Biblionet.
Life
ascending. The Ten Great Inventions of Evolution
par
Nick Lane
W.W.Norton
and Cie 2009
350 pages
présentation et
commentaires par Jean-Paul Baquiast
12/03/2010
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Nick
Lane est un biochimiste britannique. Il détient
une chaire de recherche dans le département
de génétique, évolution
et environnement de l'University College London
(UCL). L'UCL fut fondée en 1826 afin
d'ouvrir les études supérieures
à des étudiants dont les revenus
et l'origine sociale ne permettaient pas l'accès
à Oxford et Cambridge, réservé
par ailleurs aux membres de l'Eglise Anglicane.
L'UCL s'est toujours distinguée par
ses approches progressistes, aussi bien en
ce qui concerne le recrutement des enseignants
et étudiants que le choix des matières
d'enseignement et thèmes de recherche.
Le docteur Lane comme nous le verrons fait
honneur à cette tradition découlant
de la philosophie des Lumières. Toute
son oeuvre est inspirée par le souci
de défendre l'intégrité
de l'esprit scientifique dans l'étude
des phénomènes de la vie, face
aux tentatives de prise en mains par les idéologies
religieuses et l'esprit partisan.
Nick Lane est principalement un biochimiste
(la biochimie est la chimie des molécules
et composés organiques participant
à la constitution et au fonctionnement
des organismes vivants), mais il suffit de
regarder les résumés de ses
livres pour voir qu'il est bien plus que cela.
Il est à l'aise non seulement dans
les sciences de la vie et de la matière,
mais dans toutes les sciences dites émergentes,
notamment les sciences cognitives, neurosciences,
sciences de l'artificialisation...Il est vrai
cependant que ses recherches se sont axées
plus particulièrement sur l'origine
de la vie et son évolution vers des
formes de plus en plus complexes, à
travers notamment la maîtrise des processus
biologiques pour la production d'énergie
(bioenergetics). Il a fondé ainsi l'UCL
Consortium for Mitochondrial Research,
les mitochondries étant les organules
intracellulaire apportant l'énergie
nécessaire à la vie de la cellule.
Pour
en savoir plus
Site de Nick Lane http://www.nick-lane.net/index.html
University
College London http://www.ucl.ac.uk/about-ucl/
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Nick
Lane n'est pas seulement un chercheur. C'est aussi
un écrivain scientifique extrêmement
fécond et talentueux, donnant une forme accessible
aux questions les plus complexes. Pour cela, il sait
à merveille vivifier la présentation
de l'information purement scientifique en la replaçant
dans des scénarios élargis à
la dimension dramatique ou poétique exigée
par la compréhension d'évènements
effectivement grandioses. Ceci ne veut pas dire qu'il
crée des mythes, mais qu'il sait faire revivre
pour nous, comme si nous en étions des témoins
oculaires, ce qui fut effectivement un long drame
aux multiples facettes, l'évolution de la Terre
et celle de la vie depuis leurs origines.
Les
livres de Nick Lane, comme les nombreux articles qu'il
donne à des revues scientifiques prestigieuses,
comportent une autre qualité rare, encourageant
le lecteur à beaucoup de réflexions
personnelles. Il s'efforce, ce qui suppose un effort
continu de mise à jour des connaissances, de
tenir compte des travaux les plus récents,
fussent-ils encore peu connus au moment où
il écrit. Ceci lui permet, puisque les travaux
ainsi cités offrent souvent des perspectives
inattendues, d'échapper à la tentation
de se satisfaire d'explications tenues pour valables
par le plus grand nombre de ses collègues,
mais qui laisseraient dans l'ombre des points nouveaux
essentiels.
Le
premier livre de Nick Lane, Oxygen: The Molecule
that Made the World (OUP, 2002) retrace l'apparition
de la vie à l'aube de l'existence de la Terre,
voici quelques 3,5 milliards d'années (nous
utiliserons dans la suite de cet article une notation
simplifiée du type [ 3,5 mda]. Il montre
qu'un changement décisif a été
apporté du fait de la production d'oxygène
par les premières cyanobactéries. Nous
avons présenté ici même un article
récent de l'auteur par lequel il a précisé
les indications données par ce livre, à
la suite d'études plus récentes
(voir http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2010/104/lane.htm).
En
2004, il a co-édité un livre consacré
à la cryobiologie, c'est-à-dire aux
formes de vie capables de se développer à
très basse température, condition qui
fut plusieurs fois et demeure dans certains endroits
celle de la Terre : Life in the Frozen State, CRC
Press.
Ce
fut cependant son troisième ouvrage qui commença
à attirer systématiquement sur lui l'attention
des milieux académiques et même du grand
public. Il s'agissait de Power, Sex, Suicide: Mitochondria
and the Meaning of Life (OUP, 2005). Il y montre
comment les processus par lesquels les organismes
cellulaires sans noyau, les procaryotes, ont pu devenir
des cellules complexes, ou eucaryotes, en absorbant
des bactéries capables de générer
de l'énergie, devenues les mitochondries, ont
véritablement marqué le passage aux
organismes multicellulaires. Mais comme le titre de
l'ouvrage l'indique, le livre est bien plus que cela.
Il s'agit d'une véritable réflexion
philosophique sur la signification de la vie. Il a
été sélectionné comme
The Economist's Book of the Year pour 2005
et nominé pour les 2006 Royal Society Aventis
Science Book Prize et le Times Higher Young
Academic Author of the Year Award.
Il
est temps, après cette courte introduction,
d'en venir à la présentation du dernier
livre du Dr Lane, Life ascending, qui fait l'objet
de cet article.
* * * * * * * * * * * *
Première
partie. Présentation
générale du livre.
Les dix grandes inventions caractérisant
l'émergence et le développement de la
vie
Une
vision grandiose, certains diront excessivement ambitieuse,
inspire Life ascending. Nick Lane l'exprime
dès la première page de l'introduction.
Il montre qu'aujourd'hui, face aux multiples formes
actuelles de la vie et aux innombrables vestiges du
passé qui en sont restés, la science
n'est plus réduite aux hypothèses plus
ou moins hasardeuses et lacunaires. "Aujourd'hui,
dit-il, pour la première fois dans l'histoire
de notre planète, nous savons "(We
know).
Cette
nouvelle compréhension du monde vivant ne résulte
pas de l'accès à une quelconque connaissance
révélée. Elle découle
d'une application patiente de la méthode proposée
par Darwin depuis la publication il y a 150 ans de
son ouvrage «L'origine des espèces».
Une telle méthode, résumée depuis
par le terme de théorie darwinienne de l'évolution
ou darwinisme (reproduction, mutation, sélection,
ampliation) a d'abord servi à comprendre pendant
un siècle le langage des fossiles puis des
gènes. Mais depuis les dernières décennies,
elle a permis d'interpréter des données
fournies par un grand nombre de nouvelles sciences,
dont les observations éclairent non seulement
les «mystères» de la vie sous ses
formes actuelles mais ceux de son plus lointain passé,
remontant à des temps où l'on ne pouvait
pas encore parler de vie proprement dite.
Certains
diront d'emblée que, dans l'affirmation qu'enfin
« nous savons », l'auteur fait
montre d'une excessive confiance en la science et
en notre capacité à interpréter
ses résultats. Pourtant Nick Lane est formel.
Aujourd'hui, la science sait. Ceux qui disent le contraire
se refusent à savoir, pour des raisons non
recevables, où la déontologie scientifique
n'a rien à voir(1).
Certes, on ne sait pas tout, des détails manquent
encore, mais dans les grandes lignes, les questions
traditionnellement posées tant par les philosophes
que par les scientifiques ont reçu des réponses
à partir desquelles il est possible de dresser
un tableau d'ensemble parfaitement significatif.
Nick
Lane ne se borne pas à affirmer, il démontre.
C'est là qu'est la grandeur de son entreprise,
car sous une apparence a priori anodine, consistant
à commenter les 10 grandes inventions apportées
à la planète Terre par l'évolution
des structures biologiques, il montre à propos
de chacune de celles-ci qu'elles trouvent leurs origines
dans les acquis des précédentes, le
tout prenant naissance à partir de lois finalement
très simples relevant non pas de la biochimie,
qui n'existait pas encore, mais de la géochimie,
celle de la Terre à ses débuts. Mais
mettre l'accent sur 10 inventions seulement, alors
que l'histoire de la vie fut le résultat d'interactions
innombrables entre mécanismes générateurs,
n'est il pas excessivement simplificateur ?
On
peut répondre que cette simplification voulue
présente un intérêt pédagogique,
en proposant une sorte d'échelle dans l'accroissement
de la complexité résultant du simple
jeu des mécanismes darwiniens de mutation-sélection.
Mais on peut aussi y voir l'illustration de la vision
épistémologique qui inspire l'auteur.
Il veut montrer il y réussit parfaitement
que les mécanismes biochimiques dont
il possède une maitrise accomplie permettent
en effet d'aborder, avec des réponses convaincantes,
les questions millénaires de la philosophie.
Les grandes inventions dont il nous propose l'étude
représentent en effet des réponses à
chacune de ces questions. La philosophie réduite
à la biochimie, s'indignera-t-on? Eh oui, parfaitement.
Ces
inventions doivent alors être vues non comme
un artifice pédagogique de présentation,
mais comme les briques de base à partir, depuis
les origines de la philosophie, s'est construite notre
intellection du monde extérieur. Le lecteur
en lisant l'introduction pourrait légitimement
rester sceptique face à une si grande ambition.
Mais il ferme le livre en étant convaincu.
Il n'est pas convaincu par un tour de passe-passe
intellectuel, comme ceux que manipulent beaucoup d'illusionnistes
des pseudo-sciences. Il est convaincu par l'énoncé
des innombrables hypothèses et souvent preuves
apportées dans chacun des domaines envisagés,
par les chercheurs bien réels et souvent encore
bien vivants et actifs, dont l'auteur s'est donné
le mal d'identifier et d'interpréter les travaux.
Le livre n'est certes pas d'accès très
facile, bien qu'il soit très clair. Mais les
matières sont complexes. On ne peut évidemment
que regretter, pour les lecteurs peu rompus à
l'anglais des sciences, l'absence d'une traduction
en français.
Quelles
sont les 10 grandes inventions de la vie dont l'auteur
a voulu faire les symboles d'un accroissement continu
de complexité, résultant, répétons-le,
non de l'accomplissement d'un dessein préétabli
mais du simple jeu du hasard et de la nécessité,
pour reprendre les termes de Jacques Monod. Nick Lane
nous explique dans l'introduction les raisons du choix
qu'il a du faire, parmi des dizaines d'autres inventions
qui auraient pu mériter d'être évoquées.
Le première critère de sélection
retenu a été la capacité du phénomène
étudié à «révolutionner»
la planète toute entière, à travers
la révolution des capacités transformationnelles
de la vie en étant résulté. Révolutionner
veut dire en ce cas changer du tout au tout le paysage
évolutif dans lequel prenait place l'invention.
Bien évidemment, l'appréciation demeure
subjective.
La
première de ces inventions, sans laquelle rien
ne se serait produit, fut la synthèse
des premiers composés biologiques à
partir de matériaux purement géologiques
ou géothermiques. Nick Lane en fait le premier
chapitre de son livre. Nous y consacrerons la seconde
partie de cet article, afin de mettre en évidence
la méthode suivie par l'auteur, comme chercheur
d'abord, comme épistémologue ou philosophe
des sciences ensuite. Une autre invention, sans doute
presqu'aussi déterminante, comme Nick Lane
l'avait montré dans son premier livre, fut
celle de la photosynthèse biologique.
Lorsque celle-ci est apparue, le monde biologique
mais aussi le monde géologique furent entièrement
transformés par la production d'oxygène,
initialement simple sous-produit ou déchet
de la décomposition de l'eau par l'énergie
lumineuse convenablement captée par les premières
bactéries photosynthétiques.
Dans
cette catégorie des inventions « révolutionnaires »,
l'auteur place aussi le mouvement, qui a transformé
les premiers organismes en leur permettant de se déplacer
à la recherche de nourriture, au lieu d'attendre
passivement que les courants marins les approvisionnent
en nutriments. Il y ajoute la vue, apparue
il y a environ 540 millions d'années, très
rapidement répandue, quasiment sous les formes
dites évoluées de l'oeil moderne et
qui fut à l'origine des premières grandes
diversifications d'espèces, à commencer
par l'explosion dite du Cambrien. Nick Lane réduit
à néant ce faisant l'argument répandu
à satiété par les créationnistes,
selon lequel l'oeil est trop complexe pour avoir résulté
de changements progressifs induits par la compétition
darwinienne. Il démontre que c'est pourtant
bien ce qui s'est produit, à partir de taches
photosensibles apparues chez des crevettes ou animaux
analogues dépourvus d'yeux, tels que l'actuelle
Rimicaris exoculata vivant autour des cheminées
volcaniques océaniques dites fumeurs (cf photo
ci-dessus).
Le
deuxième critère de sélection
proposé par Nick Lane repose sur l'importance
de l'innovation au regard de ses conséquences
multiples, y compris en termes symbolique, découlant
aujourd'hui des mécanismes biologiques correspondants.
Il range dans cette catégorie la reproduction
sexuée et la capacité de vieillir
et de mourir. Beaucoup d'organismes peuvent
d'une certaine façon survivre sans s''inscrire
dans ces mécanismes, apparemment très
coûteux. Mais sans eux, il n'y aurait pas de
vie supérieure telle que nous l'expérimentons.
Or si les biologistes et les philosophes ont à
peu près élucidé les différents
aspects du mouvement et de la vue, ils ne l'ont pas
encore fait complètement, malgré les
apparences, de ceux du sexe et de la mort, qu'il s'agisse
de l'apoptose cellulaire ou d'autres formes plus complexes
mais néanmoins programmées de dissolution.
Le
troisième critère de sélection
des innovations vitales retenu par Nick Lane tient
à leur importance comme facteur causal dans
le grand jeu de la sélection dite naturelle.
Il veut dire par là qu'il ne veut pas s'intéresser,
dans son livre, aux facteurs de sélection culturels,
résultant par exemple de l'influence des comportements
et des langages acquis par les différentes
espèces au cours de leurs interactions avec
le milieu. Ce n'est pas qu'il nie cette influence.
C'est bien plutôt parce que, pour lui, biochimiste,
ces comportements et langages culturels trouvent leur
source dans l'évolution des bases neurologiques
et plus particulièrement dans l'organisation
des cerveaux.
Si
le scientifique veut les comprendre, il doit, avant
de se perdre dans des analyses sans fins sur l'évolution
de tels comportements observés de l'extérieur,
remonter à leurs sources cellulaires. Pour
cela, il doit étudier comment, y compris d'ailleurs
au sein de formes de vie relativement simples, sont
apparus des réseaux neurologiques permettant
des phénomènes de conscience primaire,
elle-même nourrie par la perception des affects
liés notamment au fonctionnement des organes
sensoriels endogènes et exogènes.
Nous
ne pouvons que souscrire à cette approche.
Nos lecteurs savent que sur ce site, nous avons souvent
donné la parole aux chercheurs pour qui la
conscience est une émergence se produisant
à partir d'architectures biologiques et neuronales
d'origine très primitive. Il n'y a pas de raison,
autres que mythologique, de refuser qu'elle puisse
jouer un rôle dans l'évolution d'espèces
moins complexes apparemment que la nôtre, chez
des insectes, des méduses voire des réseaux
bactériens.
Nick
Lane enfin s'est inspiré d'un dernier critère
de sélection: le caractère « iconique »
ou si l'on préfère, hautement symbolique,
que prend dans la science d'aujourd'hui telle ou telle
des inventions apparues tout au long des 3mda au cours
desquelles la vie a évolué. Pour lui,
deux grands mécanismes doivent être étudiés
à cet égard. L'un concerne la double
hélice de l'ADN responsable d'un grand
nombre de mutations décisives(2),
l'autre la construction de la cellule complexe ou
eucaryote. Celle-ci intègre différents
organismes préexistants, notamment des bactéries
productrices d'énergie, devenues les mitochondries
précitées, ainsi que toutes celles contribuant
à construire l'organisme et permettre la vie
de la cellule. On sait que peu avant l'explosion cambrienne,
les eucaryotes ont appris à s'assembler en
organismes complexes au sein desquels les cellules
se sont diversifiées en organes mis au service
de fonctions spécifiques.
A
la fin de son introduction, que nous venons ici de
résumer, Nick Lane attire l'attention sur un
point essentiel, déjà évoqué.
A côté des analyses permises par l'étude
des fossiles et des ADN, dans la mesure où
des spécimens suffisamment parlants existent,
la biologie ou plus exactement la biochimie dispose
aujourd'hui d'outils extrêmement puissants,
mais qui supposent des investissements non négligeables.
Ces instruments ont transformé la biologie
comparée et la paléontologie comparée.
Il s'agit notamment de l'étude, grâce
aux progrès de la cristallographie, des enzymes
qui catalysent des réactions chimiques identiques
ou très voisines, dans tous les organismes,
de la bactérie à l'homme. Ainsi peuvent
apparaître des blocs constitutifs plus ou moins
transportables qui selon les environnements, permettent
l'adaptation des organismes à des contraintes
très différentes. D'autres outils également
puissants proviennent du déchiffrage devenu
relativement aisé de génomes entiers
et, mieux encore, de l'analyse des millions de protéines
(protéomes) pouvant résulter de l'expression
de ces gènes, gènes dits régulateurs
ou gènes apparemment inactifs.
La biologie computationnelle permet simultanément
de construire des modèles de plus en plus éclairants
des organismes et mécanismes étudiés.
L'imagerie fonctionnelle précise de plus en
plus finement l'action de faisceaux de neurones eux-mêmes
de plus en plus fins. Les analyses géologiques
montrent comment les roches et minéraux ont
évolué au cours des temps, en conséquence
de l'évolution des formes de vie ou sous la
forme de causes intrinsèques profondément
déterminantes (comme les éruptions volcaniques).
Bref nombreux sont les nouveaux outils permettant
de justifier l'affirmation de l'auteur: «maintenant,
nous savons, ou, si l'on préfère, ceux
qui veulent savoir ont les moyens de le faire»
Les nouvelles générations de biologistes
évolutionnaires ne devraient donc pas avoir
d'excuse s'ils s'en tiennent à des explications
désormais dépassées, fussent-elles
vieilles de seulement une dizaine d'année.
Aurions
nous pour notre part, une suggestion à faire
pour compléter la liste des grandes inventions
ayant permis l'ascension de la vie telle que nous
la connaissons aujourd'hui? Nous pensons, comme nous
avons essayé de le montrer, dans notre livre
«Le
paradoxe du sapiens», qu'il faut dorénavant
tenir compte des mariages symbiotiques s'organisant
au sein de ce que nous avons nommé des organismes
ou superorganismes anthropotechniques, entre
composants biologiques et composants technologiques.
Cette évolution est toute récente, puisqu'elle
n'a pris forme qu'avec l'utilisation par les hominiens
des premiers outils lithiques et pyrotechniques. Mais
aujourd'hui, notamment avec l'artificialisation des
constituants biologiques et neurologiques des systèmes
vivants, elle paraît en train de transformer,
voire de changer irrévocablement, le sens des
évolutions se produisant sur la planète,
sinon dans son environnement cosmique proche.
* * * * * * * * *
Deuxième
partie.
Présentation du chapitre 1. L'origine de la
vie
Introduction
à la seconde partie
Pour inciter le lecteur à s'engager dans la
lecture, un peu difficile certes pour quelqu'un possédant
mal l'anglais, du livre de Nick Lane, « Life
ascending », nous consacrons la seconde
partie de notre présentation à résumer
en français le premier chapitre du livre. Nous
espérons que les simplifications auxquelles
nous avons cru devoir procéder, comme les quelques
commentaires que nous avons apportés, ne trahissent
pas le texte de l'auteur.
Mais
pourquoi nous engager ici dans un tel travail ? Nous
le faisons pour illustrer la richesse d'un livre qui
bien que destiné à un large public,
apporte pratiquement à toutes les pages des
informations généralement inconnues
de ce public et concernant, non des questions techniques,
mais les grandes questions philosophiques que suscitent
les sciences modernes en général. Certes
les spécialistes connaissent ces questions.
Mais ils ne savent généralement pas
faire partager les problématiques soulevées.
Il suffit de consulter les articles détaillés
fournis par Wikipedia à propos de chacun des
concepts évoqués. Ces articles sont
destinés à des confrères ou des
étudiants. Ils sont incompréhensibles
par un lecteur généraliste.
Ce
n'est pas le cas de Life Ascending ni des deux
ouvrages de Dick Lane précités l'ayant
précédé. Bien qu'un peu ardus,
ils sont à la portée d'un lecteur attentif,
ce qui fait à nos yeux leur grand mérite.
Ajoutons que les écrits ne sont pas seulement
des compilations. Ils résument aussi les travaux
personnels de l'auteur et de ses collaborateurs, concernant
un grand nombre des points évoqués.
Tous les spécialistes de la géochimie
et de la biochimie ne sont sans doute pas d'accord
avec lui. Encore faut-il connaître les thèses
en présence pour en juger.
Précisément,
concernant les origines de la vie, nous avons évoqué
dans un article de juin 2009, "Les
origines de la vie. Réponse possible dans la
décennie", évoqué
certaines directions de recherche récentes
prometteuses, intéressant une question qui
pour ses détails reste en grande partie obscure.
On constate en lisant cet article que ces recherches
ne recoupent pas exactement les pistes évoquées
dans le livre de Nick Lane, sans d'ailleurs les contredire
explicitement. Mais c'est le propre de la science
de s'enrichir sans cesse. Dans un article précédent,
"L'oxygène,
les cyanobactéries et les premiers organismes
multicellulaires", nous avions d'ailleurs
montré que Nick Lane, à propos de l'oxygène
prébiotique, avait été amené
à compléter ses propres hypothèses
à partir de nouvelles observations.
Dans
le résumé fait ici du premier chapitre
du livre, nous voudrions faire comprendre la méthode
de présentation de Dick Lane. Après
avoir soulevé des questions difficiles, jugées
en général sans solutions aujourd'hui,
il montre au contraire, comme il le dit dans sa propre
introduction, que la science sait désormais
y rapporter des réponses tout au moins
dans les grandes lignes . Cette même méthode
se retrouve dans les autres chapitres, consacrées
aux autres grandes questions abordées par le
livre, depuis l'ADN jusqu'à la conscience.
C'est ce qui fait le caractère extraordinairement
constructif du livre.
A
la recherche de l'incubateur
Le
thème des origines de la vie est particulièrement
intéressant, car on sait qu'il est aujourd'hui
au coeur d'un certain nombre de débats scientifiques
très actuels sans mentionner les débats
philosophiques et religieux qui ne nous intéressent
pas ici. Un premier point relève de l'astrophysique
ou plus précisément de l'astro ou exobiologie:
quelles sont les conditions physiques permettant à
un corps de type planétaire (voire à
un nuage de gaz) de laisser émerger des formes
de vie plus ou moins proches de celle que nous connaissons
et donc identifiables au cas où nous les rencontrerions
au hasard d'une observation ou d'une exploration?
Implicitement, se pose alors la question du hasard
et de la nécessité. Si ces conditions
se rencontraient quelque part, donneraient-elles nécessairement
naissance à de la vie? Autrement dit, sommes
nous nous-mêmes le produit quasi obligé
de lois plus fondamentales ou celui d'un hasard qui
aurait fort peu de chances de se reproduire, au moins
au sein d'un nombre fini de planètes de type
terrestre (laissons de côté ici la question
du multivers et du principe anthropique).
Le
deuxième point d'actualité concerne
la question, qui nous intéresse particulièrement
sur ce site, de la vie artificielle ou plus précisément
de la possibilité de reconstituer des organismes
dotés des caractères que nous attribuons
à la vie avec des composants biologiques artificiellement
assemblés et plus radicalement encore, avec
des composants physiques et chimiques ordinaires,
eux aussi artificiellement assemblés. Si cette
synthèse s'avérait possible à
brève échéance, elle donnerait
des indices intéressants (mais évidemment
pas de preuves définitives) sur ce qui s'était
passé sur Terre il y a quelques milliards d'années.
Le
sujet, comme tous ceux abordés dans le livre,
est difficile. Il nécessite un minimum de connaissances
en matière de chimie et de thermodynamique.
Néanmoins Dick Lane sait en faire, comme nous
l'avons noté dans la première partie
de cet article, une saga où l'intérêt
du lecteur ne faiblit pas. L'histoire des tentatives
pour reconstituer les conditions ayant permis l'émergence
de la vie commence avec les fameuses expériences
de Stanley Miller et Harold Urey à partir de
1953, qui lancèrent l'hypothèse de la
« soupe prébiotique ».
Il s'agissait d'un mélange de gaz, ammoniac,
méthane, hydrogène censé reproduire
l'atmosphère de la Terre primitive, à
l'image de ce que ces chercheurs avaient cru observer
sur Jupiter. Des décharges électriques
dans ce mélange produisirent à la surprise
générale, un certain nombre d'acides
animés constitutifs des protéines biologiques.
Ce n'était pas de la matière vivante,
mais on était sur le chemin. Malheureusement,
assez vite (au grand désespoir de Miller qui,
selon Nick Lane, ne s'en est jamais vraiment consolé),
l'hypothèse de la soupe primitive perdit progressivement
de sa pertinence. Les gaz supposés constituer
l'atmosphère de l'époque (- 4mda) n'étaient
pas ceux sur lesquels Miller avait expérimenté.
Il s'agissait en fait, selon les hypothèses
plus récentes, de C02 et d'azote avec des traces
de méthane, mélange dans lequel les
décharges électriques n'ont aucun effet.
Le
concept de soupe prébiotique fut cependant
relancé quelques années plus tard avec
l'hypothèse due au cosmologiste Fred Hoyle
selon laquelle l'espace comportait de tels mélanges,
notamment au sein des comètes. La vie aurait
donc pu très bien être importée
sur Terre par des chutes d'astéroïdes
(la panspermie). Mais comme l'écrit Nick Lane,
on ne peut pas raisonnablement résoudre un
problème terrestre en faisant appel à
des phénomènes extraterrestres au demeurant
invérifiables.
Cependant, lorsque les biologistes moléculaires
ont compris, dans les années 1970, la façon
dont les gènes se répliquaient au sein
de l'ARN et de l'ADN, ils remirent à l'honneur
l'hypothèse de la soupe prébiotique.
On pouvait imaginer que dans un milieu riche en composés
variés, des proto-gènes se soient essayé
pendant des millénaires à l'auto-assemblage
et à la réplication, jusqu'au jour où
ils auraient trouvé la bonne formule. Mais
l'idée à nouveau se révéla
sans issue, tout au moins appliquée à
la soupe. On peut mettre une soupe aussi riche que
l'on veut en attente pendant des siècles, il
ne se produira rien sinon une désintégration
progressive de ses éléments. Manque
en effet l'impulsion thermodynamique, autrement dit
l'énergie permettant à des corps naturellement
stables de se décomposer et de se recomposer
en éléments nouveaux. L'eau, H2O,
restera éternellement H2O si on
ne lui applique pas des sources d'énergie considérables.
De simples décharges électriques ne
peuvent suffire.
L'énergie
pourtant ne manquait pas, mais il fallait la chercher
là où elle était, non dans l'atmosphère
mais dans les entrailles de la Terre ou plus exactement
dans les failles sous-marines nées de la tectonique
des plaques, mettant en contact des roches avec l'eau
des grands fonds. Les explorations sous-marines actives
à partir des années 1970 permirent d'abord
d'identifier des évents hydrothermaux de type
volcanique éjectant des matières et
gaz à haute température et sous haute
pression. On les a comparé à l'enfer
sous la mer: gaz acides, sulfureux, températures
élevées...Malgré leur toxicité
à nos yeux, ces «fumeurs» sont
le siège d'une vie très active, adaptée
aux grands fonds, comportant principalement des bactéries
et archae bactéries adaptées (acidophiles,
thermophiles, sulfureuses...), mais aussi des organismes
complexes, vers tubulaires, crabes et crevettes, etc.
Cependant,
la présence de ces espèces ne veut pas
dire que leurs précurseurs aient pris naissance
en ces lieux. Rien ne permet autrement dit de penser
qu'il s'agit de fossiles vivants témoins des
premières formes de vie. Une objection majeure
s'oppose à cette hypothèse. A supposer
que les réactions chimiques violentes se produisant
dans l'environnement de ces fumeurs aient pu et puissent
encore produire des assemblages de proto-réplicants,
ceux-ci se dilueraient et se disperseraient immédiatement
dans le milieu océanique.
Un
autre argument doit être évoqué
éliminant la recherche de l'origine de la vie
telle que nous la connaissons autour des évents
volcaniques acides Les bactéries vivant autour
des fumeurs sont des bactéries sulfureuses.
Les bactéries pourpres sulfureuses sont certes
des bactéries primitives. Contrairement aux
cyanobactéries, elles ne produisent pas doxygène.
Dans le cycle du soufre, elles oxydent le sulfure
d'hydrogène (H2S) en soufre élémentaire
et en hydrogène afin de l'attacher au C02 afin
de créer de la matière organique. Ce
faisant, elles ont besoin d'énergie. Cette
énergie provient de la réaction du sulfure
d'hydrogène avec l'oxygène de l'eau.
Les bactéries sulfureuses ne peuvent survivre
dans un milieu salin plus classique. Elles sont liées
aux fumeurs volcaniques. Rien ne permet donc de voir
dans ces fumeurs le modèle universel des milieux
où la vie aurait pu éclore. Il fallait
trouver autre chose.
Le
chimiste allemand Günter Wächtershaüser
a tenté de défendre l'hypothèse
selon laquelle la vie aurait pu se former autour de
ces fumeurs hydrothermaux volcaniques, grâce
à une réaction entre l'hydrogène
sulfureux et le fer, formant des pyrites de fer, que
nous ne décrirons pas ici. Mais cela ne résolvait
pas la question incontournable de la concentration
et de la dispersion. La vie ne peut pas émerger
en pleine mer, sans protection. Même au sein
de mares tièdes d'eau douce, comme l'envisagent
d'autres chercheurs, la question ne trouve pas de
réponses très convaincantes.
C'est
alors, comme le montre Nick Lane, qu'est intervenue
une solution inespérée à cette
difficulté fondamentale. Elle a été
explicitée à partir des années
1985 par le chercheur américain Mike Russell.
A cette date les explorations sous-marines ont mis
en évidence l'existence d'évents hydrothermaux
très différents des fumeurs noirs. Il
s'agissait de roches apparaissant sur le fond océanique
à la suite de la séparation lente entre
plates tectoniques (image). Ce n'était plus
alors des éruptions violentes de type volcanique
mais un produit des réactions des roches ainsi
fraîchement exposées avec l'eau de mer.
Les
fractures entre plaques tectoniques sont présentes
dans tous les océans et remontent très
loin dans l'histoire de la Terre. Le mouvement des
plaques découvre les roches sous-jacentes du
manteau. Il s'agit si l'on peut dire d'un phénomène
relativement doux: milieu alcalin, température
basses, mouvements lents. L'eau de mer réagit
avec ces roches pour produire des minéraux
hydroxydes tels que la « serpentine »,
minéral de la famille des phyllosilicates (ou
silicate lamellaire) faisant partie du groupe de la
kaolinite-serpentine. Son aspect est semblable à
des écailles de serpent. Les roches de cette
nature, ainsi formées, sont alcalines. Elles
se présentent comme une pierre poreuse comportant
de grandes quantités de micro-cavités
interconnectées
Il
faut ajouter que la réaction de l'eau avec
les roches du manteau, produit de l'énergie
et de nombreux composés organiques susceptibles
de s'agréger en ensembles prébiotiques.
De plus et surtout, ces réactions peuvent se
faire à l'intérieur des cavités
de la serpentine ou des roches analogues qui se construisent
en permanence sur le fond. Le problème de la
concentration et de la diffusion des composés
prébiotiques pouvant ainsi se former trouverait
alors une solution. Un massif de serpentine pourrait
être considéré comme l'exosquelette
d'un être vivant complexe, analogue à
une ruche, susceptible d'abriter dans ses alvéoles
ou cellules les précurseurs d'une vie primitive.
On
ne sait actuellement si les massifs actuels hébergeraient
encore de telles formes de vie ou en conserveraient
des traces. Disons seulement que le sous marin Atlantis
a découvert à partir de 2000 de véritables
massifs sous-marins non loin du ridge mi-atlantique,
qui furent nommés le massif Atlantis Une structure
particulièrement spectaculaire a été
baptisé la Cité perdue (The lost
City) . Ces massifs sont remplis de vie, constituée
principalement par des archée bactéries
et les animaux de petite taille qui s'en nourrissent.
Ils s'agit d'organismes moins spécialisés
que ceux entourant les fumeurs, donc davantage susceptibles
de se répandre. Mais rien ne permet cependant
de voir en eux des fossiles vivants représentatifs
de la vie primitive(3).
De
toutes façons, avoir découvert un cadre
ou environnement naturel pouvant avoir hébergé
les premières formes de vie est extrêmement
important, mais n'éclaire pas les mécanismes
énergétiques et chimiques susceptibles
d'avoir donné naissance à celles-ci.
Nick Lane décrit un certain nombre de processus
biochimiques capable d'apporter des solutions à
ce nouveau problème. Il reconnaît que
pour préciser les hypothèses, voire
en faire naître d'autres, il faudrait conduire
des expérimentations complémentaires
qui n'ont pas encore été faites. En
étant optimiste, on peut penser cependant que
dans une décennie, la question sera en très
grande partie résolue.
D'un
incubateur possible à l'oeuf proprement dit
Résumons
la question posée. On peut admettre, en suivant
Nick Lane, que les évents alcalins sous-marins
tels que ceux ayant donné naissance aux massifs
analogues à ceux de la Cité perdue offraient
un cadre optimum pour favoriser les premières
synthèses d'éléments biochimiques,
permettant autrement dit de passer de la chimie minérale
à la chimie organique. Dans ces massifs, l'hydrogène
natif sort directement du sous sol sous forme gazeuse.
Spontanément, bien que lentement, l'hydrogène
ainsi émis peut se combiner au CO2
abondamment dissous dans l'eau pour former des molécules
organiques en libérant une certaine quantité
d'énergie, disponible pour d'autres réactions.
De plus les parois des micro-compartiments composant
les massifs peuvent se charger, à partir du
fer dissous dans l'eau, qui était abondant
à ces époques, de composés catalytiques,
constitués de fer et de sulfures. Il s'agissait
donc et s'agit encore de réacteurs à
flux continu, comportant des fluides réactifs
circulant à travers des compartiments potentiellement
catalyseurs grâce à des gradients thermiques
et électrochimiques en renouvellement constant
du fait de l'incessante activité géologique
du manteau supérieur terrestre.
Mais
comment un tel réacteur aurait-il pu engendrer
de la vie complexe? Pour le comprendre, Dick Lane
propose une méthode que nous retrouverons avec
le plus grand intérêt dans les autres
chapitres du livre: partir de l'hypothèse que
les processus en cause étaient les plus simples
possibles et bien entendu déjà existants
dans la nature bien avant la vie rechercher
dans les organismes actuels ce qu'il appelle des fossiles
vivants pouvant éclairer de tels processus.
Par ce terme il désigne des mécanismes
ou phénomènes communs à tous
les êtres vivants, y compris les plus primitifs
(bactéries et archae) qui jouent encore un
rôle essentiel dans le métabolisme et
plus généralement les modes de vie ou
survie de ces êtres, nous mêmes compris
évidemment.
Il
faut ainsi définir les spécifications
d'un être vivant théorique. Celui-ci
fut nommée LUCA, Last Universel Common Ancestor.
Le travail a été fait depuis un certain
temps en partant de l'analyse des êtres vivants
actuels (approche top-down) : LUCA et tous les vivants
doivent être constitués de cellules (les
virus exceptés), disposer de gènes composés
d'ADN, coder la synthèse des protéines
à partir d'un certain nombre d'acides aminées
et finalement utiliser une molécule capable
de fournir d'une façon universelle de l'énergie
aux différents organes de la cellule. Les trois
premières propriétés ne pouvaient
pas se trouver dans un pré-LUCA éventuel,
puisque le LUCA n'existait pas encore. Par contre,
la 4e était indispensable. Sans un processus
générateur d'énergie, pas de
LUCA...et pas non plus d'organismes vivants modernes
constitués sur le modèle de LUCA. C'est
donc le générateur d'énergie
qui doit nous intéresser et dont nous devons
étudier la possible émergence dans les
conditions préalables à l'apparition
de la vie, notamment celles régnant dans le
réacteur évoqué plus haut.
Ce
générateur d'énergie est connu
depuis longtemps. Il s'agit de ladénosine
triphosphate (ATP) , molécule qui, dans tous
les organismes vivants, fournit lors de son hydrolyse
l'énergie nécessaire aux réactions
chimiques des cellules. Du fait de la présence
de liaisons riches en énergie (n'entrons pas
ici dans les détails) cette molécule
est utilisée chez les êtres vivants pour
activer les réactions chimiques qui consomment,
de l'énergie, notablement au sein des mitochondries.
L'ATP est la réserve d'énergie de la
cellule.
Mais
l'ATP ne suffisait pas pour fournir de l'énergie
à LUCA et à ses successeurs. Il fallait
qu'il existe chez tous les organismes un autre fossile
vivant capable de produire l'ATP, autrement dit un
ensemble commun de réactions métaboliques
qui s'organisent autour d'un cycle découvert
dans les années trente par le biochimiste allemand
et Prix Nobel Hans Krebs. Le cycle de Krebs est constitué
d'une série de réactions biochimiques
dont le rôle est de produire des intermédiaires
énergétiques qui serviront à
la production d'ATP dans les différentes chaines
où celle-ci intervient. Il s'agit d'un cycle
car le dernier métabolite, l'acide oxaloacétique,
est aussi impliqué dans la première
réaction. Autrement dit, le cycle peut fonctionner
à l'endroit aussi bien qu'à l'envers.
A l'endroit, il consomme des molécules organiques
(provenant par exemple de la nourriture) et produit
de l'hydrogène destiné à être
brûlé avec de l'oxygène, par exemple
dans la respiration, ainsi que du CO2.
Il produit aussi un peu d'ATP. A l'envers, il consomme
du CO2 et de l'hydrogène pour produire
les molécules organiques nécessaires
à la vie. En ce cas, il consomme de l'ATP.
C'est
évidemment le cycle de Krebs inverse qui nous
intéresse. Il se trouve qu'il est peu répandu,
y compris dans les bactéries, sauf précisément
dans celles qui vivent au sein des évents hydrothermaux.
Il s'agit d'un processus primitif essentiel pour convertir
du C02 en composés organiques. Mais le fait
que le cycle de Krebs inverse soit présent
dans des bactéries primitives ne nous éclaire
pas à ce stade de notre raisonnement. Il faut
(et il fallait) qu'il puisse se produire spontanément
dans la nature avant l'apparition de la vie, afin
d'être recruté par celle-ci.
Or
le biochimiste Harold Morowitz a montré que
le cycle de Krebs inverse se produit spontanément
dans un milieu disposant d'une concentration suffisante
des éléments nécessaire à
sa mise en route. Il ne s'agit donc pas d'une « invention »
de la vie, résultant par exemple de l'intervention
de certains gènes, mais d'un mécanisme
relevant d'une chimie probabiliste non organique et
de la thermodynamique. En d'autres termes, un cycle
indispensable à la vie peut s'enclencher en
l'absence de toute vie préalable, si les conditions
chimiques et thermodynamiques nécessaires sont
réunies. On pourrait parler d'auto-allumage.
Quand ultérieurement les gènes apparurent,
ils n'eurent plus qu'à « domestiquer
» à leur usage une réaction géochimique
préexistante.
Reste
cependant à expliquer comment l'ATP peut être
générée. Nick Lane se réfère
à cet égard aux recherches conjointes
du géochimiste Bill Martin associé à
Mike Russel, le " découvreur "
des évents hydrothermaux alcalins. Selon eux,
ces évents génèrent continuellement
(nous simplifions) des catalyseurs nommés acetylthioesters.
Ceux ci provoquent et entretiennent la réaction
entre l'hydrogène et le C02, laquelle
à son tour produit des molécules organiques
et de l'ATP. L'ensemble aux origines pouvait se trouver
«packagé» dans les microcavités
de la roche serpentine, lesquelles présentent
des dimensions comparables à celles des cellules
modernes.
On
se trouvait donc en présence d'une véritable
fontaine de vie, pour reprendre le terme de Nick Lane,
entretenue par la production continuelle, au sein
des évents, de l'hydrogène et de divers
autres gaz, ainsi que des catalyseurs nécessaires
à la synthèse des molécules organiques.
Le CO2, comme rappelé plus haut,
également indispensable, ne manquait pas car
il était présent dans l'eau de mer qui
en était particulièrement riche à
ces époques, du fait notamment des éruptions
volcaniques aériennes.
Si
comme on l'a rappelé, le détail des
réactions ayant permis à des composants
prébiotiques de s'installer dans les microcavités
de la serpentine n'a pas encore été
reconstitué, le principe général
résumé ci-dessus paraît indiscutable.
Reste à expliquer le dernier point. Si la vie
s'est répandue dans les mers et plus tard sur
les terres émergées, il fallait que
les cellules primitives s'affranchissent de la protection
des sources géochimiques et énergétiques
procurées par les incubateurs liés aux
évents alcalins. Autrement dit, il fallait
que les protocellules sortent de leurs cocons protecteurs
et puissent dériver à l'aventure, sans
perdre pour autant leurs ressources en hydrogène
et en catalyseurs, ainsi qu'en ATP.
Là
encore, selon Nick Lane, Martin et Russell ont suggéré
un mécanisme qui avec le recul paraît
merveilleux. Les propres recherches de Nick Lane ont
précisé le mécanisme. Il est
universel. C'est la chimiosmose, laquelle permet à
toutes les cellules existantes de générer
de l'énergie par une méthode de respiration
qui est la plus contre-intuitive de toute la biologie.
Dans leurs évents, les eaux alcalines créent
des gradients (différences de concentration
générant des courants convectifs) de
protons qui ont pu être exploités par
les premières cellules au sein des pores en
nids dabeille des roches. Comme on l'a vu, ces
cellules catalytiques auraient utilisé ces
gradients pour produire énergie, lipides, protéines
et nucléotides. Elles auraient ensuite acquis
la capacité chimiosmotique de créer
par elles-mêmes des gradients de protons pour
produire leur propre énergie, sous forme dATP.
Par là même, elles seraient devenues
autonomes et auraient pu saffranchir des évents
hydrothermaux.
C'est
l'anglais Peter Mitchell, prix Nobel 1978, qui proposa
le mécanisme de couplage entre le transport
des électrons et la synthèse de l'ATP.
Il suggéra que le flux des électrons
d'un composant à l'autre de la chaîne
respiratoire dirige des protons (ions hydrogène)
au travers de la membrane (vers l'espace inter membranaire),
créant ainsi un gradient protonique . Ensuite,
la production d'ATP résulte du flux inverse
de protons descendant le gradient. Cette proposition
constitue lanécessite implique des donneurs
et des accepteurs délectrons pour générer
lénergie chimique nécessaire aux
réactions doxydo-réduction. Le
premier donneur aurait été l'hydrogène
et le premier accepteur le C02.
La
raison pour que tous les organismes soient chimiosmotiques
aujourdhui est simplement quils ont hérité
cette caractéristique depuis linstant
et le lieu où les premières cellules
ont évolué et elles ne pouvaient
pas évoluer sans cela. Pour Nick Lane, il est
impossible de voir comment la vie aurait pu commencer
sans chimiosmose. Le mythe de la soupe prébiotique
se trouve ainsi définitivement renvoyé
aux oubliettes. Mais cette évolution dans les
représentations est si récente que beaucoup
de biologistes n'en ont pas encore pris conscience.
La
saga de l'émergence de la vie bactérienne
ne se termine pas là cependant, aussi merveilleuse
qu'apparaisse la chimiosmose. Les premières
cellules capables de générer leur propre
énergie n'étaient pas pour autant armées
pour quitter l'incubateur et envahir les eaux libres
de l'océan avoisinant. Elles devaient être
capables de se reproduire et surtout de muter afin
de s'adapter sans cesse à des environnements
contraignants. Pour cela elles devaient disposer d'un
moteur réplicatif. Ce fut l'ADN, commun à
tous les êtres vivants et qui par conséquent
dut être mis au point par LUCA dès le
stade de l'enfermement dans les roches poreuses des
évents alcalins. Il s'agit du second palier
dans la montée de la vie, précédant
tous les suivants puisqu'il fonde la possibilité
de l'évolution darwinienne ultérieure.
Nick Lane y consacre le chapitre 2 de son livre. Mais
à notre grand regret nous ne le suivrons plus
ici dans ce parcours. Nous conseillons évidemment
à tous nos lecteurs de prendre le relai.
* * * * * * * * *
Troisième
partie. Commentaires
Nous
n'avons pas l'intention d'engager une discussion chapitre
par chapitre à propos de chacun des thèmes
abordés dans les 10 chapitres du livre. Certes,
comme nous l'avons fait pour le chapitre 1, une lecture
attentive mériterait commentaires, compléments
et éventuellement objections, au moins de détail.
Mais cela dépasserait le cadre de cet article.
Nous allons donc nous limiter à des réflexions
d'ordre général, regroupées dans
3 rubriques.
La liste des « inventions »
apportées par la vie et proposée par
Nick Lane est-elle complète?
L'auteur a précisé d'emblée qu'il
ne voulait pas prendre en compte les évolutions
strictement culturelles, c'est-à-dire pouvant
être étudiées sans référence
à leurs bases biologiques. Cependant, on ne
voit pas très bien ce qui, dans les cultures,
qu'elles soient animales ou humaines, puisse être
détaché de toute base biologique. On
peut admettre pourtant que certains mécanismes
puissent mériter, au moins dans une approche
sociologique, d'être étudiés en
tant que tel. Beaucoup de chercheurs en sciences humaines
plaideront que c'est le cas, par exemple en ce qui
concerne l'évolution des institutions politiques,
des uvres de création, des langages....
Pour notre part, nous pensons qu'il n'en est rien.
Il n'y a pas de comportements individuels et collectifs,
évidemment dans le monde animal mais aussi
dans les sociétés humaines, qui ne puissent
(ne doivent) être analysés au regard
de leurs déterminants biologiques, génétiques
et épigénétiques notamment. L'évolution
constitue une sorte de tout dont les différents
aspects s'interpénètrent et s'entredéterminent.
Il est toujours possible d'isoler tel ou tel aspect,
pour la clarté apparente de certaines démonstrations,
mais il ne faut pas se dissimuler qu'il s'agit d'une
« solution de misère ».
Prenons la question des langages humains et plus précisément
encore des contenus informationnels qui se forment
et s'échangent à l'occasion des échanges
langagiers. Il est inutile de rappeler que les bases
neurales correspondant chez l'homme moderne à
la mise en place de tels échanges trouvent
leurs origines très loin dans l'échelle
des espèces vivantes. Certes, les langages
humains atteignent des niveaux de complexité
nécessitant des études spécifiques,
mais celles-ci seraient stériles si elles oubliaient
les déterminismes plus primaires qui continuent
à s'y exprimer de façon sous-jacente.
Il en est de même des institutions et des comportements
plus ou moins codés, transmis soit comme des
invariants soit comme des réplicants et constituant
le milieu sociétal, autrement dit la culture.
Ceci nous conduit à reprendre la réflexion
déjà faite dans la première partie
de cet article. Certes, Nick Lane ne pouvait pas tout
dire et tout aborder. Il nous semble cependant qu'il
aurait pu discuter, sans doute après son dernier
chapitre consacré à la conscience, l'apparition
de ce que dans notre livre Le
paradoxe du Sapiens nous avons nommé
les organismes anthropotechniques. Rappelons que nous
désignons par ce terme les véritables
symbioses qui selon nous se sont établies depuis
quelques centaines de milliers d'années entre
les hominiens et les technologies qui se sont développées
en interaction avec eux.
Nick
Lane nous objectera peut-être qu'il s'agit de
ces éléments culturels qui n'intéressent
pas le domaine biologique et qui, de toutes façons,
ne concernent qu'une toute petite partie du monde
vivant, celle liée au développement
de l'« espèce » humaine.
Mais nous pensons avoir montré que les interactions
entre anthropos et techne s'inscrivent
aujourd'hui simultanément dans les gènes
des humains et dans les déterminismes transformationnels
proprement technologiques, empêchant pratiquement
de distinguer les apports respectifs des entités
en symbiose.
Il
faut donc considérer le produit obtenu, le
macro-organisme ou complexe anthropotechnique, comme
un être vivant d'un nouveau genre. Quand à
son influence sur l'ensemble de la biosphère,
il n'est pas nécessaire de lire notre livre
pour se convaincre de son importance. Tout ce qui
concerne l'univers en pleine évolution du synthétique
et de l'artificiel, généralement associé
à des humains comme rappelé ci-dessus,
en est la preuve. Il est prévisible que dans
une cinquantaine d'années, le successeur de
Nick Lane, s'il s'en trouve, citera l'anthropotechnique
comme un des facteurs déterminants ayant influé
sur l'évolution heureuse ou malheureuse des
formes de vie dites supérieures.
Le
livre ne fait-il pas preuve d'un réductionnisme
excessif ?
Le
très grand mérite que nous attribuons
à ce livre, comme d'ailleurs aux deux ouvrages
de Nick Lane qui l'ont précédé,
est précisément de montrer qu'avec un
peu de géochimie, beaucoup de biochimie et
considérablement d'esprit scientifique, on
peut selon l'expression reconstruire le monde dans
ses infinies complexités. Ceci inclut aussi,
dans notre esprit, comme nous l'avons noté
ci-dessus, la compréhension des sentiments,
des affects, de l'art, de la philosophie et même
des religions, si l'on accepte d'expliquer le poids
que celles-ci pèsent dans encore dans les esprits
par des millénaires d'évolution où
face à la mort dont ils avaient pris conscience,
les cerveaux des hominiens ont généré
des antidotes restées profondément ancrés
dans des bases neurales recrutées pour répondre
au besoin.
Il
reste que nul ne prétendra, pas plus Nick Lane
qu'un autre, que tout peut s'expliquer par l'ATP,
la photosynthèse ou même les échanges
d'ions entre neurones corticaux. Comme nous l'avons
rappelé ci-dessus, des recherches plus « dédiées »
s'imposent. Le grand livre des sciences, y compris
sociales et humaines, reste encore ouvert aux curieux.
Ce que nous disons est plus simple. Si un quelconque
de ces chercheurs, philosophes, artistes, hommes politiques,
moralisateurs de tous poils n'a pas en tête
le contenu (aussi bien digéré que possible),
de livres comme ceux de Nick Lane, inévitablement,
à un moment ou à un autre, il dira et
fera des bêtises, pour ne pas dire des inepties.
C'est ce qui est malheureusement le cas aujourd'hui,
malgré la prétendue expansion de la
culture scientifique chez les prétendues élites.
Culture scientifique my ass, pour parler comme Shakespeare.
Que va-t-il advenir de la
vie terrestre?
Une
des grandes questions, discutée aujourd'hui
sur toutes les tribunes, concerne l'avenir de la biodiversité
au regard de différentes menaces, qu'elles
soient d'origine humaine (anthropique) ou naturelle.
Les recherches telles que celles de Nick Lane prennent
à cet égard une très grande actualité.
On lira avec intérêt les développements
qu'il a consacré aux conditions caractérisant
l'environnement marin, atmosphérique et terrestre
tout au long des 3,5 mda utilisés par la vie
pour atteindre son état actuel de développement.
Précédemment, nous avons rendu compte
des travaux d'un certain nombre de chercheurs ayant
abordé ces questions avec plus ou moins de
détails. En dehors de James Lovelock, nous
pouvons nommer ici le géologue et biologiste
américain Peter Ward, dont les deux livres
présentent un considérable intérêt(4).
Nick Lane cite Peter Ward à l'occasion d'une
discussion sur les dinosaures (étaient-ils
ou non dotés d'un sang chaud ?), mais il n 'évoque
pas ses autres livres, ce qui est un peu dommage.
C'est
en fait sur l'avenir de la vie terrestre que le lecteur
aurait peut-être attendu de lui certaines prévisions.
Certes, il est pratiquement impossible d 'émettre
de diagnostics, quel qu'en soit le sens, sur un sujet
aussi complexe et dont les variables sont largement
indéterminées. Néanmoins la discussion
d'un certain nombre de possibilités aurait
été selon nous intéressante,
avec les précautions d'usage. Les prévisions
provenant d'autres sources ne manquent pas. Certaines
paraissent assez fantaisistes: disparition des organismes
dits supérieurs, destruction générale
des écosystèmes, éventualité
que des humains ou post-humains tentent de s'acclimater
sur diverses planètes avec les investissements
considérables que cela supposerait (terrraformation
de Mars par exemple). Nous aurions souhaité
lire le point de vue de Nick Lane sur ces perspectives,
dut-il confirmer le caractère fantaisiste de
certaines d'entre elles.
Notons
pour finir que s'engager dans de telles considérations
peut utilement conduire l'auteur d'un livre sur l'émergence
et le développement de la vie, tel que Life
ascending, à se poser, avec le lecteur,
une question portant sur la solidité des connaissances.
Dick Lane nous a expliqué, et nous le croyons,
que désormais la science sait ce que fut et
ce qu'est la vie. Il serait bon cependant de se demander
si elle sait vraiment tout, non à propos de
points de détails, mais à propos de
phénomènes majeurs qui auraient échappé
aux instruments d'observation et aux cerveaux actuels.
Si ce n'était pas le cas, il faudrait se demander
de quel côté pourraient provenir des
surprises significatives. Ainsi le livre pourrait
se terminer par un point d'interrogation d'une certaine
ampleur, ce qui n'est jamais mauvais pour un travail
scientifique.
Bien
entendu, nous serions heureux que les prochains livres
ou articles de Nick Lane abordent quelques une de
ces diverses questions.
Notes
(1)
Nick Lane se démarque explicitement, à
cet égard, de l'affirmation faite par l'avant
dernier pape devant l'Académie pontificale
des sciences, selon laquelle si la religion pouvait
admettre que la science étudie l'évolution,
elle ne pouvait admettre qu'elle cherche à
comprendre les prétendus mystères de
la vie et de la conscience. Tout son livre vise à
démonter le contraire.
(2) Comme nos lecteurs le savent,
le rôle exclusif des mutations portant sur les
séquences du génome reproductif a été
critiqué. La théorie de l'ontophylogenèse
élargit considérablement le champ de
ce que Jean-Jacques Kupiec a nommé le darwinisme
cellulaire.
(3) Voir à ce sujet
http://www.lostcity.washington.edu/science/geology/atlantis_mountain.html
ainsi que
http://www.lostcity.washington.edu/
(4)
Sur Peter Ward. Voir "The Medea Hypothesis"
http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2009/sep/ward.html
Voir aussi "Under a Green Sky"
http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2009/95/livresenbref.htm