Editorial.
Conflit de civilisations
Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin
- 04/12/201
Conflit
de civilisations... l'expression fait peur aux humanistes
qui y voient le risque de dresser des hommes les uns
contre les autres. Mais quand on constate, qu'au nom
de leurs valeurs, certains d'entre eux attaquent délibérément
d'autres valeurs, il serait lâche de ne pas réagir.
Ce sont bien de telles attaques qui continuent de se
produire aujourd'hui aux Nations Unies. Une majorité
de membres ont fait voter à la 15e session (septembre-octobre
2010) de la Commission des droits de l'homme (United
Nations Human Rights Council) une résolution
«interdisant la diffamation de la religion (forbidding
«defamation of religion»). Cette résolution
a été soutenue par le Pakistan au nom
de l'Organisation des Etats islamiques (OIC) regroupant
57 Etats censés défendre la solidarité
islamique dans les domaines économiques, sociaux
et politiques. C'est la troisième année
qu'elle a été présentée
et votée, cette fois-ci par 23 oui, 11 non et
13 abstentions.
Les 11 pays qui défendent la liberté de
pensée et d'expression vis-à-vis des religions
se sont réjouis du fait que ce vote a été
acquis à une majorité un peu moins large
que les précédentes. Il reste que ces
pays demeurent une étroite minorité au
plan mondial. Cette minorité regroupe la plupart
des Etats où la rationalité scientifique
est considérée comme une valeur majeure.
Ses ennemis la qualifie de WEIRD (ou étrange)
pour "Western, Educated, Industrialised, Rich,
Democratic".
Or la tolérance censée devoir y régner
ne devrait pas conduire à fermer les yeux sur
les menaces découlant de telles résolutions
non seulement sur la liberté de pensée
mais sur la laïcité au plan institutionnel
et sur l'athéisme au plan philosophique.
Ces menaces font en premier lieu peser des dangers de
mort sur les rares personnalités libérales
qui dans les Etats de la Conférence islamique
sont emprisonnés et torturés au nom de
la défense de la religion.
Mais
les scientifiques et les athées sont aussi potentiellement
menacés dans les démocraties occidentales.
Rien n'y empêche que des organisations islamiques,
s'appuyant sur cette résolution, tentent de criminaliser
devant les tribunaux nationaux ou la Cour européenne
toute critique de l'islam. Il n'est pas impossible que
certains juges s'appuient sur une interprétation
large du droit international pour donner raison à
de telles plaintes. Plus vraisemblablement on risque
de voir des illuminés procéder à
des agressions ou des attentats contre tel ou tel chercheur
ou écrivain qui affirmerait le caractère
non-scientifique des textes dits révélés,
qu'il s'agisse d'ailleurs du Coran ou de la Bible.
Les défenseurs de la rationalité scientifique,
d'une part, les athées d'autre part (lesquels
ne comptent guère dans le monde semble-t-il que
quelques millions de représentants) devraient
trouver là de quoi se mobiliser en défense
de leurs droits. Si de tels retours aux haines primitives
se généralisaient, ils auraient toute
légitimité de parler de conflit de civilisation.
La civilisation qu'ils représentent et défendent
n'aurait aucune raison, fut-elle minoritaire, de se
laisser détruire par des civilisations aux valeurs
totalement différentes.