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Economie
politique
Premier mai et retour aux
nationalisations
par Jean-Paul Baquiast 1er mai 2009
Les
organisations syndicales et un grand nombre de salariés
du privé et du public manifestent dans toute l'Europe
à l'occasion de la Fête du travail, ce 1er
mai 2009. Mais il est évident que la plupart ne savent
pas exactement ce qu'ils voudraient obtenir et de qui. Ils
visent surtout à attirer l'attention des gouvernements
et de l'opinion sur les situations sans issues où
les jette une crise économique et sociale qui ne
fera que s'aggraver. Certains voudraient aller plus loin.
Ils espèrent que les situations se détérioreront
suffisamment pour que l'ordre capitaliste actuel éclate.
Pourtant, là encore, il faudrait préciser
le type d'organisation que l'on souhaiterait voir succéder
au système actuel.
Les
théoriciens du chaos ne veulent pas poser la question.
Le mérite du concept de chaos est d'ouvrir la porte
à des solutions auxquelles personne n'avait pensé
auparavant. Mais il est difficile en politique et plus encore
en économie de refuser de se donner des perspectives,
quelles qu'elles soient, sous prétexte que, parmi
le pire, le meilleur pourrait émerger. Nous pensons
au contraire que s'appuyant sur une expérience de
plus de cinquante ans où le secteur public avait
joué un rôle essentiel pour le développement
économique et social, les sociétés
européennes pourraient se mobiliser pour retrouver
les bons aspects de cet « interventionnisme public
». Elles devraient cependant se garder de répéter
les erreurs mises en évidence par l'histoire récente.
Un
concept très en vue aujourd'hui et qui nous parait
extrêmement porteur est celui de nationalisation.
Il est aujourd'hui à l'ordre du jour, y compris dans
les pays anglo-saxons jusqu'ici emprisonnés dans
l'évangile libéral. On propose de l'appliquer
d'abord aux banques et établissements de crédits,
ainsi qu'aux compagnies d'assurance. L'idée est que,
si l'Etat, pour sauver ces établissements, leur consent
des centaines de milliards de crédits afin qu'ils
les réinjectent dans l'économie, il ferait
tout aussi bien d'entrer dans leurs conseils d'administration,
à un niveau suffisant pour décider des politiques
de crédit à la place d'administrateurs et
dirigeants jugés à juste titre incapables.
La relance assurée, l'Etat se retirerait en restituant
aux actionnaires et dirigeants la totalité de la
direction. Mais cette conception de la nationalisation,
illustrant le vieux principe imposé par le capitalisme
: nationaliser les pertes et privatiser les bénéfices,
n'est pas acceptable.
Nous
pensons au contraire que le système capitaliste actuel
n'éclatera véritablement, pour faire place
à un ordre économique et social adapté
aux difficultés immenses que le monde va rencontrer
dans les prochaines années, sans un pas de plus dans
la nationalisation. Il faudrait pour cela étendre
le principe de la nationalisation à tous les secteurs
stratégiques, sans limitation de durée dans
le temps. Il s'agirait donc d'une solution durable et très
ambitieuse. Evidemment, pour qu'un tel programme ne réveille
pas, en Europe, une peur de l'Etat totalitaire ou inefficace
inspirée par certaines expériences malheureuses
des économies dirigées de l'après guerre
(sans mentionner les systèmes communistes), il faudrait
dès maintenant montrer à l'opinion en quoi
une nationalisation des économies pourrait constituer
un progrès décisif, tant par comparaison avec
ces anciennes économies dirigées ou communistes
que vis-à-vis de l'ordre capitaliste libéral
actuel.
Pour
cela, essayons de préciser ici les grands domaines
qui feraient l'objet de nationalisations ou renationalisations.
On indiquera ensuite les modalités selon lesquelles
les établissements ainsi nationalisés pourraient
fonctionner.
Domaines
L'urgence
sera dans les prochains mois, comme elle l'est déjà
aujourd'hui, de nationaliser de façon durable la
quasi-totalité des établissements dont le
rôle consiste à collecter de l'épargne
et à la redistribuer au profit des entreprises et
activités productives. Le principe de cette opération
est simple. Les immenses reconversions et investissements
que suppose l'adaptation des économies aux exigences
de la croissance démographique des pays pauvres,
de la lutte contre la crise environnementale et du développement
de technologies « vertes » ou radicalement innovantes,
relèvent d'objectifs que nous qualifierons de stratégique.
Aucun entrepreneur privé ne voudra les prendre en
charge. Ils nécessitent donc la mise en place de
crédits à long terme fournis par les Etats.
Aujourd'hui, comme les épargnes disponibles sont
soit trop faibles, soit détenues par des intérêts
privés qui se refuseraient à les mobiliser
dans le sens indiqué, les Etats seront donc obligés
de « créer » de la monnaie et de l'affecter
aux secteurs industriels (eux-mêmes nationalisés,
comme nous allons le voir) chargés d'investir dans
les domaines nécessairement non rentables correspondant
aux objectifs stratégiques énumérés
ci-dessus.
Mais
il ne s'agira pas d'un investissement sans espoir de retour.
Si les industries stratégiques s'y prennent bien,
au bout de quelques années, elles auront mis sur
le marché des produits et services qui trouveront
nécessairement preneurs puisqu'ils correspondront
aux exigences des sociétés de demain. Les
prêts consentis par les banques nationalisées
seront donc, sauf accidents individuels toujours possibles,
remboursés avant d'être réaffectés
à des opérations nouvelles du même type.
Dans l'intervalle, les mêmes banques pourraient retrouver
leur rôle traditionnel, collecter les épargnes
des particuliers contre des taux d'intérêts
faibles, afin de les orienter vers les activités
stratégiques ou rentables dont ces épargnes
complèteraient le financement. Mais les banques n'iraient
pas au-delà de ce rôle, d'ailleurs essentiel,
et ne chercheraient pas à valoriser les épargnes
des particuliers en spéculant sur des marchés
à terme dont le principe même serait sans doute
supprimé.
Le
deuxième volet de l'arsenal des nationalisations
à consentir correspondrait aux industries et technologies
aujourd'hui obsolètes ou insuffisamment développées,
qu'il faudrait réorienter vers les applications stratégiques
énumérées ci-dessus. Les Etats, dans
ce cas, ou bien procéderaient aux nationalisations
d'entreprises existantes, ou bien créeraient de toutes
pièces, dans le cadre de ce qui avait été
nommé en France des filières technologiques,
les entreprises nécessaires. Celles-ci seraient de
statut public ou sous contrôle public. Les entreprises
ainsi retenues pour constituer ces filières technologiques
seraient financées par les crédits que leur
attribueraient les établissements financiers nationalisés
décrits dans les deux paragraphes précédents.
Prenons
le domaine aujourd'hui en pleine déconfiture de l'automobile
et plus généralement des transports. Même
en nationalisant les industries automobiles actuelles, s'ils
les conservent telles qu'elles sont, les Etats ne pourraient
pas les sauver car leur marché est condamné.
Ils devraient donc les reconvertir en vue d'une réadaptation
à des transports « verts » profondément
différents. Même ainsi conçues, de telles
nationalisations n'auraient d'avenir que si elles s'inscrivaient
dans la mise en place de filières industrielles résolument
innovantes. Ces filières seraient pilotées
par des agences publiques et viseraient à étudier,
fabriquer puis diffuser les nouveaux types et outils de
transports adaptés à un monde nécessairement
économe en énergie et décroissant au
regard de ses ambitions. Si les Etats décidaient
de conduire à ces conditions la nationalisation de
l'ensemble de la filière automobile-transports privés,
ils pourraient alors prendre en charge dès maintenant
les entreprises en déroute, conserver et rémunérer
les personnels actuels tout en les reconvertissant, le cas
échéant sur les sites industriels existant,
en vue de préparer les futures fabrications.
Le
même raisonnement devra être transposé
aux secteurs où n'existent pas encore d'outils industriels
ou de recherche performants. Dans le cadre des pôles
européens de compétitivité, par exemple,
il incomberait aux Etats de financer la mise en place de
laboratoires puis d'entreprises industrielles ou de services
dédiés aux nouvelles filières technologiques
dont la nécessité aurait été
reconnue en vue afin de faire face aux exigences de demain,
infotechnologie, biotechnologies, nanotechnologies et technologies
spatiales, notamment.
Modalités
d'exercice
Nous
avons jusqu'ici, dans cet article, désigné
par le terme générique d'Etat (ou les Etats)
toutes les formes, traditionnelles ou renouvelées,
par lesquelles s'incarnerait la puissance publique face
aux intérêts privés et individuels,
quels qu'ils soient. Les citoyens exigeront d'en savoir
plus, afin de ne pas confier leur sort futur à des
administrations mal gérées ou tyranniques,
à des Etats ou chefs d'Etat susceptibles d'être
tentés par certaines formes de dictature. Pour ce
qui concerne l'Union européenne, il serait dès
maintenant nécessaire de proposer des formules de
gouvernance et de direction qui respecteraient les exigences
actuelles et futures de la démocratie politique et
de la participation économique. Ceci doit se faire
à trois niveaux, ceux des établissements nationalisés,
des filières industrielles et de recherche, des institutions
politiques enfin.
Au
niveau des établissements nationalisés, soit
pour rester dans les domaines pris ici en exemple celui
des banques ou entreprises industrielles du transport individuel,
on supprimera l'organisation capitaliste actuelle qui donne
le pouvoir aux actionnaires privés et à une
direction contrôlé par eux. Disons sans entrer
dans les détail que l'on mettra en place ce qu'à
la Libération en France on avait nommé un
pouvoir triparti : représentants de l'Etat ou de
la puissance publique en général, représentants
des cadres dirigeants, représentants des salariés.
Ces cadres devraient avoir une stabilité suffisante
pour être efficaces, mais ils seraient rémunérés,
comme dans l'actuelle fonction publique, à l'intérieur
d'échelles de salaires raisonnables et bien évidemment
connues de tous.
Au
niveau des filières industrielles et de recherche,
on retrouverait la même répartition tripartite
des pouvoirs. On ajoutera cependant aux représentants
de l'Etat des élus politiques indispensables pour
l'exercice d'un minimum de contrôle parlementaire.
Nous pensons pour notre part que de telles filières
pourraient être mises sous la responsabilité
d'agences ou de commissariats assurant la coordination et
la prévision à long terme des activités,
ainsi que le recherche scientifique et le dialogue stratégique
avec les Etats. Le Commissariat français à
l'Energie atomique, dans sa grande époque, ou l'Agence
spatiale européenne, offrent quelques exemples à
reprendre dans cette perspective, à condition de
porter remède à leurs faiblesses actuelles.
Au
niveau des Etats enfin, comme au niveau, pour ce qui nous
concerne, des institutions européennes actuelles
ou renforcées dans un sens fédéral,
devront être posés et résolus tous les
problèmes relevant véritablement de l'ordre
de l'économique et du politique au sens le plus élevé.
Il s'agira d'abord des choix relatifs aux objectifs à
moyen et long terme qui devront être assignés
aux secteurs nationalisés et aux sociétés
en général. Des formules très ouvertes
sur le modèle du Commissariat au Plan français
des Trente Glorieuses, mises en place au niveau européen,
mais aussi dans les Etats et les grandes régions,
pourraient assurer en liaison avec les parlements et institutions
européennes et nationales, la nécessaire démocratie
des choix. Ces organismes seraient complétés
de conseils scientifiques dans les domaines sensibles.
Les
grandes politiques publiques, concernant la fiscalité,
le commerce extérieur, les aides diverses aux activités
restant privées, l'organisation de la concurrence,
seraient adaptées à la création et
au bon fonctionnement des secteurs nationalisés.
Il faudra éviter notamment les risques d'inflation
par excès des demandes sur les offres et les manoeuvres
spéculatives venant d'Etats non européens
ou entreprises hostiles à la démarche ainsi
adoptée.
L'association
aux décisions de l'ensemble des organisations représentatives,
partis politiques, syndicats, associations et ONG, sera
organisée avec soin, ceci même si cette participation
multiplie des débats que les techniciens jugeraient
inutiles ou retardateurs. Les relations avec la presse,
les citoyens via notamment l'Internet et tous les partenaires
internationaux jugés indispensables, seront également
assurées dans le cadre de cette approche participative.
Il s'agira en résumé d'une forme de démocratie
politique et technique dans laquelle l'Europe peut et doit
se montrer exemplaire
Le
paysage ainsi proposé, qui devrait selon nous correspondre
au concept de nationalisations, lui-même défini
comme marquant une rupture définitive avec un capitalisme
privé de plus en plus destructeur, paraîtra
idyllique. Mais nous pensons plus utile, lors des prochains
1er Mai voire avant, de manifester en vue d'une certaine
utopie de cette nature qu'avec l'arrière pensée
de faire naître un chaos où s'épanouiraient
les idéologies et les pulsions destructrices.