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Biblionet
Howard
Bloom
The Genius of the Beast:
A Radical Re-Vision of Capitalism (diffusé
à partir de novembre 2009)
Présentation
et commentaires par Jean-Paul Baquiast 29/10/2009
|

Howard
Bloom (à droite).photographié à
NYC en 2008 lors d'une visite
de la Société francophone de mémétique.
Au centre, Pascal Jouxtel, fondateur de cette Société.
Howard
Bloom est l'auteur de
- The Lucifer Principle: A Scientific Expedition Into
the Forces of History. Voir notre présentation
http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2002/fev/principe.html
- Global Brain: The Evolution of Mass Mind From The
Big Bang to the 21st century. Voir notre présentation
http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2002/mar/bloom.html
- How I Accidentally Started The Sixties Téléchargeable
http://www.amazon.com/s/ref=nb_ss?url=search-alias%3Dstripbooks&field-keywords=-%09How+I+Accidentally+Started+The+Sixties&x=17&y=16
Titres
et distinctions
Former
Core Faculty Member, The Graduate Institute
Former
Visiting Scholar-Graduate Psychology Department,
New York University
Special
Advisor to the Board of the Retirement Income Industry
Association
Founder:
International Paleopsychology Project;
Founder,
Space Development Steering Committee;
Founder:
The Group Selection Squad
Founding
Board Member: Epic of Evolution Society
Founding
Board Member, The Darwin Project
Member
Of Board Of Governors, National Space Society
Founder:
The Big Bang Tango Media Lab
Member:
New York Academy of Sciences, American Association
for the Advancement of Science, American Psychological
Society, Academy of Political Science, Human Behavior
and Evolution Society, International Society for
Human Ethology
Scientific
Advisory Board Member, Lifeboat Foundation
Advisory
Board Member: The Buffalo Film Festival.
Pour
en savoir plus
voir
http://howardbloom.net/
voir aussi http://www.scientificblogging.com/howard_bloom
Voir
aussi notre interview de l'auteur dans ce numéro
http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2009/100/interviewbloom.htm
|
|
Nos lecteurs
savent avec quel intérêt nous avions lu les
deux premiers ouvrages de Howard Bloom, cités en
référence. Nous leur proposons de se reporter
aux présentations que nous en avions faites, elles
aussi citées ci-dessus.
Le
même Howard Bloom vient d'écrire un nouvel
ouvrage, dans la veine des deux premiers. L'auteur
nous en avait confié le manuscrit, afin que nous
puissions le présenter avant sa diffusion officielle.
C'est avec plaisir que nous le faisons.
Introduction
à la démarche d'Howard Bloom
Howard Bloom est un écrivain scientifique assez exceptionnel.
S'il n'a pas les titres universitaires derrière
lesquels s'abritent généralement historiens,
anthropologues et sociologues divers, il dispose au plus
haut point de deux qualités qui sont à la
base de l'esprit scientifique : se demander ce que
cachent et peuvent révéler les phénomènes
considérés à tort comme les plus évidents,
utiliser pour ce faire le plus grand nombre des connaissances
scientifiques disponibles, sans s'arrêter aux
barrières disciplinaires. Pour cela il dispose d'une
imagination créatrice hors du commun, celle qui fait
les grands découvreurs. Il y joint évidemment
une puissance de travail exceptionnelle, sans laquelle rien
de solide ne peut être fondé.
Son
dernier livre, The Genius of the Beast: A Radical Re-Vision
of Capitalism, illustre une nouvelle fois ces qualités.
Il s'agit d'un ouvrage de plus de 700 pages, comportant plus
de 650 citations. Celles-ci, prises dans des revues ou ouvrages
scientifiques, ne sont pas seulement là pour faire
sérieux. La lecture du contexte montre que l'auteur
les a lues et méditées, pour en faire des arguments
ou des illustrations enrichissant son propos. Comme dans ses
précédents livres, l'auteur voyage avec aisance
à travers les siècles et les espaces, convoquant
pour illustrer ses hypothèses un nombre considérable
d'événements ou de documents historiques voire
préhistoriques dont il nous propose une relecture.
On
retrouve par ailleurs dans The Genius of the Beast
les particularités qui pour nous et pour beaucoup de
lecteurs de par le monde avaient fait l'originalité
de ses deux précédents ouvrages. Howard Bloom
y avait donné une véritable portée scientifique
à des concepts déjà largement utilisés
avant lui mais plus à titre de métaphores littéraire
que d'objets d'études pluridisciplinaires. Il s'agissait
pour citer les plus utilisés des concepts de superorganisme,
de même, de cerveau global, de sélection de groupe(1).
Mais
pourquoi donner à ces concepts une quelconque valeur
scientifique ? Sauf peut-être au thème dit de
la sélection de groupe, c'est impossible, proclament
à qui mieux mieux beaucoup de scientifiques réputés.
Nous pensons pour notre part qu'ils se trompent. Prenons le
cerveau global. On peut utiliser ce terme pour désigner
diverses entités observables dans la nature, une fourmilière,
une entreprise, l'internet, afin de montrer qu'elles ont de
nombreux points communs : des comportements cognitifs et parfois
des structures anatomiques proches de ce que l'on perçoit
dans un cerveau animal ou humain. On en déduira de
nombreuses conséquences susceptibles d'être vérifiées
expérimentalement : analogies fonctionnelles, par exemple,
entre un faisceaux de neurones et une colonne de fourmis.
On pourra aussi utiliser les modèles ainsi établis
pour construire un automate utilisant la technologie des multi-agents
adaptatifs capable de simuler aussi bien la fourmilière
que le cerveau.
Certes,
il ne sera pas possible d'observer un cerveau global comme
les neurologues observent un cerveau biologique. Dans les
deux cas, selon nous, il s'agira de constructions mentales
associant l'observateur et ses instruments, ne correspondant
pas à des «réalités en-soi».
Mais dans le cas du cerveau biologique, ses frontières
et ses détails pourront faire l'objet d'un large consensus
de la part des observateurs, ce qui ne sera pas le cas du
«cerveau global», quel qu'il soit. Ceci n'empêchera
pas que la comparaison, fut-elle métaphorique, entre
ces deux catégories d'observables pourra générer,
comme nous le rappelions, de nombreuses hypothèses
éclairantes, susceptibles d'être vérifiées
expérimentalement, dont profitera la description que
la science donnera finalement de chacune d'elle.
Bien
plus. La métaphore scientifique, à condition
qu'elle repose sur un certain nombre de bases indiscutables,
présentera l'intérêt de susciter l'exercice
d'une fonction que Howard Bloom juge à bon escient
essentielle à la découverte scientifique : l'imagination
indispensable à toute création, artistique comme
scientifique(2). Elle suscitera
aussi les affects, également indispensables à
la découverte. Peu importe alors qu'elle repose sur
des bases qui dans un premier temps seront approximatives
ou provoqueront des appréciations différentes(3).
The
Genius of the Beast présente une autre qualité,
déjà remarquable dans les ouvrages précédents
de l'auteur. L'ouvrage s'inscrit dans le darwinisme et dans
le naturalisme (autre mot pour désigner le matérialisme
athée) qui sont de plus en plus contestés par
les idéologues religieux voulant mobiliser au profit
de leur lutte pour le pouvoir politique les apports de la
science. Howard Bloom, à cet égard, ne donnera
aucun argument aux tenants de l'Intelligent Design, qu'il
soit chrétien ou islamique. Pour lui, l'histoire du
monde s'explique tout naturellement par des causes et des
déterminismes naturels. Même si tout ne peut
être précisé, en l'état actuel
de la science (c'est le cas selon nous en ce qui concerne
l'évolution cosmologique, à laquelle Howard
Bloom fait allusion), ce n'est pas une raison pour faire appel
à des arguments surnaturels qui, par construction,
élimineront le besoin de poursuivre les recherches.
Quelques
nouveaux mécanismes à prendre en considération
Comme
son titre l'indique,The Genius of the Beast s'attaque
à la compréhension du capitalisme moderne. Ce
thème a pris une actualité particulière
du fait de la crise financière et économique
ayant atteint Wall Street, puis le reste du monde, en 2007-2008.
Howard Bloom nous donne à cet égard, comme pour
tous les autres événements qu'il cherche à
décrypter, une description très vivante, dramatique
de celle-ci, connue à l'époque comme la crise
des subprimes, ou prêts bancaires à bas taux,
destinés à intéresser des personnes sans
garanties (No income, no job, no assets). Ceci ne veut pas
dire, nous y reviendrons, que nous puissions admettre sans
discuter l'idée qu'il se fait du capitalisme. Mais
l'intérêt du livre, pour nous, n'est pas là.
Il est de mettre en circulation, selon la méthode de
l'auteur, de nouveaux concepts qui deviendront de ce fait
susceptibles d'approfondissement par les sciences et donc
réutilisables dans de nombreux autres domaines, y compris
ceux de la vie quotidienne.
Nous
n'allons pas ici faire la liste de tous les nouveaux concepts
proposés par Howard Bloom. Limitons nous à celui
de «evolutionary search engine» Ce terme désigne
le principe qui est à la base, selon lui, de toutes
les évolutions intéressant la matière
minérale comme la matière vivante, y compris
le cosmos lui-même. Il parle de moteur de recherche,
par analogie avec la façon dont procèdent les
moteurs de recherche sur internet, explorant le monde virtuel
afin d'en ramener des éléments servant à
étayer une thèse. Nous pourrions aussi bien
utiliser le terme de machine à inventer universelle.
Le principe en serait simple : rassembler des ressources disponibles
dans le milieu, construire avec elles des entités complexes
originales, exploiter les champs d'actions ainsi ouverts,
ceci jusqu'à épuisement des ressources. Un effondrement
en résulterait. Mais cet effondrement ne marquerait
pas un retour en arrière ou une stagnation. A partir
de ces débris, la machine à inventer reconstituera
de nouvelles entités plus complexes et donc plus performantes.
Howard Bloom donne un nom au mécanisme ainsi décrit.
Il le nomme le balancier du renouvellement ou du réajustement
(pendulum of repurposing).
C'est
ainsi que procède l'évolution cosmologique,
par exemple dans le cadre des cycles marquant la nucléosynthèse
stellaire. C'est ainsi que procède la biologie, avec
création, destruction et reconstruction incessante
d'entités mieux adaptées à la compétition
darwinienne, que ce soit au plan des génotypes ou à
celui des phénotypes. C'est ce qu'ont toujours fait
les civilisations, construisant, détruisant et reconstruisant
des empires. Les «barons» de Wall Street n'ont
donc pas à s'inquiéter. La finance, avec ses
successions de crashs et de booms, ne procède pas autrement.
L'histoire économique récente donne d'ailleurs
raison à Howard Bloom, puisque à l'automne 2009
la spéculation boursière et bancaire repart
de plus belle, après avoir été sauvée
du naufrage par des injections massives de capitaux publics.
Mais
Howard Bloom ne se limite pas à donner un nom générique
à l'histoire des crises économiques et des crises
de civilisation. Il considère que le concept de moteur
de recherche évolutionnaire doit être complété
par celui de «générateur de transcendance»
(transcendance engine). Il ne fait pas allusion par là
à une quelconque transcendance métaphysique.
Il veut seulement dire que les forces à l'œuvre
au sein de ce moteur ou machine à inventer ne se borne
pas à rester, si l'on peut dire, au ras du sol dans
leurs efforts pour construire du nouveau sur les ruines de
l'ancien. Elles cherchent à donner vie aux créations
de l'imaginaire, elles-mêmes suscitées par les
affects résultant de l'activité des neurones
sous l'empire des médiateurs chimiques suscitant le
dépassement des individus et des groupes. Parmi ces
affects se trouvent à la fois le besoin d'exalter l'individu,
et celui de renforcer la solidarité à l'intérieur
du groupe. On y trouve aussi le besoin, bien plus ambitieux,
de construire, sur la Terre et non dans le ciel, un monde
nouveau différent du monde présent.
Autrement
dit, Howard Bloom propose un regard permettant de «séculariser»
les pulsions qui conduisent généralement les
humains à s'inventer des mondes divins ou surnaturels
capables de répondre à des besoins de dépassement
non satisfaits au sein du monde dans lequel ils vivent. Mais
pour progresser dans cette voie, il faut passer par ce que
l'auteur nomme le «cycle de l'insécurité».
En l'absence de ce «générateur de dépassement»
(breakthrough generator), c'est la stagnation et la mort,
correspondant à l'apoptose ou mort programmée
bien connue des biologistes. Celle-ci frappe les cellules
n'ayant pas trouvé de créneaux de renouvellement.
Quand
il s'agit des organismes animaux, Howard Bloom n'imagine pas
de transcendance aussi radicales que celles pouvant apparaître
dans les cerveaux des humains. Le cycle de l'insécurité
dont il décrit longuement le fonctionnement au sein
des ruches d'abeilles menacées par la disette se borne
à pousser les «abeilles au chômage par
manque de nourriture» (jobless bees) à chercher
au-delà des aires de collecte proches de nouvelles
sources de pollen. Mais le «générateur
de dépassement» sélectionné par
l'évolution ne s'est pas borné à inciter
les abeilles à élargir leurs champs de recherche
en cas de disette. Il a doté l'espèce de compétences
cognitives avancées, allant jusqu'à l'invention
d'un langage, la fameuse danse des abeilles, permettant d'instruire
la ruche de l'existence et de la localisation des sources
découvertes par les abeilles exploratrices. Rien n'interdit
de penser que sous les mêmes contraintes furent inventés
les outils et les langages à la base des découvertes
«transcendantes» dont l'humanité est aujourd'hui
si fière.
Appliquant
ces intuitions aux crises économiques vécues
par le capitalisme depuis deux cent ans, ont peut en déduire
qu'elles ne sont pas dues comme le pensent les pseudo-économiste(4)
à l'apparition d'une nouvelle technique rendant
obsolètes les précédentes et induisant
des cycles dits de Kondratieff. Elles sont dues à une
ardente obligation, inscrites dans les gènes de toutes
les espèces. Elle pousse les humains à se dépouiller
de leurs habitudes et sécurités pour gagner
de nouveaux horizons, nouveaux territoires et nouvelles façons
d'y habiter. Ce faisant, selon Howard Bloom, les humains le
feraient pas uniquement par intérêt ou dans le
cadre de guerres de prestige avec les voisins. Ils le feraient
aussi par un besoin quasi messianique de renforcer les potentialités
des individus et des groupes en matière d'empathie
et de création imaginaire partagée.
Commentaires
Nous
ne résumerons pas davantage les nombreux cas appuyés
d'observations expérimentales par lesquels l'auteur
développe ses hypothèses. Il ne faut pas priver
le lecteur du plaisir de les découvrit lui-même.
Il le fera sur le mode popularisé par le commissaire
Maigret dans un feuilleton célèbre, en se frappant
le front et en disant à son adjoint, «bon dieu
! mais c'est bien sûr» alors qu'il n'avait rien
remarqué d'intéressant jusqu'alors.
Il
nous paraît par contre utile de ne pas céder
à l'enthousiasme et de prendre un peu de recul. Manifestement,
les premiers lecteurs du livre, acteurs dans l'économie
capitaliste comme l'auteur le fut lui-même pendant une
dizaine d'années, y ont trouvé des arguments
puissants pour se rassurer : le capitalisme n'est pas mort.
Il n'est même pas aussi nuisible que le prétendent
ses ennemis. C'est au contraire la seule voie permettant à
l'humanité de continuer à progresser. D'où
la chaleur de leur accueil, comme le prouvent les premiers
commentaires disponibles.
Mais
on touche aussi là aux limites de la méthode
d'induction scientifique proposée par Howard
Bloom. Cette méthode, que nous avons résumée
au début de cet article, consiste à créer
des entités nouvelles à partir de faits d'observations
partiels, à caractériser ces entités
par un certain nombre d'observables et finalement
à rechercher ces observables dans la nature. Ou bien
on ne trouve rien et il faut recommencer. Ou bien on trouve
quelque chose à partir de quoi poursuivre le processus.
Il
s'agit, répétons-le, d'une méthode inhérente
à la démarche scientifique elle-même.
On la voit à l'œuvre sans possibilités
de contestation dans le domaine de la physique quantique.
En revanche, en matière de physique macroscopique,
beaucoup de scientifiques qui «croient» dur comme
fer au réalisme des essences ne veulent pas reconnaître
qu'ils appliquent une méthode voisine. Ils se donnent
l'illusion de décrire des objets en soi mais, selon
la plupart des épistémologues modernes, ils
se trompent. Peu importe car de toutes façons, même
à partir de prémisses fausses, leurs observations
peuvent porter des fruits. Dans le domaine des sciences humaines
et sociales, beaucoup de chercheurs tombent aussi dans l'illusion
du réalisme. Ils s'imaginent, par exemple, que le «chômage»
ou la «croissance» sont des entités en
soi, mesurables avec les outils des sciences exactes. Généralement
ils font erreur, non dans les grandes lignes mais dans les
détails, ce qui rend leurs prévisions particulièrement
hasardeuses compte tenu de l'incertitude dans les données
initiales sur lesquelles elles reposent.
En
sociologie, là où les entités sont sciemment
créées par les chercheurs, d'une façon
à laquelle, nous l'avons dit, excelle Howard Bloom,
il convient d'être particulièrement attentifs.
Les pièges du réalisme sont partout. Un superorganisme,
un «mème», un cerveau global ne peuvent
en aucun cas être confondus avec des entités
biologiques ou sociologiques plus précises. Nous avons
en fait employé le terme de métaphore. C'est
ce que n'ont pas encore compris les méméticiens
qui continuent désespérément, tel Susan
Blackmore, à rechercher des mèmes dans la nature
comme un microbiologiste rechercherait des virus. La mémétique
est une excellente approche scientifique, à condition
de ne pas la confondre avec la virologie ou la cytologie.
Or
nous avons l'impression, peut-être erronée, que
dans The Genius of the Beast, Howard Bloom s'est pris
à son propre jeu. Non seulement il considérerait
le capitalisme comme une entité en soi, susceptible
d'une approche objective. Mais plus encore il penserait que
les concepts nouveaux qu'avec beaucoup de créativité
il a élaboré pour mieux cerner l'essence supposée
du capitalisme, tel le «transcendance engine»,
correspondent à des réalités en soi dont
l'on pourrait revêtir pour mieux la caractériser
l'entité «capitalisme».
A
priori, rien n'interdirait à Howard Bloom de procéder
de la sorte, si les observations expérimentales susceptibles
d'être faites à partir des concepts qu'il a créés,
appliquées au capitalisme, confirmaient ses hypothèses.
Mais cela n'est pas le cas. Howard Bloom peut apporter beaucoup
de présomptions expérimentales à l'appui
de l'affirmation selon laquelle le capitalisme (et particulièrement
le capitalisme occidental autrement dit le capitalisme dont
les ressort se trouvent à Wall Street) continuera à
se dépasser de façon transcendantale en faveur
de l'humanité en particulier et du cosmos en général.
Mais des chercheurs ne partageant pas ce préjugé
favorable feront valoir que pour le moment, le développement
transcendantal (sur le mode hyperbolique ou exponentiel décrit
par Ray Kurzweil avec le concept de Singularité(5))
se heurtera très rapidement aux limites imposées
par le caractère fini des ressources terrestres. A
ce moment, selon ces chercheurs, il faudra en revenir à
un mode de régulation collective plus proche du socialisme
que du capitalisme.
Plus
gravement, Howard Bloom semble donner sa bénédiction
au darwinisme social (élimination sans pitié
des faibles par les forts) et du même coup au capitalisme
impitoyable. Il en fait en effet l'archétype du processus
de succession de booms et de crises dont les dégâts
sociaux sont innombrables. Même si ce processus est
inhérent à l'évolution biologique dans
son ensemble, il n'est pas possible aujourd'hui de l'évoquer
pour justifier les abus des pouvoirs dominants, qu'ils soient
économiques ou politiques.
D’un
point de vue épistémologique, nous pouvons
dire que l’on retrouve dans le domaine des comportements
sociaux tels qu’analysés par Howard Bloom la
même nécessité de relativiser les concepts
pour tenir compte des observations expérimentales
que celle récemment découverte par la génétique.
L’ancien paradigme de la biologie moléculaire
posant en « réalité incontournable »
la relation « un gène un caractère »
vient d’éclater, simplement parce que de nouvelles
observations ont imposé un paradigme tout différent,
celui dit de l’expression aléatoire des gènes
ou de l’ontophylogenèse, selon le terme de
Jean Jacques Kupiec. Un même gène ou une même
protéine peuvent générer à génotype
constant des phénotypes différents. C’est
le tri par le milieu ambiant qui sélectionne les
mieux adaptés.
Autrement
dit, si nous sommes tout à fait d’accord pour
accepter les modèles proposés par Howard Bloom
dans « The Genius of the Beast », tels que ceux
de « pendulum of repurposing » ou « transcendance
engine », nous ne voudrions pas les utiliser sans
précautions pour caractériser l’ensemble
de mécanismes que l’on regroupe sous le terme
de « capitalisme occidental ». Moins encore
nous ne voudrions en déduire que le capitalisme libéral
restera pour l’avenir du monde « The Solution
». De toutes façons, nous aimerions voir si
ces modèles pourraient servir à caractériser
d’autres économies non capitalistiques, telles
que l’économie de décroissance ou l’économie
régulée…à condition évidemment
que l’on apporte des preuves expérimentales
solides relativement à la validité de l'approche
Bloomienne dans ces cas particuliers.
Demandons
nous pour pour terminer si, pour expliciter les processus
à la base des évolutions sociales comme de
toutes les évolutions qu’évoquent notamment
les livres d’Howard Bloom, le principe de simplicité
ou rasoir d’Occam ne serait pas utile. Il recommanderait
de s’en tenir aux mécanismes proposés
et mille fois vérifiés expérimentalement,
tels qu’impliqués par le paradigme darwinien
« mutation stochastique (au hasard), sélection,
ampliation ». C’est bien de ces mécanismes,
sauf erreur, que proviennent les « transcendances
» les plus exaltantes aujourd’hui observables,
que ce soit dans l’ordre biologique ou dans l’ordre
anthropotechnique(6).
Notes
(1) Voir la présentation que nous
en avions donnée dans notre propre ouvrage : "Pour
un principe matérialiste fort", J.P. Bayol,
2007.
(2) Voir un ouvrage récent dont
nous rendrons compte : "La création –définitions
et défis contemporains", Sous la direction de
Sylvie Dallet, Georges Chapouthier et Emile Noël, Editions
L'Harmattan, 2009
(3) C'est la raison pour laquelle, en
ce qui nous concerne, nous n'avons pas hésité
à faire appel au concept de système anthropotechnique
pour décrire les entités qui selon nous associent
dans le monde moderne, de façon inextricable, des
composants biologiques, anthropologiques et technologiques.
Pourtant, personne ne rencontrera un système anthropotechnique
au coin de la rue, en chair et en os tout au moins. Voir
Baquiast, "Le paradoxe du sapiens", préface
de Jean-Jacques Kupiec, J. P. Bayol, à paraître
prochainement.
(4) Tel que Jacques Attali. Voir notre
chronique présentant le livre «Une brève
histoire de l'avenir» http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2007/jan/attali.html
(5) Voir notre éditorial du 26
octobre 2005 :
http://www.automatesintelligents.com/edito/2005/oct/edito.html
(6) Sur le darwinisme, on pourra lire
le tout récent et remarquable ouvrage collectif "Les
mondes darwiniens, l'évolution de l'évolution",
Editions Syllepse, novembre 2009