Science
et politique
Le nouveau départ de la science américaine
par Jean-Paul Baquiast 10/03/2009
L’Amérique,
depuis la 2e guerre mondiale, a toujours fondé
sa domination sur les quelques années d’avance
que lui donnaient des recherches scientifiques soutenues
sans faiblir tant par le secteur des entreprises que
par les laboratoires publics et les fondations privées.
Une grande partie de ces recherches étaient financées
et développées par ce qu’il convient
d’appeler le lobby militaro-industriel. Il s’agissait
d’assurer la suprématie physique de l’empire
américain, dans les airs et l’espace, sur
terre et sur mer. Mais une grande partie visait aussi
à soutenir le soft power, c’est-à-dire
l’emprise du savoir-faire intellectuel de l’élite
politique et scientifique américaine sur le reste
du monde.
Avec
l’arrivée des néoconservateurs et
la Global War on Terror lancée par G.W.Bush
et ses supporters politiques à partir de 2001,
l’importance donnée à la science
a paru diminuer. Certes les recherches et applications
dédiées aux armements (aéronautique,
espace, informatique, robotique, biologie, sciences
cognitives) sont restées à peu près
constantes, mais elles ont visé en priorité
des applications à court terme, en négligeant
de plus en plus la recherche fondamentale. Dans le même
temps cependant, les principaux budgets civils de recherche,
soutenus par le budget fédéral, ont été
fortement réduits, car l’Etat devait financer
la guerre en Irak et sur les autres fronts, coûts
estimés à plus de 3 trillions de dollars
– et sans doute davantage.
Sur
le plan politique, le monde entier a pu aussi constater
la véritable chasse aux sorcières menées
par les intégristes religieux contre l’indépendance
d’esprit et le refus des mots d’ordre qui
avaient jusqu’ici caractérisé beaucoup
de grands scientifiques américains et fait leur
renom dans le monde entier, attirant aux Etats-Unis
une grande part des jeunes élites mondiales.
Le ban mis par l’Administration sur le financement
publique des recherches intéressant les cellules
souches ou l’expérimentation sur des embryons
de 4 cellules seulement avait fortement nui à
l’image des Etats-Unis dans le monde scientifique.
Les contrôles de sécurité imposés
aux mouvements et immigrations de chercheurs étrangers
en avaient découragé beaucoup.
Le
« surge »
L’arrivée
au pouvoir des démocrates et à la présidence
d’un personnage tel que Barack Obama, apparemment
plus réaliste que ne l’était son
prédécesseur, a redonné manifestement
beaucoup de tonus non seulement à la communauté
scientifique et universitaire américaine, mais
à tous les intérêts économiques
et politiques pour qui la suprématie scientifique
et technologique sera sans doute pour l’Amérique
l’un des seuls moyens de survivre dans un monde
multipolaire empli de concurrents agressifs. Restaurer
cette suprématie s’impose notamment vis-à-vis
de la Chine, de l’Inde, de la Corée du
Sud et accessoirement du Japon, où le nombre
des bons scientifiques et des projets ambitieux ne cesse
de grandir. Indiquons en passant que l’Europe,
pour sa part, n’a jamais été globalement
considérée comme susceptible de rivaliser
avec les Etats-Unis sur ces plans et ce n’est
pas son atonie actuelle en matière de financement
de la science qui fera changer cette opinion.
En
dehors de la levée spectaculaire de l’interdit
sur les recherches concernant les cellules-souches embryonnaires,
les premières décisions de la nouvelle
présidence ne déçoivent pas les
milieux scientifiques. Jamais autant d’argent,
semble-t-il, ne sera injecté dans les sciences
et technologies. Il est difficile d’en faire le
compte, car les mesures sont dispersées au sein
du méga-budget de $3,6 trillions proposé
pour 2010 et du plan de relance (stimulus package)
de $787 milliards destiné comme son nom l’indique
à relancer l’économie dite réelle.
Ces sommes devront être dépensées
en 2 ans, ce qui représentera un afflux de fonds
jamais connu, même du temps du projet Manhattan
et du programme Apollon (respectivement §200 milliards
et $35 milliards en valeur d’aujourd’hui).
Les difficultés de gestion seront donc importantes.
Mais mieux vaut être riche que pauvre quand il
s’agit d’optimiser l’emploi de ses
économies.
Aujourd’hui,
dans le plan de relance de $787 milliards, $120 milliards
devraient aller à la recherche et aux technologies,
soit :
- $46 milliards pour le développement des énergies
propres.
- $24 milliards pour les infrastructures de communication
à large bande, la télémédecine,
la gestion électronique des fichiers médicaux,
etc.
- $11 milliards pour l’amélioration du
réseau de distribution de l’électricité.
- $10 milliards pour les National Institutes of Health,
dont une part importante aux recherches médicales.
- $7 milliards pour la dépollution et mesures
associées (environmental clean-up).
- $5,5 milliards au Département de l’énergie
dont une part importante aux recherches avancées
et à l’ « Office of Science ».
- $3 milliards à la « National Science
Foundation », dont le budget actuel est de $6,16
milliards.
- $2 milliards à diverses agences de recherche
: NOAA, NIST, USGS, ARS et DOD (Darpa) .
- $1 milliard à la Nasa dont le budget actuel
est de $17 milliards.
(source NewScientist 7 mars 2009, p.8
)
Ces
chiffres devraient évidemment être augmentés
des financements consentis, malgré la crise,
par différents ministères, comme le Département
de la défense en matière de systèmes
spatiaux militaires et de robotique de défense.
Il faudra y ajouter les financements consentis par les
grandes entreprises et les Fondations privées,
beaucoup plus intéressées à la
recherche que leurs homologues en Europe et particulièrement
en France.
Cependant,
l’allocation des ressources entre les différentes
parties prenantes, dans chacune de ces grandes enveloppes,
ne se fera pas facilement. Les résultats ne viendront
pas immédiatement. L’effet sur la relance
sera alors contesté. Certains scientifiques craignent
un coup de fouet en retour, de la part d’une opinion
déçue. Mais dans l’ensemble, l’idée
d’intervenir massivement et sur tous les fronts
est soutenue par l’ensemble des intérêts
concernés.
Vive
la crise
On
rappellera que pour trouver les crédits nécessaires
sans accroître vertigineusement la dette et l’emprise
des capitaux asiatiques, Barack Obama s’est engagé
dans un désinvestissement diplomatique de grande
ampleur. Comme nul n’en ignore, il recherche,
avec l’aide des démocrates, à normaliser
ses relations avec la Russie, l’Iran et les pays
du Moyen Orient en général, tout en diminuant
le soutien actuel inconditionnel à Israël.
Le seul caillou dans la chaussure demeure pour lui l’Afghanistan
et en arrière plan le Pakistan. L’Amérique
n’a plus les moyens de tout faire. Elle sauvegarde
donc l’essentiel.
Comme
on le voit, la crise est bonne conseillère pour
les Etats-Unis, dans le domaine diplomatique comme en
ce qui concerne la relance à donner à
la science. Terminons cependant par notre question de
routine : que fera dans le même temps l’Union
européenne ? que fera le Royaume-Uni, où
les chercheurs s’inquiètent déjà
de rester à la traîne ? que fera la France,
hormis continuer à « réformer »
à coups de restrictions budgétaires le
secteur de la recherche publique ?
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