Science,
technologie et politique
Les conséquences néfastes
de la pauvreté sur les embryons
Jean-Paul
Baquiast 05/10/2010
Le
médecin britannique David Barker avait en 1989
publié des statistiques montrant que la malnutrition
maternelle pouvait entrainer des maladies cardiaques
des années plus tard chez leurs enfants. Cette
hypothèse avait été très
généralement rejetée, principalement
compte tenu de la fragilité des observations
montrant des relations de cause à effet entre
l'état de la mère au moment de la grossesse
et les troubles susceptibles de survenir chez les
enfants.
Mais
on peut penser qu'elle allait aussi à contre-courant
d'un certain nombre de préjugés de type
idéologique. Le premier, que l'on retrouve
aujourd'hui encore très vivace quand on discute
de l'influence des gènes sur la descendance,
relève de l'illusion culturelle (dite aussi
de la page blanche): il ne faut pas attribuer aux
facteurs biologiques d'effet notable sur la détermination
des comportements individuels. Ceux-ci sont définis
par la société et le milieu culturel
où a vécu et grandi l'enfant. Admettre
qu'un enfant héritera obligatoirement de tels
caractères, normaux ou pathologiques, propres
aux parents, serait nier le fait que l'enfant, tel
une page blanche, s'imprégnera d'abord de ce
que la société où il grandira
lui permettra d'acquérir.
Il
serait certainement dangereux et injuste de considérer
comme des handicapés à vie les enfants
dont la mère avait été soumise,
pendant sa gestation, à des malnutritions ou
intoxications diverses. A l'inverse, il serait tout
aussi dangereux et injuste de prendre à la
légère les carences et traumatismes
divers dont souffrent les mères, notamment
dans le tiers-monde, au prétexte que les embryons
sont protégés, par la barrière
du placenta ou par tout autre mécanisme miracle,
de l'influence délétère de ces
privations. Etudier au contraire avec précision
les conséquences que peuvent avoir sur les
embryons puis chez les enfants telles ou telles agressions
imposées soit par le comportement à
risques de la mère, soit par le milieu ou vit
celle-ci, peut permettre d'engager très tôt
d'éventuels traitements réparateurs,
non seulement chez le nouveau né, mais chez
la mère, dans la perspective de ses futures
grossesses.
On
notera que la littérature médicale ou
sociale du 19e siècle et de la première
moitié du 20e siècle avait abondamment
commenté les dégats, souvent présentés
comme héréditaires, provoqués
chez les enfants du fait de la misère des mères.
Mais le sujet avait été par la suite
un peu oublié. A tort.
Aujourd'ui,
les études récentes tendent à
montrer que l'obésité, les diabètes
et certains troubles mentaux chez les adultes peuvent
être liés, d'une certaine façon,
à ce qui leur était arrivé lorsque,
embryons, ils étaient encore dans l'utérus
de leur mère. On peut en tirer des conclusions
lourdes de conséquences politiques. Si les
maux associés à la pauvreté se
reproduisent de génération en génération,
ce serait parce que les mères pauvres seraient
plus exposées que les autres à l'anxiété,
la dépression, les empoisonnements par l'air
et l'eau, ceci malgré toute leur bonne volonté
et les efforts que font certaines pour échapper
à la drogue, le tabac et l'alcool.
Il en résulte que leurs enfants, dès
la naissance, sont moins armées que les autres
pour résister aux stress sociétaux.
Les soins dispensés par les dispensaires ou
l'école pour compenser ces désavantages
arrivent souvent trop tard.
Répétons
le, il ne faudrait pas condamner d'avance les enfants
issus de milieux très défavorisés,
où les mères ont subi d'intenses privations.
Mais il ne faudrait pas à l'inverse ne rien
faire pour améliorer la situation sanitaire
dans les milieux très pauvres, tels que par
exemple les bidonvilles et favellas, en se disant
que la société réparera, des
années plus tard, chez les adolescents et adultes,
les dégâts qu'ils auront subis au stade
prénatal.
Le
programme anti-pauvreté le plus efficace sera
celui qui s'exercera dès avant la naissance,
écrit Annie Murphy Paul dans un livre important
Origins: How the Nine Months Before Birth
Shape the Rest of Our Lives. Mais dans cet
esprit, ce ne serait pas seulement les mères
des milieux pauvres qu'il faudrait protéger.
Il faudrait mieux faire comprendre à tous les
parents, y compris ceux disposant de revenus élevés,
les risques qu'ils font courir aux foetus lorsque
les mères enceintes s'exposent aux toxines,
rayonnements, pesticides divers, sans mentionner des
médicaments pris sans prudence pour
ne pas citer alcool, tabac et drogues déjà
mentionnés.
On
ajoutera que, selon l'hypothèse de l'ontophylogenèse
due au biologiste Jean-Jacques Kupiec, l'expression
des gènes des parents perturbée par
des toxines pourra éventuellement se répercuter
dans le génome et le protéome des descendants,
de génération en génération.
D'où, là encore, la reproduction de
certains comportements associés à la
pauvreté. La seule efficace façon de
lutter contre eux serait de diminuer la pauvreté,
en répartissant plus égalitairement
les contributions sociales.
On
peut lire un commentaire détaillé du
livre de Annie Murphy Paul « Origins »
dans un article du New York Times à la signature
de Jerome Groopman, professeur de médecine
à Harvard http://www.nytimes.com/2010/10/03/books/review/Groopman-t.html
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