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Article.
Existe-t-il des gènes de la
domestication?
par Jean-Paul Baquiast 06/10/2009
Un
article du journaliste scientifique Henry Nicholls, paru
dans le NewScientist du 3 octobre 2009, p. 42, sous le titre
« Taming the beast » présente
une série d’expériences assez extraordinaires
(pour reprendre les termes justifiés de l’auteur)
portant sur les bases génétiques commandant
les comportements dits domestiques et les comportements
dits sauvages chez divers mammifères supérieurs.
Le sujet a fait l’objet de discussions sur le web
auxquelles on pourra se reporter par ailleurs. Résumons
de quoi il s’agit pour les lecteurs pressés.
On
pouvait penser que les espèces réputées
non domesticables, qui sont encore très nombreuses,
par exemple le zèbre ou le renard argenté
(photo) , tiennent ces caractères de leurs génomes
et non des milieux « culturels » sauvages au
sein desquels ils grandissent. En effet, les tentatives
faites jusque là pour isoler et élever dans
des environnements « amicaux » divers spécimen
de ces animaux n’ont jamais réussi à
les domestiquer.
Ce
ne fut évidemment pas ce qui se produisit au sein
des nombreuses espèces sauvages, telles que l’aurochs,
le loup ou le chat, ayant donné naissance au contact
de l’homme, il y a quelques dizaines de milliers d’années,
à des variants domestiques dont les humains ont fait
des bêtes d’élevage, des auxiliaires
de travail ou des commensaux. On considérait jusqu'ici
que les génomes des animaux sauvages concernés
étaient sans doute suffisamment adaptatifs pour permettre
les mini-mutations nécessaires à un processus
progressif de domestication, sans pour autant donner naissance
à des espèces nouvelles avec lesquelles les
espèces d’origine n’auraient plus été
capables de se reproduire.
Les
généticiens étaient donc fondés
à rechercher les différences dans l’organisation
des gènes permettant à une espèce donnée
de se laisser facilement domestiquer et interdisant à
une autre toute domestication. Malheureusement, l’étude
des ADN correspondantes est rendue très difficile
par le phénomène de la dérive génétique.
Dès qu’au sein d’une même espèce,
des populations sont un tant soit peu séparées,
leurs génomes enregistrent un certain nombre de petites
mutations relativement faciles à identifier, générant
des caractères secondaires telles que des différences
dans le squelette ou le pelage. Ces mutations peuvent masquer
l’essentiel. L’essentiel, en ce cas, réside
dans les associations certainement complexes de gènes
commandant des comportements eux-mêmes aussi complexes
que l’aptitude ou la non aptitude à la domestication.
Il n’avait pas été possible jusqu’à
présent de mettre en évidence les spécificités
génétiques permettant de distinguer les génomes
d’espèces domestiquées et ceux d’espèces
sauvages. Ceci d’autant plus que l’évolution
vers la domestication s’était produite sur
des laps de temps longs, plusieurs milliers de génération
parfois – longs délais que Darwin lui-même
jugeait nécessaire pour permettre une adaptation
de quelque importance.
La
bonne intuition de Dmitri Belyaev
On
en serait sans doute resté à ces constatations
si un généticien russe, aussi génial
que son célèbre compatriote Popov, n’avait
imaginé il y a 50 ans de conduire de nouvelles recherches
sur ce sujet au sein de l’Institut de Cytologie et
de Génétique de Novossibirsk dont il était
le directeur. Il avait remarqué que, lorsqu’il
approchait des troupes d’animaux sauvages, la plupart
s’enfuyaient mais que quelques individus ne le faisaient
pas. Au contraire ils manifestaient de la curiosité
et restaient sur place. Il en avait déduit qu’il
ne s’agissait pas d’un comportement culturel
(acquis par l’expérience sociale et l’imitation)
puisqu’un tel comportement culturel aurait du s’imposer
à tous les membres du groupe. Les animaux se distinguant
des autres et faisant montre de familiarité étaient
donc porteurs de gènes spécifiques, voire
de ce que l’on nommerait aujourd’hui de modes
d’expression spécifiques de leurs gènes.
Il
suffisait pour le vérifier d’attraper ces animaux
et les faire se reproduire entre eux, sur le mode classique
de la sélection bien connue des éleveurs.
Mais là, au lieu d’attendre des centaines de
générations, Belyaev avait eu la surprise
de constater qu’il obtenait en 3 ou 4 générations
des animaux parfaitement domestiques, acceptant de se comporter
avec toute la familiarité des animaux de compagnie
traditionnels, chiens et chats. Il conduisit des expériences
avec plusieurs espèces sauvages : renards argentés,
loutres, rats, minks (Mustela lutreolam) . Pour
explorer les deux faces du phénomène, il sélectionna
d’une part les spécimens les plus familiers
et d’autre part les plus sauvages. Dans le cas de
ces derniers, il obtint de véritables bêtes
fauves, susceptibles d’attaquer voire mettre en danger
les personnes qui les soignaient.
Il
lui restait à identifier les causes des différences
qui en quelques générations avaient séparé
de façon visible les membres au départ apparemment
semblables d’une même espèce. Au point
de vue morphologique, et concernant les renards argentés,
les animaux domestiqués présentaient divers
caractères analogues à ceux des chiens domestiques:
pelage variés, mouvements de queue, léchage
de la main des soigneurs, etc. Plus en profondeur, ils manifestaient
une activité réduite des bases neurales et
des glandes produisant les signaux nerveux et les hormones
répondant à une situation de stress. Par contre,
les taux de sérotonine présents dans leurs
cerveaux étaient plus élevés. Or la
sérotonine inhibe les comportements agressifs. L’inverse
se retrouvait exactement chez les animaux sélectionnés
pour leur férocité.
Belyaev
n’avait pas pour autant identifié les différences
génétiques entre animaux domesticables et
animaux irréductiblement sauvages au sein d’une
même espèce. Il n’était pas dans
les années 1970 équipé pour cela. A
sa mort, ses recherches intéressèrent, un
peu par hasard, le professeur suédois de génétique
Svante Pääbo, travaillant au Max Planck Institute
d’anthropologie humaine de Leipzig, aujourd’hui
connu par ses travaux sur le génome du néanderthal.
Les chercheurs allemands entreprirent d’identifier,
à partir de spécimens fournis par les biologistes
russes et résultant des sélections résumées
ci-dessus, les différences génétiques
distinguant dans une même espèce les lignées
domestiques et les lignées restées sauvages.
Ils viennent d’annoncer (Genetics, vol.182,
p. 541) avoir mis en évidence plusieurs régions
des génomes, au sein de différentes espèces,
susceptibles d’avoir une forte influence sur les dispositions
à la domestication. Elles ont une conséquence
sur la sécrétion de l’adrénaline,
dont le rôle dans l’excitation et l’agressivité
est connu. Ils espèrent dans les deux prochaines
années identifier les gènes mutés responsables
du comportement global correspondant.
Perspectives
de manipulations génétiques
On
peut penser que de telles propriétés génétiques
ne seraient pas spécifiques aux espèces observées.
Autrement dit, les animaux appartenant à des espèces
considérées comme irréductiblement
sauvages pourraient être sélectionnés
à partir d’une analyse génétique
simple mettant en évidence la présence de
réseaux de gènes non exprimés les rendant
susceptibles d’une domestication rapide. On pourrait
même envisager par transfert génétique
de les doter de ces mêmes gènes s’ils
ne les possédaient pas. Ceci changerait considérablement
leur rapport avec l’homme voire leurs chances de survie
compte tenu de la raréfaction des espaces sauvages
naturels. Théoriquement, on le devine, des biologistes
envisageront certainement aussi de proposer aux humains
des traitements de cette nature, afin de favoriser l’apparition
de lignées moins agressives que celles dont souffre
l’humanité aujourd’hui. Ceci pourra donner
lieu à des débats éthiques intéressants.
Certains
paléoanthropologues estiment d’ailleurs qu’une
sélection de même nature (sur le mode de l’auto-sélection
spontanée) s’est produite au cours des âges
(sans débats éthiques) à l’intérieur
des lignées d’hominiens. Les individus très
agressifs, majoritaires dans certaines espèces de
primates modernes, auraient été progressivement
remplacés par des concurrents « coopératifs
», lesquels, quoique l’on en pense, constituent
la majorité des humains actuels.
Il
nous semble, pour ce qui nous concerne, que les observations
que nous venons de relater et dont Dmitri Belyaev avait
été l’initiateur, apportent de nouveaux
arguments à la théorie de l’ontophylogenèse
de Jean-Jacques Kupiec. Les lignées, pour ne pas
employer le terme d’espèces, peuvent évoluer
rapidement, en dehors du processus classique mais lent de
la mutation-sélection. D’autres facteurs peuvent
favoriser cette évolution. Dans le cas présenté
ici, on pourrait penser que les gènes commandant
ce que l’on nommerait en termes anthropocentristes
l’aptitude à la sociabilité (rapport
adrénaline/sérotonine par exemple) sont présents
dans les génomes d’un grand nombre d’espèces.
Ils s’expriment de façon stochastique (aléatoire)
mais sans résultats visibles en milieu sauvage. Les
variants « pacifiques » auxquels ils donnent
naissance n’ont en effet pas de chance de survie,
contrairement aux variants agressifs. Si le milieu change,
une probabilité plus grande de trouver des individus
pacifiques apparaît, toujours en résultat de
l’expression stochastique de ces mêmes gènes.
Quant
à la thèse que nous exposons par ailleurs
sur ce site, et dans un livre à paraître (Le
paradoxe du sapiens, J.P. Bayol, 2010), concernant
le développement rapide de ce que nous avons nommé
des systèmes anthropotechniques, les expériences
conduites par Belyaev et reprises par Pääbo et
ses collègues permettent de mieux comprendre pourquoi
des lignées d’individus en véritable
symbiose avec les technologies se répandent avec
la plus grande facilité au sein des systèmes
anthropotechniques. Les technologies offrent des milieux
sélectifs favorables à des gènes présents
dans les génomes humains (comme d’ailleurs
en grande partie dans les génomes animaux) mais jusqu’ici
non ou mal exprimés. De combien de gènes non
encore exprimés mais potentiellement intéressants
les génomes humains seraient-ils porteurs ?
Pour
en savoir plus
Lire sur ce même sujet http://www.buzzle.com/articles/dogs-the-probable-reason-why-the-dog-evolved-so-rapidly-into-a-new-species.html
Sur Svante Pääbo
http://email.eva.mpg.de/~paabo/. Voir aussi
http://en.wikipedia.org/wiki/Svante_P%C3%A4%C3%A4bo
Par aiileurs, et sans relation précise
avec les recherches mentionnées dans cet article,
le primatologue Franz de Waals vient de publier une étude
sur l'évolution vers l'empathie caractérisant
certaines sociétés animales. Il s'agit de
The Age of Empathy, Nature's lessons for a kinder society.
Harmony Books.
On peut citer, pour donner à
cet article un éclairage complémentaire, le
livre de l'anthropologue Dominique Guillo, Des chiens
et des humains, Le Pommier. Pour cet auteur, les relations
tissées au cours des miillénaires entre les
espéces humaines et canines montrent qu'il existe
d'authentiques sociétés mixtes formées
à la fois d'humains et de chiens, des sociétés
anthropocanines. Certains en déduisent, à
juste titre, que le "propriétaire" du chien
adopte des comportements canins, qui sont compréhensibles
par le chien. Mais le chien se comporte-t-il, lui aussi,
non comme un homme au sens propre mais d'une façon
très proche des comportements humains et, par conséquent
directement accessible à l'homme et l'influençant.
Pour approfondir ce sujet, il serait intéressant
d'utiliser non seulement les sciences comportementales mais
sans doute aussi les neurosciences.