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Article
Les "chimères"
de Craig Venter
par
Jean-Paul Baquiast 02/07/2010
|

Revenons ici, quelques semaines après l'annonce de
Craig Venter, sur la portée de l'exploit indéniable
réalisé par ses équipes. On pourra
se reporter, pour les détails de l'opération,
à notre brève d'actualité du 28/05/2010
que nous ne reprendrons pas ici.
( http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2010/106/actualite.htm#actu2
)
Craig
Venter, toujours emphatique, avait annoncé qu'il
avait « réalisé la première
espèce capable de se reproduire sur la planète
qui ait pour parent un ordinateur ». Il voulait
dire sans doute que ce fut avec l'aide de l'informatique
qu'il avait séquencé les génomes des
bactéries utilisées pour l'expérience
et construit par assemblage un génome bactérien
entièrement synthétique en collant des séquences
dADN synthétisées bout à bout.
Mais cette formulation pouvait prêter à confusion,
laissant penser que la nouvelle bactérie résultait
d'une démarche entièrement informatique, l'ordinateur
pouvant désormais créer de la vie en s'éloignant
des processus biologiques naturels.
Il n'est pas inutile donc de préciser la portée
actuelle exacte de la réalisation au demeurant très
remarquable de Craig Venter. Il a indéniablement
créé, ou plus exactement construit, un organisme
bactérien qui n'existait pas jusqu'à présent
dans la nature. Mais il s'est borné à ce stade
à assembler différemment des composants biologiques
existants. On pourrait comparer l'opération à
celle qu'aurait réalisé un mécanicien
en construisant à partir de pièces détachées
un nouveau moteur de voiture et en le montant sur le châssis
d'un autre véhicule débarrassé de son
moteur d'origine. Si la nouvelle voiture, dite de synthèse,
avait pu se mettre à rouler normalement, le mécanicien
aurait été très content de lui.
Si
nous voulions rester dans le domaine du vivant, nous pourrions
imaginer qu'un chercheur retire le cerveau d'un chien, réalise
par ailleurs un cerveau artificiel composé de morceux
de cerveaux de chats, rats et autres animaux puis le réimplante
dans le crâne du chien initial. Si celui-ci survivait
et se comportait, non comme le chien mais comme un animal
de synthèse viable, l'auteur de l'expérience
serait en droit d'attendre le Nobel. NB.: Inutile de
préciser que cette comparaison ne repose sur aucune
base solide, en l'état actuel de la science.
Concernant l'affaire Craig Venter, les composants de la
nouvelle bactérie sont restés entièrement
biologiques. Le génome, en particulier, n'a pas intégré
de séquences purement chimiques et moins encore physiques,
à base par exemple de puces électroniques.
Autrement dit, il n'avait pas encore été question
de réaliser de véritables hybrides ou chimères
dites augmentées, bio-robotiques, du type de celles
que l'on cherche à obtenir par ailleurs dans d'autres
laboratoires.
Par ailleurs, le génome de synthèse implanté
n'avait pas fait l'objet à notre connaissance de
manipulations génétiques lui permettant de
comporter des gènes ou chromosomes capables de synthétiser
telle ou telle protéine ou enzyme, sur le modèle
qui intéresse par ailleurs d'autres chercheurs et
Venter lui-même. Craig Venter s'est borné à
réaliser une plate-forme métabolique, selon
l'expression utilisée, à partir de laquelle
il sera possible ultérieurement d'implanter tel ou
tel composant biologique ou non-biologique, conçus
en vue d'objectifs déterminés au cas par cas.
Complexes anthropotechniqes
On voit cependant qu'il s'agit d'une avancée scientifique
et technologique considérable, car elle ne tardera
pas à être exploitée par les biotechnologies
actuelles, elles-mêmes constamment renouvelées
sous la pression des humains qui en assurent le développement.
Les écosystèmes dans lesquels se trouvent
inclus les organismes vivants, humains compris, vont ainsi
se trouver soumis à des facteurs évolutifs
bien plus puissants et rapides que ceux découlant
des mécanismes de mutation/sélection décrits
par le darwinisme et à l'oeuvre depuis 4 milliards
d'années. Nous devons parler d'écosystèmes
puisque, comme on le sait, les modifications génomiques,
qu'elles soient naturelles ou induites par l'homme, ne prennent
de portée qu'en co-évolution avec l'environnement,
les corps biologiques d'abord, les niches les abritant ensuite.
C'est ce que l'on résume par le terme de déterminisme
épigénétique.
Il est donc désormais inévitable, Craig Venter
n'ayant fait qu'accélérer le rythme, de voir
se répandre sur la Terre des entités présentant
un certain nombre des caractères par lesquels on
identifie la vie, mais qui ne seront pas « vivantes »
ou plus exactement biologiques, au sens traditionnel du
terme. Elles seront de plus en plus artificielles. On parlera
de biologie synthétique tant que les composants biologiques
resteront dominants, même s'ils sont profondément
modifiés. Mais très vite, on devra parler
de vie artificielle, lorsque le robotisé et le virtuel
y deviendront prédominants.
La composante artificielle se manifestera sans doute très
rapidement, dans la mesure où certaines expériences
actuelles, exploitant les recherches relatives à
l'émergence thermochimique des premières formes
de vie, conduiront à mettre au point dans quelques
années des molécules chimiques auto-catalytiques
susceptibles de se reproduire et muter sur le mode biologique,
à l'instar des premières formes de vie. Il
s'agira de formes tâtonnantes, imparfaites, dont beaucoup
disparaîtront. Mais le phénomène reproduira
en l'amplifiant peut-être, le mécanisme de
l'évolution biologique.
Il est donc évident que ces recherches, dont on a
tendance à faire des épouvantails, auront
dans un premier temps l'avantage de permettre aux biologistes
de mieux comprendre les organismes vivants, ceci jusqu'au
plus cachés de leurs déterminismes. Comme
le disent les scientifiques, on ne peut pas espérer
comprendre un mécanisme naturel tant qu'il n'a pas
été reconstruit. Les ingénieurs disent
« simulé ».
Pour notre part, nous voyons là une nouvelle illustration,
particulièrement pertinente, des phénomènes
que nous avons décrits par le terme de complexes
anthropotechniques. Dans de tels systèmes, des composants
évolutionnaires biologiques, anthropologiques et
technologiques s'imbriquent étroitement pour donner
naissance à de nouvelles entités en compétition
darwinienne. De très bonnes choses, au sens que nous
donnons actuellement à ce terme de « bonne
chose », pourront en découler. Mais aussi
des catastrophes, au sens là encore que nous donnons
aujourd'hui à ce dernier terme. Nul ne peut en tous
cas les prévoir et moins encore les organiser.
NB.
Fabrice Papillon et Joël de Rosnay viennent de recenser
les différentes techniques en cours ou prochaines
intéressant la vie de synthèse. Nous ne partageons
pas toujours leurs diagnostics, à la fois sommaires
et alarmistes, concernant ces recherches et leur avenir.
.
"Et l'homme créa la vie... : la folle aventure
des architectes et des bricoleurs du vivant "
Les
liens qui libèrent (LLL), 2010
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