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Economie
politique
Qui détrônera la
science économique dans sa prétention d'être
une science ?
par
Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin - 07/09/2009

Les
simples citoyens que nous sommes, les médias qui ne
demandent qu'à se laisser monter le coup, les hommes
politiques sans culture peuvent être pardonnés
d'accepter les prétentions des économistes,
quand ils se disent les représentants d'une science
authentique, la science économique, l'ancienne économie
politique.
Mais les vrais scientifiques, ceux qui devraient savoir ce
que sont les servitudes et les grandeurs de la science véritable,
devraient s'insurger devant cet abus de langage.
Certes, un vrai scientifique met son honneur à ne pas
se prononcer dans les domaines où il n'a pas d'expertise
personnelle, ce qui le conduit souvent à respecter
les jugements de ses pairs, même lorsque, ce qui arrive,
ceux-ci se révèlent mal fondés. Aussi,
sans doute, la majorité de ces «vrais»
scientifiques considèrent-ils qu'en matière
d'économie, contrairement à l'opinion courante
selon laquelle chacun peut s'y croire expert, ils n'ont pas
la compétence nécessaire pour condamner la façon
péremptoire dont les économistes pratiquement
sans exceptions élaborent des listes de «vérités
scientifiquement établies»(1) à
partir desquelles ils incitent à des prises de décision
politiques qui se révèlent finalement responsables
de désastres en chaîne.
Il
n'est pas nécessaire d'avoir fait de longues études,
ni en philosophie des sciences ni en économie, pour
juger du caractère plus ou moins scientifique d'une
démarche s'affirmant comme telle.
A quoi peut-on reconnaître une science véritable
?
Au fait qu'elle fait des prévisions, sinon toujours
justes, du moins se rapprochant de plus en plus des faits
observés. Ceci même dans les domaines où
règne l'instabilité voire le chaos des relations
entre les facteurs. C'est par exemple le cas en météorologie.
Or l'économie n'est jamais capable de prédire
que le passé, et encore ne l'interprète-t-elle
que d'une façon faussée, ceci pour justifier
ses prédictions relatives au futur, lesquelles ne se
réalisent pratiquement jamais puisque les prémisses
en sont illusoires. Les événements récents
le montrent. Les économistes n'avaient pas prédit
les multiples crises actuelles. Ils sont donc incapables de
faire des prévisions ayant quelques chances de pertinence
sur la façon dont ces crises évolueront.
Au fait qu'elle n'oriente pas ses analyses en fonction de
ce que souhaitent entendre les intérêts dominants,
politiques, économiques et financiers. Signalons toutefois
que, du côté des scientifiques, la rigueur intellectuelle
n'est pas forcément toujours la règle : dans
des sciences comme la chimie, la biologie, la climatologie,
nombre de «scientifiques experts» sont en fait
rémunérés directement ou indirectement
par telle ou telle firme. Mais en économie, la corruption
consciente ou inconsciente semble systématique. De
nombreux économistes ou professeurs de business schools
travaillent pour des banques d'investissement et des hedges
funds qui ont un intérêt à refuser toute
vue critique sur leurs activités et leurs conséquences
néfastes. Quand ce n'est pas le cas, ils sont plus
ou moins placés directement sous l'influence de think
tanks (laboratoires d'idées) ou média qui vivent
de la bienveillance des gouvernements. Tout ceci génère
une «pensée unique» ou «main stream
thinking», parfois dénoncée mais que nul
économiste soucieux de sa carrière ne veut remettre
en cause. Même si d'autres disciplines scientifiques
sont soumises à des conservatismes très forts,
l'empreinte de ces derniers sur les esprits des chercheurs
n'est jamais aussi forte qu'en économie.
Au fait qu'elle accepte, sous la pression d'observations expérimentales
non explicables par les théories dominantes, de remettre
en cause ses grands paradigmes afin d'ouvrir la voie, dut-ce
semer le trouble dans ses rangs, à de véritables
sauts épistémologiques.
C'est ce que fait la biologie aujourd'hui, avec le démantèlement
de la vieille bastille de la biologie moléculaire centrée
sur le concept [un gène=un caractère] et l'adoption
progressive de ce que certains novateurs ont nommé
l'expression stochastique des gènes.
En économie au contraire, vaille que vaille depuis
Adam Smith, s'est imposée l'idée que la globalisation
des marchés financiers créait la richesse et
que le laisser-faire devait être la règle, partout
dans le monde et pour toutes les institutions. On a prétendu
que toute autre forme de politique économique conduisait
à la ruine et à la corruption, prenant prétexte
des abus des régimes socialistes du XXe siècle.
Mais du même coup, on a refusé d'envisager un
changement de paradigme, c'est-à-dire ce que pourraient
être des formes de gouvernance économico-politiques
modernes prenant en compte les acquis des diverses sciences
récentes dites notamment de la complexité.
Au fait que cette science n'hésite pas (sauf cas d'enfermement
disciplinaire de plus en plus rares) à s'enrichir des
apports croisés des autres sciences. Autrement dit,
dans la suite de la remarque précédente, si
la prétendue science économique était
une science véritable, elle n'hésiterait pas
à importer des pans entiers des découvertes
faites par les autres sciences, ne fut-ce que dans des disciplines
voisines comme les sciences politiques et les sciences administratives
modernes. On dira que c'est le cas puisque la science économique
s'est mathématisée à outrance, ce qui
n'était pas sa spécialité. Elle est même
allée jusqu'à s'intéresser aux neurosciences
en évoquant les principes d'une prétendue neuro-économie.
Mais en réalité, il ne s'agit que de techniques
destinées à éloigner les questions de
ceux qui voudraient comprendre sur quelles bases scientifiques
et surtout sur quels faits observés s'appuie la science
économique. En fait, celle-ci continue à ignorer
avec superbe l'étude des systèmes anthropotechniques
qui sont les véritables agents de l'évolution.
Nous désignons par ce terme les multiples réseaux
de déterminismes génétiques, culturels,
mentaux auxquelles sont soumis aussi bien les groupes que
les individus.
Certains
économistes prétendent qu'élargir ainsi
le regard les éloignerait définitivement de
la compréhension des faits économiques. Mais
en disant cela, ils montrent qu'ils ne comprennent rien au
fonctionnement des sociétés, en croyant pouvoir
isoler les comportements et faits dits "économiques"
de tout ce qui constitue le tissu évolutionnaire permanent
des systèmes anthropotechniques. Sur ce site, où
nous nous appliquons à nous tenir informés des
découvertes des différentes sciences modernes,
nous nous demandons régulièrement pourquoi celles-ci
n'entraînent pas la mise à jour et surtout l'approfondissement
des discours et des méthodes des économistes.
La raison en est simple : cest que ceux-ci les ignorent. Ce
ne sont que de pseudo-scientifiques. Le seul discours dans
lequel ils se trouvent à l'aise n'est pas celui de
l'analyse s'élargissant grâce à des démarches
expérimentées ailleurs. C'est celui de la prescription
autoritaire.
Au fait enfin que cette science n'hésite pas, dut-elle
le faire sur des bases parfois incertaines, à proposer
des avenirs ambitieux, à construire des mondes encore
hypothétiques mais capables de faire rêver –
et de faire investir. La pseudo-science économique
en est incapable. Elle ne sait que rappeler les interdits
à l'action qui découlent du principe libéral
selon lequel plus on laisse agir les mécanismes anonymes
du marché, du profit, des rééquilibrages
automatiques, mieux se résolvent les problèmes
économiques et sociaux qu'elle accepte d'identifier.
Jamais elle ne propose les outils permettant de construire
des sociétés nouvelles, dynamiques, responsables,
capables d'aborder avec un minimum de probabilités
de résultats les grands problèmes qui guettent
le monde. On ne s'étonnera donc pas qu'elle n'intéresse
que des esprits avides de gains rapides, ceux qui espèrent
y trouver des outils d'enrichissements spéculatifs
aux dépens des apporteurs de véritables valeurs
ajoutées.
(1)
Voir "L'économie ne ment pas", de Pascal
Salin (Fayard)