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Editorial
Une perspective
révolutionnaire: étudier l'autonomie
des cellules au sein des organes
par
Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin
18/05/2010
|
Brian
J. Ford est un chercheur en biologie rattaché au
Gonville and Caïus Collège de l'Université
de Cambridge. Il avait publié il y à 10 ans
«Sensitive Souls» (Little, Brown &
Company, mars 1999) dans lequel il montrait
que
les formes de vie animales et même végétales
apparemment les plus simples font preuve en réalité
d'activités de sensibilité, d'affectivité
et d'intelligence dont les humains s'attribuent le monopole.
Ce livre participait d'un mouvement de plus en plus répandu
chez les biologistes évolutionnaires, mettant en
évidence les origines biologiques primitives des
cultures humaines et de leurs manifestations les plus évoluées.
Dans un article édité
par les «Interdisciplinary Sciences Reviews »
(vol 34, p. 350) et qu'il résume dans le NewScientist
du 24 avril, p. 26 (The secret power of the single cell),
il reprend et élargit cette approche, d'une façon
qui, si elle se révélait fondée, ouvrirait
des perspectives de recherche inédites, pouvant éventuellement
se révéler stupéfiantes. Brian J. Ford
y fait d'une certaine façon le procès de l'approche
globalisante résultant de l'analyse de la complexité
en biologie et en physiologie. Pour les tenants de la complexité,
le tout est plus que la somme des parties. Contrairement
aux postulats du réductionnisme, qui avaient cours
précédemment, l'analyse des parties ne permet
pas de faire progresser la compréhension du tout,
car elle ne met pas assez en évidence les relations
entre ces parties. Ainsi on ne peut comprendre comment fonctionne
le cerveau si l'on s'en tient à l'étude des
cellules individuelles qui le composenti, c'est-à-dire
les neurones. Il en est de même concernant l'étude
des organismes plus complets, tels que le corps tout entier.
Certes celui-ci est constitué
d'organes aux cellules spécialisées dont il
faut connaître évidemment les différences
et les rôles spécifiques, mais le fonctionnement
global du corps ne peut se déduire du fonctionnement
de chacun de ses organes et moins encore de celui de chacune
des cellules participant au fonctionnement de ces organes.
C'est là un des fondements de ce que l'on a nommé
la physiologie intégrative(1).
A un niveau plus élevé, le fonctionnement
d'un groupe d'animaux ne peut se déduire de celui
des individus composant ce groupe. Il résulte d'une
relation holistique s'établissant entre ces individus,
et pouvant prendre la forme de comportements globaux et
de cultures spécifiques.
Ceci est évident
et il ne saurait être question d'en revenir à
un réductionnisme simpliste, prétendant déduire
le fonctionnement du tout de celui des parties individuelles.
Mais à l'inverse, souligne Brian J. Ford, il apparaît
comme méthodologiquement dangereux de considérer
les parties, en l'espèce les différentes cellules
individuelles constitutives de l'organisme complexe, comme
des composants neutres ne jouant aucun rôle en propre,
en dehors de celui lié à la fonction spécialisée
dans laquelle l'évolution semble les avoir cantonnées.
Ce qui est admissible dans des machines telles que l'ordinateur
ne l'est pas en biologie. L'ordinateur est constitué
de transistors électroniques qui, dans leurs états
le plus simple, se limitent à basculer du
au +. Il est inutile de se demander s'ils peuvent jouer
un autre rôle que celui-ci(2).
Quoiqu'il en soit, pour
Brian J. Ford, les cellules individuelles sont des organismes
capables d'une bien plus grande autonomie qu'imaginée,
qu'elles soient procaryotes (sans noyau) ou eucaryotes.
Elles sont capables, à titre individuel - c'est-à-dire
lorsqu'elles évoluent librement dans la nature -
de comportements qui sont très comparables à
ceux des organismes complexes. Certes, en général,
elles vivent en sociétés nombreuses et en
réseaux diversifiés, mais à l'intérieur
de ces sociétés, et a plus forte raison, lorsqu'elles
se trouvent isolées, elles manifestent individuellement
une sorte d'intelligence individuelle générant
des comportements partiellement aléatoires. Refuser
de le voir conduirait à l'erreur des sociologues
pour qui les groupes sociaux sont constitués d'individus
tous semblables, définis par des moyennes statistiques,
dont il n'est pas utile d'étudier les variantes individuelles.
Or chacun sait pourtant qu'en histoire des événements
surprenants peuvent survenir du fait d'actes hors normes.
Seule l'étude particulière des auteurs de
ces actes pourrait les laisser prévoir.
Paradoxalement, pour faire
apparaître l'autonomie des cellules individuelles,
il faut selon Brian J. Ford, se départir de l'analyse
réductionniste dont il défend les mérites
dans d'autres domaines. Il faut en revenir à un certain
holisme en étudiant l'organisme cellulaire tout entier,
plus donc que la somme de ses composants. Les spécialistes
des cellules ont depuis longtemps identifié les différents
organes internes qui les constituent, ainsi que leur rôle.
Mais pour aller plus loin, la biologie moléculaire
ou la génétique ne sont d'aucun secours. Il
faut considérer la cellule, telle l'algue rouge qu'il
cite en exemple, comme un organisme global susceptible de
comportements analogues à ceux des organismes multicellulaires.
Brian J. Ford voit alors, ou croit voir, la cellule montrer
des capacités pour la recherche de nourriture, l'auto-réparation,
la construction d'abris que l'on retrouve chez les insectes
ou d'autres espèces supérieures, mais qui
chez elle se manifestent sans faire appel à des organes
sensoriels et moteurs visibles.
Ces mêmes propriétés
définissant ce qu'il nomme une intelligence cellulaire
individuelle se manifestent chez toutes les espèces
de cellules, y compris parmi les nombreuses catégories
d'entre elles incluses dans des organes spécialisés.
Ceci voudrait dire que chacune de ces cellules ne se comporte
pas en robot asservi, mais en agent capable de créer
et réguler ses propres activités, répondre
aux contraintes courantes de façon autonome et, mieux
encore, prendre de bonnes décisions pour faire face
à des difficultés inattendues.
Selon Ford, il n'existei
aucun programme central qui commande aux cellules du foie
de remplacer leurs voisines détruites, aux cellules
folliculaires de créer de nouveaux cheveux, aux cellules
de la moelle osseuse d'ajuster aux besoins le nombre des
globules rouges. Le cerveau n'intervient en rien dans ces
activités, car 90% d'entre elles ne sont pas perçues
et, par conséquent, pas commandées par le
cerveau(3).
De quel intérêt,
objectera-t-on, pourrait être cette hypothèse
? On peut sans risques estimer qu'elle pourrait entraîner
des retombées nombreuses. Dans la mesure où
les moyens modernes d'observation et d'intervention sur
des cellules isolées, soit in vitro soit in
vivo, se perfectionnent constamment, mieux connaître
le fonctionnement de ces cellules, être mieux à
même de mobiliser leurs ressources, pourrait avoir
des conséquences thérapeutiques fructueuses.
Plus généralement
la connaissance de la physiologie des organes et des organismes
pourrait être considérablement améliorée.
Brian J. Ford, à la fin de son article, évoque
le cas des neurones. Si l'on cessait de les considérer
comme des transistors informatiques primaires analogues
à ceux évoqués plus haut, mais comme
de petites unités analogues à des calculateurs,
capables de comportements «intelligents» leur
permettant de traiter de l'information pour leur compte,
voire de communiquer avec leurs voisins en échangeant
des signaux électriques autres que ceux déjà
identifiées, beaucoup des mystères qui demeurent
dans le fonctionnement cérébral pourraient
être éclaircis. Plus généralement,
le fonctionnement des 100 milliards de neurones du cerveau
pourrait en être profondément amélioré.
Il est difficile de dire
ce qu'il adviendra de cette hypothèse. On peut cependant
penser que, sur cette base, des chercheurs pourront faire
de nombreuses découvertes en application du principe
simple que, lorqu'on cherche, on trouve. Il est certain
de toutes façons que pour progresser, la science
aura de plus en plus besoin de scientifiques suggérant,
à partir d'idées finalement simples, des changements
paradigmatiques importants.
Nous pensons que le travail mené actuellement par
Brian J. Ford fait partie des nouveaux regards qui permettront
à la science de demain de progresser à moindre
frais.
Notes
(1) Pour en savoir plus sur la
physiologie intégrative, on réécoutera
avec intérêt l'interview
de Gilbert Chauvet.
(2) Encore que, diront les informaticiens...
Les composants électroniques peuvent à titre
individuel générer des bruits ou perturbations
qui retentissent sur le fonctionnement d'ensemble du système,
justifiant ainsi que l'on étudie le cas échéant
les variations aléatoires dans les comportements
de chacun d'entre eux.
(3) Nous pourrions pour notre part suggérer
que les cellules réagissent en partie à des
informations générées par leurs voisines
proches, comme dans le cas du quorum sensing permettant
aux populations de bactéries de coordonner leurs
offensives contre les organismes qu'elles attaquent.
Pour en savoir plus
Sur Brian J. Ford
voir :
http://www.brianjford.com/wcurcom.htm