A partir
de cela les organismes construisent leurs protéines,
graisses, sucres et ADN. En théorie, il serait
possible de remplacer un ou plusieurs de ces éléments
par d'autres, mais obtenir à partir d'une telle
chimie des organismes viables ferait l'objet de longs
et coûteux travaux. D'où l'intérêt
que représente la découverte d'organismes
ayant procédé d'eux-mêmes à
l'une de ces substitutions.
L'intérêt
est d'autant plus grand que le micro-organisme identifié
a fait le choix de remplacer le phosphore par de l'arsenic,
généralement considérée
comme hautement toxique. Cependant des chercheurs
avaient fait en 2009 l'hypothèse que l'arsenic,
située directement en dessous du phosphore
dans la table périodique des éléments,
pouvait lui être substituée. Dans le
même esprit, on avait supputé depuis
longtemps la possibilité de remplacer le carbone
par le silicium au sein de certaines formes de vie.
Derrière
ces hypothèses s'en trouve une autre, selon
laquelle des formes de vie primitives se seraient
construites dès les premières époques
géologiques terrestres et auraient survécu
dans des environnements protégés, sous
la forme de ce que l'on a nommé une « shadow-life ».
Il suffirait disent les défenseurs de ces thèses,
dont fait partie Félisa Wolfe-Simon, de construire
des modèles, fussent-ils virtuels, de ces organismes
«autres», afin de savoir où les
chercher. Très vraisemblablement, alors, on
les trouverait.
C'est
semble-t-il ce qu'elle a réussi à faire.
On peut légitimement penser que sa réussite
va donner des ailes et des crédits à
d'autres recherches. Pourquoi par exemple ne pas s'intéresser
à l'origine du mythique «pétrole
abiotique» qui fait encore l'objet de nombreuses
supputations, notamment en Russie (voir Wikipedia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_du_p%C3%A9trole_abiotique).
On considère que ce pétrole proviendrait
de processus purement physico-chimiques. Mais n'aurait-il
pas aussi été produit par des organismes
vivants faisant partie d'une «shadow life»
survivante des premiers âges de la Terre ? Ceci
pourrait être relié, mais nous nous aventurons
ici beaucoup, aux idées de Woese et Goldenfeld
concernanr l'éventuelle origine "physique"
des formes de vie que nous connaissons. (voir notre
article
http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2010/113/viephysique.htm
Pour
en savoir plus
http://www.eurekalert.org/pub_releases/2010-12/asu-ada112910.php
Une
intéressante controverse
16/12/2010
A
la suite de la publication le 2 décembre
dans la revue Science de la découverte
qu'analyse notre article ci-dessus, une vive
controverse a éclaté provenant
d'un certain nombre de blogs scientifiques,
tenus par des chercheurs s'intéressant
à l'exobiologie.
Ils
dénoncent un manque de rigueur de la
part, non seulement des auteurs, Wolfe-Simon
et al., mais de la revue Science, dont les
articles sont pourtant soumis au processus
de contrôle par les pairs, dit peer-review.
Certains incriminent la Nasa, co-financière
de la recherche, qui aurait fait pression
sur la recherche, les résultats annoncés
pouvant lui attirer de la sympathie ou des
crédits.
C'est
la première fois, semble-t-il, que
des chercheurs s'exprimant en ligne hors des
voies habituelles de l'édition scientifique
contestent directement et massivement un résultat
publié. Certains reprochent à
l'équipe de ne pas avoir mis à
leur disposition d'exemplaires de leur bactérie,
GFAJ-1, afin de leur permettre de mener des
expérimentations contradictoires. Certains
vont même jusqu'à imputer à
la recherche un manque grave de sérieux.
Selon eux en effet, l'ADN de ces bactéries
recélerait certes de l'arsenic mais
aussi du phosphate, ce qui la ferait rentrer
dans la norme de la biochimie.
L'équipe
incriminée vient de promettre qu'elle
répondrait aux objections dans un futur
numéro de Science, ceci au début
de l'année prochaine. En attendant,
Felisa Wolfe-Simon a promis de distribuer
largement la souche de la bactérie
objet de ce buzz. Nous aurons donc l'occasion
d'en reparler.
*
Voir http://www.spacedaily.com/reports/NASAs_arsenic-eating_life_form_gets_a_second_look_999.html
|
Retour
au sommaire
|