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Editorial
Le
Plan Stratégique 2009/10 de la Darpa
par
Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin
10/06//2009
|
Le
lecteur nous pardonnera la longueur de cet éditorial,
au vu de l'importance du sujet. AI
On sait que la Darpa (US Defense Advanced Research Projects
Agency) dépendant du Pentagone (Département
de la Défense ou DOD) a toujours financé un
nombre considérable de programmes de recherches susceptibles
d'applications militaires. Les budgets lui sont accordés
assez libéralement, mais sans générosité
excessive, vu les enjeux. Le budget 2010 annoncé
est de 5.72 milliards de dollars. Une lecture attentive
du Plan stratégique 2009/10 que vient de publier
l'Agence s'impose donc.
Les
dépenses d'administration de la Darpa paraissent
réduites au maximum, le staff permanent étant
peu nombreux et renouvelé rapidement (5 ans en moyenne).
Le budget semble donc pour l'essentiel consacré au
financements des études et programmes. Mais lorsqu'un
projet intéresse un acteur extérieur, par
exemple le DOD, celui-ci participe à son développement.
Il est donc pratiquement impossible d'avoir une idée
précise des sommes investies, le budget du DOD, entre
autres, étant célèbre par son obscurité.
La
Darpa ne fait pratiquement rien elle-même. Elle sous-traite
les recherches et développements à des contractants
multiples. Les laboratoires universitaires et les entreprises
en bénéficiant s'engagent à une certaine
confidentialité, mais selon des termes précisés
dans chacun des contrats, ils sont autorisés à
en tirer des applications civiles. Ces « retombées
» leur assure un avantage certain par rapport à
des concurrents extérieurs qui ne disposent pas des
mêmes capacités pour financer leurs recherches
avancées. Ce dispositif a toujours assuré
la supériorité technologique militaire et
civile des Etats-Unis. La crise économique et financière
actuelle, comme les mesures de recadrage de certaines dépenses
militaires engagées (semble-t-il) par le secrétaire
à la défense Robert Gates et le président
Obama n'ont rien retiré des moyens consacrés
aux recherches avancées.
Au
contraire. L'Administration semble considérer que
seules les recherches militaires pourront faire progresser
les grands domaines de la science et des technologies, y
compris dans des secteurs comme le développement
de technologies vertes ou les économies d'énergie.
Ce point est très important à souligner. Au
moment où certaines oppositions politiques voudraient
voir les industries traditionnelles (pétrole, automobile)
se reconvertir vers des filières dites « écologiques
» , la réponse de l'Administration est de dire
qu'elles n'y arriveront pas sans l'aide de l'Etat, et que
cette aide elle-même ne sera pas efficace si elle
ne prend pas la forme de programmes militaires ciblés,
les seuls susceptibles (menace extérieure alléguée)
d'aboutir rapidement et d'obtenir les financements budgétaires
publics nécessaires. C'est évidemment un pari.
Les contradicteurs diront que les entreprises travaillant
pour la défense, et les militaires eux-mêmes,
globalement regroupés dans le Complexe militaro-industriel
(MIC), organisent un énorme gaspillage de ressources,
pratiquement incontrôlable. Il reste que des produits
bien visibles sont attendus au terme des programmes, tels
que ceux évoqués ci-dessous. On pourra alors
apprécier en connaissance de cause l'efficacité
de la méthode. .
Quoiqu'il
en soit, la première nécessité consiste
à s'informer. La Darpa n'a jamais rechigné
à fournir des données concernant ses programmes,
son organisation et ses budgets. Le dernier document dont
nous disposons à cet égard est le Plan Stratégique
2009, de plus de 60 pages, disponible sur le web. Il convient
non seulement de l'étudier en détail mais
de se reporter à un certain nombre de sites précisant
les plus importants de ces programmes. Le travail à
faire n'est pas négligeable, non seulement pour obtenir
l'information brute, mais pour la critiquer. On peut espérer
que les agences gouvernementales, notamment dans les pays
européens, s'en chargent pour leur part. Les gouvernements
chinois, indien et russe l'ont certainement fait depuis
longtemps. Pour leur part, les scientifiques et le public
européens s'intéressant à l'avenir
de la science et de la technologie devraient eux aussi y
porter attention. C'est la raison pour laquelle nous consacrons
ici un premier article de présentation de ce dossier.
Une
précaution s'impose cependant avant de s'engager
dans la lecture des documents fournis par la Darpa. La publication
de semblables rapports sur le Web intrigue toujours. Il
ne s'agit évidemment pas de données véritablement
classifiées. Mais la Darpa, ce faisant, ne donne-t-elle
pas des indications précieuses aux adversaires de
l'Amérique? On répond généralement
qu'il s'agit pour le Pentagone de montrer ses muscles, en
faisant éclater la supériorité des
Etats-Unis. Les entreprises non américaines disposant
de compétences dans les domaines jugés intéressants
sont alors tentées de faire des offres de coopération
à la Darpa, pour bénéficier des crédits
et de l'avance technique de celle-ci. Inutile de préciser
que la plupart du temps, ces entreprises (si elles ne sont
pas rachetées) risquent de se trouver dépouillées
de leurs compétences sensibles, en contrepartie de
contrats modestes de sous-traitance. L'immigration de cerveaux
étrangers (brain drain), actuellement un peu ralentie,
a par ailleurs durant les 20 dernières années
beaucoup bénéficié du prestige apporté
par la participation à des programmes militaires
américains de pointe. Ajoutons que certains observateurs
soupçonnent quelques unes des pistes évoquées
publiquement d'être des leurres, destinées
à diriger la concurrence sur des voies sans issues,
les secteurs et les projets véritablement importants
étant, en contre partie, passés sous silence.
La
Darpa n'est pas seule à financer des études
scientifiques avancées. Le DOD encourage lui-même
directement les institutions scientifiques à produire
des études et des rapports dont il assume en grande
partie le coût. C'est ainsi que, en juin 2009, simultanément
au rapport de la Darpa, vient d'être publiée
une longue étude des National Academies of Science,
consacrée au sujet extrêmement sensible de
l'apport des neurosciences au renforcement des capacités
mentales et physiques des combattants (Opportunities
in Neuroscience for Future Army Applications) cité
en référence ci-dessous. Ce thème suscite
déjà un vif débat chez les neuroscientifiques,
non seulement aux Etats-Unis mais en Grande Bretagne, notamment
chez les chercheurs travaillant pour la défense (Scientists
for Global Responsibility ou SGR).
Sous
ces réserves, il est indispensable d'étudier
en détail le rapport de la Darpa car il donne un
large aperçu des développement les plus stratégiques
intéressant ce que l'on nomme les technologies de
puissance. Inutile de dire que pour un Européen,
cette lecture n'est pas particulièrement réjouissante.
Elle montre que le retard scientifique de l'Europe n'est
pas près d'être comblé. Les gouvernements
européens n'investissent pratiquement plus en sciences
ou technosciences, que ce soit dans les domaines militaires
ou civils. Les Etats-Unis, au contraire, y compris sous
l'impulsion de Barack Obama, mobilisent toutes les ressources
publiques à cette fin. Le DOD et la Darpa ne manquent
ni de crédits ni d'incitations politiques, malgré
les quelques restrictions imposées par la crise à
certains contrats d'armement du Pentagone.
Rappelons
que les Européens qui s'imagineraient pouvoir, sans
investir eux-mêmes de façon autonome, bénéficier
des acquis américains du simple fait de leur participation
à un illusoire espace de civilisation euro-atlantique,
se feraient des illusions. Rien ne leur sera concédé,
ni en compétences réutilisables, ni en responsabilités
politiques d'utilisation.
Directions
de recherche prioritaires
Nous
avons choisi de résumer, dans cette trop courte note,
les grandes directions de recherche présentées
par la Darpa comme présentant un intérêt
stratégique prioritaire :
-
Mise en place de capacités de recherche et de production
en masse de vaccins, anti-viraux et médicaments divers
capables de répondre en quelques semaines et non
en quelques années aux besoins de protection de la
population, face aux épidémies naturelles
ou provoquées.
-
Développement d'aéronefs plus lourds ou plus
légers que l'air, sans pilote et robotisés,
capables de tenir l'air pendant de longues périodes
(jusqu'à 5 ans pour certains). Ils seront principalement
dédiés à l'observation, en complément
des satellites.
-
Généralisation des sources d'énergie
alternatives, en remplacement du pétrole.
-
Développement de systèmes de communication
sous-marine à base de lasers à haute performances
capables de s'affranchir des limites des systèmes
existants en terme de vitesse et de profondeur. Les conséquences
sur la biodiversité sous-marine ne sont évidemment
pas évoquées.
-
Réalisation d'un système d'armes tactiques
de terrain utilisant des lasers puissants, compacts, portables
susceptibles d'être embarqués sur des véhicules
terrestres et aériens (High Energy Liquid Laser
Area Defense System).
-
Machines apprenantes en apprentissage automatique (machine
learning). Il s'agira de doter les militaires de capacités
intelligentes d'acquisition rapide de connaissances dans
tous les domaines l'exigeant : technologies, terrains, adversaires,
machines.
-
Développement d'un environnement favorable à
la production et à l'emploi d'outils de guerre électronique,
tant pour la protection des réseaux amis que pour
la pénétration des réseaux et systèmes
ennemis (National Cyber Range).
-
Développement de capteurs (sensors) capables
de surveiller en permanence les territoires et zones pouvant
recéler des menaces cachées ou mobiles.
-
Poursuite de la mise en place de réseaux de télécommunication
puissants, répartis, capables de résister
aux agressions et de se réparer eux-mêmes.
Ils devront pouvoir, entre autres, se substituer au GPS
en cas d'invalidation de celui-ci. Ces réseaux sont
indispensables à la généralisation
sur tous théâtres de la guerre en réseau
( network-centric warfare).
-
Neurosciences appliquées à la protection,
à la qualification et à la réparation
des combattants. Ce domaine comporte par ailleurs le développement
de prothèses robotisées susceptibles de pallier
les déficiences acquises au combat. Comme indiqué
ci-dessus, le rapport des US National Academies of Science
développe considérablement ce domaine
de recherche. Les chercheurs indiquent qu'il ne s'agit pas
seulement de rendre le combattant plus efficace au combat.
Il faut également éviter que, démobilisé,
il se montre incapable de se réadapter à la
vie civile, comme ce serait aujourd'hui le cas pour au moins
30% des vétérans de retour du Moyen-Orient.
-
Mise au point de composants électroniques ne faisant
pas appel au silicone. On en attend des gains considérables
en performance, prix et consommation d'énergie.
-
Accélération des recherches concernant les
ordinateurs quantiques et leurs applications au calcul,
à la cryptographie et aux communications. De telles
recherches ouvriront de nouvelles frontières technologiques
déterminantes pour les futurs systèmes militaires
et civils. Nous avons nous-mêmes indiqué dans
des articles précédents que le premier pays
capable de réaliser un ordinateur quantique opérationnel
dominera le monde.
-
Maintien de l'avance technologique concernant les calculateurs
de toutes tailles et de toutes performances nécessaires
à la défense. L'accent sera mis sur les supercalculateurs
dits à hautes performances, indispensables à
la cryptologie, à la prévision météorologique
et à la conception de nouvelles armes.
-
Développement de systèmes de traduction automatique
en temps réel, polyvalents et puissants, appliqués
notamment aux textes non structurés et aux langages
vocaux. L'objectif vise à remplacer les traducteurs
humains, notamment pour l'interception et l'interprétation
des communications en langues étrangères.
-
Maintien et renforcement de la suprématie américaine
dans tous les domaines de l'espace : télécommunications
protégées, observation sous ses multiples
formes, défense anti-missiles, anti-satellites et
anti-radiations ionisantes, actions offensives contre les
installations spatiales ou à terre de l'ennemi...Les
satellites uniques seront dans certains cas remplacés
par des satellites robotisés en grappe intelligente,
augmentant considérablement les performances et la
sécurité d'exploitation des systèmes
individuels.
- Réalisation de sous-marins plus petits, plus efficaces
et moins coûteux que ceux composant les flottes actuelles,
dont on maintiendra cependant la capacité.
-
Réalisation de circuits intégrés éliminant
les risques de vices internes comme de pénétration
par des logiciels ou des ordres malveillants.
-
Développement d'équipements et de procédures
permettant de maintenir l'intégrité physique
et morale du combattant, ainsi que la réparation
des capacités perdues (Warfighter Effectivness
and Survival) .
Systèmes
militaires en développement . Exemples concernant
les véhicules aériens et terrestres
Le
rapport de la Darpa donne de nombreuses indications concernant
les nouveaux produits et systèmes jugés nécessaires
aux forces armées dans les prochaines années.
Ils intégreront le plus possible le savoir-faire
et les acquis techniques obtenus en résultat des
directions de recherche précédemment énumérées.
Ce sont en fait des projets très ambitieux susceptibles
de donner aux Etats-Unis des avances décisives dans
les domaines stratégiques militaires et civils. Nous
ne mentionnerons ici que les principaux projets intéressant
les véhicules de combat divers. On se référera
au rapport de la Darpa pour découvrir les nombreux
autres programmes en cours.
-
Le programme Falcon. Il s'agit d'un prototype destiné
à tester les hautes vitesses de croisières
(Mach 6 et plus), tant en ce qui concerne la stabilité
en vol que la résistance des matériaux. Les
vols d'essais auront lieu entre la Vandenberg Air Force
Base et l'Atoll Kwajalein. Différents types de trajectoires
seront imposés.
-
Le Système F6 ou Future, Fast, Flexible, Fractionated,
Free-Flying Spacecraft United by Information Exchange.
Il s'agira d'un réseau de satellites répartis
en grappe tel qu'esquissé ci-dessous. Les modules
seront disponibles pour de multiples usages conduits en
parallèle au profit d'utilisateurs différents.
Voir http://www.networkworld.com/community/node/25502
-
Le Space Surveillance Telescope (SST) dont les
capacités optiques considérablement renforcées
permettront notamment de détecter tous les petits
objets ennemis ou amis en orbite susceptibles de représenter
un danger.
-
Le programme ISIS visant dans une première phase
à réaliser un prototype au tiers d'un ballon
stratosphérique géant porteur d'un système
composé de 15 étages de radars susceptibles
de détecter aussi bien des missiles et UAV que des
véhicules et combattants au sol, protégés
par des couverts divers (feuillages...) . Voir Isis http://www.networkworld.com/community/node/41368
-
Le programme A160 visant à réaliser un hélicoptère
sans pilote pour la reconnaissance et la surveillance, capable
de demeurer plus de 20h en vol, si besoin était à
haute altitude. Le prototype existant a déjà
battu tous les records de cette nature.
-
Le programme Vultur. Il s'agit de réaliser un appareil
capable de rester en station 5 ans à haute altitude,
sans ravitaillement ni maintenance. Il pourra réaliser
des missions d'observation mais aussi remplacer les capacités
des satellites géostationnaires en matière
de communication, à un coût infiniment moindre.
Voir Vultur http://www.networkworld.com/community/node/41935
-
Le programme Rapid Eye. Il s'agit d'un avion supersonique
sans pilote capable d'atteindre n'importe quel point du
globe en 2 H, à fin d'observation. Il pourra être
lancé par des lanceurs actuels et supporter la réentrée
dans l'atmosphère, tout en se propulsant à
basse vitesse dans des atmosphères très pauvres
en oxygène.
-
Le programme Percept OR (pour Perception for Off-Road
Robotics). Il s'agit d'un engin terrestre sans pilote
polyvalent, bénéficient des capacités
de conduite robotisée expérimentées
les années précédentes par la Darpa
lors des Grand Challenges, y compris en environnement urbain.
Le Congrès a souhaité qu'en 2015, 1/3 des
véhicules militaires de combat répondent à
ces spécifications.
Documents
à consulter
Le Plan Stratégique 2009 de la Darpa http://www.darpa.mil/Docs/StratPlan09.pdf
Budgets de la Darpa http://www.darpa.mil/budget.html
US National Academies of Science. Rapport Opportunities
in Neuroscience for Future Army Applications
http://www8.nationalacademies.org/onpinews/newsitem.aspx?RecordID=12500
Voir aussi http://www.nap.edu/catalog.php?record_id=12500#toc