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Article
A
l'heure des compétitions mondiales entre corporatocraties
anthropotechniques
Jean-Paul Baquiast 11/06/2010
|

Les
observateurs s'intéressant à l'évolution
du monde actuel manquent souvent d'outils intellectuels
pour en décrypter les arcanes. A plus forte raison
ne savent-ils pas que conseiller à ceux qui se tournent
vers eux. Nous n'avons pas la prétention d'avoir
de tels outils intellectuels, tout au moins pour répondre
à la majorité des questions qui se posent.
Voici cependant un petit diagnostic condensé qui
pourrait être utile à quelques uns de ceux
qui s'interrogent et qui, à travers ce site, nous
font l'honneur de nous interroger.
L'évolution
darwinienne récente a donné naissance à
des corporatocraties
En appliquant
le modèle d'analyse proposé dans notre dernier
essai (cf Baquiast, Le paradoxe du Sapiens), convenons ici
de nommer « corporatocraties » des
systèmes anthropotechniques de grande taille conjuguant
1. les ressorts bioanthropologiques traditionnels (par exemple
la tendance à se rassembler en groupes homogènes
et excluants, ou herding, celle visant à construire
des mythes structurants au service de ces groupes excluants,
etc.) le tout pour répondre aux besoins élémentaires
de survie (s'approprier les ressources alimentaires et territoriales,
s'y multiplier jusqu'aux limites de ces ressources, détruire
les concurrents que l'on ne peut s'assimiler symbiotiquement,
etc. ) et 2. les dynamiques de développement des
technologies, consistant notamment à capter le plus
possible de ressources naturelles et humaines à leur
profit.1).
Pourquoi
le terme de corporatocratie plutôt qu'un autre désignant
aussi une forte concentration de pouvoir (ploutocratie,
autocratie, théocratie.)? Parce que les agents les
plus actifs de cette compétition sont les grandes
entreprises globalisées ou corporations au sens américain
du terme. Chacune d'entre elle exerce dans sa sphère
un pouvoir corporatocratique (corporate power). A
elles toutes, elles génèrent un pouvoir corporatocratique
global qui s'impose à l'ensemble de l'anthropocène,
devenue depuis un ou deux siècles, selon notre vocabulaire,
l'anthropotechnocène.
Nous
proposons donc ici d'ajouter au concept de corporatocratie
celui de système anthropotechnique, pour obtenir
le concept de corporatocratie anthropotechnique. Celle-ci
conjugue les ressorts compétitifs des grandes entreprises
ou corporations et des diverses technologies, technologies
traditionnelles et de plus en plus, technologies émergentes,
avec lesquelles elles sont symbiotiquement associées.
On voit que ces entités, que nous nommerons dorénavant
des corporatocraties anthropotechniques, ne sont nouvelles
que par leur taille. Elles sont en fait le développement
évolutionnaire des nombreux systèmes anthropotechniques
nés de la symbiose entre les hominiens et les outils,
symbiose dont nous avons dressé une brève
histoire dans le Paradoxe du sapiens
Les
corporatocraties anthropotechniques sont en concurrence
les unes avec les autres
Cette
concurrence découle naturellement de la compétition
darwinienne entre organismes biologiques. Les corporatocraties
anthropotechniques se disputent l'accès aux ressources
naturelles et humaines, ce qui provoque des conflits entre
elles, au détriment de coopérations symbiotiques
pouvant préserver des intérêts communs
dans un monde dont les ressources sont de plus en plus rares.
Les corporatocraties vivant de l'exploitation des technologies
traditionnelles dominent encore celles tentant de se faire
une place en développant des technologies nouvelles.
Mais le rapport de force entre technologies pourra changer,
au terme de crises d'adaptation plus ou moins violentes.
L'évolution technoscientifique spontanée et
incontrôlable sera le ressort principal de ces changements.
La compétition
darwinienne entre corporatocraties anthropotechniques constitue
le ressort de leur évolution adaptative. Celle-ci
découle des processus darwiniens à l'oeuvre
depuis les origines de l'évolution de la Terre (reproduction-mutation-sélection).
Elle se déroule par conséquent sur le mode
dit Hasard et Nécessité que l'on peut préciser
par le concept de Hasard contraint. La compétition
ne peut pour le moment être remplacée, car
il n'existe encore aucun processus au monde capable d'organiser
ni même de concevoir une évolution susceptible
d'harmoniser les intérêts d'un monde global
incluant sans conflits les forces en présence. L'omniprésence
de la compétition est illustrée actuellement
par le succès des idéologies libérales
(laisser-faire) ou néo-libérales (laisser
faire les acteurs financiers).
La compétition
prend la forme de la lutte pour le contrôle de la
monnaie, qui représente l'étalon commun liquide
permettant d'évaluer et d'échanger les ressources
matérielles et humaines dont les corporatocraties
anthropotechniques se disputent la possession. Plus une
activité rapporte de monnaie, plus elle est profitable,
autrement dit plus elle permet de capter de ressources naturelles
et humaines. Plus donc elle entretient la compétition.
Le profit est ainsi l'étalon de la valeur des activités
anthropotechniques.
La compétition
s'exerce à l'échelle du monde global. Elle
se traduit alors par des conflits géostratégiques,
dans lesquels les stratégies des corporatocraties
anthropotechniques s'expriment en partie sur le terrain
géographique, pour la possession des espaces et ressources
disponibles (continents, océans, espace). Nous verrons
dans la suite de cet article la façon dont ces compétitions
géostratégiques s'expriment aujourd'hui, sous
forme de conflits darwiniens entre grands blocs, au sein
desquels domine encore ce que l'on a pu nommer à
juste titre l' « empire américain ».
Les
corporatocraties anthropotechniques, au delà de leurs
compétitions, s'allient pour détruire les
résistances à leur conquête du pouvoir
Ces
résistances proviennent principalement de la survivance
d'anciennes structures bioanthropologiques (communautés
et collectivités traditionnelles aux bases raciales,
territoriales et mystiques) dont les Nations et les religions
représentent souvent encore des survivances. Ces
structures reposaient sur des formes de contrôle des
ressources matérielles et humaines faisant plus appel
au patrimonial et au politico-administratif qu'au technologique.
Elles ont longtemps pris la forme des régulations
à l'échelle étatique, inspirées
en partie des régulations de type féodal (féodalités
religieuses, féodalités militaires).
Ces
anciennes régulations, si elles avaient été
imposées par des pouvoirs bio-anthropologiques indiscutables
(dominant, mâle, chef) s'étaient maintenues
dans la mesure où elles assuraient certains équilibres:
entre catégories d'individus (égalitarisme
social), entre pouvoirs locaux (démocratie), entre
humains et milieux naturels (technocratie se voulant éclairée,
voire scientifique). Elles ont été au 20e
siècle prises en charge par les organisations étatiques,
administratives et de service public, assurant, tout au
moins en occident, un minimum de partage démocratique
du pouvoir. Pour les nouvelles corporatocraties anthropotechniques,
les régulations demeurées en vigueur (lois
et règlements nationaux, traités internationaux)
représentent des obstacles à l'extension de
leur propre pouvoir sur les choses et les hommes.
Les
corporatocraties anthropotechniques visent donc à
se substituer aux régulateurs s'imposant à
elles, étatiques, administratifs ou liés à
l'exercice des services publics. Elles visent pour cela
à racheter dans le cadre d'un processus dit de privatisation
les moyens dont disposent encore les services publics. Elles
se font fortes alors d'assurer elles-mêmes, plus efficacement
et de façon moins coûteuse, les missions de
ces services. Par ailleurs elles affirment pouvoir s'autodiscipliner
spontanément pour respecter les déontologies
et règles d'équité imposées
par leurs statuts aux administrations et services publics.
L'expérience
montre qu'il n'en est rien. Elles n'acceptent de ne faire
que ce qui sert leurs intérêts corporatifs.
Les privatisations génèrent de l'argent et
des profits dont bénéficient les corporatocraties,
notamment celles faisant appel à des technologies
réputées de pointe (sécurité,
défense, santé, éducation, etc). Partout
dans le monde, sous cette pression de la concurrence pour
le profit, la corporatocratie technologique remplace les
anciennes structures reposant sur la démocratie ou
la technocratie étatique. Elle génère
aussi des effets négatifs croissants (destruction
des cohésions sociales, de l'environnement) dont
personne ne tient compte car pour le moment il s'agit de
coûts induits non comptabilisés.
La faiblesse
des régulations traditionnelles, notamment administrativo-étatiques,
tient à ce qu'elles ne coïncident pas nécessairement
avec des structures ou complexes anthropotechniques à
base technologique forte, suffisamment soumises à
la compétition darwinienne pour pouvoir s'imposer.
Les Etats traditionnels sont en compétition darwinienne
indiscutable. Ils utilisent dans ce but les ressources d'un
certain nombre de technologies, notamment les technologies
militaires et de défense. Mais, sauf dans les conflits
ouverts permettant d'ailleurs à ces technologies
de progresser rapidement, la pression compétitive
provenant des autres Etats et qui s'exerce sur eux n'est
pas suffisante pour qu'ils consacrent suffisamment de moyens
aux technologies.
C'est
ainsi que depuis plus d'un demi-siècle les Etats
européens n'ont pas jugé bon d'investir sérieusement
dans la défense. Les technologies militaires se développent
mieux au sein des corporatocraties en concurrence économico-politique,
par exemple les complexes politico-militaro-industriels
existant dans les grands blocs en compétition géostratégique.
Ces complexes rassemblent des moyens politico-diplomatique
et administratif permettant de drainer des ressources naturelles
et humaines. Mais ils comportent aussi de puissants potentiels
industriels et scientifiques, détenus par les industries
de l'armement ou d'autres analogues, qui sont en guerre
économique les unes avec les autres.
Il n'est
donc pas question pour de tels complexes de s'endormir sur
leurs acquis. Notre ami Philippe Grasset, excellent connaisseur
des stratégies du monde de la défense, a pu
ainsi mettre en évidence le combat mené sans
relâche par le complexe politico-militaro-industriel
américain représenté par le Pentagone
et l'industriel Lockkeed Martin pour imposer au monde entier
le programme dit du F-35 furtif, si ambitieux d'ailleurs
qu'après plusieurs années et des dizaines
de milliards dépensés, il n'a pas encore abouti.
Mais peu importe au complexe. Il a vécu confortablement
pendant ce temps. La dynamique transformationnelle des technologies
de pointe auxquelles ces complexes militaro-industriel sont
associés leur permet, même en temps de paix,
de tenir la tête dans la course aux ressources et
au pouvoir.
L '« Empire
américain » une corporatocratie anthropotechnique
globale encore dominante
Dans
toute compétition darwinienne, il y a des gagnants
et des perdants, des dominants et des dominés. L'homo
sapiens, en quelques centaines de milliers d'années,
s'est imposé à la plupart des autres espèces
dites supérieures, qu'il est aujourd'hui en voie
d'éliminer. Un mécanisme analogue a marqué
la compétition darwinienne entre corporatocraties
anthropotechniques. On sait que l'histoire du monde récente
a vu s'affronter des corporatocraties européennes,
britannique, allemande, française, jusqu'à
ce que s'affirme, à partir des deux guerres mondiales,
la corporatocratie américaine. Celle-ci s'est organisée,
sous la contrainte de ses impératifs de croissance
et de domination, en un véritable empire politique,
diplomatique, militaire, industriel et scientifique. L'objectif,
conscient ou non, était (et demeure) d'exercer une
domination mondiale dans tous les registres du pouvoir (full
spectrum dominance). Les premiers assujettis à
cette domination ont été les pays latino-américains.
Mais l'Europe, affaiblie par ses guerres internes et ses
divisions, a vite été considérée
par l'empire américain comme devant lui fournir la
base arrière de sa puissance ceci tout au
moins jusqu'au moment où l'exploitation de l'Europe,
de plus en plus affaiblie, a commencé à perdre
de son intérêt au profit des perspectives offertes
par les pays dits émergents.
On découvre
seulement maintenant, à la suite de la crise américaine
dite des subprimes, les techniques extrêmement
subtiles par lesquels la corporatocratie anthropotechnique
américaine s'est emparé d'une grande partie
des ressources mondiales. Certes, la disposition d'un appareil
militaire unique au monde lui a permis de neutraliser les
résistances ouvertes, quand elles se manifestaient.
Mais il lui suffisait de faire appel aux outils de la finance
et des changes pour dépouiller les pays dits « alliés »,
en fait considérés comme des concurrents à
éliminer, de leurs actifs (assets). Avant
la crise financière de 2007, mais surtout après
celle-ci, de nombreux auteurs ont décrits le mécanisme
imposé par la corporatocratie anthropotechnique américaine
au reste du monde.
Ce mécanisme
conjugue plusieurs volets: le dollar, étalon de change
imposé, dont la banque fédérale américaine
(Fed) fixe les taux en fonction des intérêts
soit des importateurs soit des exportateurs appartenant
à la corporatocratie les prêts consentis
généreusement, directement ou via la Banque
Mondiale, à des emprunteurs publics (Etats) ou privés
dont l'on sait pertinemment qu'ils sont insolvables et ne
pourront rembourser le rachat à bas prix par
les « marchés » (en fait des
membres de la corporatocratie américaine) des actifs
des emprunteurs, une fois acquise leur mise en liquidation
- l'intervention du FMI pour imposer en dernier ressort
des politiques de redressement se traduisant par la vente
aux sociétés privées américaines
des entreprises publiques et administrations, la liquidation
des politiques sociales dites de l'Etat-providence, la mise
en tutelle des gouvernements désormais incapables
d'investir afin de reconquérir les bases économiques
d'une indépendance nationale.
Les
prêts eux-mêmes, consentis pour financer des
investissements en infrastructures destinés à
sortir le pays du sous-développement, permettent
en fait, grâce à des routes, ports et aéroports
dont la réalisation est confiée aux entreprises
de travaux publics américaines, à d'autres
entreprises américaines d'exploiter à leur
profit les ressources forestières et minières
des pays "aidés". Inutile d'ajouter que
l'ensemble s'accompagne de pratiques de corruption généralisée
et d'encouragements aux fraudes et trafics multiples, destinées
à soumettre en douceur tous ceux pouvant avoir des
velléités de résistance. Les agences
spécialisées, de l'US Aid à la CIA,
savent très bien comment mltiplier les coups dits
tordus pour s'acheter des complicités et liquider
les réfractaires- avec la coopération bien
entendu des mafias locales.
L'Europe
occidentale a été confrontée dès
après la 2e guerre mondiale aux assauts d'une telle
politique, dont le plan Marshall, prisé de toutes
parts par des gouvernements sous tutelle, a représenté
la première vague. L'histoire de l'Union européenne
jusqu'à nos jours peut être déchiffrée
avec les clefs que nous venons d'énumérer.
On y voit comment l'empire américain, s'appuyant
en priorité sur le satellite docile que pour des
raisons historiques le Royaume Uni avait accepté
d'être pour lui, a soumis à un pouvoir doux
(soft) mais néanmoins impitoyable, tous ceux qui
en Europe, avaient tenté de résister à
l'américanisme, ou atlantisme, présenté
comme incontournable.
Les
administrations publiques constituent l'obstacle à
détruire en priorité, notamment en Europe
où la tradition démocratique et technocratique
reste forte. On constate avec l'offensive actuelle contre
l'Etat grec comment les « marchés »,
c'est-à-dire encore une fois principalement des émanations
de la corporatocratie américaine, assistées
du FMI, sont en train d'éliminer les obstacles à
l'exploitation coloniale d'un nouveau genre qu'ils veulent
imposer à la Grèce. Les autres Etats européens
seront également attaqués les uns après
les autres, avec là encore la complicité des
couches dirigeantes de ces Etats.
Good
bye America, Hello China et consorts ?
Mais
il n'est pas de domination qui puisse durer toujours. L'empire
américain, autrement dit la corporatocratie anthropotechnique
américaine, s'est sans doute trop étendue
pour pouvoir conserver l'ensemble de ses conquêtes.
S'épuisant par exemple en Afghanistan, elle n'est
plus capable de renverser Hugo Chavez, comme beaucoup de
stratèges le voudraient. D'autres corporatocraties
anthropotechniques, sur son modèle, sont en train
de lui disputer le pouvoir. Nous ne parlons pas ici de l'Europe,
dont il paraît vain à l'heure actuelle de pronostiquer
le réveil, mais de la Chine et des autres BRIC. Dans
le cas de la Chine, si les formes juridiques et politiques
de la corporatocratie y prennent des formes différentes
de celles pratiquées en occident, les démarches
globales sont très voisines. Pour le moment, l'emprise
des corporatocraties anthropotechniques chinoises sur le
monde reste moins importante que celle de leurs concurrentes
américaines. Néanmoins, des continents ou
parties de continents entiers, par exemple en Afrique, sont
en train de passer sous leur contrôle.
Il est
utile dans ces conditions de préciser les forces
et faiblesses de ce que l'on peut nommer en simplifiant
la corporatocratie chinoise. Il s'agit bien d'une corporatocratie
en ce sens que les décisions économiques et
politiques y sont, bien plus que dans les pays occidentaux,
étroitement imbriquées. Ceci découle
de l'héritage de la domination du parti communiste
chinois. Aujourd'hui une couche d'entrepreneurs se développe
rapidement, mais elle demeure encore contrôlée
par des responsables politiques appartenant au parti, que
ce soit dans les régions ou au plan national. De
leur côté les responsables politiques ont développé
une conscience économique remarquable, ce qui leur
permet de faire des choix stratégiques tenant compte,
bien plus que ne le font leurs homologues en occident, des
contraintes de l'économie et de la finance s'exerçant
au plan mondial. Pour reprendre notre terminologie, il s'agit
bien d'une corporatocratie anthropotechnique, en ce sens
que cette structure dirigeante doit tenir compte du poids
de plus d'un milliard d'humains vivant encore largement
sur le mode traditionnel, très proche de la pauvreté.
Mais dans le même temps, elle est tirée en
avant par les pressions de croissance propres aux technologies
émergentes, lesquelles trouvent en Chine, comme partout
ailleurs en Asie, des conditions très favorables
de développement.
L'opinion
aux Etats-Unis et en Europe tend à considérer
que la Chine constitue une puissance rivale de la puissance
américaine, engagée avec elle dans une compétition
féroce. Cela sera peut-être le cas lorsqu'une
corporatocratie chinoise autonome se sera mise en place,
capable de reprendre tous les attributs régaliens,
notamment militaires et diplomatiques, d'un véritable
empire. Ce n'est pas encore le cas, pour une raison simple
mais que la non-transparence des circuits financiers et
économiques mondiaux tend à occulter. Jusqu'à
présent, une grande partie des investissements économiques
en Chine a été faite par des entreprises certes
mondialisées mais appartenant à la sphère
d'influence américaine.
Ces
entreprises, installées en Chine sous une identité
chinoise, profitent largement des bas salaires et de l'absence
de réglementation protectrice pour produire en masse
des biens de consommation exportés dans les pays
occidentaux. Les prix de vente dans ces pays sont suffisamment
bas pour décourager toute concurrence de la part
des industries occidentales natives, mais néanmoins
suffisamment élevés pour apporter de considérables
marges aux actionnaires et propriétaires des firmes
occidentales ainsi délocalisées. Ceci explique
que les corporatocraties américaines et européennes
continuent à s'élever contre une protection
aux frontières consistant à taxer les produits
asiatiques au prorata des avantages indus dont ils bénéficient.
Ceci redonnerait certes du travail aux entreprises locales
(non délocalisées) mais tariraient les bénéfices
des entreprises multinationales beaucoup plus puissantes
jouant à fond la délocalisation et l'exploitation
des avantages comparatifs résultant du travail dans
des sociétés encore très sous-développées.
Ceci
dit, comme nous l'indiquons plus haut, les corporatocraties
occidentales ne bénéficieront sans doute pas
très longtemps de cette possibilité d'exploiter
le laxisme salariale et réglementaire qu'elles ont
trouvé en Chine, souvent à l'invitation des
autorités chinoises. Les décideurs économico-politiques
chinois ont parfaitement compris qu'ils pouvaient, au fur
et à mesure qu'augmentaient les compétences
technologiques des travailleurs et cadres chinois, reprendre
à leur compte l'ensemble des responsabilités
caractérisant une corporatocratie: maîtrise
des investissements notamment de ceux comportant une forte
valeur ajoutée scientifique et technique, maîtrise
de l'accès aux sources de matières premières
extérieures (énergie, minéraux, produtis
agricoles), maîtrise des flux financiers et taux de
change permettant l'importation, l'épargne, le profit
et le réinvestissement, maîtrise des marchés
par une confrontation directe sur leurs terrains avec les
grands concurrents non chinois.
Dorénavant,
on a remarqué que ces décideurs veulent doter
l'économie de toutes les technologies de pointe permettant
de mener de grands programmes stratégiques, dans
l'énergie, l'aérospatiale, les biotechnologies,
etc. La formation de chercheurs et d'ingénieurs par
milliers, dorénavant devenue une priorité,
fournira la base des nouveaux investissements. Par ailleurs,
les « grands contrats » que recherchent
encore pour leur part certains dirigeants occidentaux sont
dorénavant accompagnés de clauses de transfert
de technologies telles que les firmes occidentales qui y
souscrivent se condamnent elles-mêmes à abandonner
progressivement les marchés chinois et plus généralement
asiatiques, sinon mondiaux. Ceci d'autant plus que la plupart
des Etats occidentaux, même aux Etats-Unis, leur retirent
les aides à la recherche dont elles auraient besoin.
Les
corporatocraties anthropotechniques en compétition
darwinienne au plan mondial doivent cependant, dans leur
course à la puissance impériale, tenir compte
de l'ensemble des atouts dont elles peuvent disposer, comme
à l'inverse des handicaps structuraux s'imposant
à elles. L'un de ces facteurs est appelé à
jouer un rôle croissant. Il s'agit des ressources
fournies par le territoire, non seulement en matières
premières mais en espace, eau, accès à
la biodiversité...Sur ce plan les Etats-Unis ont
toujours bénéficié et continueront
à bénéficier d'avantages différentiels
dont aucune autre puissance, pour le moment, ne possède
l'équivalent, en proportion du nombre d'habitants.
Seule le Canada et surtout la Russie pourraient venir en
concurrence, mais leurs territoires sont encore pour le
moment soumis aux rigueurs du climat arctique qui les rendent
peu exploitables. Or la Chine se trouve là confrontée
à un véritable goulet d'étranglement.
Même si son territoire est vaste, il est soumis à
des contraintes climatiques qui avec le réchauffement
et la surexploitation ne feront que s'aggraver. La corporatocratie
chinoise devra, sinon dans la décennie, du moins
avant la moitié du siècle, revoir radicalement
ses modes de développement industriels, économiques
et sociaux, pour faire face aux tensions qui ne manqueront
pas de s'accumuler.
Conclusion
La compétition
entre corporatocraties de taille mondiale décrite
dans cet article ne diminuera en rien la pression exercée
sur les Etats et les sociétés qui auront renoncé
à se battre. Elle augmentera par contre le risque
civilisationnel majeur que nous avons souligné dans
le « Paradoxe du Sapiens ». Les grands
systèmes anthropotechniques, les yeux fixés
sur leurs courses aux ressources et à la croissance
à tous prix, seront de moins en moins capables de
prendre en compte les intérêts globaux de la
Terre et des espèces vivantes qu'elle abrite.
L'actualité
immédiate, en ce mois de juin 2010, illustre de façon
voyante un diagnostic qui devrait être fait dans de
nombreux autres domaines aussi importants mais dont on ne
parle pas pour le moment. L'accident survenu à la
plateforme de forage BP Deepwater Horizon, loin d'inciter
les pétroliers et gouvernements du monde entier à
renoncer progressivement non seulement aux forages profonds
et ultraprofonds mais plus généralement au
pétrole et au gaz, les pousse au contraire à
intensifier les recherches, dans les pays trop pauvres pour
protester et aux Etats-Unis eux-mêmes. Il est vrai
que derrière le système anthropotechnique
du pétrole se trouvent d'autres systèmes encore
plus liées que lui aux cerveaux et corps de milliards
d'individus faciles à influencer, acteurs et usagers
des transports routiers et aériens 2)..
Comment
tout ceci finira-t-il? Pour le moment, beaucoup d'experts
sérieux, même lorsqu'ils sont profondément
influencés par l'idéologie du profit et de
la croissance à tous prix, ne voient pas d'autres
issues que des effondrements successifs et des crises en
chaine, de plus en plus graves. 3) Mais rappelons le, dans
l'histoire de l'évolution, des catastrophes majeures
ont déjà conduit les espèces vivantes
du passé au bord de l'extinction, sans pourtant transformer
la Terre de ces époques en un astre stérile
à l'image de Mars et Vénus. De telles occurrences
se reproduiront peut-être à l'avenir. Mais
peut-être ne le feront-elles pas? A l'échelle
cosmologique, il s'agira quoiqu'il en soit d'évènements
infimes.
Notes
1)
Le terme de corporatocratie a été popularisé
par les livres de John Perkins, notamment Les confessions
d'un assassin financier 2004 et L'histoire secrète
de l'empire américain, 2008. Voir sur ce point
notre éditorial "L'"oil spill"
dans le golfe du Mexique. John Perkins. Actualité
d'un imprécateur"
2) On commence à s'interroger sur la légitimité
des entreprises par actions, telles BP, à assumer
des responsabilités majeures sans autre contrôle
que celui des actionnaires. Dans un interview
récent, proposé par le site Realpolitik
(que nous recommandons) l'économiste Hervé
Juvin met en avant le concept de coopérative. D'autres
rappelleraient que les entreprises publiques à la
française (sur l'ancien modèle) étaient
mieux garantes des intérêts collectifs que
les firmes privées. Mais si la structure juridique
a son importance et doit être discutée, il
ne faut pas oublier que la force déterminante à
l'oeuvre dans l'évolution géopolitique mondiale
reste le poids des intérêts technico-économiques,
que nous qualifions
d'anthropotechniques.
3) On pourra lire à ce sujet la contribution de l'auteur
du présent article à des discussion avec Philippe
Grasset, éditeur du site www.dedefensa.org: http://www.admiroutes.asso.fr/dialogues/dialogue-11.htm