Economie
politique
Hommage à Maurice Allais:
redonner aux Etats le pouvoir d'émettre de
la monnaie
Jean-Paul Baquiast 13/08//2010
Il
peut paraître curieux de consulter Maurice Allais
sur les remèdes à la crise financière
et économique. Il s'agit en effet d'un scientifique
âgé de presque cent ans, qui de plus,
est pratiquement interdit d'expression, au moins en
France, bien qu'il soit le seul prix Nobel français
d'économie. Mais précisément
cet ostracisme doit nous conduire à nous interroger
en profondeur.
Certes
Maurice Allais n'a jamais flirté avec la gauche.
Mais cela ne suffit pas pour que les droites actuellement
au pouvoir lui pardonnent. le fait que ses travaux
récents permettent de diagnostiquer les raisons
des crises économiques contemporaines bien
mieux que ne le font ceux des économistes au
service du néo-libéralisme. En
rupture avec un passé d'économiste libéral
convaincu, admirateur des Etats-Unis, Maurice Allais
attribue désormais ces crises à la libéralisation
des échanges internationaux imposée
par la finance américaine à l'occasion
de la mondialisation. La finance américaine
ou plus exactement anglo-saxonne, associée
à l'Etat fédéral américain,
a réussi selon lui depuis une trentaine d'années
à dominer le monde entier en faisant sauter
les barrières protectrices que pouvaient se
donner les Etats et les économies plus faibles.
Maurice Allais propose donc aux pays dominés,
pour sortir de ce piège, un retour à
des économies régulées par les
puissances publiques et mettant en oeuvre un protectionnisme
raisonné. L'Europe devrait donc, selon lui,
être la première à s'engager dans
cette voie, la seule capable de restaurer sa puissance.
Autrement dit, ces propositions rejoignent dans l'ensemble
les nôtres, telles qu'elles sont formulées
sur le présent site. Il n'est pas étonnant
qu'elles suscitent une véritable haine des
milieux conservateurs et atlantistes.
Les
liens que nous fournissons en fin d'article permettent
aux lecteurs d'aller directement aux sources récentes
de la pensée de Maurice Allais. Nous nous bornerons
ici à résumer très rapidement,
en employant nos propres termes et en simplifiant
outrageusement le propos, ses observations concernant
la façon dont la finance internationale principalement
anglo-saxonne (les marchés...), dont la finance
chinoise n'est encore qu'une pâle imitation,
manipule la monnaie et le crédit pour tenter
de dominer le monde.
La
monnaie
Comment
définir la monnaie? Il s'agit d'un symbole
sans valeur intrinsèque représentant
le prix attribué d'un commun accord par les
agents économiques, producteurs et consommateurs,
aux biens et services. Cet accord résulte,
lorsque les prix ne sont pas fixés autoritairement,
de la confrontation sur un marché d'un producteur
et d'un acheteur. Je produit 1kg de navets, je lui
attribue une valeur de 1 dans le système monétaire
en cours, soit 1 euro si je me situe dans le cadre
de la monnaie européenne. Si je trouve des
acheteurs à 1 euro et à moins d'1 euro,
mais aucun acheteur au dessus de 1 euro, j'en déduirai
que la valeur du navet, ici et maintenant, se situe
à 1 euro le kg au plus. Tous les biens et services
peuvent ainsi être répartis, en fonction
des prix moyens selon lesquels ils sont vendus et
achetés, sur une échelle des valeurs
économiques. Si, en vendant mes navets, j'obtiens
un gain total de 50 euros, je pourrai utiliser cette
somme, mes coûts de production déduits
(soit par exemple 40 euros), à l'achat des
produits et services dont j'ai besoin, le tout pour
un montant de 10 euros.
Supposons
maintenant qu'un faux monnayeur fabrique des billets
en euros. Ceux-ci ne correspondent à aucune
valeur effectivement produite. Ils permettent néanmoins
d'acheter des biens et services correspondant à
leur montant, tant du moins que la fausseté
des billets n'est pas détectée. Un faux
monnayeur ayant fabriqué un faux billet de
50 euros, pourra s'acheter 50 kg de navets. Son seul
effort aura consisté à produire ce faux
billet. Les particuliers qui font de la fausse monnaie
ont toujours été sévèrement
punis. Mais deux grandes catégories d'acteurs
ont traditionnellement le droit de faire de la fausse
monnaie sans contrevenir à la loi. On ne dit
pas en fait qu'il font de la fausse monnaie mais qu'ils
créent de la monnaie. Ils sont autorisés
et même encouragés à le faire
dans certaines limites, parce que cette création
de monnaie incitent les producteurs à produire
et les acheteurs à acheter, c'est-à-dire
à créer des valeurs économiques
et de la croissance. Mais parfois ils créent
de la monnaie au delà des possibilités
d'absorption de l'économie. En ce cas, ils
génèrent des crises. Ces acteurs sont
les banques et les Etats.
La
monnaie de banque
On
appelle monnaie de banque la monnaie créée
par les banques. Celles-ci n'impriment pas de billets,
mais elles prêtent de l'argent à des
clients qui en sont momentanément dépourvus,
en approvisionnant leurs comptes, ce qui revient presqu'au
même. Les banques exercent deux grands métiers,
sans lesquels la vie économique ne serait pas
possible. Si à force de vendre des navets,
j'ai réalisé un profit de 500 euros,
au lieu de conserver cet argent chez moi, dans un
bas de laine, au risque de me le faire voler, je pourrai
le déposer dans une banque qui le conservera
pour moi, moyennant un certain loyer. Je pourrai en
principe à tous moments retirer cet argent
de la banque. On dira que j'ai procédé
à un dépôt. La banque exercera
en ce cas un premier métier, celui d'une banque
de dépôt.
A
partir de ces dépôts, la banque peut
exercer un second métier, celui de prêteur.
Si 100 producteurs de fruits et légumes déposent
à la banque une somme équivalente à
la mienne, cette banque se trouvera détentrice
d'un dépôt global de 500x100, soit 50.000
euros. Les banques ont depuis longtemps découvert
qu'elles pouvaient prélever sur cette somme,
dite aussi fonds propres bancaires, de quoi consentir
des prêts à leurs clients, tant du moins
que le montant de ceux-ci ne dépassera pas
un certain pourcentage du fonds total de 50.000 euros.
En effet, hors des périodes de crise de confiance,
tous ceux qui ont déposé des épargnes
ne les retireront pas en même temps. Certains
déposants reprendront leurs épargnes
mais parallèlement les bénéficiaires
des prêts finiront par les rembourser. La banque
peut donc prêter un certain montant des dépôts
dont elle dispose. Les emprunteurs peuvent emprunter
pour consommer. Avec les économies rapportées
par la vente de mes navets, je pourrai acheter de
la viande. Mais si j'exerce une activité productive,
je pourrai aussi emprunter pour investir, en anticipant
sur les bénéfices de production à
venir. Dans mon cas, en tant que producteur de navet,
je pourrai acheter une brouette ou mieux une nouvelle
parcelle de terre maraichère grâce à
quoi je produirai encore plus de navets dont la vente
me permettra de rembourser le prêt. On voit
qu'exercé avec prudence, ce second métier
du banquier, consistant à consentir des prêts,
est favorable à l'économie et plus particulièrement
à l'investissement.
Nous
avons vu que, pour assurer son équilibre d'exploitation,
la banque parie sur le fait que le montant des retraits
sur fonds propre (le montant des dépôts)
sera toujours équilibré par le remboursement
des prêts consentis à partir de ces mêmes
fonds propres. Mais il s'agit d'un pari. Le second
métier de la banque, consistant à consentir
des prêts, est donc plus risqué que celui
de gérer des dépôts, car certains
emprunteurs peuvent ne pas rembourser. Pour l'exercer
sans risque, la banque doit s'assurer que les emprunteurs
seront solvables, c'est-à-dire capables de
rembourser le prêt dans les conditions prévues
au contrat. C'est toute la subtilité du métier
de banquier, justifiant les redevances qui lui sont
versées par leurs clients. Dans ce mécanisme,
la banque crée de la monnaie, dite monnaie
de banque, mais il ne s'agit pas de fausse monnaie
au sens propre du terme. Finalement en effet, nous
l'avons vu, la monnaie créée est remboursée
par les valeurs produites, soit en ce qui me concerne
les nouvelles quantités de navets que j'aurai
produites et vendues sur le marché.
Mais
les banques ont depuis longtemps aussi découvert
qu'elles pouvaient spéculer, c'est-à-dire
courir de gros risques pour gagner beaucoup, en espérant
que la malchance, ou d'autres facteurs, ne les pénaliseront
pas. Il s'agit là d'un troisième métier,
bien plus aventureux. Il s'apparente en fait au jeu
de loterie. N'y gagnent à long terme que ceux
ayant les reins solides, selon l'expression. Si les
banques s'arrangent pour se regrouper au plan international
et surtout nous allons voir comment
pour faire supporter les risques à d'autres,
ce métier est aussi bien plus profitable. Ceci
explique qu'aujourd'hui toutes les banques spéculent,
à plus ou moins grande échelle.
Deux
processus basiques sont utilisés pour cela.
Le premier consiste à prêter de l'argent
à des individus, des entreprises ou des gouvernements
voulant consommer ou même investir, aujourd'hui
incapables de rembourser ces prêts, mais dont
la banque espère qu'à terme ils pourront
le faire, si les conditions du marché sont
« porteuses ». Si le cours du navet ne
cesse d'augmenter, la banque me prêtera de quoi
acheter de nouvelles parcelles que je consacrerai
à la production de navets, même si aujourd'hui
je ne suis pas capable de rembourser ce prêt.
Elle fait le pari qu'à terme, ayant vendu mes
nouveaux navets, je pourrai régler ma dette.
Si beaucoup de banques prêtent à beaucoup
de producteurs de navets, il arrivera cependant un
temps où le cours du navet cessera de monter
et s'effondrera. Les banques auront créée
une bulle sur le navet, dont l'implosion provoquera,
outre la ruine des producteurs de navets trop engagés,
celle (éventuelle) des banques ayant consenti
des prêts au delà des capacités
de remboursement de leurs clients, sans se prémunir
contre les risques d'effondrement.
Un
second processus spéculatif consiste à
spéculer sur les cours des marchandises. Si
le navet fait l'objet d'une forte demande mondiale,
il pourra être avantageux d'en acheter aujourd'hui
au cours de 1 euro le kg, en espérant le revendre
dans un mois au cours de 1,50 euro. Les banques, comme
tous les particuliers, sont tentées d'utiliser
leurs fonds propres pour de telles spéculations.
En achetant des navets, elles en font monter le cours,
ce qui incitent de nouveaux producteurs à se
spécialiser dans le navet. Tant que la demande,
et donc le cours du navet se maintiennent, la spéculation
est profitable. Mais ce n'est plus le cas lorsque
pour une raison ou une autre , le cours du navet s'effondre.
La banque est alors en difficulté. Qui dit
difficulté pour la banque dit en premier lieu
difficulté pour les déposants qui ne
pourront plus se faire rembourser leurs dépôts.
Une crise économique générale
pourra en résulter.
On
voit donc que les activités spéculatives,
propre au troisième métier du secteur
bancaire, sont à haut risque. C'est la raison
pour laquelle elles avaient été réservées
à des banques spécialisées dites
banques d'affaires. Ne s'adressaient à elles
que des clients acceptant eux aussi de spéculer,
c'est-à-dire de tenter de gagner gros en acceptant
de tout perdre. Aujourd'hui, cette distinction entre
banques de dépôt, banques de crédit
et banques d'affaires est devenue floue. Les banques
ne se limitent plus à utiliser les dépôts
des épargnants pour financer les emprunts de
clients sérieux désirant investir en
vue de produire. Elles ont pris l'habitude de spéculer
sur les produits et les valeurs financières
(les marchés d'actions) par l'intermédiaire
de salles de marchés qui leur apportent aujourd'hui
l'essentiel de leurs revenus.
Mais
dira-t-on, si la spéculation est si risquée,
si statistiquement les banques sont quasiment assurées
d'y faire faillite, pourquoi s'y risquent-elles avec
une ardeur toujours renouvelée, la crise passée
? C'est parce que les banques, avec l'appui de certains
Etats (nous allons y revenir) ont trouvé moyen
de faire supporter à l'économie en général,
consommateurs, producteurs, épargnants, le
coût de leurs spéculations avortées.
Le pouvoir financier, celui des banques et des actionnaires,
a réussi à convaincre les opinions mondiales
que la faillite des grandes banques modernes générerait
une crise pire que celle de 1929. Les Etats, aujourd'hui
très proches du pouvoir financier , comme nous
allons le voir, interviennent donc pour payer les
dettes des banques menacées de faillite, en
faisant appel à leurs propres ressources budgétaires,
elles-mêmes fournies par les contribuables.
Les banques remises à flot peuvent alors recommencer
à spéculer.
Pour
conclure provisoirement sur la monnaie de banque,
on voit que celle-ci est désormais à
la source de la plupart des activités économiques,
qu'il s'agisse de l'économie réelle
(produire et vendre des biens et services) ou de l'économie
virtuelle (manipuler des fonds spéculatifs,
pouvant aussi bien générer des bulles
que des crashs). Le pouvoir économique et politique
des banques est ainsi devenu considérable.
Quelques rares superpuissances étatiques, dont
les Etats-Unis sont les représentants le plus
emblématique, ont donc conclu avec le pouvoir
financier des banques (Wall Street et la City de Londres)
des accords explicites et implicites pour dominer
le monde.Dans ce mariage, les Etats qui jouent ce
jeu apportent aux banques la puissance économique
et politique qu'ils détenaient depuis des siècles
grâce au pouvoir d'émettre de la monnaie
régalienne.
La monnaie régalienne
Avant
l'invention des banques qui se sont généralisée
en Europe à la Renaissance, seuls les souverains,
autrement dit les Etats, disposaient du droit d'émettre
des moyens de paiements susceptibles de servir d'unité
commune d'évaluation des biens et services
en circulation dans la société. On emploie
le terme de monnaie régalienne pour désigner
une monnaie associé au pouvoir royal, devenu
aujourd'hui pouvoir d'Etat. Les souverains, dès
l'apparition des grands Etats, n'ont jamais voulu
de bon coeur déléguer à d'autres
ce moyen essentiel de souveraineté, permettant
d'acheter et faire produire les biens et services
dont ils avaient besoin. Même lorsque les moyens
de paiement associés à la monnaie régalienne
prenaient la forme de jetons de métaux précieux,
ils ne constituaient pas en eux-mêmes une valeur
économique. C'était l'usage qu'en faisaient
les Etats qui fondaient leur valeur. Le privilège
de « battre monnaie » selon l'expression
consacrée, permettait aux Etats d'obtenir les
moyens de financer leurs dépenses, militaires
et civiles. Beaucoup de ces dépenses étaient
somptuaires, c'est-à-dire correspondaient à
la consommation des personnes et groupes proches du
pouvoir. Mais beaucoup permettaient de financer des
investissements productifs à long terme, telles
que des dépenses d'infrastructures, routes
ou ports ou des expéditions destinées
à conquérir des pays supposés
riches en ressources. En fait, sans ces investissements
publics à long terme, peu rentables dans l'immédiat,
les territoires des pays développés
n'auraient pas acquis leur visage actuel.
Il
y avait donc création de monnaie mais, dans
les Etats bien gérés, les dépenses
des Etats, dites elles aussi régaliennes, étaient
compensées par des ressources elles-mêmes
régaliennes, impôts et taxes pour l'essentiel.
Le système global était donc équilibré
voire bénéficiaire quand le revenu des
investissement publics dépassait le montant
des dépenses publiques. Il arrivait cependant
le plus souvent que les Etats se trouvassent en déficit,
s'étant engagés dans des dépenses
dépassant le montant des recettes résultant
des contributions obligatoires. Ces déficits
budgétaires, selon le terme consacré,
n'étaient pas toujours le résultat de
leur mauvaise gestion. Ils provenaient du fait que
les responsabilités publiques assumées
par les Etats les mettaient en difficulté,
notamment en période de famines, épidémies,
guerres.
Les
Etats en déficit ont vite compris qu'ils pouvaient
emprunter les sommes nécessaires à la
couverture de leurs déficits budgétaires.
La façon la plus facile pour eux consistait
à créer de la monnaie, au sens propre
du terme. Les Etats utilisaient pour ce faire leur
pouvoir régalien de battre monnaie. Du temps
de l'étalon or, ils émettaient des pièces
dont la teneur en or était appauvri. Puis ce
furent des monnaies papier, par exemple les assignats
sous la Révolution française. Aujourd'hui,
ils pourraient créer de la monnaie, par l'intermédiaire
de la banque centrale intervenant dans sa fonction
d'Institut d'émission. Cette monnaie, redistribuée
par l'intermédiaire des dépenses publiques,
peut inciter les agents économiques à
investir et créer ainsi de l'activité
économique. Mais si les émissions dépassent
les capacités de l'économie dans son
ensemble à les utiliser au profit d'investissements
productifs, elles génèrent de l'inflation.
Il s'agit d'une inflation dite inflation par la demande.
Il y a plus d'acheteurs qu'il n'y a de biens disponibles.
Les prix montent en conséquence. Ceux qui financent
en dernier ressort les dépenses publiques inflationnistes
sont ceux qui ne disposent pas de capacités
de production, mais seulement de revenus fixes, non
indexés sur l'indice des prix. Les Etats européens,
dans la première moitié du 20e siècle,
ont tellement abusé de la création de
monnaie qu'ils ont provoqué des crises inflationnistes
de grande ampleur, dont le régime nazi en Allemagne
avait profité pour s'installer.
Il
en est résulté que les opinions publiques
ont fortement combattu, après la seconde guerre
mondiale, la légitimité des Etats à
créer directement de la monnaie. Ces derniers
ont ainsi perdu un privilège essentiel, celui
de financer le secteur public et les investissements
productifs à long terme qui en sont la marque,
sans avoir à se soumettre aux exigences du
pouvoir financier. Or le pouvoir financier déteste
de tels investissements, qui ne lui rapportent rien
à court terme. Pour couvrir leurs déficits
budgétaires, les Etats renonçant progressivement
à créer de la monnaie ont du se contenter
d'une vieille solution dont pourtant au cours de l'histoire
ils avaient appris à se méfier, emprunter
comme le font les entreprises en s'adressant aux banques.
Ce n'est pas que les banques et les divers fonds spéculatifs
dont elles sont les intermédiaires, refusent
de prêter aux Etats, dont la solvabilité
à terme peut rarement être suspectée.
Mais, s'adressant à ainsi aux « marchés
», les Etats leur donnent le pouvoir d'imposer
les modèles sociétaux définis
par le pouvoir financier et l'idéologie libérale
inspirée par lui. Ces modèles peuvent
paraître anodins ou de simple bon sens, mais
en réalité ils engagent des choix géopolitiques
de grande ampleur, dont les risques et les impasses
se découvrent tous les jours aujourd'hui.
Monnaie
de banque et monnaie régalienne
Dans
un système économique mondial à
peu près en équilibre, qui n'existe
en fait que sur le papier, la création de monnaie
par les banques et la création de monnaie par
les Etats se conjuguent pour assurer un développement
à peu près harmonieux. Les banques financent
les dépenses et les investissements de court
terme, intéressant en priorité les particuliers.
C'est ainsi que, comme producteur de navets, je peux
obtenir des crédits de ma banque me permettant
d'assurer la soudure ou de procéder à
l'acquisition de nouveaux terrains maraichers. De
son côté, l'Etat finance, en contrepartie
des impôts que je lui verse, toutes les dépenses
sociales, d'éducation et d'infrastructures
qui relèvent de ses attributions régaliennes,
considérées comme ne devant pas relever
de l'initiative privée car devant échapper
à la recherche du profit à court terme
qui est le moteur essentiel des investisseurs privés.
Je dispose ainsi de transports en commun, d'hôpitaux,
d'écoles et autres prestations que l'entreprise
privée est incapable de fournir à tous
les citoyens indépendamment de leur niveau
de revenu. On avait après la seconde guerre
mondiale, en Europe qui l'avait vu naître et
se perfectionner, qualifié un tel système
économique d'économie mixte: au privé,
à la concurrence et au libéralisme les
activités de court terme pouvant engendrer
aussi bien de forts profits spéculatifs que
des crashs ; au public, c'est-à-dire à
l'Etat, les activités de long terme, répondant
aux besoins essentiels, régulées par
des textes protecteurs et échappant de fait
à la concurrence exercé par un secteur
privé à la recherche de profit.
Pourquoi
un tel équilibre entre public et privé,
à peine esquissé, s'est-il effondré,
que ce soit en Europe ou dans le tiers-monde? Parce
que, profitant de la mondialisation qui faisait disparaître
les frontières protectrices, profitant aussi
il faut le dire des erreurs et de la corruption qui
ravageaient les Etats, les intérêts financiers
ont décidé de ne pas rester au second
plan, mais d'assurer partout la gouvernance. Cela
leur a d'abord permis de mettre directement la main
sur les secteurs économiques hautement rentables,
dans les domaines de l'énergie, des mines,
de l'agriculture et de l'industrie. Ceci en ne tenant
aucun compte des réglementations et normes
que pouvaient avoir édicté les Etats
pour protéger l'intérêt général.
Mais ils ont aussi pris en mains leur propre gouvernance,
au lieu de la laisser sous la responsabilité
des administrations publiques régulant jusqu'ici
la bourse, la banque et les activités des fonds
spéculatifs. L'objectif a été
de rendre possibles des profits financiers sans commune
mesure avec les humbles bénéfices tirés
des investissements dans l'économie réelle.
Ces profits, analogues à ceux procurés
par le fait de tirer un gros lot à la loterie,
ont été permis par le fait, signalé
précédemment, que les banques ont réussi
à faire admettre que c'était aux budgets
publics, c'est-à-dire finalement aux contribuables,
de prendre en charge les déficits, fussent-ils
abyssaux, résultant de leurs erreurs et détournements
volontaires.
L'attrait
des possibilités de gains spéculatifs
mises à la portée de tout un chacun
a été tel que les épargnants
et investisseurs de l'économie réelle
se sont détournés des circuits d'épargne
et de financement jusque là offerts par la
banque traditionnelle. En tant que producteur de navets,
j'ai perdu l'envie de placer mes épargnes dans
un compte ne m'offrant qu'un intérêt
de 0,5%. J'ai eu envie d'acquérir les mirifiques
titres spéculatifs me promettant un intérêt
de 15% en deux ans. Plus gravement pour l'avenir de
l'économie réelle, j'ai renoncé
à poursuivre l'exploitation du navet et à
investir dans ce secteur. J'ai vendu mes terres et
acheté des titres spéculatifs à
la place. Tant pis pour les consommateurs de navets
qui comptaient sur moi et mes semblables pour les
approvisionner. Bien évidemment, mes espoirs
ont fondu dans la crise et je me retrouve aujourd'hui
chômeur sans droits. Les navets chinois, produits
et transportés à des prix de misère,
ont remplacé les miens sur les marchés,
mais pendant combien de temps, avec la crise, me sera-t-il
encore possible de les acheter pour ma consommation
personnelle. Qui ne produit rien ne peut rien se procurer,
fut-ce des navets.
Aujourd'hui,
la crise menace les pays ayant renoncé, sous
la pression de la concurrence et du libre échange
imposés par les pouvoirs financiers mondiaux,
à se doter d'activités productives autonomes.
En train de perdre leur agriculture, leur industrie,
leurs services, leurs technosciences, ils n'auront
même plus les moyens de se procurer les produits
correspondants importés des pays émergents.
Certains de leurs gouvernants ont compris qu'il fallait
réagir et réinvestir à grande
échelle, tout en protégeant de la concurrence
les nouveaux investissements. Mais avec quels capitaux
réinvestir? Ce ne sont pas les spéculateurs
qui vont perdre leur temps et leur argent à
financer des prêts à 10 ou 15 ans. Les
Etats pourraient le faire, en créant de la
monnaie selon le schéma précédemment
exposé. Mais les intérêts financiers
ont prévu le coup. Aujourd'hui, notamment en
Europe, les Etats sont juridiquement contraints de
ne pas dépasser un certain niveau de déficit
budgétaire et d'excédent de la dépense
nationale sur le revenu national. Par ailleurs la
Banque centrale européenne qui pourrait couvrir
les endettements des Etats en rachetant les titres
de leur dette se voit interdire de le faire. Tout
est donc prévu pour que le système économique
et social actuel puisse s'effondrer, sans que les
Etats dont la mission prioritaire est de le protéger
soient autorisés à le faire. Pour sauver
la Grèce, ils ont du faire ainsi appel aux
marchés. Mais qui tirera profit finalement
de cet effondrement?
Des
solutions existent
Il
y aurait des solutions politiques pour que les Etats
puissent reprendre la main. La première, appliquée
non sans mal d'ailleurs aujourd'hui par l'Amérique
et la Chine, consiste à devenir une superpuissance
assez grosse et assez forte militairement pour que
nul ne discute sa volonté d'hégémonie.
Dans ce cas, les financements internationaux affluent
afin de financer ses investissements. Mais l'Europe
ne prend pas le chemin de la puissance, au moins sous
cette forme.
Il
lui resterait la solution proposée par Maurice
Allais et ceux qui partagent son point de vue. Deux
mesures devraient être appliquées simultanément
pour redonner à l'Etat et aux élus le
pouvoir monétaire, ceci que ce soit au niveau
de l'Union européenne ou à celui des
Etats membres :
-
Autoriser la banque centrale à faire de la
création monétaire par simple jeu d'écriture
au profit du Trésor Public,
- Augmenter le taux de réserves obligatoires
jusqu'à 100 %. Ceci revient à interdire
la création de monnaie de banques par les banques.
Celles-ci deviendraient de simples intermédiaires
entre la Banque Centrale et les agents économiques,
ne réalisant de profits qu'en fonction des
services rendus à la société.
Notre
article, nous l'avons dit, simplifie outrageusement,
et la pensée de Maurice Allais, et la réalité.
D'innombrables autres mesures d'accompagnement seraient
nécessaires, notamment pour désarmer
l'hostilité des superpuissances et des intérêts
financiers internationaux qui font jeu commun avec
elles. Mais le principe de la démarche est
simple. Nous espérons que les lecteurs de cet
article l'auront compris.
Inutile
d'ajouter qu'aujourd'hui encore, malgré la
crise, les esprits sérieux considèrent
que les réformes envisagées ici in fine
relèvent de la science-fiction
Références
Maurice Allais http://fr.wikipedia.org/wiki/Maurice_Allais
Un livre de Maurice Allais. Le diagnostic: contre
le néolibéralisme et pour un protectionnisme
raisonné http://etienne.chouard.free.fr/Europe/messages_recus/La_crise_mondiale_d_aujourd_hui_Maurice_Allais_1998.htm
Voir aussi Lettre ouverte aux français http://etienne.chouard.free.fr/Europe/forum/index.php?2009/12/09/104-maurice-allais-lettre-ouverte-aux-francais-contre-les-tabous-indiscutes
Voir aussi http://www.annuel-idees.fr/Maurice-Allais-flingue-le-neo.html
L'hostilité des libéraux. Voir
http://fr.liberpedia.org/Maurice_Allais
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