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Article
Nouvelles
perspectives intéressant le transfert horizontal
de gènes
par
Jean-Paul Baquiast
7 février 2009
Le schéma de l’arbre de la vie,
imaginé par le jeune Darwin de 1837, et dessiné
par lui dans un de ses carnets ( source NewScientist).
Dans un article de février 2006, « Nouveaux
nouveaux regards sur la biologie » 1),
nous avions présenté les recherches de deux
biologistes émérites, Carl Woese et Freeman
Dyson, qui s’appuyaient sur le concept de transfert
horizontal de gènes (horizontal gene transfer ou
HGT), ou « marché commun des gènes »,
pour comprendre comment les premières formes vivantes
avaient pu échanger rapidement entre elles les processus
biochimiques et catalytiques inventées par les plus
efficaces d’entre elles, à une époque
où les espèces telles que définies
aujourd’hui, c’est-à-dire disposant de
génomes spécifiques leur interdisant de s’hybrider
entre elles, n’existaient pas encore.
Ils en ont tiré la conclusion que pendant une période
non négligeable, l’évolution a procédé
sur un mode non darwinien ou plutôt sur un mode prédarwinien.
Cela ne voulait pas dire que le mécanisme fondamental
mis en évidence par Darwin, celui des mutations/sélections,
n’existait pas, mais seulement que les mutations se
transmettaient sur un autre mode que celui de la filiation
d’ascendant à descendants. Rappelons que Freeman
Dyson est allé plus loin, puisqu’il pronostique
l’arrivée aujourd’hui d’une ère
post-darwinienne ou l’homme et les nouvelles technologies
modifieront directement les espèces en réalisant
ce que l’on pourrait appeler des mutations et des
sélections artificielles.
Mais revenons au darwinisme. Dans un article du NewScientist
daté du 21 janvier 2009, “ « Why
Darwin was wrong about the tree of life? »2)
dont nous inspirons ici pour l'essentiel, l’éditeur
scientifique Graham Lawton fait le point des études
récentes concernant le transfert horizontal de gènes
et l’hybridation dans la nature. Selon ces études,
le phénomène du transfert horizontal de gènes
n’intéresse pas seulement les organismes simples
non cellulaires, bactéries et archeae (procaryotes)
mais aussi les organismes pluricellulaires (eucaryotes),
y compris ceux dotés de formes complexes.
Autrement dit, on pourrait en conclure que le schéma
de l’arbre phylogénétique foisonnant
décrit par Darwin pour illustrer la diversification
progressive des espèces à partir d’un
ancêtre supposé unique ne peut plus être
considéré comme le seul pertinent pour modéliser
l’évolution. Pour Darwin, rappelons-le, l’évolution
ne fait pas de saut. Si l’on considère l’espèce
comme le groupe le plus représentatif permettant
de classer les êtres vivants, la bifurcation majeure
est la spéciation à partir de laquelle l’espèce-mère
se divise en deux espèces-filles. La descendance
suit une logique verticale, incluant les unes dans les autres
des espèces isolées entre elles 3).
C’est le schéma de l’arbre, imaginé
par le jeune Darwin de 1837, et dessiné par lui dans
un de ses carnets, qui est apparu comme le mieux de représenter
ce mécanisme (notre image, source NewScientist).
Le concept de l’arbre phylogénétique
(ou tree of life, selon la dénomination
de Darwin et de ses successeurs), se révéla
fondamental pour la théorie de l’évolution.
Chaque branche représente une espèce, l’embranchement
représente le moment où l’espèce
se divise en deux. Beaucoup de ces branches se sont éteintes,
mais certaines ont survécu jusqu’à nos
jours. En remontant le long des branches de l’arbre,
on peut retrouver toute l’histoire de leurs relations
avec les autres – ce jusqu’à un hypothétique
ancêtre commun. Dans l’esprit des biologistes
évolutionnistes, jusqu’à ces dernières
années, l’arbre était une réalité
de la nature. Pour en préciser les détails
il suffisait d’approfondir l’analyse des espèces
éteintes.
Aujourd’hui
cependant ce concept d’arbre est considéré
par beaucoup de biologiste comme erroné, sinon dangereux.
Il donnerait une fausse idée de l’évolution.
Le remettre en cause doit contribuer à la révolution
dans la biologie qui s’impose désormais à
leurs yeux. La découverte de la structure de l’ADN
en 1953 avait un moment fait espérer que la biologie
moléculaire justifierait la réalité
des arborescences constituant l’arbre phylogénétique.
Plus deux espèces se sont séparées
récemment, plus similaires devraient être leurs
ADN, ARN et séquences de protéines correspondantes.
Cette hypothèse fut initialement confirmée.
L’analyse de l’ARN présent dans les ribosomes,
ou organites intracellulaires responsables de la fabrication
des protéines, avait permis de retrouver le schéma
d’un arbre, et accessoirement de différencier,
comme le fit Carl Woese précité, les archaea
des bactéries.
Mais les progrès de la biologie moléculaire
permirent à partir des années 1990 de séquencer
l’ADN des bactéries et archaea et pas seulement
leur ARN. Or là, en de nombreuses occasions, ces
analyses ne permirent pas de retrouver l’arbre évolutif
des ARN. De nouveaux arbres apparurent, semblant montrer
que des espèces proches selon l’arbre des ARN
ne l’étaient plus dans l’arbre des ADN.
Cela ne voulait pas dire que l’une ou l’autre
de ces analyses était erronée, Elles ne l’étaient
pas. Cela voulait seulement dire que le concept d’arbre
n’était plus applicable à l’évolution
globale des espèces. Il n’avait de valeur que
dans la perspective d’une descendance s’exerçant
verticalement mais non dans celle où des espèces
pouvaient échanger du matériel génétique
de façon horizontale, par exemple par l’hybridation.
L’hybridation résulte d’une reproduction
entre espèces différentes n’entraînant
pas de modifications et moins encore de disparition des
espèces mères. Elle est généralement
infertile mais dans de nombreux cas, il a été
découvert qu’elle ne l’était pas
(voir ci-dessous). A la lumière de ces analyses,
l’arbre s’est transformé en un réseau
complexe d’interrelations, dit aussi un « web
», les espèces pouvant être proches par
certains caractères et éloignées par
d’autres.
Un mécanisme absolument
général
La multiplication des séquençages de gènes
entre bactéries et archaea montra que ces organismes
échangent régulièrement leur matériel
génétique entre eux, le cas échéant
à travers de grandes distances taxonomiques. D’où
la nécessité d’inventer le concept de
transfert horizontal de gènes. De plus, il est apparu
qu’il ne s’agissait pas d’un phénomène
marginal, tel celui mis en oeuvre dans l’acquisition
de résistances aux antibiotiques. Il s’agit
d’un mécanisme absolument général.
Le débat s’est poursuivi cependant entre partisans
de l’arbre et partisans du web, jusqu’à
aujourd’hui. En 2006, une étude menée
par Peer Bork du Laboratoire européen de Biologie
moléculaire de Heidelberg, portant sur 31 gènes
appartenant à 191 génomes de bactéries,
archaea et eucaryotes mettait en évidence un arbre
presque parfait. Mais d’autres chercheurs (notamment
Tal Dagan et William Martin de l’Université
Henri Heine à Düsseldorf) répliquèrent
– sans convaincre les précédents - que
l’échantillonnage était insuffisant.
Ils ont depuis mis en évidence 80% de transferts
de gènes au sein de 500.000 gènes appartenant
à 181 procaryotes.
Quant aux eucaryotes, c’est-à-dire à
la catégorie à laquelle nous appartenons,
les exemples abondent montrant qu’ils ont recours
à la symbiose génétique. D’abord,
il est admis généralement que les eucaryotes
prirent naissance par la fusion de deux procaryotes, une
bactérie et une archaea. Les eucaryotes primitifs
ainsi formés ont ensuite absorbé d’autres
procaryotes, ayant abouti aux mitochondries et aux chloroplastes,
organites responsables au sein de la cellule moderne de
la fabrication de l’énergie et de la photosynthèse.
On parle à ce sujet d’endo-symbiose, en ce
sens que les organismes absorbés ont transféré
une grande partie de leurs génomes dans ceux de leurs
hôtes, créant des génomes hybrides.
Le libre marché des gènes se poursuit aujourd’hui
à grande échelle. Certes, il intéresse
principalement une majorité d’eucaryotes unicellulaires
(protistes) qui constituent 90% des espèces connues.
Mais l’évolution des multicellulaires, plantes
et animaux, fait aussi largement appel spontanément
à l’hybridation. Ce serait le cas de 14% des
plantes et de 10% des animaux, selon James Mallet, biologiste
évolutionnaire à l’University College
de Londres. On sait que la question a été
posée (sans être clairement résolue
à ce jour) à propos des relations entre homo
neandertalensis et homo sapiens. De plus, on trouve dans
les génomes de diverses espèces des séquences
d’ADN identiques qui semblent bien avoir été
transféré au cas par cas par HGT. Un morceau
d’ADN de serpent a ainsi été retrouvé
chez une vache. Les agents de ces transferts semblent être
principalement des virus. On estime ainsi que 40 à
50% du génome humain, souvent associé à
des fonctions vitales, à été importé
horizontalement par des virus. Tout ceci n’exclut
pas cependant l’évolution darwinienne classique
le long d’arbres phylogénétiques. Elle
reste identifiable dans environ 50% des cas.
Pour
Eric Bapteste 4) , de l’université
Pierre et Marie Curie (photo), il ne faut pas conclure de
ce qui précède que la théorie de l’évolution
jusqu’alors dominante soit fausse et doive être
changée. Elle est seulement plus complexe que Darwin
ne l’imaginait. Il faut donc l’envisager dans
sa nouvelle complexité. Pour d’autres chercheurs
au contraire, il convient dorénavant de concevoir
l’évolution plus autour des fusions et de la
coopération qu’autour de mutations survenant
dans des lignées isolées. Un changement majeur
dans les concepts et le paradigme s’imposerait donc.
La question des hybrides est intéressante à
cet égard. Il conviendrait de rejeter la croyance
selon laquelle ses produits sont stériles. Pour le
biologiste marin Donald Williamson, retraité de l’Université
de Liverpool, de nombreuses espèces marines conjuguent
successivement au cours de leur vie des caractères
hérités de deux espèces différentes
s’étant hybridées pour leur donner naissance.
Il s’agit de chimères viables. Le milieu marin
est il est vrai très favorable au rapprochement des
semences d’espèces différentes.
Ajoutons pour notre part que d’autres formes de chimères
viables – en dehors de celles formées par génie
génétique – existent peut-être
au sein des espèces supérieures. Elles n’auraient
réussi à survivre que dans des cas exceptionnels,
mais sur des millions d’années d’évolution,
de telles exceptions auraient eu la possibilité de
se produire. Ces considérations donnerait fondement
à un thème parfois développé
dans la science fiction : l’apparition possible à
l'avenir d’un hybride d’humain et d’un
autre organisme supérieur non humain, d’où
naîtrait une nouvelle espèce. Il faudrait en
effet considérer la vie et son évolution comme
un phénomène global immense, réagissant
en totalité et qui ne peut être compris par
l’analyse de quelques cas seulement. Mais nous sommes
là pour le moment dans le domaine de l’hypothèse.
Une autre conclusion nous parait s’imposer, ne relevant
sans doute pas de l’hypothèse. Les mutations
considérée comme fondamentales dans le schéma
darwinien classique, lequel a été repris par
exemple dans le livre « Le hasard et la nécessité
» de Jacques Monod, ne sont pas les seules facteurs
de l’évolution, qu’elles relèvent
d’accident à la duplication du génome,
d’irradiations ou d’autres causes externes.
L’inter-évolution et l’endo-évolution,
qui réduisent (sans l’annuler) le champ du
hasard dans la nécessité, joueraient un rôle
tout aussi important. Mais leurs produits seraient, eux
aussi, soumis à la sélection darwinienne.
Les spiritualistes ne peuvent donc s’appuyer sur ce
qui précède pour réintroduire le finalisme.
Notes
1) http://www.automatesintelligents.com/echanges/2006/fev/newbio.html
2) http://www.newscientist.com/article/mg20126921.600-why-darwin-was-wrong-about-the-tree-of-life.html
3) Philippe Lherminier et Michel Solignac,
De l’espèce, Syllepse 2005, p. 199-200.
4) Eric Bapteste. Page personnelle
http://www-ihpst.univ-paris1.fr/151,eric_bapteste.html