Dans
cette page, nous présentons sommairement des ouvrages
éclairant les domaines abordés par notre revue.
Jean-Paul Baquiast. Christophe Jacquemin
L'instinct
européen, par Yves Labat, Jean-Paul Bayol,
2010
Présentation par Jean-Paul Baquiast
* Voir le site du livre http://www.editions-bayol.com/pages/livres-titres/instinct-europeen.php
Yves
Labat, consultant depuis plus de 30 ans, est Délégué
Général d'EUROGROUP CONSULTING. Depuis plus de
10 ans, il se consacre à la création d'un groupe
de conseil européen indépendant, en stratégie
et organisation - déjà présent dans 17
pays avec plus de 1200 consultants. Il est conseiller du Commerce
Extérieur.
Ce livre
se distingue de la plupart de ceux qui ont été
ou sont publiés sur l'Europe en ce sens qu'il ne s'adresse
pas directement aux institutions européennes ou nationales,
mais aux citoyens. L'auteur, s'appuyant sur une expérience
personnelle très riche, veut montrer par des exemples
précis que les citoyens européens pourraient,
en apprenant à se connaître et coopérer
d'un pays à l'autre, changer radicalement leur situation
économique et sociale. Ceci non pas en allant chercher
à l'autre bout du monde des solutions dont les autres
grands ensembles politiques ne disposent pas ou qu'ils veulent
conserver pour eux, mais en exploitant les considérables
ressources potentielles qu'offrent la société
et la civilisation européenne ici même, à
l'intérieur des frontières de l'Europe.
Le concept
de citoyen européen risque de rester vague et incantatoire,
s'il n'est pas précisé. En fait, la lecture du
livre montre qu'Yves Labat s'adresse à deux grandes catégories
d'acteurs possibles, disposant des ressources pour agir mais
ne les utilisant pas par manque d'information et plus encore,
par manque d'enthousiasme européen. Il s'agit d'abord
des PME/PMI. Les gouvernements célèbrent à
l'envi la richesse du tissu économique et industriel
qu'elles constituent. Mais Yves Labat montre que les PME, quelles
que soient leur taille ou leur secteur d'activité, restent
encore enfermées dans leurs domaines et cultures nationales
sinon locales qui, hors le cas exceptionnel de l'Allemagne,
les asphyxieront à terme. Au contraire, elles pourraient
en mutualisant leurs ressources et leurs investissements, atteindre
une véritable taille internationale. Ceci initialement
à l'intérieur même de leur domaine économique.
1).
Ainsi une
petite entreprise industrielle française et son équivalente
dans un pays européen voisin n'ont pas à elles
seules la capacité de s'équiper d'un matériel
innovant qui leur permettrait de résister à la
concurrence asiatique. En se regroupant, elles le pourraient.
Ceci est contre-intuitif. Le premier réflexe est d'éviter
de se rapprocher d'un concurrent potentiel. Mais selon le vieux
principe selon lequel l'union fait la force, l'objectif de tels
rapprochements ne serait pas de prendre à l'autre ses
marchés, mais de disputer aux américains, chinois
et autres non européens les marchés qu'ils sont
en train de se construire en Europe. En cas de réussite,
il sera temps de songer à exporter hors d'Europe, mais
en priorité, il faudra récupérer le marché
intérieur. Bien évidemment, partager un équipement
commun nouveau n'est pas simple, mais cela constitue l'amorce
de la future PME de taille européenne, travaillant en
réseau, dont l'Europe a besoin.
La deuxième
catégorie de citoyens européens auxquels s'adresse
Yves Labat est représentée par les jeunes, étudiants
et jeunes adultes, qui ne trouvent pas de perspectives dans
les frontières nationales mais qui ne font pas l'effort
d'exploiter les ressources potentielles qu'offriraient là
encore l'espace économique et civilisationnel européen
s'il était abordé à une véritable
échelle paneuropéenne. Là le discours de
l'auteur nous paraît moins convaincant. Ceci parce que
les jeunes, à supposer qu'ils aient les formations nécessaires,
n'ont pas généralement les ressources leur permettant
d'explorer les potentialités d'action s'ouvrant en principe
à eux. Certes, il existe diverses modalités d'incitation
et d'aide, dont le livre fait d'ailleurs le recensement. Mais
il est difficile d'attendre de quelqu'un se trouvant le dos
au mur d'avoir le temps et le courage d'en profiter. En fait,
ce sera dans la plupart des cas en trouvant un emploi dans des
PME tentant comme indiqué ci-dessus l'aventure européenne
que ces jeunes pourront mettre en valeur leur instinct européen.
Le lecteur
s'étonnera peut-être de voir que l'auteur ne s'adresse
pas aux grandes entreprises européennes, dans la mesure
où cette catégorie existe encore et n'a pas été
totalement absorbée par le capitalisme financier international.
Or et non sans raison, il n'en attend pas grand chose, pour
l'objectif qui est le sien. Ces entreprises n'ont en général
qu'un souci, délocaliser leurs productions hors d'Europe,
pour bénéficier de la dérégulation
administrative et des faibles coûts de main d'oeuvre.
On ne leur reprochera pas. Mieux vaut que l'Europe conserve
à ce prix des entreprises automobiles, chimiques, énergétiques
de taille mondiale. Mais ce ne sera pas celles-ci qui apporteront
des réponses à la nécessité de redévelopper
en Europe des activités productives.
Notre
commentaire
Dans ce
bref article, nous ne discuterons pas en détail la démarche
et les propositions du livre, dont nous ne pouvons, pour les
raisons esquissées ci-dessus, que recommander la lecture.
Il nous paraît cependant nécessaire, pour éviter
l'angélisme européen qui pourrait nous saisir
ce faisant, de rappeler plusieurs choses. Il n'est pas certain
qu'Yves Labat, qui ne partage pas nécessairement nos
points de vue politiques ou géostratégiques, nous
suivrait. Encore faudrait-il en discuter.
1. Les PME/PMI
ne pourront s'investir dans des coopérations internes
si les Etats européens ne développent pas de véritables
politiques industrielles de reconquête où elles
trouveront leur place. Le terme de politique industrielle n'exclut
évidemment pas le secteur agro-alimentaire ou celui des
services. Il a cependant un sens précis: produire en
Europe ce que le néolibéralisme impose d'acheter
à des entreprises et intérêts non-européens.
2. De telles
politiques industrielles européennes ne seront pas possibles
sans un appel massif à l'épargne européenne.
Ceci notamment parce qu'elles supposeront des investissements
systématiques et coûteux dans les nouvelles formes
d'énergie et de production dites « vertes ».
Nous l'avons rappelé dans notre « Plaidoyer pour
la mise en place d'un fonds stratégique européen
», susceptible de mobiliser globalement environ 1.000
milliards d'euros (http://www.europesolidaire.eu/article.php?article_id=446&r_id=).
Il ne faudrait pas chercher cet argent dans les fonds d'investissements
non européens, mais dans les épargnes et actifs
des simples citoyens européens.
3. Elles
exigeront également, comme nous ne cessons de le dire,
l'abandon du non-interventionnisme politico-administratif et
le retour à une forme étendue d'économie
mixte protégée. Celle-ci supposera évidemment
non seulement la mise en place d'un gouvernement politique et
administratif de la zone euro, mais une véritable fédéralisation
de toutes les grandes compétences budgétaires,
réglementaires et législatives. Ceci pourra se
faire, en attendant de nouveaux traités européens,
dans le cadre des coopérations renforcées ou structurées.
4. Tout
ce qui précède n'aurait aucune chance d'aboutir
si ces projets n'étaient pas soutenus systématiquement,
non pas seulement par des PME/PMI européennes y voyant
des avantages, mais par les organisations syndicales ouvrières
européennes. Les syndicats ne retrouveraient le souffle
qui leur manque actuellement que dans le cadre des politiques
de réindustrialisation et de retour à l'économie
mixte évoquées ici.
5. Concernant
les administrations nationales et locales, auxquelles le livre
de Yves Labat ne s'adresse pas réellement, le même
discours devrait être tenu. Ce ne serait que dans le cadre
d'un système d'économie mixte européen,
raisonnablement protectionniste et capable d'assurer de cette
façon le maintien des valeurs de l'Etat-providence à
l'européenne, qu'elles pourront conserver leur raison
d'être et leurs moyens.
6. Pour
éviter enfin la naïveté, il faudrait rappeler
à tous les Européens ce dont beaucoup, par atlantisme
idéologique ou parce qu'ils sont déjà «
passés à l'ennemi », ne sont pas convaincus.
C'est que l'empire américain a toujours été
et demeure le plus grand ennemi de la construction européenne.
L'Europe ne se fera qu'en se libérant de l'emprise américaine,
laquelle est plus forte que jamais, y compris au sein des «
think tanks » soi-disant européens proliférant
à Bruxelles. Si le système américain paraît
au bord du collapse dans certains domaines, il ne l'est pas
suffisamment pour que l'Europe puisse reconquérir sans
combats ses aires d'autonomie et de puissance.
Malheureusement,
les gouvernements nationaux, les élites économiques,
sociales et intellectuelles européennes sont encore financés
et soutenus par les lobbies publics et privés anglo-saxons.
On ne voit pas pourquoi, dans les conditions actuelles, ces
gouvernements et décideurs abandonneraient le confort
d'une situation de dépendance dorée pour courir
le risque de laisser parler leur « instinct européen
», à supposer qu'ils en aient conservé quelques
traces. Ils ne le feront que confrontés aux risques d'une
véritable révolution sociale, venue du coeur profond
de l'Europe.
Note
1) Nous citons le livre:
L'Europe permet de créer
des contextes entrepreneuriaux innovants dans lesquels les chefs
d'entreprise peuvent nourrir leur capacité créatrice.
Elle donne du souffle aux ambitions.
L'Europe donne des opportunités aux entreprises
pour changer de taille et du temps pour y arriver. Elle leur
apporte donc de réelles chances d'être plus fortes
dans un contexte compétitif de plus en plus dur parce
que mondial.
L'Europe accroît la surface d'action de l'entreprise
et lui permet donc de renforcer sa capacité d'attraction.
Elle donne donc de nouvelles opportunités de pérennité
aux projets entrepreneuriaux.
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