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Biblionet

Xavier Saint Martin
L’appareil psychique dans la théorie de Freud.
Essai de psychanalyse cognitive
L’Harmattan
2007
Présentation
et commentaires par Jean-Paul Baquiast 20/10/2009
|
Présentation
(4e de couverture)
Les
sciences cognitives sont à double titre en
quête d'intelligence. Tout d'abord parce qu'elles
continuent à rechercher les concepts fondamentaux
qui permettraient de bâtir une science des fonctions
supérieures de l'Homme, d'autre part pour réaliser
des systèmes artificiels doués de compétences
cognitives comparables à celles dont il fait
concrètement preuve. L'ouvrage invite à
une traversée de l'œuvre de Freud, pour
illustrer à quel point la pensée du
père de la psychanalyse était proche,
en de multiples aspects, des questionnements contemporains
en sciences cognitives, tels que : qu'est-ce que penser?
Comment s'origine l'acte de création ? Ce faisant,
l'auteur appelle de ses vœux à une coopération
étroite entre les psychanalystes et les chercheurs
en sciences cognitives, pour fonder les principes
auxquels devront obéir les systèmes
artificiels intelligents. Au passage, l'ouvrage montre
combien l'informatique contemporaine est inapte à
doter les machines de telles capacités, ne
serait-ce que parce qu'il n'y a pas de pensée
sans désir, ni de désir sans corps(1).
Biographie
de l'auteur
Xavier
Saint-Martin est né en 1954 en région
parisienne. Enfant, sa curiosité naturelle le
poussait à comprendre les mécanismes qui
régissaient tant son univers humain que matériel.
Jeune adulte, poursuivant ce double profil, il a suivi
une formation universitaire en Sciences de l'ingénieur,
puis en Sciences humaines cliniques et psychanalyse.
C'est à ce double titre qu'il étudie depuis
plusieurs années les développements contemporains
des sciences cognitives. Il est membre de l'Association
pour la Recherche Cognitive. Par ailleurs, ingénieur
reconnu dans le milieu de l'informatique, Xavier Saint-Martin
est l'auteur de plusieurs publications techniques présentées
lors de congrès internationaux.
L’auteur
recevra les commentaires et critiques aux adresses suivantes
: x.stmartin (at) aliceadsl.fr et xavier.saint-martin
(at) bull.net
(1)
NDLR: Cette remarque mériterait d'être
nuancée. Les robots modernes pourront acquérir
de telles capacités.
|
|
Nous
ne connaissions pas cet ouvrage, que l’auteur a eu
la gentillesse de nous adresser. Bien qu’il soit déjà
relativement ancien, à l’aune où évoluent
les idées et les techniques, nous pensons utile de
le présenter et le discuter à l’intention
de nos lecteurs. Il nous permet d’ailleurs de reprendre
et le cas échéant modifier quelques uns des
commentaires que nous avons fait au livre de Lionel Naccache,
dont il parait utile de le rapprocher, bien que les points
de vue soient très différents : Le nouvel
inconscient, Freud, Christophe Colomb des neurosciences,
Odile Jacob 2006. Voir:
http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2007/jan/naccache.html
Xavier
Saint Martin est tout à fait autorisé pour
parler à la fois de Freud et du monde très
divers des sciences dites cognitives, puisque sa formation
universitaire et professionnelle l’a conduit à
pratiquer ces deux grandes catégories de disciplines,
y compris en tant qu’ingénieur informatique.
Le livre s’inscrit dans une démarche encore
assez peu répandue (nous verrons pourquoi) mais qui
ne peut manquer d’intéresser nos lecteurs :
rappeler ce que furent l’œuvre scientifique et
la pratique thérapeutique proposées par Freud,
rechercher en quoi la démarche de Freud enrichirait
les sciences cognitives, rechercher symétriquement
en quoi ces sciences cognitives permettraient d’apprécier
la pertinence du freudisme.
Le
livre respecte strictement ce programme, puisqu’il est
constitué de 2 grandes parties :
1. Eléments de théorie freudienne (assortis
d’un grand nombre de citations)
2. Vers une psychanalyse cognitive, où l’auteur,
pour donner une base aux propositions qu’il y présente,
rappelle sommairement en quoi consistent les sciences cognitives,
notamment sous l’angle des outils informatiques permettant
de décrire ou simuler le cerveau.
Notons
d’ailleurs que la partie essentielle de ses propositions,
relatives à la construction d’une psychanalyse
cognitive, aurait sans doute méritée d’être
individualisée sous la forme d’une 3e partie.
Elle est actuellement un peu noyée dans sa seconde
partie, alors que le cœur en est résumé
dans le graphique des pages 130 et 131, suivi de commentaires.
C’est en fait à partir de ces pages que commence
ce que nous pourrions appeler le véritable travail
de construction proposé par l’auteur. Il ne
lui reste malheureusement plus que 13 pages pour le préciser.
Il est vrai que son but est d’abord de corriger ce
que les psychanalystes disent de Freud, et de corriger ce
que les cogniticiens croient comprendre de lui. Ceci suppose
un retour aux écrits de Freud, rarement fait aujourd’hui.
L’auteur s’est astreint à cette tâche
essentielle, en nous évitant l’effort du travail
documentaire correspondant. D’où les 360 citations
qu’il présente en fin d’ouvrage. Le lecteur
pressé pourra ne pas s’y référer,
mais à notre avis, il aurait tort.
Une
critique plus sérieuse nous parait mériter
d’être faite, concernant les références
aux sciences cognitives. Celles-ci sont anciennes, et ne
tiennent donc pas compte de la richesse des travaux caractérisant
ce domaine. Certes, le livre écrit en grande partie
avant 2007 ne pouvait pas citer les publications récentes.
Certains des auteurs cités ne nous paraissent donc
pas apporter beaucoup de crédit à la thèse.
Nous dirions en forme de clin d’œil qu’il
est dommage que Xavier Saint Martin n’ait pas connu
notre site, beaucoup plus à jour que sa bibliographie.
L’auteur nous a confirmé qu’il avait
entrepris l’actualisation nécessaire.
Résumé
du livre
Après
ces préambules, et sans nous arrêter aux détails,
essayons de résumer la démarche proposée
par l’auteur, visant à construire une psychanalyse
cognitive. Quel pourrait en être le but ? Qu’en
serait le bénéfice ? Pour Xavier Saint Martin
comme pour tous ceux qui s’intéressent aux
mécanismes psychiques, il s’agit d’abord
d’éclairer un monde dont la complexité
ne cesse de nous surprendre. L’objectif est donc scientifique.
Il est en priorité de convaincre les cogniticiens
que s’ils veulent comprendre comment le cerveau fonctionne,
ils ne pourront pas faire l’économie des travaux
de la psychanalyse. Plus précisément, Xavier
Saint Martin propose une démarche qui viserait comme
indiqué ci-dessus à enrichir réciproquement
la psychanalyse et les sciences cognitives : montrer comment
les intuitions et hypothèses de Freud pourraient
enrichir les sciences cognitives et, réciproquement,
comment celles-ci, avec notamment leurs nouveaux instruments,
pourraient éventuellement confirmer ou infirmer les
hypothèses de la psychanalyse.
Réapprendre
à connaître Freud
Pour
cela, il faut commencer par connaître, ou redécouvrir
la richesse de la démarche de Freud et son caractère
véritablement scientifique. On peut toujours discuter
la question de savoir si la psychanalyse moderne est une
science au sens, d’ailleurs très imprécis,
donné à ce mot quand il concerne les sciences
humaines. Mais à quoi bon? Concernant le travail
fait tout au long de sa vie par Freud, le livre consacre
un long chapitre, le chapitre 2, à démontrer
comment, au vu des critères de son époque,
comme d’ailleurs en grande partie au vu des nôtres,
Freud s’était comporté en scientifique,
afin notamment de mieux illustrer le fonctionnement du psychisme.
Les
explications qu’en donnaient à la fin du 19e
siècle les psychologues et médecins de l’époque,
imbues de préjugés traditionnels voire de
croyances mythologiques, avaient en effet perdu tout caractère
éclairant. Freud se comporta à cet égard
en véritable génie, et en génie courageux,
puisqu’il affronta sans hésiter les forces
conservatrices qui tenaient, notamment pour conserver leur
pouvoir sur les malades, mais aussi plus généralement
sur les femmes, les enfants et les pauvres, à dénier
toute autonomie aux uns et aux autres. On sait, inutile
de développer ce point ici, comment la mise en valeur
par Freud de la libido, des pulsions sexuelles, des inhibitions
conduisit des millions de personnes à mieux comprendre
la société et parfois à mieux se comprendre
elles-mêmes.
Nous
ne pouvons résumer ici les 80 pages (sans compter
les citations présentées en notes) consacrées
par le chapitre 2 du livre à analyser ce que l’auteur
nomme la théorie freudienne. Il y aborde successivement
: 1. La méthode, véritablement scientifique,
reposant sur l’observation elle-même inspirée
par le déterminisme. 2. La description des entités
observables, que l’auteur nomme les inscriptions psychiques
(affects, représentations, complexes…). 3.
La présentation de la vision associationniste qui
est à la base des activités psychiques et
de leurs mises en évidence. 4. La présentation
de la « défense » en relation avec ce
que les psychanalystes nomment les topiques (ou études
de la structure mentale) successivement décrites
par Freud : conscient/inconscient ; moi/ça ; vie/mort.
. 5. La spécificité du sexuel avec ses différentes
manifestations : refoulement, transposabilité, symptôme,
régression, fixation, traumatisme…et finalement
6. Le rôle du sujet en psychanalyse, y compris en
ce qui concerne la cure.
Xavier
Saint Martin nous rappelle, à l’occasion de
cette présentation, que ces bases théoriques
avaient été élaborées à
partir d’un nombre considérable d’observations
cliniques. Freud y avait procédé avec les
moyens dont disposaient la psychologie et la psychiatrie
de l’époque, mais l’on sait qu’il
s’intéressait beaucoup aux premiers pas de
la neurologie et de l’anatomie pathologique. Il aurait
vécu 50 ou 100 ans plus tard, sans doute n’aurait-il
pas renié les fondements de sa théorie, du
moins les auraient-ils fortement enrichis sinon nuancés.
C’est bien ce que devraient faire les psychanalystes
aujourd’hui.
Vers
une psychanalyse cognitive
Cet
objectif, qui donne son titre au livre et fait l’objet
du Chapitre 3, vise à illustrer la grande proximité
des questions posées sur l’appareil psychique
tant par la théorie de Freud que par les sciences
cognitives. L’ambition de l’auteur, comme il
l’indique lui-même, est de faire savoir à
la communauté psychanalytique que ses méthodes,
concepts et processus expérimentaux pourraient utilement
participer aux travaux en cours intéressant les sciences
cognitives au sens large, mais aussi les recherches et développements
concernant les systèmes artificiels dits intelligents.
Plus particulièrement à cette fin, il indique
les outils conceptuels et les connaissances factuelles découlant
de ces sciences et techniques, que Freud aurait probablement
exploités si ces matériaux avaient été
disponibles de son temps. L'ambition de l'auteur serait
que les successeurs de Freud réalisent ce travail.
Il
présente pour cela (sous réserve d’une
future mise à jour que nous avons évoquée
et qui pourrait aisément être réalisée),
les métaphores ou simulations permises par l’informatique
et l’intelligence artificielle. Il énumère
ensuite les lignes de convergence : établissement
des liaisons entre neurones, association, investissement,
apprentissage, représentation, mémoire. Il
discute enfin les questions liées au fonctionnement
du cerveau à partir des structures neurales innées
et acquises, la construction du sujet, la catégorisation,
les affects et motivations conscients ou inconscients, etc.
Le chapitre se termine par un tableau synoptique présentant
les bases génétiques et phylogénétiques
du psychisme, les entités psychiques, les règles
présidant à leurs relations, sur un mode déterministe
ou au contraire chaotique, et finalement les conséquences
observables en découlant: névroses, psychoses,
perversions, avec leurs divers symptômes et manifestations
rationalisées.
Quelques réflexions
Le
sujet abordé par Xavier Saint Martin est immense,
et nous ne pouvons pas ici prétendre l’évaluer
avec pertinence. Bornons nous à présenter
quelques réflexions rapides.
L’inconvénient
de l’apparition d’un grand novateur est qu’elle
génère derrière lui d’innombrables
disciples. Ceux-ci, par respect, souvent aussi par facilité,
pour s’éviter les efforts de nouveaux renouvellements,
finissent pas se comporter en véritables gardiens du
temple. Ils exploitent les premiers filons mais ils renoncent
à en chercher d’autres. On sait à cet
égard que si Freud n’avait pas lui-même
été avare d’imagination pour décrire
les comportements psychiques et leurs antécédents
supposés, ses élèves, c’est-à-dire
l’immense communauté des psychanalystes de par
le monde, ont infiniment compliqué le tableau mais
sans le renouveler réellement. La lecture des ouvrages
des psychanalystes contemporains ou des articles de revues
nous plonge dans une jungle d’entités aux mille
nuances, généralement présentées
comme découlant des fondations posées par le
père de la psychanalyse, dans laquelle on ne peut naviguer
ou se retrouver que par l’intercession des spécialistes.
Cela porte un grand tort au dialogue interdisciplinaire(1).
Ajoutons
que les psychanalystes, imprégnés de leur
lutte contre une psychiatrie réductionniste, symbolisée
par l’électrochoc et la camisole chimique,
se refusent encore à considérer ce que peuvent
dire du cerveau et de son fonctionnement non seulement les
neurosciences observationnelles, mais aussi la génétique
et la biologie évolutionnaire. A plus forte raison
veulent-ils encore ignorer les perspectives de l’intelligence
artificielle et de la robotique autonome. L’idée
qu’un robot puisse faire montre d’affects, complexes,
refoulements et pathologies diverses, pourtant sérieusement
à l’ordre du jour chez les roboticiens, leur
parait relever de l’escroquerie intellectuelle.
La
complexité de la jungle des entités étudiées
par la psychanalyse(2), à
supposer qu’elle ne soit pas principalement destinée
à sauvegarder le monopole des psychanalystes sur les
cures, rend difficile l’objectif que pourraient selon
nous se fixer les sciences cognitives, retrouver derrière
chacune de ces entités un mécanisme génétique,
neurologique ou culturel susceptible d’être identifié
et analysé avec leurs méthodes et leurs instruments.
Des tentatives ont été faites récemment,
sous le concept notamment de neuro-psycho-analyse, mais elles
ne semblent pas avoir donné de résultats probants.
Un
certain nombre de neuroscientifiques se sont demandés
si les comportements et symptômes identifiés
par Freud tout au long d’une œuvre de 50 ans
correspondent à des « observables » de
caractère durable sinon universel. Ils pourraient
en ce cas aujourd’hui encore être effectivement
observés et analysées avec les outils modernes
des sciences cognitives. Il en serait de même des
causes ou déterminismes qui seraient à la
source de ces comportements et symptômes. Ainsi, pour
prendre un exemple excessivement simpliste, des façons
d’être telles que celles qualifiées de
perversions ou, au contraire, de refoulements pourraient
être imputées à la combinaison (stochastique)
d’un certain nombre de mécanismes générateurs
dont l’on pourrait trouver une trace dans des sécrétions
endocriniennes, des observations en imagerie cérébrale,
voire en amont dans l’expression de certains gènes.
L'imprécision
des concepts freudiens
Malheureusement,
pour cela, les observations éventuelles se heurtent
à l’imprécision des concepts freudiens.
Entendons-nous. Il ne s’agirait pas de nier ce que
chacun peut constater, que les individus sont constamment
victimes d’aberrations psychiques telles que le délire
de persécution, les obsessions et addictions, les
dépressions et autres névroses. On ne nierait
pas non plus l’existence de phénomènes
dont chacun est témoin, à commencer dans son
propre psychisme, tels que les rêves, les oublis,
les défenses contre le déplaisir, etc. Il
s’agirait par contre d’en rechercher les causes
dans le monde infiniment complexe et encore mal exploré
du fonctionnement du cerveau « incorporé »
dans un corps doté de centaines de capteurs et effecteurs
portant tout autant sur l’intérieur que sur
l’extérieur. Que resterait-il alors de la «
belle simplicité » des concepts freudiens ?
Répétons une nouvelle fois que si Freud avait
vécu aujourd’hui, il n’aurait sans doute
pas refusé de voir cette complexité, ni rejeté
les mises à jour doctrinales qui en auraient découlé.
C’est
ce qu’explique fort bien le livre de Lionel Naccache
précité, à propos de l’inconscient
dont on sait le rôle essentiel pour Freud et ses disciples
: l’inconscient tel que décrit par ces derniers
(il y a presque 100 ans maintenant), n’existe (vraisemblablement)
pas. L’inconscient constitue pourtant ce que l’on
pourrait qualifier de fonctionnement par défaut de
tous les organismes vivants. Mais il n’a pas grand-chose
à voir avec l’inconscient freudien. Que serait
alors l’inconscient freudien ?
Les
organismes vivants fonctionnent essentiellement sur le mode
inconscient du fait que les opérations mentales accédant
à l’espace de travail conscient identifié
chez les animaux supérieurs sont extrêmement
rares (et ne disposent généralement pas des
propriétés généralement prêtées
à la conscience par le sens commun). Si l’on
veut comprendre ce qui se passe sur le mode inconscient
dans le corps et le cerveau d’un chien ou d’un
humain, il faut mettre en œuvre les instruments d’analyse
de plus en plus perfectionnés fournis notamment par
la pharmacologie et l’imagerie cérébrale
fonctionnelle. Mais il s’agit alors de recherches
considérables, qui n’intéressent que
peu les organismes de financements (sauf peut-être
les militaires). Raison de plus pour ne pas partir sur de
mauvaises bases, autrement dit ne pas s'appuyer sur des
hypothèses freudiennes dont la plupart ne sont plus
considérées comme scientifique, c’est-à-dire
vérifiables et falsifiables.
Prenons
un exemple simple tiré de la météorologie.
Traditionnellement, les agriculteurs et marins constataient
que des vents différents se succédaient, avec
des caractères qu’ils avaient bien identifiés.
Mais ils avaient attribué les causes de ces vents
à des conflits entre divinités, le timide
Zéphyr affrontant le rude Borée, sous l’œil
sourcilleux de Jupiter tonnant, maître des Dieux et
des hommes. Si les météorologues modernes,
dotés de tous les instruments perfectionnés
dont ils disposent, avaient conservé cette dramaturgie,
ils n’auraient pas identifié les vrais acteurs
qui sont les mélanges d’air chaud et froid
au sein des couches atmosphériques. Certes, lorsqu'un
prévisionniste veut se faire comprendre d’un
public non expert, aujourd’hui encore, il fait appel
aux divinités traditionnelles (sauf à les
remplacer par des concepts mythologiques identifiés
dans le ballet des cartes météorologiques
télévisuelles par des conflits entre D
(la méchante dépressions) et A (le gentil
Anticyclone). Mais il ne se prend pas au mot et sait bien
qu'élucider les déterminismes chaotiques du
climat nécessite d’autres concepts et d’autres
approches.
A
la question sempiternelle de savoir si la psychanalyse est
ou pourrait devenir une science, nous serions donc tentés
pour notre part de répondre qu’elle ne pourrait
le devenir, sous la forme d’une psychanalyse cognitive,
qu’en soumettant à la critique des sciences cognitives
et de nombreuses autres sciences, l’ensemble des concepts
et des observables à partir desquels elle s’efforcerait
de proposer des lois. On peut évidemment considérer
que la psychanalyse doit être traitée comme d’autres
sciences humaines et sociales : sciences économiques,
sciences de l’organisation, histoire, voire même
médecine, à qui l’on ne demande pas de
se confronter aux épreuves imposées aux sciences
dites dures, incluant la biologie. Mais dans la mesure où
l’on voudrait la mettre à l’épreuve
d’instruments émanant de ces sciences dures,
il faudrait bien en accepter les contraintes(3).
L'ambiguité
des instruments d'observation
Cela
ne veut pas dire que ces sciences cognitives elles-mêmes
ne devraient pas être critiquées du point de
vue épistémologique. Il n’y a pas de
raison de leur faire une confiance absolue. Développons
un peu ce point. On nous objecte souvent, dans cette revue,
que les techniques de l’imagerie fonctionnelle, notamment
la fameuse IRM(f), sont des instruments comme les autres,
autrement dit marqués des mêmes limites que
l’épistémologie critique détecte
à juste titre dans toute observation instrumentale,
que ce soit en science macroscopique ou en physique microscopique.
Elles ne font pas apparaître un réel existant
en soi, mais ce que certains nomment une entité-objet
résultant de la relation, toujours révocable,
entre un infra-réel non qualifiable en soi, un instrument
et un observateur/acteur. Autrement dit, l’image des
aires neurales activées lors d’un comportement
donné ne correspond pas vraiment à ce qui
se passerait dans le cerveau selon la « narration
» qui en est faite par les neuroscientifiques, mais
à ce que l’observateur et son instrument peuvent
et veulent détecter. D’autres instruments d’ailleurs,
non encore réalisés, pourraient faire apercevoir
d’autres choses et susciter d’autres «
narratives ».
Ces
réserves cependant ne signifient pas pour nous qu’il
serait impossible de faire de la psychanalyse cognitive
proposée par Xavier Saint Martin une véritable
science. Elles signalent nous semble-t-il l’immensité
des chantiers qu’il faudrait ouvrir, puisqu’il
faudrait à la fois critiquer tous les concepts de
départ, empruntés à Freud ou importés
plus récemment dans la psychologie, notamment à
partir de la psychologie évolutionnaire, et les méthodes
permettant d’en justifier la pertinence à partir
de l’observation des corps et des cerveaux du monde
animal. L’importance de la tâche ne serait pas
à elle seule une raison pour ne pas l’entreprendre.
Disons seulement qu’il ne faut pas s’illusionner.
Comme rappelé plus haut, ces objectifs n’intéressent
pas vraiment, aujourd’hui, ni les décideurs
de la science, ni les citoyens. Ceux-ci se satisfont fort
bien des explications fournies par les religions et par
les astrologues.
La
psychanalyse cognitive en tant qu’instrument pour
la cure.
Cette
question n’a pas été retenue, nous l’avons
indiqué, pour Xavier Saint Martin, parce que débordant
selon lui du champ de ses compétences. Nous pouvons
cependant en dire un mot ici, sans l’aborder au fond.
La plupart des psychanalystes, comme ceux des patients qui
acceptent de supporter les sacrifices en temps et en argent
qu’implique une cure, ne se préoccupent pas
de savoir si la psychanalyse est ou non une science, car
cette question n’aurait pas pour eux d’intérêt
pratique. Ce qui compte, tant pour les soignants que pour
les patients, est que la psychanalyse soulage. Mais soulage-t-elle
?
On
pourrait discuter interminablement des conditions dans lesquelles
intervient le remède apporté par la cure psychanalytique
traditionnelle, pratiquée depuis près de cent
ans maintenant sous des formes peu différentes par
la communauté des psychanalystes, qu’ils soient
ou non docteurs en médecine. Les patients véritablement
guéris, se reconnaissant comme tels ou non, sont
rares. Cependant, en dehors de cas désespérés,
enfermés dans des névroses récurrentes,
il semble bien que les résultats des traitements
soient plutôt favorables. Que demander de mieux ?
Les
sciences cognitives se devraient de rechercher le pourquoi
de tels résultats. Le font-elles sérieusement
? Ce n’est pas sûr. En dehors d’elles,
beaucoup de médecins et psychologues font valoir
que ce qui soulage les maux psychiques est la possibilité
pour ceux qui en souffrent de s’en ouvrir à
des oreilles compatissantes. Ceci souvent de préférence
en présence d’un public que l’on pourra
émouvoir ou avec qui partager ses émotions.
D’où le succès des innombrables consultations
de psychothérapie, des groupes de soutien psychologique,
des émissions de télé-réalité.
D’où aussi le succès de ce que les psychologues
sont bien obligés de considérer comme des
dérives : confessions en public dans des méga-churches,
séances d’hallucination plus ou moins sectaires,
exorcismes, etc. Il s’agit d’un effet proche
de l’effet placebo, dont on ne peut contester l’intérêt
en pharmacie et qui reste encore mystérieux. Il s’agit
d’un beau sujet d’étude, tant pour les
sciences cognitives que pour la psychanalyse.
Quant
à la question évoquée plus haut, celle
de savoir si une approche psychanalytique pourrait «
guérir » les robots évolutionnaires
complexes en cours de développement (sous le nom
générique de « systèmes cognitifs
») des diverses anomalies comportementales qu’ils
pourront manifester, la réponse parait affirmative.
Bien que le thème ne soit pas encore d’actualité,
il le deviendra vite. Les approches relativement globales
de la psychothérapie et de la psychanalyse, visant
à prévenir ou guérir les troubles,
même lorsque l’on ne sait pas bien ce qui se
passe « au fond de la machine », trouveront
là un emploi utile. Ceci pourrait en retour (horresco
referens) entraîner quelques retombées utiles
dans le traitement des humains.
Ajoutons,
pour évoquer le vieux conflit entre psychanalyse
et psychiatrie, en le mettant au goût du jour, que
beaucoup de praticiens font à la psychanalyse, comme
en général aux psychothérapies, le
reproche de faire perdre beaucoup de temps aux patients
en difficulté, alors que l’administration de
drogues calmantes ou euphorisantes pourraient avoir le même
effet. Il s’agit d’une question que nous n’aborderons
pas ici, mais qui est, qu’on le veuille ou non, sous-jacente
à l’appel aux sciences cognitives et à
leurs applications en psychiatrie. Aujourd’hui, des
expériences montrent par exemple que des variations
infimes dans les taux d’adrénaline ou de sérotonine
peuvent transformer radicalement un individu tranquille
en individu agressif ou réciproquement. Ceci dit,
on admettra facilement que la conjonction de méthodes
biochimiques et de méthodes psychologiques devrait
donner de meilleurs résultats qu’une approche
unilatérale.
Finalement,
que dire relativement à l’efficacité thérapeutique
de la psychanalyse ou d’une future psychanalyse cognitive
? Ce thème, répétons-le, a été
volontairement exclu du livre de Xavier Saint Martin, mais
nos lecteurs ne manqueront pas de s’y intéresser.
On peut penser que, de même que le météorologue
n’a pas besoin de connaître les secrets de la
dynamique des fluides pour juger de la sévérité
d’un épisode dépressionnaire survenant
dans la vie quotidienne, des observations barométriques
lui suffisant généralement, le psychanalyste
peut se satisfaire dans ses relations avec le patient des
concepts encore fonctionnellement utilisables retenus par
la profession à la suite de Freud, pulsions sexuelles,
libido, refoulement, etc., Il y fera allusion avec son patient.
Celui-ci « hallucinera » à leur sujet et
s’en trouvera généralement bien.
Le
soignant devrait-il alors s’engager dans les considérations
complexes résultant de l’appel aux sciences
cognitives évoquées précédemment
? Ni lui ni le patient n’en tireraient (sauf cas graves)
de bénéfices immédiats. S’il
fallait rechercher les traces de telles « pulsions
» dans les bases neurales ou dans le génome
du patient, avec l'instrumentation lourde nécessaire,
il ne s’agirait plus alors de cure mais de recherche.
Le coût en serait évidemment modifié.
Conclusion
Compte-tenu
de la richesse des perspectives ouvertes par le livre de
Xavier Saint Martin, nous ne pouvons qu’en conseiller
la lecture. Bien plus, si lui-même, s’associant
avec d’autres chercheurs partageant son approche,
voulait préciser le contenu de la psychanalyse cognitive
qu’il propose, nous serions heureux d’en faire
ici l’écho.
Notes
(1)
Nous ne pouvions pas ne pas citer ici Le livre noir de
la psychanalyse, Sous la direction de Catherine Meyer,
2005, Les Arènes. Il s’agit d’un corpus
d'articles de plus de 800 pages dont l'ambition affichée
est de remettre en cause les théories et de souligner
les échecs de la psychanalyse. Ce livre, paru en septembre
2005, rassemble une quarantaine d'auteurs de différentes
nationalités et de différentes spécialités
: historiens, psychiatres, philosophes. On l’a suspecté
d’être une publicité cachée pour
d’autres pratiques thérapeutiques.
(2) Voir le Vocabulaire de la psychanalyse,
de Jean-Bertrand Pontalis, Jean Laplanche et Daniel Lagache
, Presses Universitaires de France - PUF; 3e édition
(novembre 2004) .
(3) Sur la question de savoir si la psychanalyse
est ou non une science, voir l'article de Marc Jeannerod et
Nicolas Georgieff (référence proposée
par Xavier Saint Martin) http://www.isc.cnrs.fr/wp/wp00-4.htm