Editorial
Avant
2012. Ce qu'Obama peut faire, ce que l'Europe doit faire
Automates Intelligents - 05/11/2010
Les
deux prochaines années pourraient permettre à
Barack Obama battu de présenter un projet de
société véritablement novateur
pour la décennie qui vient. En sera-t-il capable
? Le même défi pèse sur les Européens.
Quels sont ceux capables de le relever ?

Après
les élections mi-mandats, Barack Obama n'est
plus qu'un canard boiteux (lame duck). Manifestement
la Chambre paralysera toutes ses initiatives. Au Sénat
il n'est pas certain que la majorité démocrate
tienne tellement à le voir se succéder
à lui-même lors des prochaines élections.
Cependant, il demeure en place et dispose de pouvoirs
considérables. en tant que Président et
chef de l'Administration. Que peut-il en faire aujourd'hui?
Si
dans les deux prochaines années l'Amérique
s'enfonçait dans des crises très graves,
à supposer qu'Obama se révèle avoir
le caractère nécessaire pour y faire face,
il aurait encore des chances pour 2012. Mais si le pays
se paralysait dans des oppositions stériles entre
lobbies, il ne pourrait qu'assister à un lent
déclin, et de son image et du pays lui-même.
L'hostilité à son égard paraît
si forte que ce double déclin pourrait satisfaire
ses adversaires, tellement ils semblent décidés
à l'abattre. Tant pis pour le pays, doivent-ils
se dire. Pour eux, en 2012, pourrait alors commencer
une ère de reconquista politique. Ils n'ont certainement
pas la moindre idée réaliste concernant
les bases de cette reconquête. L'essentiel serait
de récupérer les pleins pouvoirs.
Quelles
décisions Barack Obama va-t-il prendre? Quel
homme est-il en profondeur ? Quels sont les forces qui
l'ont conduit à la magistrature suprême
? Que seraient celles qui pourraient encore l'appuyer
? C'est tout le mystère d'Obama et de sa surprenante
ascension. Dans l'hypothèse la plus simple et
la plus claire, selon laquelle l'homme Obama voudrait
ne fut-ce qu'à titre de défi personnel
être réélu pour un second mandat,
nous pensons que faire à nouveau le choix de
la conciliation et de la modération ne pourrait
que le condamner définitivement. S'il n'a pas
osé être l' « american
Gorbatchev » que certaines forces libérales
attendaient peut-être, il ne courrait aucun risque
aujourd'hui à tenter de le devenir.
Un
« american Gorbatchev »
ne pourrait pas sans doute détruire le système
militaro/financiéro/industriel qui gouverne l'Amérique.
S'il s'y essayait, il serait très vite destitué
(soumis à une procédure d'impeachment).
En revanche, il pourrait essayer de conquérir
les esprits et les coeurs, non des Afghans mais des
millions de citoyens américains qui sont aujourd'hui
à la recherche d'une société plus
égalitaire, moins menacée au plan économique
et sans doute aussi capable de se donner des visions
du monde plus ambitieuses que celles résultant
de la recherche du plus grand profit pour les actionnaires.
L'Amérique dispose encore d'un potentiel scientifique
et technique considérable. Nos lecteurs le constatent
tous les jours. Beaucoup d'entre nous regrettent sans
doute de voir que ce potentiel ne s'emploie plus aujourd'hui
qu'au service d'objectifs militaires ou de contrôle
social.
Comment
faire pour préparer un changement de cap radical
?
Il suffirait que, dans les deux années qui viennent,
Barack Obama se limite à préciser le grand
projet de société, techno-scientifique
et politico-social qu'il s'engagerait à mettre
en oeuvre en 2012, une fois réélu. Il
faudrait évidemment y mettre les moyens humains
nécessaires, moyens que comme Président
des Etats-Unis, il pourrait recruter sans efforts.
Il
ne s'agirait pas pour ce faire d'accumuler les idées
générales, comme le font actuellement
les gauches européennes. Il faudrait mobiliser
dans une structure de démocratie participative
- entièrement à inventer - les meilleurs
hommes et les meilleurs idées susceptibles de
concourir. Il faudrait que chacun des Etats confédérés
et des grandes municipalités soient appelés
à présenter des projets. Il faudrait que
la synthèse de tous ces projets, dans le temps
et dans l'espace, soit assurée de la façon
la moins technocratique possible. Dès maintenant,
les grands enjeux de société sous-jacents
devraient etre abordés et discutés avec
l'opinion publique, sans craindre les affrontements
mais sans refuser pour autant les synthèses constructives.
Bref,
il faudrait que Barack Obama (ou les forces démocratiques
qui sont encore, espérons le, derrière
lui) mettent en place dès cet hiver un vaste
débat national sur ce que pourrait être
l'Amérique des années 2020, avec des mesures
immédiates à prendre, Président
et Congrès réunis, dès 2012. Chacun
pourrait alors savoir pour quels enjeux précis
se battre et la meilleure façon de s'engager.
Ne soyons pas naïfs. Les puissants lobbies dépenseraient
des dizaines de milliards pour corrompre le débat
et faire valoir leurs vues. Mais la société
de communication bien établie en Amérique
ne leur permettrait pas d'être les seuls à
se faire entendre.
Ce
n'est malheureusement pas le chemin que prend Obama.
Il vient de décider de faire le tour des «alliées»
de l'Amérique en Asie, évitant pourtant
soigneusement la Chine. Comme ces hôtes sont polis
et prudents, ils ne feront pas valoir qu'il n'est plus
qu'un canard boiteux traînant la patte, incapable
entre autres de sortir du piège afghan et du
piège intérieur tendu par les Républicains
alliés aux Tea-partiers. Ils n'attacheront pas
beaucoup d'importance à ses propos et promesses,
sachant par ailleurs que le Congrès s'empresserait
de tout invalider, si promesses il y avait. Quant à
se redonner une nouvelle jeunesse auprès des
Israéliens et des Palestiniens, Obama ferait
mieux de n'y pas compter.
Europe,
même défi
Dans
le titre de cet éditorial, nous évoquons
les pays européens. C'est simplement pour indiquer
que les gouvernements et l'Union elle-même doivent
pour survivre en termes géopolitiques
engager dès maintenant un débat
de la même ampleur que celui évoqué
ci-dessus sur le thème de ce que sera l'Europe
des prochaines années.
Sur nos différentes sites, nous avons fait certaines
propositions précises et complètes relatives
à la façon dont l'Europe pourrait traverser
sans trop de pertes les épreuves qui l'attendent.
Nous n'avons pas la présomption de penser que
ces propositions pourraient rencontrer un large accord.
En revanche, nous sommes certains que si les deux années
qui nous séparent de 2012 ne sont pas consacrées
à discuter, au sein d'une grande Europe incluant
la Russie, des grandes décisions qu'il faudra
prendre à cette date, les Européens partiront
battus dans un monde qu'ils n'auront définitivement
pas compris.