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Economie
politique
Agriculture
: un enjeu européen majeur
par
Jean-Paul Baquiast, 17/10/2009
"Le
monde agricole est en train de crever" lancent à
l'intention de Nicolas Sarkozy et de l'Union européenne
les nombreux manifestants qui ont coupé les rues
de plusieurs grandes villes de France, notamment les Champs-élysées
à Paris le 17 octobre. Le mouvement initialisé
par les producteurs de lait a été repris depuis
une semaine par de nombreuses autres catégories de
producteurs. Mais ce ne seront pas des mesurettes qui pourront
régler le problème.
Tous les agriculteurs dans l'immédiat demandent
une hausse des prix des produits agricoles pour couvrir
les coûts de revient. Selon la FNSEA, leurs revenus
ont baissé de 20% en 2008, une situation qui devrait
s'aggraver en 2009. Selon l'Insee, les prix des principaux
produits, lait, légumes, fruits, viticulture, viande
ou céréales, ont baissé en août
de de 2,5% par rapport à juillet et de 15% sur un
an.
Nicolas
Sarkozy a promis différents soutiens dont on ne sait
rien encore à la date où cette note est écrite.
Pour sa part, Bruxelles devrait annoncer lundi une enveloppe
d'environ 300 millions d'euros pour aider les producteurs
de lait européens. On ne sait ce qu'il en sera d'autres
aides d'urgence, et surtout de la façon dont elles
seront réparties, entre professions et entre pays.
Les
agriculteurs français imputent la baisse de leurs
revenus à la politique agricole commune dont les
interventions actuelles sont jugées de moins en moins
bien adaptées. Il est certain que supprimer celle-ci
serait aussi aberrant que la conserver en l'état.
Mais ils s'en prennent aussi aux grands industriels et aux
distributeurs qui achètent leurs produits à
des prix toujours plus bas, sans pour autant répercuter
ces baisses dans les prix de vente au détail. Il
s'ensuit que la demande des consommateurs finaux est indûment
freinée alors que de plus en plus de personnes en
France se trouvent aux alentours ou au dessous du seuil
de pauvreté.
Notons
cependant que, pour beaucoup d'économistes, dont
la foi dans le néolibéralisme est sans faille,
les difficultés actuelles des agriculteurs sont conjoncturelles
et devraient donc diminuer avec le retour attendu de la
reprise. Elles tiennent à la diminution générale
des revenus des consommateurs et aux réticences croissantes
des banques à faire crédits aux exploitations
endettées. On peut toujours compter là-dessus...et
boire de l'eau.
La
place de l'agriculture dans le monde
Les
explications des experts sont-elles suffisantes ? On ne
peut que s'étonner de voir le renversement complet
de point de vue concernant la place de l'agriculture dans
le monde et le rôle particulier des agriculteurs européens
en tant qu'atout stratégique pour nos pays peu pourvus
en ressources naturelles non agricoles. Aujourd'hui, on
affirme aux agriculteurs qu'ils produisent trop et par ailleurs
de façon nuisible pour l'environnement. Il y a un
peu moins d'un an, l'idée s'était répandue
que l'Europe, encore relativement bien pourvue en eau et
en terres agricoles, devait encourager ses exploitants à
intensifier leurs productions, dans tous les domaines y
compris les bio-carburants et le bio, en visant tout autant
l'exportation que les marchés intérieurs.
Les métiers de la terre et plus généralement
de l'économie rurale étaient présentés
aux jeunes comme des métiers d'avenir.
Ces
fondamentaux ont-ils changé ? Il est certain qu'à
long terme, contrairement semble-t-il aux prévisions
de la FAO, le nombre des personnes mal nourries dans le
monde (estimé aujourd'hui à 1 milliard au
moins) ne pourra qu'augmenter : désertification,
aridité, inondations, conflits divers ne feront que
s'accroître et continuer à bouleverser les
agricultures traditionnelles. Mais cela ne voudra pas dire
pour autant que les exportations agricoles européennes
seront les bienvenues. Les exportations et même les
aides alimentaires provenant des pays riches sont de plus
en plus rejetées par les pays pauvres, qui préféreraient
bien au contraire pouvoir reconstituer leurs agricultures
traditionnelles. Beaucoup s'y emploient, notamment la Chine
et l'Inde, mais les investissements pour ce faire sont considérables
et on ne voit pas comment, à échéance
d'une génération, avec l'aggravation des conditions
climatiques, la Chine, l'Inde, le Bangladesh, les pays d'Asie
du sud-est, entre autres, pourraient devenir auto-suffisants.
L'on
voit au contraire s'amorcer une tendance bien plus inquiétante,
effet du libéralisme sauvage qui continue à
régner dans le monde, y compris dans des domaines
aussi importants que ceux des subsistances et de la santé.
Des capitaux spéculatifs provenant aussi bien de
Chine que des pays du Golfe louent à très
long terme, en expropriant les exploitants locaux, des dizaines
de millions d'hectares de terres fertiles, principalement
en Afrique, afin de les consacrer à l'exportation
ou aux agro-carburants, cultures dont les compagnies exploitantes
conserveront évidemment les bénéfices.
Dans
l'immédiat, ce ne sera donc pas sur la perspective
de nourrir les futurs 10 milliards d'humains que les agriculteurs
européens pourraient compter, contrairement à
ce que certains s'imaginent naïvement encore. Ce ne
sera pas davantage sur le jeu des marchés et de la
concurrence, qui ne fera qu'accentuer les disparités
et la baisse des revenus des producteurs. Nous avons plusieurs
fois constaté ici que l'Europe ne survivra pas dans
le domaine de l'énergie et des industries si de véritables
mesures de production planifiées, s'appuyant sur
une quasi nationalisation du secteur des banques et des
assurances, fortement protégées par ailleurs
aux frontières, n'étaient pas mises en œuvre.
Il en sera de même pour l'agriculture. L'agriculture
et l'aménagement du territoire qu'elle permet d'assurer
constituent un atout essentiel pour les européens,
qu'il ne faut pas laisser perdre.
Une
planification à grande échelle
Mais
ceci ne signifiera pas laisser faire n'importe quoi aux
agriculteurs, notamment en termes d'utilisations d'intrants
chimiques et de machinisme lourd. Parallèlement,
on ne devra pas laisser les industries agro-alimentaires
et les grandes distributeurs profiter des soutiens qui seraient
accordés aux agriculteurs pour récupérer
en pressurant ces derniers l'essentiel des aides qui leurs
seraient attribuées. Finalement enfin, il faudra
faire comprendre aux organisations de consommateurs que
ceux-ci n'ont pas à exiger une baisse continuelle
des prix au détail et une augmentation continuelle
de la variété et de la prétendue qualité
des conditionnements. Il serait tout à fait possible
de fixer des prix de référence à long
terme, par exemple pour le lait, sauvegardant les intérêts
des diverses parties prenantes à la chaîne
de production-consommation. S'il faut aider par des mesures
spécifiques les populations européennes aux
alentours du seuil de pauvreté, il n'est pas sain
à divers égards d'encourager la consommation
gaspilleuse et son cortège de conséquences
sur la santé.
Ajoutons
pour compliquer le tableau que la protection des marchés
intérieurs s'imposera au prorata de la mise en place
de ces diverses méthodes d'organisation de la production
et de la distribution. Il faudra absolument éviter
que les efforts des pays européens en faveur du secteur
agro-alimentaire ne soient rendus inutiles par des importations
venant de pays ne respectant pas les normes européennes,
même si ces importations sont le fait de la grande
distribution européenne.
Mais
quelles autorités, au niveau des Etats et de l'Union
européenne, pourraient-elles se charger de ces vastes
opérations de régulation et de planification
? Quels seront les interlocuteurs des pouvoirs publics,
dans les différentes catégories de producteurs,
d'intermédiaires et de consommateurs concernées
? Comment seront compensées les disparités
entre pays européens, particulièrement sensibles
dans le secteur agricole ? Comment seront ménagés
les intérêts collectifs à long terme
comme ceux des forêts ou de la protection des écosystèmes
? Nous n'avons évidemment aucune solution pratique
à proposer aujourd'hui. Peu d'experts en auraient.
C'est
bien la raison pour laquelle les gouvernements, à
commencer par l'omni-président Sarkozy qui promet
de tout régler mais qui ne règle jamais rien,
devraient se voir taxer par les citoyens de l'obligation
de proposer, non seulement des aides d'urgences, mais des
réorganisations radicales sur le modèle de
celles que nous avons esquissées ici. Les agriculteurs,
pour leur part, devraient le comprendre et être les
premiers à le demander, y compris en s'organisant
en coopératives dans les nombreux domaines où
ils ont renoncé à prendre en mains leur avenir.