Politique
Le
juste combat de Malika Sorel et de Serap Cileli
Rédaction de Automates Intelligents: Jean-Paul
Baquiast, Christophe Jacquemin 30/09/2010
Il
s'agit de deux européennes qui conduisent un
combat essentiel pour l'émancipation des femmes
musulmanes en Europe et pour éviter le recul
de la démocratie et de la république.
L'émission
d'Arte du 28 septembre 2010, "Femmes, pourquoi
tant de haine?" devrait contribuer à
les faire sortir de l'isolement et les protéger
des faux-procès et menaces physiques. On retiendra
particulièrement le débat où elles
ont confronté leurs expériences et leurs
propositions.
Malika
Sorel est membre du Haut conseil à l'intégration.
Elle a publié un ouvrage très remarqué:
"Le puzzle de l'intégration - les pièces
qui vous manquent" (Mille et une nuits).
Ingénieure de lÉcole polytechnique
dAlger et diplômée d'un troisième
cycle de Sciences-Po, elle a occupé la fonction
dingénieur, puis celle dingénieur
daffaires et de recrutement de cadres dans des
PME appartenant au secteur de la défense et des
télécommunications.
Serap
Cileli s'est fait connaître comme une avocate
infatigable des droits des femmes musulmanes en Allemagne.
Elle a publié plusieurs articles et livre, le
dernier étant intitulé Eure Ehre -
unser Leid .
Son
activité lui a suscité de nombreuses menaces
de morts.
Notre
commentaire
La
chaîne franco-allemande Arte a proposé
le 29 septembre 2010, sous le titre "Femmes,
pourquoi tant de haine?" une émission
qui semble avvoir été très suivie.
Aussi intéressant soit-il, le documentaire
« La Cité du Mâle »
tourné en banlieue française n'était
pas à notre avis le point fort de cette soirée;
mais le débat entre ces deux femmes courageuses
: la française Malika Sorel et l'allemande Serap
Cileli. Celui-ci concernait l'évolution des relations
entre femmes et hommes dans les pays européens.
Le diagnostic est sinistre: loin de s'améliorer,
ces relations se dégradent tous les jours
Beaucoup
ont vu dans ce débat un procès fait à
l'islam et à la place que ses traditions assignent
à la femme. Mais quant on écoute attentivement
Malika Sorel et Serap Cileli, on constate qu'au-delà
de l'islam, et bien après Simone de Beauvoir
qu'elles n'ont évidemment pas citée, elles
mettent en cause la persistance de deux vices fondamentaux
des sociétés européennes.
Il s'agit en premier lieu de la place inférieure
que les hommes, musulmans ou non, assignent aux femmes
en toutes circonstances. Il s'agit ensuite du fait que
la société marchande permet plus que jamais
de gagner beaucoup d'argent par l'exploitation de la
femme, soit concrètement par la prostitution
ou certains emplois salariés, soit symboliquement,
notamment par les raps sexistes et violents dont le
film «Quand le rap dérape»
qui, vu des Etats-Unis, a dressé un portrait
très éclairant.
Nos
lecteurs penseront qu'il s'agit là de questions
de sociétés qui n'ont que peu de rapport
avec la ligne éditoriale de notre site. Pour
nous, il s'agit au contraire d'enjeux fondamentaux,
y compris relevant des sciences humaines et sociales.
Ils doivent intéresser tous les Européens,
quelles que soient leurs opinions politiques, philosophiques
ou religieuses.
A
un moment où, face à la crise, les Etats
européens vont devoir envisager des réformes
profondes, qui pour nous devraient conduire à
un retour vers plus de services publics et plus d'égalité
entre les citoyens, il serait inacceptable qu'ils le
fassent sans résoudre le problème de l'exploitation
des femmes par les hommes, que ce soit au niveau des
«petits mâles» des banlieues, à
l'école ou dans la vie professionnelle et politique.
Les
racines de cette exploitation sont généralement
connues : traditions culturelles, refoulement sexuel
et impuissance à l'échange, reproduction
sociale sous l'influence de certaines mères et
grands-mères, chômage des adultes qui infantilise
ceux-ci ou les pousse à la violence, ségrégation
dont souffrent certains quartiers. Elles ne touchent
pas seulement les banlieues. Elle sont acceptées,
sinon encouragées par les classes dirigeantes,
dont beaucoup d'éléments favorisent, en
Europe comme en Amérique, ce que l'on nomme désormais
une « montée aux extrêmes ».
Elargir
l'approche du problème ne devrait pas cependant
servir d'excuse pour éluder une question fondamentale.
Il s'agit de constater et combattre les arguments que
fournissent les religions, et notamment l'islam, à
ceux qui au fond d'eux-mêmes, par culture ou inhibition,
«haïssent» les femmes et ne rêvent
que de les maintenir dans l'asservissement. Empêcher
d'en parler, sous le fallacieux prétexte, cachant
complicité ou lâcheté, de ne pas
"stigmatiser" les banlieues, constitue de
la part des "élites" la pire des attitudes.
Contrairement
à ce que pensent nombre de citoyens, une religion,
n'existe pas en soi. Elle résulte de l'interprétation
qu'en donnent ses prêtres et ses croyants. Le
catholicisme a longtemps été - il demeure
encore - un alibi pour ce qu'il faut bien nommer les
ennemis de la femme. Aujourd'hui l'islam a très
largement pris le relais. Il est peut-être pour
certain une religion de paix et d'amour. Mais on doit
constater que les ennemis des femmes y trouvent, dans
le monde entier, et pas seulement en Europe, des prétextes
pour ne pas remettre en cause des moeurs ancestrales
faisant de la femme une esclave de l'homme, devant lui
servir de servante toute sa vie, devant parfois être
mise à mort si elle quitte son mari, ou simplement
si celui-ci souhaite changer de femme.
Dans
les sociétés asiatiques, où le
statut de la femme reste encore très inférieur,
d'autres croyances collectives contribuent sans doute
à l'aliénation de la femme. Les infanticides
de nouveaux-nés féminins en Chine à
la suite de la politique de l'enfant unique, les crimes
d'honneur en Inde à l'encontre de celles qui
s'allient en dehors de leur caste, ne sont pas des références
en ce qui concerne les droits de la femme.
En
Europe, à la suite des campagnes féministes
du XXe siècle, on avait cru voir s'affirmer progressivement
ces droits de la femme. Or aujourd'hui on constate un
recul général. Il se manifeste d'abord
dans les groupes sociaux à majorité de
confession musulmane, mais il s'étend à
l'ensemble de la société européenne.
Les jeunes non musulmans y cèdent de plus en
plus, de façon particulièrement morbide.
Si cette tendance s'amplifiait, parallèlement
à d'autres causes entraînant la dégradation
de ce que l'on avait pu nommer la civilisation européenne,
l'Europe retournerait au moyen-âge.
Faut-il
l'accepter ? Et sinon, que faut-il faire ?
Malika Sorel et Serap Cileli ne pensent pas qu'il faille
démissionner. Elles ont le courage de le dire
et de proposer des remèdes. Ne pas les laisser
parler sous prétexte de ne pas fournir des arguments
aux extrême-droites serait la pire des solutions.
La société politique et plus particulièrement
la gauche, au lieu de refuser de les entendre, pour
des raisons principalement électoralistes, c'est-à-dire
sordides, devrait au contraire leur fournir, à
elles et à leurs semblables, tous les appuis
nécessaires.
Comme
l'on bien dit et le prouvent Malika Sorel et Serap Cileli,
le principal remède, consistera dans l'auto-organisation
et l'auto-résistance des femmes et filles elles-mêmes.
Mais peut-on demander à celles qui sont dans
l'oppression jusqu'au cou, de se redresser et se faire
entendre? Il a fallu plus d'un siècle aux prolétaires
européens pour conquérir un début
de droits sociaux et civiques.
Ce
serait, répétons-le, aux mouvements politiques
européens à reprendre le message, notamment
aux partis et syndicats de gauche. A condition que les
femmes y trouvent la place qu'elles n'y ont pas encore.
A condition aussi que, une fois arrivées à
ces places, elles ne deviennent pas subitement muettes,
afin de ne pas déplaire à leurs mentors
masculins.
Pour
en savoir plus
Arte.
L'émission Pourquoi tant de haine? et les vidéos
http://www.arte.tv/fr/3388108.html
Vidéo
du débat http://videos.arte.tv/fr/videos/debat-3440390.html
Vidéo
Quand le rap dérape http://videos.arte.tv/fr/videos/quand_le_rap_derape_-3440386.html
Malika
Sorel son blog http://puzzledelintegration.blogspirit.com/
Malika
Sorel Interview sur Arte http://www.arte.tv/fr/Comprendre-le-monde/Femmes---pourquoi-tant-de-haine-/Entretien-avec-Malika-Sorel-/3396824.html
Serap
Cileli son blog (allemand. Une version en anglais
serait utile)
http://www.serap-cileli.de
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