Biblionet
Mood
Matters: From rising skirt lengths to the collapse
of world powers
par
John Casti
Editeur Copernicus Avril 2010
Présentation
et commentaires par Jean-Paul Baquiast
25/04/2010
Le
Pr. John Casti est actuellemement Professor of
Operations Research and System Theory à
l'université Technique de Vienne, Autriche.
Il fait partie des futurologues consultés par
les Européens.
Biographie et bibliographie
de l'auteur
http://www.moodmatters.net/bio.php
Le site du livre http://www.moodmatters.net/
Qu'est-ce
que la socionomique?
Le
livre Mood matters, de John Casti, que nous
avions évoqué dans la seconde partie
d'un article précédent (voir
Comment se forment les humeurs collectives ),
développe les principales idées présentées
ces dernières années sous le nom de
socionomics ou socionomique, à ne pas confondre
avec la socio-économie. L'auteur y voit une
science nouvelle, bien qu'encore à un stade
empirique. La socionomique étudie les corrélations
existant (ou n'existant pas) entre ce qu'elle appelle
le « social mood » d'une population,
que l'on pourrait traduire par « sentiment
collectif » ou même « humeur
collective » et les évènements
affectant cette population, les comportements et décisions
la caractérisant au même moment.
Ce
thème attire de plus en plus d'intérêt.
Non seulement de ceux qui cherchent à comprendre
voire prédire les tendances, par exemple dans
le domaine artistique et commercial, mais aussi de
tous les prospectivistes et finalement des mouvements
politiques visant à se situer dans le moyen
ou long terme. Le professeur Casti est un spécialiste
renommé de la dynamique des idées et
de ses modélisations. D'où l'attention
qu'il convient de porter à son nouveau livre.
Il serait souhaitable qu'il puisse être traduit
en français.
L'hypothèse
centrale de la socionomique et son originalité
L'hypothèse
centrale de la socionomique, présentée
en premier lieu par le livre, se résume en
deux postulats principaux:
1. Les humeurs collectives évoluent de façon
cyclique, un peu comparable aux cycles économiques
de Kondratief, entre euphorie ou optimisme et récession
ou pessimisme. On peut observer des états intermédiaires:
euphorie pouvant aller jusqu'à l'ubris et récession
pouvant aller jusqu'à la dépression
durable. Détecter des cycles ou vagues dans
un phénomène naturel est toujours complexe
et sujet à contestation. La socionomique propose
d'utiliser le modèle proposé par Ralph
Elliott dans les années 1930 pour l'analyse
des flux financiers (Elliott Wave Principle). Mais
d'autres logiques pourraient être mises en évidence.
Nous renvoyons sur ce point aux annexes du livre.
2. Or de l'humeur globale d'une population découlent
de nombreux évènements, notamment au
plan de l'activité politico-économique.
Celle-ci évolue de façon elle aussi
cyclique, apparemment corrélée avec
les cycles de l'humeur. L'optimisme est généralement
corrélé à la croissance, le pessimisme
à la récession. Corrélation ne
veut pas dire déterminisme stricte. On dira
seulement qu'en période d'optimisme, il se
trouve de fortes probabilités pour que l'activité
économique soit en croissance, et inversement
en période de pessimisme.
Dans
le domaine de la vie économique et de son complément
quasi obligé, la vie politique, il est donc
important que les décideurs puissent disposer
de prévisions concernant l'avenir proche ou
lointain aussi fiables que possibles, ceci dans tous
les domaines d'activité, pour n'importe quel
type d'agents concernés et, finalement, pour
tous types de durées (court, moyen et long
terme).
Rappelons que la prévision porte sur des probabilités,
à distinguer de la prédiction qui pronostique
de quasi-certitudes. Dans notre domaine, elle s'intéresse
principalement aux probabilités de réalisation
de tel ou tel événement et, plus globalement,
de telle ou telle tendance ou courant. Il s'agit d'une
démarche inhérente à toute activité
humaine. Concernant les prévisions intéressant
l'activité économique, dont les conséquences
en termes politiques ne sont plus discutées
aujourd'hui, et dans la mesure où l'on admet
une forte corrélation entre l'humeur de l'opinion
et l'activité économique, l'optimisme
étant corrélé à la croissance
et le pessimisme à la récession, il
est donc intéressant de connaître les
raisons pouvant susciter optimisme ou pessimisme au
sein de l'opinion.
A
cet égard, la socionomique veut se distinguer
radicalement des autres sciences humaines: histoire,
économie politique, notamment. Celles-ci postulent
que se sont des évènements extérieurs
à l'opinion publique qui viennent affecter
cette dernière dans tel ou tel sens, optimisme
ou pessimisme, lesquels retentissent sur le niveau
de l'activité économique. Ainsi une
série d'attentats pourra induire du pessimisme
concernant l'avenir politique de la société
considérée, se traduisant par un recul
des investissements et de la consommation. Un événement
extérieur jugé positif, comme une grande
découverte technoscientifique ou l'élection
d'un dirigeant au profil très apprécié,
provoquerait au contraire de l'optimisme et par conséquent
de la croissance.
La
socionomique au contraire postule que ce sont les
états de l'opinion qui, globalement, induisent
les évènements défavorables ou
défavorables. Les évènements
négatifs, catastrophes, crises gouvernementales,
faillites d'entreprises, surviennent (ou sont remarqués)
lorsque l'humeur sociale est au pessimisme. Les événements
positifs, découvertes scientifiques, signature
de traités d'alliances, surviennent lorsque
l'humeur est à l'optimisme.
On pourrait exprimer ceci en disant que c'est l'humain
qui crée l'évènement et non l'événement
qui crée l'humain. Pour être plus précis,
on pourrait dire que les faits extérieurs n'ont
pas de sens en soi. A la limite, ils n'existent pas
indépendamment de ceux qui les observent. Ils
ne prennent de sens, positif ou négatif, qu'en
fonction de l'humeur de ceux qui les observent ou
plus précisément, de ceux qui les interprètent.
Un attentat comme celui du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis
pourrait être ressentie comme une catastrophe
induisant de la dépression économique
par une population déjà moralement ou
politiquement déprimée. Il servirait
au contraire de stimulant de croissance chez une population
en phase euphorique.
Notre
commentaire: Cette affirmation paraîtra contre-intuitive,
voire non fondée. Elle rejoint pourtant le
postulat aujourd'hui admis par toutes les sciences
constructivistes, que ce soit dans le domaine de la
physique microscopique (quantique) ou dans ceux des
sciences macroscopiques en général:
il n'existe pas de faits d'observation scientifique
en soi, c'est-à-dire indépendants de
l'observateur; il n'existe que des observations dépendant
de l'instrument et de l'humeur (ou état de
conscience, autrement dit du cerveau) de l'observateur.
Celui-ci interprète ses observations de façon
subjective, (relativiste-constructiviste). Les différentes
interprétations produites à un moment
donné par différents observateurs entrent
en compétition darwinienne. Celle qui se montre
la plus apte à conforter l'adaptation du groupe
aux conditions de la concurrence à laquelle
il est soumis par les autres groupes l'emporte, au
moins provisoirement, en attendant des interprétations
(ou des observations) se révélant plus
favorables à la survie du groupe.
Concernant
l'influence ou la non influence des évènements
(events) extérieurs sur les humeurs collectives,
les conclusions à retenir dépendent
de ce que l'on nomme un évènement, et
de la durée de temps sur laquelle il exerce
une influence. Les modèles devront en discuter
de façon détaillée, mais nous
n'aborderons pas ici cette question délicate.
.
Les
deux questions préalables auxquelles doit répondre
la socionomique
Les
prévisionnistes faisant appel à la socionomique
doivent donc pour donner des bases solides à
leurs prévisions, répondre à
deux questions: 1. Comment observer de façon
fiable l'humeur collective, autrement dit l'opinion
publique au sein de la société considérée?
2. Comment se forme l'humeur collective? Cette deuxième
question vise implicitement à essayer de prévoir
l'évolution de cette humeur, dans la mesure
où il serait possible d'observer l'évolution
des facteurs qui la déterminent.
La
réponse à la première question
dépend évidemment de la durée
sur laquelle on veut se situer. Si nous retenons ici
la durée décennale, la plus intéressante
en termes d'investissements, les socionomiques, dont
John Casti, l'auteur du livre, considèrent
que c'est l'observation des courbes économiques
correspondant aux achats de devises, aux prix, aux
cours de bourse et autres indicateurs financiers qui
donnent la meilleure image de l'humeur sociale, dans
la mesure où celle-ci est (approximativement)
corrélée à l'évolution
de ces courbes.
Il faut tenir compte de divers phénomènes
nécessitant des ajustements, tels que les retards
entre l'établissement d'une tendance et son
observation. Mais dans l'ensemble, compte tenu de
l'universalité, dans le monde globalisé
d'aujourd'hui, des indices économiques, compte
tenu aussi de la rigueur avec laquelle ils sont produits,
ces courbes suffisent à caractériser
la tendance évolutive de l'opinion publique,
au moins quand il s'agit du passé et du présent
proche. Des indices économiques évoluant
à la hausse signifient dans l'ensemble une
montée de l'optimisme au sein de la population,
montée d'où résulteront des évènements
qui seront ressentis comme favorables, quelque soit
le domaine où ils se produiront. L'inverse
découlera d'une évolution des indices
à la baisse.
Notre
commentaire: Nous n'avons pas de raison de discuter
l'intérêt présenté par
l'utilisation des courbes économiques pour
en déduire ou en inférer l'état
actuel ou futur de l'opinion, autrement dit son humeur
collective. Le livre offre à cet égard
un nombre suffisant d'exemples convaincants. On pourra
seulement remarquer que de nombreuses populations
n'accèdent pas encore à la bourse ni
même à l'épargne, alors qu'elles
sont constituées de milliards d'individus dont
les humeurs collectives finissent par avoir des conséquences
lourdes sur les évènements. Si le pessimisme
gagne ces populations, à la suite notamment
de la persistance ou de l'extension des crises économiques,
climatiques, politiques, il pourra en résulter,
par exemple, des phénomènes de retour
à la violence, encouragés par des idéologies
religieuses fondamentalistes, dont le reste du monde
subira les conséquences et qui n'auront pas
été décelées suffisamment
en détail par l'étude des indices boursiers.
Il serait donc intéressant de rechercher des
indicateurs de l'état de ces opinions encore
en partie cryptées, faute de tels indicateurs.
Il en existe nécessairement un grand nombre,
que les prévisionnistes non socionomiques ne
manquent pas d' ailleurs d'utiliser, au service
des pouvoirs politiques et économiques. On
en vient alors à la deuxième question
que l'on doit poser à la socionomique: comment
selon elle se forment les opinions publiques? Les
processus de formation une fois identifiés
pourront suggérer des méthodes permettant
de les observer.
Les
socionomiques, par la plume de John Casti, reconnaissent
eux-mêmes que, concernant la question décisive
de savoir comment se forment les opinions publiques,
le social mood, leur science aurait besoin de s'appuyer
sur des études plus précises que celles
existant actuellement. Le postulat général,
ce que John Casti appelle l'hypothèse centrale,
s'exprime en anglais de la façon suivante:
Herding Instincts + Interaction = Social Mood =
Collective Events.
Là encore, nous n'avons pas de raison de discuter
ce postulat. On pourrait même dire qu'il constate
une évidence: les êtres humains, comme
beaucoup d'autres animaux, ont tendance à se
grouper en bandes (herd). Des interactions s'établissent
entre individus au sein des bandes. De ces interactions
nait une humeur collective. C'est cette humeur qui,
selon la socionomique, génère les évènements
collectifs, heureux ou malheureux.
Par
ailleurs, l'hypothèse de la socionomique, rappelée
ci-dessus, concernant l'évolution de l'humeur
collective, est que celle-ci évolue par cycles,
un peu comparable aux cycles économpiques,
bien que sans liens assurés avec eux.
Notre
commentaire . Pour approfondir l'hypothèse
centrale, il convient en effet, comme le propose John
Casti, de rechercher les raisons pour lesquelles (ou
les modalités par lesquelles) les cerveaux
d'individus humains regroupés en bande génèrent
(ou font émerger) des humeurs collectives,
au cours d'un processus relevant de la pensée
en groupe (group thinking). Le livre propose à
cette fin des orientations de recherche regroupées
dans une Annexe B, que nous ne discuterons pas ici,
mais qui semblent très prometteuses. ll
s'agit d'un sujet très proches des préoccupations
qui sont généralement les nôtres
sur ce site; identifier en termes évolutionnaires
l'origine des contenus de cognition et l'influence
qu'ont ces contenus sur la survie des espèces.
Nous suivront donc avec le plus grand intérêt
la suite que John Casti et ses collègues sociomiques
pourront donner aux directions de recherche proposées.
Concernant
l'évolution par cycles (Elliott Wave Principle),
nous n'avons pas d'éléments suffisants
pour juger de l'opportunité de parler de cycles
ou, plutôt, de la possibilité de décrire
ceux-ci selon des modèles bien définis
et répétitifs. Ce point fait aussi partie
du domaine de recherches proposé par John Casti
dans l'annexe B précitée.
Rappelons que pour notre part nous avons suggéré
l'hypothèse selon laquelle les idées
et opinions, collectives mais aussi individuelles,
résultent aujourd'hui en grande partie de la
compétition darwinienne entre entités
d'un genre jusqu'alors non identifié par la
science, les systèmes anthropotechniques. Compte
tenu de la grande diversité de ces systèmes
anthropotechniques, un champ de recherche considérable
s'offrirait ainsi aux chercheurs retennant cette hypothèse
y compris au sein des sciences économiques
et politiques, dans la mesure où celles-ci
s'interrogeront sur les tenants et aboutissants de
la formation des opinions.
Quel
type d'avenir suggère aujourd'hui la socionomique?
Sur
ce point, qui intéressera plus particulièrement
le lecteur en quête de perspectives, le livre
se montre assez pessimiste. Il fait trois constatations:
1.
L'humeur collective globale vient de virer de l'optimisme
au pessimisme, ou du positif au négatif. Ce
sont les indicateurs financiers et économiques
qui le montrent.
Notre
commentaire: Ce diagnostic confirme celui de très
nombreux auteurs cités dans nos propres travaux,
et le nôtre propre. Le pessimisme selon les
personnes consultées se situe sur une échelle
allant de l'inquiétude modérée
au catastrophisme. Toutes les régions du monde,
tous les régimes politiques, tous les domaines
d'activités, toutes les durées, du long
terme au court terme, semblent affectés. Certains
chroniqueurs feront observer que de rares pays, le
plus notable étant la Chine, semblent y échapper.
D'autres régions, Europe, Etats-Unis eux-mêmes,
semblent au contraire en être particulièrement
affectées. Mais on peut répondre que
lorsque la Chine subira de plein fouet les défis
environnementaux et économiques auxquels son
régime politique lui a jusqu'ici permis d'échapper,
ou qu'il lui a dissimulés, elle rejoindra le
choeur des Lamentations.
2. Il en résultera des changements massifs,
sur le mode des tsunamis, affectant tous les aspects
du monde géopolitique, économique et
social. Le livre en fournit de nombreux exemples.
Notre
commentaire. La encore nous ne discuterons pas ces
prévisions, qui rejoignent la plupart de celles
des experts que nous avons étudiés,
et les nôtres propres.
3.
La façon dont ces problèmes seront traités
dépendra principalement, non de réformes
dans le monde économique et financier, mais
de l'évolution globale des opinions publiques.
Ces réformes ne sont pas à refuser,
mais conformément au postulat principal de
la socionomique, ce qui donnera un sens aux évènements
sera l'interprétation qu'en fourniront ces
opinions publiques, de la résignation à
la révolte. Les pires tendances pourront alors
ressurgir, guerres et luttes religieuses retrouvant
entre autres des paroxysmes d'ancien régime
dont l'on pouvait croire l'humanité affranchie.
Dans
la meilleure des hypothèses cependant, une
réaction "intelligente" à
des évolutions extérieures condidérées
comme des facteurs de crise: surpopulation, rareté
croissante des ressources, dérèglements
écoclimatiques, voire pandémies, pourrait
induire, d'une part une décroissance raisonnée
des consommations, d'autre part le développement
d'activités non polluantes et créatrices
en terme d'intelligence et de sensibilité collective
et individuelle. Pour se préparer à
cela, le livre fait une recommandation que nous ne
pouvons qu'approuver: restez calmes, ouverts et évolutifs:
Stay flexible. Stay open to new ideas, and most
importantly, Hang loose!!
Notre
commentaire. Une nouvelle fois, nous ne discuterons
pas ces pronostics finaux, ni la probabilité
qu'ils se réalisent plus vite que prévu
aujourd'hui, et plus près de chez nous, c'est-à-dire
en Europe.
Quant
au volontarisme suggéré, nous pensons
qu'il ne peut pas faire de mal, mais risque de n'avoir
pas plus d'effets sur les comportements effectifs
que les appels à l'optimisme formulés
par un médecin à l'égard d'un
malade dépressif. Dans notre hypothèse,
celle de l'anthropotechnique, les comportements des
systèmes anthropotechniques sont pour l'essentiel
le résultat de motivations échappant
à ce que l'on nomme encore la conscience volontaire
et mème une réflexion intelligente à
grande échelkle, celle du monde. Pour nous
les systèmes anthropotechniques ne sont pas
des systèmes cognitifs de portée mondiale.
Pour le moment, leur égoïsme prédateur
engage l'anthropotechnocène dans des impasses
dont on ne voit pas comment sortir.
La
pollution actuelle dans le golfe du Mexique en donne
une nouvelle preuve. Ni le président Obama
ni les industriels ni même les populations côtières
ne saisissent l'occasion offerte pour se déprendre
de l'addiction au pétrole. Le mot d'ordre demeure
" drill, drill, baby, drill". Ainsi le commande
l'appartenance au système anthropotechnique
encore dominant des industries de l'énergie
fossile.
Pour
terminer, nous noterons à titre de curiosité
que dans les perspectives pouvant affecter le futur,
John Casti ne tient aucun compte de ce que Ray Kurzweil
nomme la Singularité, c'est-à-dire une
explosion exponentielle et convergente des sciences
émergentes, susceptible de résoudre
la plupart des problèmes actuels. Pour notre
part, nous ne pouvons pas exclure d'intégrer
cette perspective à nos prévisions,
même si elle parait avoir de moins en moins
de probabilités de se réaliser dans
les années prochaines. .