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Editorial
Peut-on
aujourd'hui discuter sérieusement de la biologie
synthétique ?
par
Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin
07/07/2010
|
S'il
est un sujet de recherche qui mériterait d'être
discuté par les citoyens d'une démocratie
digne de ce nom, c'est bien celui de la biologie synthétique,
dite aussi en abrégé synbio. On sait que le
sujet est aujourd'hui particulièrement à l'ordre
du jour, à la suite des annonces faites le mois dernier
par Craig Venter et son équipe, selon lesquelles
ils avaient réussi pour la première fois dans
l'histoire de la vie la création d'une bactérie
viable composée d'éléments empruntés
à d'autres bactéries, des morceaux d'ADN d'une
part, une cellule énuclée d'autre part. Dans
l'article que nous avons consacré à cette
annonce 1), nous avions indiqué, en accord en cela
avec la majorité des biologistes, que si Craig Venter
n'avait pas encore franchi un pas décisif dans la
création de formes de vie artificielle, dont beaucoup
des mécanismes restent à découvrir,
il avait cependant mis au point des pratiques de laboratoires
qui ne manqueront pas d'inspirer de nouvelles expériences
puis la réalisation industrielle de nouveaux produits
biologiques.
Ceci
n'a d'ailleurs pas tardé puisque ces derniers jours
The Venter Institute a présenté Synthia, ou
Syn for friends. Il s'agit par ce nom de désigner
de ce que Venter appelle la première forme de vie
crées par l'homme. Or il semble bien que l'Institut
soit engagé dans une procédure de prise de
brevet au niveau mondial. Il en résulterait que nul
ne pourrait légalement utiliser la plateforme ainsi
réalisée, ni sans doute procéder à
des opérations analogues en reprenant les techniques
de l 'Institut. Le brevet cherchera peut être
même à interdire toute expérience nouvelle
de synthèse de la vie, sauf évidemment à
verser des royalties à l'Institut. Venter va-t-il
devenir le Biosoft (pour ne pas dire le Microsoft) de la
biologie?
D'ores
et déjà, cette perspective suscite une certaine
opposition de la part de nombreux organismes. On peut citer
l'ETCgroup 2). On lira sur son site (http://www.etcgroup.org/en/node/5143)
le texte qu'il a publié dès mai dernier pour
mettre en garde contre les dangers présentés
par ce qu'il nomme la « boite de Pandore »
ouverte par le Venter Institute. Certains contesteront la
légitimité de l'ETC à se prononcer
sur cette question. Il serait évidemment souhaitable
que la question soit discutée bien plus largement,
en associant non seulement les représentants des
intérêts directement concernés, mais
les scientifiques, les hommes politiques et les citoyens.
Ceci
dit, les esprits réalistes s'interrogeront sur la
possibilité de mettre en place sur cette question
comme sur d'autres (les OGM, les nanotechnologies, le nucléaire)
de véritables forums citoyens. On sait que le philosophe
français Bruno Latour a toujours souhaité
faire entrer les sciences dans le débat démocratique
(voir notre article de 2002 http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2002/sep/latour.html
), mais on ne peut pas dire que les expériences
faites jusqu'ici aient été concluantes, que
ce soit en France ou ailleurs.
En Grande
Bretagne, Tom Wakeford et Jackie Haq, membres du Policy
Ethics and Life Science Research Centre de Newcastle (http://www.ncl.ac.uk/peals/)
soulignent dans un article du NewScientist (26 juin 2010
p. 26) les difficultés de la démarche. Ils
sont conscient que les promoteurs de la biologie synthétique,
et plus précisément de Synthia, feront valoir
les avantages considérables pouvant être obtenus
de leur démarche: créer de nouvelles variétés
permettant de lutter contre la faim dans le monde ou produire
des biocarburants, notamment. Mais ils rappellent que c'étaient
exactement les mêmes arguments qu'avaient avancés
les industriels promoteurs d'OGM, notamment Monsanto. Or
l'expérience a montré que ces nobles ambitions
cachaient en fait la volonté de monopoliser la production
et la vente de nouvelles espèces, dont les résultats
à long terme, en matière notamment de biodiversité
et même d'efficacité (en termes par exemple
de lutte contre les parasites), se révèlent
aujourd'hui plus que douteux.
Le Synthetic Biology Dialogue
Il se
trouve que Tom Wakeford et Jackie Haq ont participé
en 2009 à une première expérience pilote
de dialogue-citoyen organisé par l'UK Biotechnology
and Biological Sciences Research Council (BBSRC) et l'Engineering
and Physical Sciences Research Council (EPSRC). Ce dialogue,
intitulé Synthetic Biology Dialogue, vise
à faire discuter les perspectives et les risques
de la biologie synthétique dont d'ailleurs
les projets de Craig Venter ne sont qu'un aspect parmi d'autres.
Dans cette expérience-pilote de 2009, il s'agissait
de confronter des scientifiques et des panels de personnes
tirées au sort représentant le public. Or
Wakeford et Haq ont relevé de nombreux points critiquables.
D'abord, les deux Conseils ont décidé que
dans un premier temps, les débats ne seraient ni
publics ni publiés. Ceci pour éviter que les
séances ne fassent émerger des « propos
non-scientifiques » provenant d'intervenants
présentés comme « mal-informées ».
L'expérience
de précédents débats sur l'autisme
et sur les dangers de certains vaccins administrés
aux enfants avait il est vrai montré que pouvaient
s'y exprimer des militants de l' « anti-science »
avec qui le dialogue « devient vite impossible ».
A l'inverse, en matière d'OGM et d'ESB (vache folle),
les débats publics avaient en leur temps mis en évidence
le fait que les experts défendant un point de vue
scientifique officiel se trompaient, volontairement ou non,
en minimisant les risques.
En 2005, à l'initiative de trois Conseils de recherche,
du gouvernement et de Greenpeace, la question des nanotechnologies
fut examinée dans le cadre d'un grand débat
participatif intitulé « Nanojury ».
Des inquiétudes concernant la nocivité éventuelle
des nanoparticules furent évoquées. Mais elles
n'eurent pas de suite, aucune des mesures réglementaires
évoquées pour protéger le public ne
fut décidée. Les multinationales du secteur
ont continué à exposer les citoyens à
des risques qu'il n'est même pas possible d'évaluer.
On sait qu'en France, les discussions des comités
d'évaluation portant sur les nanotechnologies ont
également tourné court, partisans et opposants
ne réussissant pas à s'entendre et s'accusant
les uns les autres de diverses turpitudes.
Il ne
faudrait donc pas renouveler de telles expériences
à l'occasion du Synthetic Biology Dialogue
qui vient d'être lancé officiellement en vraie
grandeur en Grande Bretagne. Les objectifs en sont exposés
dans un texte publié à l'initiative du BBSRC
3). Mais d'ores et déjà on a pu constater
qu'un communiqué de presse avait affirmé sans
preuves que les participants étaient favorables à
de tels développements, sous réserve de réglementations
adéquates. Ceci n'apparait pas évident. En
fait, certains participants ont fait valoir que dès
le départ, le point essentiel concernant le rôle
que jouera le Big Business dans les recherches et applications
de la biologie synthétique n'a pas été
abordé.
On sait
qu'aux Etats-Unis, les deux géants pétroliers
BP et Exxon ont pris des participations importantes dans
Synthia, apparemment pour étendre plutôt que
réduire le recours aux carburants fossiles. Par ailleurs,
l'essentiel des recherches en synbio sont financées
par des entreprises privées qui se protègent
par le secret commercial. On risque donc de voir les thèmes
de discussions sévèrement triés et
contrôlés. Les entreprises de Craig Venter
et de ses émules, visant notamment à breveter
le synbio et l'imposer à tous, comme Monsanto tente
de le faire depuis des années avec les semences génétiquement
modifiées, se verront donc offrir des boulevards
contre lesquels l'opinion ne pourra rien.
Dans
un monde idéal, on pourrait espérer que des
organismes publics indépendants de toutes pressions
commerciales pourraient investir dans ces recherches et
en discuter les résultats avec tous, y compris les
populations des pays pauvres qui risquent autrement de se
faire imposer des solutions accroissant encore leur dépendance
au corporate power. Mais on sait malheureusement qu'il n'en
est rien. Les soucis qu'expriment dans l'article du NewScientist
Tom Wakeford et Jackie Haq nous confirment dans notre propre
diagnostic. Les gouvernements issus de la corporatocratie
n'ont qu'un objectif: réduire sans cesse l'autonomie
et les moyens des laboratoires publics. On ne voit pas très
bien comment les citoyens qui voudraient échapper
au conditionnement imposé par les corporatocrates
pourraient le faire, sauf à se manifester en ordre
dispersé et avec des arguments mal étudiés
que les pouvoirs se feront un plaisir de rejeter.
C'est
aujourd'hui et dans le monde entier toutes les sciences
susceptibles d'avoir des applications technologiques commercialisables
qui se trouvent soumises au même défi.
Notes
1) Les "Chimères" de Craig Venter http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2010/107/venter.htm
2) L'ETCgroup (http://www.etcgroup.org/en/about)
est une ONG internationale prenant en charge « la
conservation et le développement soutenable de la
diversité culturelle et biologique ainsi que des
droits de l'homme »
3) Voir http://www.bbsrc.ac.uk/society/dialogue/activities/synthetic-biology/synthetic-biology-dialogue.aspx