Article. Enquête sur la
mort d'une possible étoile supermassive
par Jean-Paul Baquiast
20/02/2002

SN 2007bi est à l'intersection
des deux droites
On
pourrait se demander pourquoi les astrophysiciens
semblent s'intéresser subitement ces derniers
mois aux objets stellaires hors normes étant
apparus dans l'univers très jeune, peu après
ce que l'on nomme encore le Big Bang. Nous venions
ici d'évoquer les recherches menées
au CEA par David Elbaz autour du quasar HE0450-2958
faisant suspecter le rôle de trous noirs géants
dans la formation des galaxies primitives 1).
Aujourd'hui, comme le relate le spécialiste
de l'espace Stuart Clark dans un article du NewScientist
(13 février 2010, p. 29) et sur son blog (http://www.stuartclark.com),
c'est un autre phénomène hors norme,
une supernova apparue en avril 2007, baptisée
SN 2007bi et observée pendant la durée
inusuelle de 555 jours, qui crée l'évènement
(notre photo, crédit Dave Young). Cette supernova
avait été détectée dans
le cadre d'une recherche systématique informatisée
menée à partir de l'observatoire Palomar,
la Nearby Supernova Factory.
Deux
raisons justifient cet intérêt. D'abord
l'observation des supernovae s'impose d'elle-même
du fait de leur caractère exceptionnel. On
sait que les supernovae et autres quasars observables
de la Terre sont rares. Elles remontent pour certaines
d'entre elles à un univers plus jeune d'environ
13 milliards d'années par rapport à
l'âge estimé de l'univers actuel. Il
est donc normal de les étudier attentivement,
avec toutes les techniques dont on dispose. D'autre
part les supernovae apportent des indices importants
concernant la composition en matière de l'univers
jeune et la nature des premiers corps résultant
de l'agrégation et de la condensation gravitationnelle
des nuages de cette matière. On soupçonne
aujourd'hui que ces corps, antérieurs à
la formation des galaxies, étaient des étoiles
supermassives ou supergéantes, contenant plusieurs
centaines de masses solaires. Comme ces étoiles
étaient rendues instables par leur masse et
leur composition, il est important de comprendre ce
qu'elles sont devenues et le rôle qu'elles ont
pu jouer dans la formation ultérieure des galaxies.
De plus, certains astrophysiciens posent la question
de savoir si l'évolution de ces supergéantes
ont eu un lien avec la brisure de symétrie
matière-antimatière ayant intéressé
le plasma de l'univers primordial dans les micro-secondes
après sa naissance, bien avant la formation
des étoiles.
Revenons
à la supernova SN 2007bi. Rappelons que 2 types
de supernovae, ces flashs énergétiques
très puissants et temporaires attribués
à des explosions d'étoiles, avaient
été identifiés jusqu'à
présent. Les supernovae de type Ia correspondraient
à la destruction d'une naine blanche à
la suite de l'accrétion de matière provenant
d'une étoile compagnon au sein d'un couple
initial (étoile double) composé de deux
étoiles de masse solaire. Les supernovae de
type II correspondraient à l'effondrement gravitationnel
d'étoiles massives ayant dépassé
leur état d'équilibre par épuisement
de leur carburant, l'hydrogène. Le coeur résultant
donne naissance à une étoile à
neutrons ou à un trou noir. Un troisième
type vient d'être envisagé tout récemment.
Il est beaucoup plus intéressant. Les supernovae
correspondantes été nommées Pair
Instability Supernovae (PISNe). Elles répondraient
à une prévision faite il y a plusieurs
décennies par des astrophysiciens théoriciens.
Les
PISNe
De
quoi s'agit-il? Le site xmouse.org ( voir ci-dessous
2) donne les précisions
suivantes. Dans le cas dune étoile très
massive dépassant les 100 masses solaires,
les modèles prévoient que les photons
gamma fabriqués par les réactions thermonucléaires
dans son cur peuvent donner naissance à
des paires électron-positron c'est-à-dire
à la création de matière et dantimatière.
Si ce processus devient important, la pression du
flux de photons gamma sur les couches extérieures
de létoile devient insuffisante pour
sopposer à la contraction de celle-ci
sous leffet de sa propre gravité. La
contraction augmente le taux des réactions
nucléaires. La production de photons gamma
créateurs dantimatière va encore
être accrue et le processus s'emballe. En peu
de temps le cur de létoile explose
avec création de divers noyaux lourds. L'énergie
dégagée est considérable et devient
visible à très longue distance. L'explosion
ne laisse rien derrière elle sauf éventuellement
un trou noir si létoile est suffisamment
massive. Elle surpasse en intensité celle dune
supernova normale et devrait selon les modèles
saccompagner de la production dune grande
quantité de nickel radioactif, s'ajoutant à
la grande quantité de matière éjectée.
Le problème était qu'aucune de semblables
supernovae de type PISNe n'avait encore été
observée, avant la détection de SN 2007bi
supposée répondre à cette définition.
En
théorie, l'existence aux origines de l'univers
d'étoiles supermassives susceptibles de donner
naissance à de telles supernovae est généralement
admise. Mais comment se seraient formées ces
étoiles supermassives? On suppose qu'aux premiers
temps de l'univers, les galaxies telles que nous les
connaissons et les étoiles de type solaire
n'existaient pas. Les étoiles supermassives
peuplaient le cosmos. Initialement il n'y avait que
de l'hydrogène, de l'hélium et des traces
de lithium dans l'espace. Pour que les nuages correspondants
s'effondrent sous le poids de la gravité pour
former des étoiles, ils devaient rassembler
beaucoup de ces gaz, contrairement aux nuages de gaz
et de poussières plus récents et plus
denses. Ils donnaient naissance en conséquence
à des étoiles supermassives, contenant
plusieurs centaines de masses solaires. Mais ces étoiles
étaient condamnées à une vie
très brève du fait de leur masse qui
accélére les processus de fusion nucléaire.
Elles consommaient leurs réserves d'hydrogène
en quelques millions d'années. En explosant,
elles ont donné naissance à tous les
éléments lourds composant la matière
actuelle. Il s'agit du phénomène décrit
par le terme de nucléosynthèse stellaire,
qui se manifeste d'ailleurs aussi en fin de vie des
étoiles contemporaines. Personne jusqu'à
présent n'avait pu identifier de telles étoiles
supergéantes, puisque par définition
elles étaient vouées à une fin
rapide sans laisser de traces aujourd'hui visibles.
Les étoiles d'aujourd'hui, constituées
de quantités appréciables de métaux,
ne peuvent pas dépasser la limite d'à
peu près 150 masses solaires.
Or,
comme le précise xmouse.org, plusieurs chercheurs,
dont Peter Nugent et Avishay Gal-Yam estiment avoir
identifié dans la supernova SN 2007bi la première
signature concluante d'une PISNe. Les données
fournies par le télescope Keck et le Very Large
Telescope (VLT) ont montré quil sagissait
de lexplosion dune étoile dau
moins 200 masses solaires avec une absence des raies
de lhydrogène et de lhélium.
Des simulations faites ultérieurement tendent
à prouver qu'il s'agit bien dune supernova
de type pair-instabilité où ont eu lieu
des créations de paires de particule-antiparticule
génératrice d'instabilité.
Selon
l'article, que nous citons: « Le cur
de létoile génitrice de SN 2007bi
devait être en train de produire des quantités
massives doxygène et être très
chaud lorsque la création de paires a dominé
lévolution de létoile. Lexplosion
sest accompagnée dune création
importante de nickel radioactif et, en se désintégrant,
cet élément a rendu la matière
éjectée particulièrement lumineuse
pendant 555 jours. Il est intéressant de noter
que cette supernova est apparue dans une galaxie naine,
le genre de galaxie qui a dû naître en
premier dans lUnivers riche en étoiles
de type III, justement très massives et initialement
dépourvues de métaux, c'est-à-dire
sans noyaux au-delà du lithium ».
Une
galaxie naine "fossile"
Mais
comment dans un passé relativement proche,
alors que le niveau des métaux présents
dans les gaz cosmiques est trop élevé
pour que la formation d'étoiles supergéantes
soit possible, une telle étoile aurait pu apparaître?
Ce serait sa présence dans une galaxie naine
qui pourrait expliquer ce fait. SN 2007bi se trouve
en effet dans une de ces galaxies naines, située
à 1,6 milliards d'années lumière
de la Terre. Une telle galaxie ne contient que quelques
millions d'étoiles, au lieu des centaines de
milliards contenus dans les grandes galaxies, Voie
lactée ou Andromède. Les galaxies naines
récentes sont relativement pauvres en métaux.
C'était sans doute encore plus le cas en ce
qui concernait les premières d'entre elles.
On a suggéré que les galaxies naines
actuelles pourraient être des fossiles de ce
qui composait l'univers primitif. Elles auraient été
préservées en l'état parce que
du fait de la faible gravité régnant
en leur sein, les productions de métaux lourds
résultant des supernovae qui s'y produisaient
auraient été rejetées loin dans
le cosmos. Dans ces conditions, pourquoi n'auraient-elles
pas hébergé, dans un passé proche
voire de nos jours encore, des étoiles supergéantes
du type de celles ayant peuplé le cosmos primitif.
Nous pourrions alors les observer, notamment au moment
où elles exploseraient en supernovae géantes.
SN 2007bi pourrait être l'une de celles-ci.
Mais
pourquoi en ce cas n'a-t-on pas constaté plus
tôt de tels phénomènes, logiquement
relativement nombreux? Pour une raison simple, selon
Alexei Filipenko de Berkeley cité par
Stuart Clark: « Parce que les astronomes
regardaient ailleurs ». Les temps de télescope
sont précieux et ils s'intéressaient
plus à la formation des étoiles dans
les grandes galaxies qu'à ce qui pouvait se
passer dans des endroits pauvres en étoiles,
telle que la galaxie naine où vient d'apparaître
SN 2007bi.
Ceci
devrait changer maintenant, avec l'accélération
des recherches robotisées de supernovae telles
que le Palomar Transient Factory destiné à
prendre la suite du Nearby Supernova Factory qui avait
permis d'identifier SN 2007bi. Observer directement
non plus des supernovae mais des étoiles supergéantes
sera plus difficile. Cependant, avec le développement
des recherches en ultra-violet confiées aux
télescopes orbitaux, l'ultra-violet qu'elles
émettent du fait de leur chaleur, jusqu'à
présent caché par l'atmosphère
terrestre, deviendra perceptible. Les astronomes comptent
pour ce faire sur Hubble, malheureusement en fin de
vie, et sur le futur James Webb Space Telescope de
la Nasa qui sera lancé en 2014. Quant aux trous
noirs supergéants pouvant résulter de
l'effondrement de ces étoiles supergéantes,
nous avons vu à propos des recherches de David
Elbaz l'importance qui leur est attribuée dans
la formation des galaxies récentes. Ces différentes
observations devraient permettre de mieux comprendre
le fonctionnement de l'univers primitif. On ne le
retrouvera jamais tel qu'il était ailleurs,
mais pourtant c'est lui qui d'une certaine façon
a déterminé ce que nous sommes aujourd'hui.
Nous
n'aborderons pas dans le cadre de cet article la question
autrement plus complexe des annihilations matière-antimatière
supposées se produire dans les Pair Instability
Supernovae telles que, pense-t-on, SN 2007bi. Signalons
cependant une observation faite récemment à
propos d'un plasma de quark et gluons produit par
le Relativistic Heavy Ion Collider, or RHIC, du Brookhaven
National Laboratory . Il ne semble pas qu'il y ait
de rapport avec ce qui se passerait dans une PISNe,
mais sait-on? On pourra consulter à titre de
première information le texte du New York Times
sur ce sujet, cité en note 3).
Notes
1) Voir
http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2010/104/elbaz.htm
2) Voir http://version2.xmouse.org/modules/news/article.php?storyid=798
3) Voir
http://www.nytimes.com/2010/02/16/science/16quark.html?pagewanted=1&sudsredirect=true
Retour
au sommaire