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Article.
Vers
un supersystème cognitif planétaire ?
par
Jean-Paul Baquiast 03/06/2009
La question que nous avons posée dans plusieurs articles
précédents est simple. C’est celle qui
tourmente beaucoup de personnes aujourd’hui : les humains
seront-ils capables de prévenir les grandes catastrophes
dont les sociétés humaines sont responsables
du fait de leur croissance incontrôlable. Pour éviter
de nous engluer dans des débats moralisateurs sans
base scientifique, dont le dernier livre de la philosophe
Isabelle Stengers constitue un exemple à ne pas suivre(1),
nous avons proposé l’hypothèse que ce
soient des superorganismes associant des ressources bioanthropologiques
et des ressources technologiques, nommés par nous des
systèmes anthropotechniques, qui contrôlent dorénavant
une grande partie de l’évolution de la biosphère
terrestre. Nous estimons que ces systèmes pourraient
être étudiés scientifiquement, en conjuguant
diverses approches(2).
Mais
dans l’immédiat on doit constater que nul ne
se livre à de telles études. Personne n’est
donc en mesure de corriger leurs comportements dangereux.
Il en résulte que si à titre individuel, les
mieux équipés en capacités cognitives
peuvent plus ou moins bien se représenter leur avenir
à court terme et adopter des prescriptions de conduite
relativement efficaces visant leur survie immédiate,
ils sont impuissants à transposer ces processus cognitifs,
anticipateurs et prescripteurs, à l’échelle
de la planète toute entière.
Par
ailleurs, les conflits entre les systèmes anthropotechniques
ont empêché la constitution, sauf de façon
embryonnaire, d’un supersystème cognitif planétaire,
doté d’une vision globale du monde, d’instruments
d’observation universels et d’un modèle
de soi lui-même universel, qui pourrait émettre
des messages d’alerte recevables par tous les acteurs
et des prescriptions salvatrices ayant quelque chance d’être
appliquées par eux.. Si cependant certains réseaux
d’observation scientifique essayent de le faire, leurs
messages se perdent dans le tumulte résultant des
conflits entre stratégies égoïstes, corporatistes
et gouvernementales.
Les
organisations politiques étatiques et supra-étatiques
ne peuvent à elles seules, malgré les espoirs
mis en elles, se substituer à des systèmes
anthropotechniques incapables de s’entendre pour éviter
les catastrophes qui s’annoncent. Le fonctionnement
de ces organisations reste handicapé par les rivalités
entre systèmes anthropotechniques et les luttes pour
le pouvoir qui s’expriment à travers elles.
Un
espoir
Un
espoir pourrait cependant provenir du développement
de diverses technologies récentes, liées à
l’artificialisation et à l’autonomisation
progressive des ressources cognitives collectives. Nous
pensons notamment aux réseaux numériques intelligents
qui se répandent aujourd'hui par foisonnement. Ce
phénomène pourrait laisser espérer
la mise en place prochaine, sauf catastrophe toujours possible,
d’une conscience globale. Nul ne prendra de décisions
volontaires pour provoquer un tel évènement.
Il s’agira d’une croissance spontanée,
se traduisant par l’augmentation de la capacité
de ces réseaux et de leurs interconnexions. Les messages
d’alerte se multipliant et se renforçant mutuellement
pourraient générer par un phénomène
analogue à la formation de l’espace de travail
conscient dans le cerveau (global working space)
une conscience de soi mondiale que pourraient s’approprier
pour leur compte chacun des systèmes connectés
à ces réseaux.
Il
n’y aurait là rien de miraculeux, ni rien dont
par ailleurs il serait légitime de faire crédit
à l’intelligence et au sens moral des humains,
restés aujourd’hui encore très proches
des chasseurs-cueilleurs prédateurs leurs ancêtres.
Il s’agirait seulement d’une nouvelle phase
de l’évolution darwinienne dont le vivant a
fourni de nombreux exemples. Elle se manifesterait cette
fois-ci dans le champ des associations entre cerveaux humains
et outils numériques.
Rappelons
en effet, pour illustrer ce qui précède, qu’aux
premiers âges de la vie, après l’explosion
des organismes monocellulaires procaryotes et eucaryotes,
sont apparus des organismes multicellulaires. L’intense
compétition qui les faisait s’affronter les
a dotés de cellules qui se sont spécialisées.
Elles ont construit des organes capables d’assurer
chacun en son domaine les fonctions nécessaires à
la vie de l’organisme. Parmi ces organes se sont formés
très tôt des systèmes nerveux assurant
une liaison et une coordination entre les différents
organes. Au sein des systèmes nerveux se sont individualisées
des aires associatives, autrement dit un cerveau, permettant
le rapprochement et le travail coopératif de neurones
capables de fonctionner en miroir. Le cerveau a progressivement
généré de proto-consciences de soi
commandant des comportements coordonnés de vie et
de survie, définis au regard des expériences
enregistrées.
Cette
évolution, que les mystiques avaient voulu attribuer
à l’intervention divine, n’a pour les
scientifiques rien de mystérieux. Il n’est
donc pas impossible d’imaginer que le même processus
se renouvelle aujourd’hui, à une échelle
toute différente. La complexification croissante
des systèmes anthropotechniques, ceux dont nous sommes
les cellules très largement captives, entraînerait
l’apparition des réseaux globaux d’observation
et de traitement des données sur un mode intelligent
qui leur manquent encore . Ces réseaux se grefferaient
sur les systèmes anthropotechniques sur le mode réentrant,
en les reliant sous la forme d’un cortex associatif.
Ils donneraient aux systèmes ou groupes de systèmes
qui s’en trouveraient dotés, au hasard de l’évolution,
des avantages compétitifs certains sur ceux qui resteraient
enfermés dans des façons traditionnelles,
souvent inefficaces et conflictuelles, de voir le monde.
Ceci
ne supprimerait sans doute pas la compétition. Sans
compétition ni sélection, on ne voit pas quels
moteurs pourraient impulser l’enrichissement envisagé.
Des systèmes resteraient en dehors des nouveaux réseaux,
avec lesquels pour diverses raisons ils se révèleraient
incompatibles. Ils risqueraient alors l’élimination.
Mais plus vraisemblablement ils survivraient, comme l’avaient
fait avant eux les organismes eucaryotes, sous des formes
qui resteraient primitives mais qui seraient cependant capables
de parasiter avec succès les formes plus complexes
(et plus conscientes) s’efforçant de piloter
l’évolution de la planète. Par ailleurs,
les systèmes anthropotechniques gagnant en intelligence
grâce au développement de leurs interconnexions
ne s’entendraient sans doute pas davantage. Ils resteraient
en compétition. On pourrait cependant espérer
que les contraintes de la survie globale mises en évidence
par un nombre accru de capteurs réguleraient cette
compétition afin d’en éliminer les conséquences
les plus immédiatement destructrices. Si l’hypothèse
envisagée par les "Singularitaristes"
se réalisait, les bénéfices de cette
évolution pourraient se faire très vite sentir,
même si dans l’intervalle beaucoup d’espèces
et d’organisations ne réussissaient pas à
survivre(3).
Dans
une perspective très optimiste, on pourrait espérer
que la compétition prendrait progressivement la forme
d’affrontements visant à l’amélioration
des connaissances globales. Ainsi par exemple, la multiplication
de réseaux intelligents et polyvalents d’observation
et de traitement global du système-Terre pourrait susciter
l’apparition, la mise en compétition et la symbiose
d’approches scientifiques provenant de chercheurs de
toutes disciplines. On verrait alors se constituer ce que
nous avons nommé par ailleurs une hyperscience. L’accumulation
d’observations sous des angles différents, provenant
d’observateurs-acteurs disposant d’instruments
différents, générerait un certain nombre
de prescriptions « constructivistes » , sur le
mode de « il faut faire telle ou telle chose »
que les individus ayant participé aux recherches correspondantes
n’auraient aucune raison de ne pas suivre pour leur
compte et de ne pas recommander autour d’eux. Mais il
va de soi que ces prescriptions et ces constructions ne pourraient
pas se targuer d’avoir mis au jour des essences, ni
révélé un quelconque réel existant
en soi. Il s’agirait de conceptualisations relativisées
comme le montre la méthode MCR dont nous avons ici
plusieurs fois rappelé les postulats.
Une
telle hyperscience, à terme, outre les avantages
qu’elle conférerait aux systèmes anthropotechniques
terrestres ayant survécu aux destructions massives
qui s’annoncent, leur donnerait certains avantages
compétitifs en cas de confrontation ultérieure
avec des formes de vie ou d’intelligence s’étant
développées ailleurs dans le cosmos proche.
Mais il s’agirait alors d’une toute autre histoire,
que nous laisserons à l’imagination de nos
lecteurs le soin d’envisager.
Notes
[1] Isabelle Stengers, Au temps des
catastrophes, La Découverte, 2008.
[2] Les exemples de tels systèmes
ne manquent pas. Citons le lobby automobile, le Pentagone,
les industries pétrolières…
[3] Les Singularitaristes pensent, en suivant
Ray Kurzweil, que le développement convergeant et accéléré
des nouvelles sciences apportera dans quelques dizaines d’années
des ressources permettant de résoudre les difficultés
actuelles de la planète. Avec Peter Diamandis et le
soutien de la Nasa, Ray Kurzweil vient d’ouvrir une
petite université destinée à former des
chercheurs dans cette perspective (http://singularityu.org/)