Biblionet.
Le secret des femmes. Voyage au coeur du plaisir et
de la jouissance
Elisa Brune et Yves Ferroul
Odile Jacob - septembre 2010
présentation et discussion par Jean-Paul Baquiast
- 30/11/2010
La
sexualité de la femme reste de nos jours en
France un thème si tabou qu'il paraît
sulfureux d'en faire l'objet d'un livre scientifique,
voire simplement de le commenter. Lorsque l'on sait
cependant l'ignorance qui persiste sur le sujet, et
les conséquences sociales et politiques du
maintien de cette ignorance, on ne peut que féliciter
les auteurs, Mme Elisa Brune et le Dr Yves Ferroul,
d'y avoir apporté les nombreux éléments
nouveaux contenus dans leur livre Le Secret des femmes.
Elisa
Brune est romancière et écrivain scientifique.
On verra, en consultant la page que lui consacre Wikipedia,
qu'elle s'intéresse à un large domaine
de connaissances, allant de l'astronomie à
la psychologie militante.
Yves
Ferroul est peut-être moins connu du grand public,
mais cela tient
en partie au phénomène que nous indiquons,
l'ignorance volontaire à l'égard de
la sexologie. C'est dommage car il a été
vice-président du Syndicat national des médecins
sexologues et membre du conseil d'administration de
l'Association hospitalo-universitaire de sexologie.
Il a par ailleurs créé un site web,
http://www.sexodoc.fr/, qui se présente
comme une quasi-encyclopédie personnelle sur
la question de la sexualité, ses implications
scientifiques et sociales, ses relations avec l'histoire
des sociétés et des religions. Il y
présente également un certain nombre
d'ouvrages récents abordant de près
ou de loin la question.
On notera un point intéressant. Le site lui
a permis, ainsi qu'à Elisa Brune, de consulter
en ligne un nombre respectables de femmes intéressées
par la question et acceptant d'en parler. Lorsque
l'on sait les réserves que suscitent des sondages
même anonymes touchant à ce point la
partie intime des psychismes, on doit saluer l'exploit.
Concernant le site, nous voudrions mentionner un regret,
son architecture étrange qui le rend très
peu maniable. C'est dommage.
Un
survol des 6 premiers chapitres
Le
livre se présente, comme il se doit chez un
éditeur aussi austère que Odile Jacob,
sous la forme d'une véritable petite thèse
interdisciplinaire. Que ce terme ne fasse cependant
pas fuir les lecteurs. La forme et les contenus sont
particulièrement accessibles. Disons seulement
que les différents chapitres abordent des questions
tellement riches d'implications scientifiques, voire
évoquent tant de problèmes non encore
résolus, qu'ils mériteraient d'être
développés sous forme d'ouvrages à
eux seuls.
Le
livre comporte plus de 320 pages dont toutes justifient
une lecture attentive. Nous n'allons donc pas le résumer
ici. Nous proposons un bref commentaire des 5 premiers
chapitres, suivi de quelques réflexions plus
générales ou portant sur des points
non abordés explicitement dans l'ouvrage mais
qui justifieraient pensons nous d'être traités
ultérieurement.
Il
faut bien comprendre le thème du livre, afin
de ne pas y chercher ce qui ne s'y trouve pas. Il
ne s'agit pas d'étudier la sexualité
en général ni même la sexualité
de la femme, mais comme le titre l'indique, le plaisir
et la jouissance chez la femme, autrement dit l'orgasme.
Chez l'homme, l'orgasme est communément éprouvé
et connu. Chaque humain de sexe masculin sait en principe
ce dont il s'agit. L'orgasme masculin est à
peu près défini en termes sinon psychologiques
du moins physiologiques. Chez la femme, comme l'ouvrage
le rappelle, il a été longuement ignoré,
nié ou instrumentalisé par ce qu'il
faut bien nommer le pouvoir mâle. Ceci parce
que l'orgasme féminin est nécessairement
lié non seulement à la conquête
par la femme de son autonomie sexuelle mais à
la construction de son autonomie individuelle, souvent
loin des rôles imposés par les forces
dominantes. Nous allons y revenir. Les auteurs ont
donc pleinement raison d'en faire le thème
pivot de leur démarche de redécouverte.
Comme
il se doit, un premier chapitre «L'orgasme
avant l'humanité» recherche
les formes que pourraient prendre l'orgasme chez les
femelles des innombrables espèces qui paraissent
accorder au plaisir sexuel un intérêt
propre, pas nécessairement en accompagnement
du rapport reproductif. Le non biologiste sera étonné
de voir le nombre des manifestations qui accompagnent
la recherche du plaisir, y compris dans des activités
d'auto-érotisme, chez de très nombreuses
femelles n'appartenant pas aux espèces dites
supérieures. Ceci par contre ne surprendra
pas nos lecteurs. Ils sont habitués à
lire ici les compte-rendu de recherche montrant comment
les pratiques comportementales dont l'homo sapiens
veut s'attribuer le monopole sont communément
répandues dans la nature. Ce qui vaut pour
la sexualité des mâles doit nécessairement
aussi valoir, mutatis mutandis, pour celle des femelles.
De
là on peut supposer que des formes plus ou
moins paroxystiques (ou acme) terminant par
exemple une activité masturbatoire, s'accompagnent
d'un plaisir plus ou moins bref et fort de type orgasmique,
ressenti par les centres nerveux de la femelle. Lorsque
l'imagerie cérébrale sera devenue suffisamment
accessible, on verra ce qu'il en est dans les centres
nerveux des petites femelles animales, rattes ou lapines.
Mais même sans IRM, on peut supposer que le
plaisir existe chez de nombreuses femelles de nombreuses
espèces, soit en tant que tel, soit en réponse
au plaisir masculin, soit pour le provoquer.
Malheureusement
nous ne disposons pas des langages animaux permettant
de nous en rendre compte. L'orgasme doit vraisemblablement
s'accompagner de manifestations provenant d'un langage
du corps que nous sommes en général
incapables de comprendre, nous étant coupés
de nos racines animales. On renverra sur ce point
aux travaux de Dominique Lestel, référencés
sur ce site (voir Lestel,
L'animal est l'avenir de l'homme).
Le
second chapitre, «L'orgasme
féminin dans l'évolution humaine»,
fait très logiquement la transition entre l'orgasme
féminin supposé chez l'animal et celui
qu'auraient pu éprouver les femmes de la préhistoire,
à des époques où vraisemblablement
la tyrannie mâle n'avait pas encore pris les
formes excessives développées dans les
époques historiques. Il est difficile d'en
traiter savamment, faute de preuves très explicites.
Cependant, les auteurs, en bons évolutionnistes,
considèrent qu'une propriété
telle que l'aptitude au plaisir et à l'orgasme,
fut-elle fonctionnellement inutile à la reproduction,
n'aurait pas pu apparaître tout de go chez les
femmes modernes. Si elle préexistait chez certains
animaux proches de l'homme, elle existait déjà
nécessairement durant les 2 millions d'années
où certaines lignées d'hominiens ont
évolué en homo sapiens.
A
cet égard, les auteurs abordent la question
du rôle sélectif que pouvait avoir en
ces temps anciens le potentiel orgasmatique éventuel
des femelles. Aucun rôle, répondent-ils.
Le trait se serait conservé y compris sous
la forme de l'organisation génétique
et neurale qui le rend possible, simplement parce
qu'il était là. On reconnaît une
hypothèse de Stephen Jay Gould. Des caractères
fonctionnellement inutiles peuvent persister longtemps,
tant qu'ils ne créent pas de contraintes insupportables
aux espèces qui en sont dotés.
Pour
notre part, nous préférons penser que,
de même que des formes plus ou moins invisibles
à nos yeux de plaisir féminin doivent
exister chez les animaux, l'équivalent devait
se trouver chez les femelles préhistoriques.
Ces processus pouvaient au moins servir à renforcer
la cohésion sociale, ne fut-ce que dans des
échanges de type masturbatoire partagés
entre les femmes. Ceci d'autant plus que, comme le
souligne les auteurs, le passage à la bipédie
a entraîné un remodelage progressif de
l'architecture des organes sexuels féminins,
avec modification de la place du clitoris. Si comme
à juste titre, l'on fait de cet organe un des
acteurs de la construction de l'orgasme, on peut penser
que son existence, de plus en plus invisible aux yeux
des mâles adultes, restait connue et utilisée
par les petites femelles, ceci depuis leur plus tendre
enfance.
Le
troisième chapitre, «Petite
ethnologie de l'orgasme», survole
ce qui là aussi pourrait faire l'objet d'un
livre tout entier, sinon d'une collection, la façon
dont différentes sociétés antiques
ont reconnu ou nié le plaisir féminin.
Le coup d'oeil est étendu aux sociétés
contemporaines dites primitives, notamment celles
des archipels Pacifique. D'une façon générale,
les auteurs rappellent une évidence, qui aujourd'hui
ne peut plus être affirmée sans de multiples
précautions oratoires: le fait que les jeux
sexuels entre enfants des deux sexes ou entre enfants
et adultes avaient un véritable rôle
symbolique et pratique dans la construction des identités
sociales et individuelles. Cependant, à partir
d'une probable égalité de départ
relative entre les sexes, le rôle prédominant
du mâle s'est affirmé très tôt
dans l'histoire de l'antiquité grecque et romaine,
au profit bien sûr des individus socialement
dominants.
La
sexualité et le plaisir de la femme n'ont cependant
jamais été niés sous l'Antiquité,
jusqu'à ce que survienne cette véritable
catastrophe que fut à cet égard le succès
du Christianisme en Europe. La question a été
abondamment documentée et commentée.
Inutile d'y revenir. Ce fut le sexe tout entier, et
pas seulement la sexualité féminine,
qui furent persécutées et condamnés
au silence. Un minimum de bon sens avait survécu
à cet égard dans les populations rurales,
mais il n'a pas résisté longtemps aux
assauts des prédicateurs.
Sur
ce point, nous aurions aimé que les auteurs
présentent quelques hypothèses permettant
de comprendre une telle apocalypse. Pourquoi selon
eux, dans l'Occident chrétien, des visions
aussi terrifiantes de la sexualité en général,
de la sexualité féminine en particulier,
ont-elles pu prendre l'importance qui est restée
en grande partie la leur. D'autres régions
du monde, où ce sont aux mêmes époques
édifié les pouvoirs des princes ou des
dignitaires religieux, n'ont pas hébergé
de telles dérives. Même si la femme,
en Chine ou en Inde, n'a jamais été
véritablement reconnue en tant que personne
dotée de droit, la haine féroce du sexe
féminin, de véritables démonisations,
allant jusqu'à la mise à mort par milliers
de présumées sorcières, ne semblent
pas avoir ensanglanté à ces échelles
le reste du monde.
Il
est vrai qu'aujourd'hui la même question peut
être posée à l'égard de
la haine de la femme manifestée par l'islam
radical. Superposée à une domination
du mâle présente depuis des siècles
dans le bassin méditerranéen et au Moyen-orient,
elle commence désormais à faire de sérieux
ravages en Europe même. Peut-on alors parler
d'une véritable incompatibilité entre
les religions monothéistes et le féminisme,
et si oui pourquoi? Il serait temps d'examiner la
question avec le sérieux qu'elle mérite.
Le
chapitre 4, «L'orgasme
et les médecins», est consacré
non à l'étude de l'orgasme féminin
par les sciences modernes, présentée
au chapitre suivant (« Que dit la science »)
mais aux efforts laborieux des premiers anatomistes
et thérapeutes pour traiter le sujet. Certains
de ceux-ci étaient d'honnêtes chercheurs
utilisant pour décrypter les mystères
du plaisir féminin les moyens de leur époque.
Mais d'autres étaient les représentants
de ce que l'on nomme aujourd'hui le pouvoir médical.
Celui-ci se déployait aux détriments
des faibles, femmes, enfants et personnes au psychisme
déficient. Il imposait et impose encore
parfois - la domination des classes dominantes et
des mâles détenteurs du pouvoir économique
et politique. Il en est résulté le traitement
asilaire de ce que l'on appelait l'hystérie.
Bien pire en un sens, il en est résulté
ce que les auteurs nomment la catastrophe freudienne.
Inutile
de reprendre ici le procès légitime
fait à Freud et à tous ceux qui ont
repris et reprennent encore ses idées sommaires
sur la frigidité, l'orgasme féminin
(qui ne saurait selon le Maître être clitoridien),
l'envie de pénis et autres mythes. Michel Onfray
a entrepris comme l'on sait avec un certain succès
de déboulonner l'idole. Mais la encore reste
posée la question du pourquoi? Pourquoi sur
des bases aussi arbitraires que celles proposées
par Freud, reprises depuis sans en changer une ligne
par des milliers de disciples, certaines femmes acceptent-elles
encore de confier ce qu'elles pensent être leurs
troubles sexuels à des psychanalystes freudiens
?
A
partir du chapitre 5, «Que
dit la science?», le lecteur trouvera
l'essentiel des apports du livre, comprenant de nombreux
points originaux, non précisés à
ce jour par une littérature clinique restée
encore dans l'enfance. Ce chapitre fournit les informations
correspondant à l'état des connaissances
actuelles sur des questions généralement
résolues en pratique par les personnes ayant
un minimum d'expérience sexuelle mais sur lesquelles
continue à flotter un brouillard théorique
et idéologique regrettable: le rôle essentiel
du clitoris dans la construction de l'orgasme (ainsi
que l'anatomie de cet organe, dont beaucoup de lecteurs
découvriront avec surprise la place qu'il occupe
au sein de l'appareil génital féminin);
le vagin et son rôle dans le plaisir, moins
important que ne le prétendait Freud mais à
ne pas négliger cependant; le point G; les
orgasmes multiples; le rôle du cerveau inconscient
dans la création de l'orgasme, tant chez l'animal
que chez l'humain; l'intérêt de l'orgasme
pour la santé physique et morale; l'importance
des instruments simulant le partenaire sexuel dans
l'activité masturbatoire ou dans la relation
bilatérale (nous reviendrons sur ce point ci-dessous).
Nous
pourrions mentionner un phénomène accompagnant
certains orgasmes féminins dont beaucoup des
femmes qui en bénéficient ne se rendent
pas nécessairement compte : les fortes contractions
vaginales se produisant au moment et juste après
la jouissance. Inutile de dire que pour le partenaire
masculin elles sont particulièrement les bienvenues.
La
conclusion de ce chapitre important est cependant
nette: les sexologues et à plus forte raison
les individus ordinaires savent encore très
peu de choses sur l'anatomie, la sexualité
et l'orgasme chez la femme. Les recherches scientifiques
sont récentes et restent très mal financées,
contrairement à ce dont bénéficient
les recherches équivalentes portant sur l'homme.
Le sujet en fait n'intéresse pas l'institution.
Nous avons dit pourquoi. Ceci est d'autant plus dommageable
que, contrairement aux hommes, les femmes doivent
apprendre à atteindre l'orgasme. Il ne se produit
pas automatiquement. Or, à défaut d'y
arriver, beaucoup de femmes considèrent, comme
le montre la seconde partie du livre, qu'une part
de leur vie a été manquée.
Le
chapitre 6 enfin «Quand
les femmes en parlent», est sûrement
le plus original, car il rassemble et met en perspective
les témoignages reçues par les auteurs
sur le site internet ouvert dans ce but. On ne peut
que se réjouir de voir pour la première
fois en France Internet servir à favoriser
des paroles qui sans cette technique ne pourraient
se faire entendre publiquement. Les puristes ferons
sans doute remarquer que rien n'identifie réellement
les voix qui se font entendre. Cependant, dans l'ensemble,
rien ne permet de suspecter l'authenticité
des propos. Nous ne pouvons évidemment pas,
mieux que ne le font les auteurs du livre, résumer
les conclusions pouvant être tirées de
toutes ces contributions. Nos lecteurs devront en
prendre eux-mêmes connaissance.
Quelques
commentaires
Dans
le cadre du présent article, nous nous limiterons
à quelques remarques et questions revenant
sur certains des points abordés dans le résumé
du livre auquel nous venons de procéder.
1.
Pourquoi a-t-on si peu parlé du « Secret
des femmes » ?
C'est
la première question qui vient à l'esprit.
Elle met en évidence le poids permanent de
la censure volontaire ou inconsciente pesant sur un
tel sujet. Pourquoi un livre traitant d'un thème
aussi important et aussi mal connu que le plaisir
(et plus particulièrement l'orgasme), chez
la femme, ait été pratiquement passé
sous silence? Certains rares média ont mentionné
l'ouvrage, mais le buzz, comme l'on dit, mérité
n'a pas eu lieu. La réponse la plus simple
venant à l'esprit est que, pour les pouvoirs
masculins qui, répétons-le, dominent
la société française, la femme
ne doit pas avoir de personnalité propre.
Tout ce qui peut contribuer à lui donner de
l'autonomie face aux hommes doit être censuré.
Elle ne doit pas se convaincre qu'elle peut et doit
se construire sa personnalité sexuelle, comme
elle devrait le faire de sa personnalité professionnelle
et sociale.
On
pourrait penser que la société française,
réputée pour son ouverture, après
50 ans de féminisme militant, n'en serait plus
au point de conservatisme caractérisant en
ce domaine d'autres pays européens, sans mentionner
les sociétés anglo-saxonnes ou musulmanes.
Mais ce serait une erreur. Plus grave, la France est
aujourd'hui soumise à un retour en force des
religions et des cultures reposant sur l'assujettissement
de la femme. Elle régresse très vite
par rapport aux Trente Glorieuses. Les femmes qui
ne se voilent pas la face (c'est le cas de le dire)
le constatent tous les jours. C'est là que
la sexologie, la science politique et les autres sciences
humaines ne doivent pas être séparées
d'un regard véritablement féministe.
2.
L'ignorance où l'on est, même lorsque
l'on se croit informé, du nombre infime des
recherches sérieuses sur la sexualité
en général, sur la sexualité
de la femme en particulier.
Le
livre produit à cet égard l'effet d'une
douche froide. On y apprend que, pratiquement, depuis
les travaux fondateurs d'Alfred Kinsey et de Masters
and Johnson, le sujet n'a pas fait l'objet d'analyses
approfondies. Qui plus est, on découvre que
ces chercheurs courageux, aussi prudents sinon traditionnels
qu'ils aient été dans leurs concepts
et leurs propos, ont subi un véritable rejet
mondial. Cela les a conduits au silence et à
la misère. Naïvement, ceux qui ont beaucoup
appris tant du rapport Kinsey que du Deuxième
Sexe de Simone de Beauvoir pensaient que le premier
bénéficiait de la même reconnaissance
sociale que la seconde. Il n'en était rien.
Certes,
la bibliographie du Secret des femmes»
mentionne un petit nombre d'ouvrages et d'articles
généralement anglophones et non traduits
sur la question. Mais quelles sont les Françaises,
jeunes ou moins jeunes, qui ont pu se les procurer
et y réfléchir? D'où le caractère
bienvenu de l'enquête et du livre de Brune et
Ferroul, d'où l'urgente nécessité
qu'il y aurait à les faire mieux connaître.
3.
A l'opposé, il faut rappeler l'omniprésence
des rôles et des images asservissantes imposés
aux femmes par le pouvoir masculin mondial.
Il
s'agit d'une constatation souvent faite, mais qui
entraîne la plus grande passivité aussi
bien chez les femmes qui en sont nécessairement
les victimes que chez les rares hommes voulant échapper
à un enrégimentement dont ils constatent
parfois les effets néfastes dans leurs relations
sexuelles ou professionnelles avec les femmes.
Les
observateurs et observatrices lucides observent parfois
avec regret que la prétendue libéralisation
des moeurs et des contenus culturels dont se vante
le monde dit occidental marque en fait un maintien
sinon un retour en force de l'aliénation historique
imposée à la femme. Mais que fait-on
pour faire perdre de l'argent, au sens propre du terme,
à tous ceux qui profitent de cette aliénation?
Qui refuse d'acheter les magazines, voir les films,
consommer les produits vivant de la marchandisation
de la femme? Fort peu de gens.
Quant
aux hommes se prétendant féministes,
renonceraient-ils sauf par peur, de s'adresser à
des prostituées importées d'ailleurs
s'ils en avaient l'occasion ? Certes, par rapport
à des pays où la nudité d'une
femme, la vue de son simple visage, provoquent des
scènes d'hystérie religieuse, l'Occident
paraît un havre de tolérance et de mixité.
Mais les femmes mériteraient mieux, au siècle
de l'hyper-science, que d'avoir à choisir entre
la peste et le choléra.
4.
Jouets sexuels et robots
Le
livre réhabilite, aux yeux de ceux qui n'osent
pas s'en servir, le rôle des médiateurs
matériels ou artificiels utilisés dans
la masturbation ou dans les relations à deux
ou plusieurs partenaires. Il n'y a là rien
pour étonner les défenseurs de la thèse
que nous avons pour notre part nommé anthropotechnique.
Des les premiers stades de l'hominisation, des «outils»
ont été employés par les primates
pour augmenter le champ d'action de leurs organes
corporels et de leurs représentations neuronales.
Ils ont ainsi tissé avec ces intermédiaires
extérieurs des liens sans doute génétiques
mais en tous cas culturels qui les ont progressivement
conduits à construire un monde jamais apparu
jusqu'alors dans la nature.
En
fait, nous l'avons vu, les animaux ont compris comment
utiliser les objets du monde matériel en simulacre
de partenaires sexuels, mais ils n'en ont pas fait
des outils individualisés et transmissibles
comme tels. Il reste évidemment peu de traces
des outils sexuels employés aux époques
préhistoriques. Mais des l'Antiquité
les exemples abondent. Les femmes n'étaient
pas les dernières à en faire usage.
D'où à nouveau la question de savoir
pourquoi le rayon des outils et jouets sexuels reste
aujourd'hui encore si mal vu par les sociétés
contemporaines ce qui fait évidemment
l'affaire des négociants qui profitent du monopole
que leur confère la censure officielle.
Ajoutons
pour notre part que les choses changeront sans doute
très vite du fait des progrès de la
robotisation. Les spécialistes savent que des
robots anthropoïdes des deux sexes, robots de
plus en plus « humains », seront
un jour prochain disponibles à des prix abordables.
Leur usage comme partenaires sexuels obligera une
nouvelle fois à s'interroger sur les limites
de l'humain «artificiellement augmenté»
(Voir à cet égard «Love and sex
with robots» de Daniel Levy et notre
article « la révolution du zootechnocène »).
5.
La question du rôle déclencheur des fantasmes
dans la production de l'orgasme.
Il
est dommage que «Le secret des femmes»
n'aborde pas cette question d'un très grand
intérêt pratique et théorique.
Il est évident (la presse féminine elle-même
n'hésite pas à le dire) que pour la
plupart des femmes, des images ou représentations
imaginaires à fort potentiel érogène
accompagnent généralement l'orgasme.
Beaucoup de femmes disent même que, sans de
tels fantasmes, elles ne pourraient pas accéder
au plaisir final. Plus ces images sont réprouvées
par la morale et les bonnes moeurs, plus leur effet
érogène serait puissant. Il s'agit donc
bien là d'une revanche de la nature sur des
conventions sociales imposées sans discussions
possibles.
Savoir
ce qu'il en est, explorer le champ immense des interdits
et de leurs franchissements symboliques présente
donc un intérêt pratique pour toutes
celles et ceux qui veulent favoriser l'orgasme féminin.
Mais la question présente un intérêt
théorique encore plus grand, car elle touche
au coeur même des questions qui se posent aujourd'hui
aux neurosciences. Le livre a rappelé que la
stimulation par voie d'électrodes des centres
nerveux dits pour simplifier du plaisir et de la récompense
provoque des orgasmes aussi consistants que ceux obtenus
par les processus naturels. Ceci aussi bien chez les
animaux que chez les humains. Ce mécanisme
à lui seul mériterait d'être étudié
plus en détail. Que se passe-t-il alors dans
le cerveau? Quelles conséquences en découlent-elles
sur l'organisme ou sur le psychisme.
Au-delà
de la stimulation électrique ou chimique dont
on peut plus ou moins facilement comprendre l'effet
sur les aires cérébrales, se pose la
question de la stimulation apportée par la
vue d'une image érotique (la couverture du
livre « Le secret des femmes »
par exemple voir photo ci-dessus) et, phénomène
plus mystérieux encore, par une stimulation
encore plus « immatérielle »,
lorsqu'une femme à la recherche du déclenchement
de l'orgasme imagine par exemple être nue et
contemplée par tous lors d'un repas officiel.
Une
double question se pose alors :
1.
Comment agit exactement ce fantasme qui n'a bien évidemment
pas la consistance d'une stimulation électrique
? Réactive-t-il des souvenirs enfouis acquis
par le sujet ? Provoque-t-il une véritable
hallucination avec construction d'une scène
encore plus réelle pour le sujet qu'une scène
réelle ?
2.
Le sujet peut-il comme il le croit évoquer
consciemment et volontairement ce fantasme de nudité
dans le but d'accélérer la venue de
son propre orgasme ? Il faudrait en ce cas concilier
cette affirmation avec les thèses généralement
reconnues aujourd'hui selon lesquelles la volonté
consciente n'est jamais un mécanisme premier
susceptible de déclencher un comportement.
Selon ces thèses, que nous avons plusieurs
fois défendues ici, la prétendue conscience
volontaire serait toujours seconde dans une chaîne
de déterminismes. D'où proviendrait
alors le mécanisme de production de fantasme
primo-déclencheur de l'orgasme, s'il ne provenait
pas seulement des stimulations génitales physiques
?
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