Dans
cette page, nous présentons en quelques lignes des ouvrages
scientifiques éclairant les domaines abordés par
notre revue. Jean-Paul Baquiast. Christophe Jacquemin
novembre-décembre
2008
"Les
âmes de Verdun. La victoire de l'homme sur la ferraille".
Philippe Grasset.
Jean-Paul Baquiast 22/11/2008
Ce
bel ouvrage est présenté par l'éditeur
comme un album photographique illustrant le champ de bataille
de Verdun et des villages détruits alentours, tels qu'ils
se présentent au visiteur d'aujourd'hui. C'est certainement
cela, mais si cela n'était que cela, il ne se distinguerait
pas de beaucoup d'autres ouvrages commémorant les lieux
où s'affrontèrent, pendant la Première
Guerre mondiale puis la Seconde, des armées venues du
monde entier.
Si
le livre est bien plus que cela, il le doit aux 200 pages véritablement
visionnaires par lesquelles Philippe Grasset, l'auteur du texte
écrit dont les images ne sont qu'un accompagnement visuel,
a transcris les pensées inspirées par un pèlerinage
sur ce site. Le caractère exceptionnel de Verdun devient
évident pour qui comme lui savent enrichir une empathie
quasi religieuse pour les morts par une connaissance vécue
du destin actuel de la France et de l'Europe.
Il
est totalement impossible de résumer ce texte, qu'il
faut lire comme un long poème en prose mais aussi comme
une chronique historique dédiée à un massacre
effrayant, dont nul ne peut assurer qu'il n'en reverra pas d'autres,
sous cette forme ou sous une autre, demain.
S'il
fallait retenir deux idées fortes, empreintes d'émotions,
qui se dégagent de ce texte, nous citerions la place
donnée à l'homme face, comme l'indique le titre,
à la ferraille, et celle donnée à la France
dans un conflit où les historiens d'aujourd'hui ont tendance
à oublier le rôle essentiel qu'elle a tenu.
En
ce qui concerne les jeunes soldats français qui ont défendu
la position plusieurs mois, dès la première journée
de l'intense bombardement allemand, et sans céder un
pouce de terrain, jusqu'au recul final de l'adversaire, il convient
de s'interroger. A une époque où les chefs ne
pouvaient pas faute de moyens de communication connaître
le détail des positions, où les ordres de tenir
ne parvenaient plus parce qu'assourdis par la mitraille, il
a fallu que chaque soldat accepte de se faire tuer sur place
pour protéger de l'envahisseur une terre martyrisée.
Il a fallu qu'il la considère, ainsi qu'avait écrit
Péguy avant la guerre comme s'il avait pressenti sa mort
au combat, non seulement comme sa patrie mais comme sa mère.
Ce
sentiment est bien connu. On le retrouve sous des formes différentes
dans toutes les guerres, dans toutes les guérillas, face
aux envahisseurs. Ceux qui s'intéressent aux neurosciences
cherchent à retrouver dans les déterminismes génétiques
les raisons de comportements aussi « irrationnels »,
au regard de l'intérêt de la survie. Or les exemples
abondent, dans toutes les espèces animales, du fait que
ce que l'on nomme l'altruisme conduit souvent les individus
à se sacrifier pour le bien du groupe.
Mais
les soldats de la Grande Guerre, notamment en France, n'obéissaient
pas seulement à des contraintes primaires. Leur conduite
était magnifiée par ce que les matérialistes
eux-mêmes acceptent de nommer une spiritualité.
Celle-ci, sous des formes différentes chez le jeune paysan
peu lettré et l'intellectuel, permettait de donner une
portée quasi mystique au sacrifice, sans laquelle celui-ci
n'aurait sans doute pas été accepté. Là
encore, les exemples de tels comportements abondent sous des
formes différentes. Ce fut à grande échelle
le cas en Russie soviétique lors de l'invasion allemande.
Il
ne s'agit pas dans la plupart des cas de motivation d'ordre
religieux, mais du fait que le cerveau des humains, bien mieux
que celui des animaux même supérieurs, peut se
dépasser, inconsciemment tout autant que consciemment,
dans la représentation d'un passé et d'un futur
donnant un sens au présent. Les neurosciences modernes
l'ont bien compris, comme le montre l'ouvrage de Jean-Pierre
Changeux 1). Elles ne s'enferment plus dans un réductionnisme
matérialiste d'un autre temps. Elles montrent comment
certaines aires neuronales, convenablement sollicitées,
peuvent produire tous les sentiments et comportements «
élevés » associés à la spiritualité.
Il n'y avait pas de neurobiologistes à Verdun, mais chacun
d'entre nous pourrait facilement comprendre le message de ce
que Philippe Grasset nomme « les âmes de Verdun
». Il suffit de se mettre, comme il a si bien su le faire,
en communion imaginaire avec les lieux et le souvenir des faits
terribles qui s'y sont déroulés. Chacun pourrait
aussi, avec un peu de sensibilité, sentir encore ce que
l'on pourrait nommer le message de ces âmes, qui ainsi,
dirait-on, ne se sont pas « sacrifiées pour rien
».
Une
ode à la France
Ce
propos nous conduit à la seconde observation que nous
inspire ce livre. Il est, même si l'auteur ne le dit pas
expressément, une véritable ode à la France,
la Grande Nation comme la nomment parfois certains historiens
étrangers que n'aveugle pas l'américanisme. Dans
cette « ode » fort éloignée des délires
nationalistes inspirés d'hommes qui en 1940 n'eurent
rien de plus pressé que collaborer, Philippe Grasset
s'efforce de saisir ce qui demeure pour lui, en observateur
attentif de la mondialisation et de la construction européenne,
une constante dont beaucoup de nos voisins s'agacent.
Il
existe une singularité française, faite de refus
de céder aux conformismes idéologiques et économiques
qui prospèrent dans un « Occident » américanisé.
Elle est difficile à expliquer mais elle a jusqu'ici
sans doute sauvé l'Europe toute entière de l'asservissement.
De Gaulle l'avait bien exprimée, Chirac et Villepin plus
modestement l'ont un moment illustrée. Aujourd'hui, à
la surprise générale, Nicolas Sarkozy prénommé
l' « américain », avant la crise, semble
se draper dans ce qui demeure de cette singularité française
pour y puiser une grandeur inattendue. Pourvu qu'il ne s'en
débarrasse pas dans une pirouette toujours à craindre...
pour se faire bien voir d'Obama, par exemple.
Philippe
Grasset rappelle que, en 1914, c'était l'Allemagne industrielle
triomphante, comme la vieille Angleterre assise sur son Empire
et sa marine, qui aux yeux des observateurs extérieurs
incarnaient les puissances montantes. L'Allemagne ne devait
faire qu'une bouchée de la France. Pourtant celle-ci
a tenu. Grâce à ses soldats, elle n'a pas cédé
un pouce des territoires sur lesquelles à l'ouest les
armées du monde s'étaient déployées.
Certes les Anglais, puis plus tard les Américains, l'ont
aidée à tenir, mais l'essentiel des destructions
et des morts ont été de son côté.
Hélas,
en juin 1940, la France s'est effondrée, pour des raisons
qu'évidemment une méditation sur Verdun, ne permet
pas d'expliquer. Mais le point que nous voudrions souligner
est qu'aujourd'hui, après que De Gaulle ait sauvé
l'honneur, après que la France se soit très courageusement
engagée dans la réconciliation avec l'Allemagne
et la construction européenne, quelque chose semble avoir
survécu du vieil esprit français. Nous ne le mettons
pas pour notre part du côté de ceux qui ont dit
Non au projet de Traité constitutionnel mais du côté
de ceux qui veulent construire, en dépit des obstacles,
une puissance européenne où pourrait encore s'exprimer,
à une toute autre échelle, l' « âme
» irréductible de « ceux de Verdun »,
allemands et français désormais confondus.
Philippe
Grasset, s'il nous permet de le dire, est l'un de ceux-là.
Il consacre, comme le savent les lecteurs de plus en plus nombreux
de ses sites éditoriaux, à commencer par l'indispensable
DeDefensa, toutes ses ressources et toutes ses forces physiques
et morales à faire encore vivre parmi nous l'esprit des
défenseurs du fort de Douaumont. Qu'il en soit remercié.
1)
Jean-Pierre Changeux, Du vrai, du beau, du bien, une nouvelle
approche neuronale, Odile Jacob 2008
* Le site
du livre et de l'éditeur: Editions Mols http://www.lesamesdeverdun.com/
"Main-basse
sur le génome", Fredéric Dardel et Renaud
Leblond, ed. Anne Carrière
Jean-Paul Baquiast 22/11/2008
Nous
avons ici, présenté comme un thriller scientifique,
l'extraordinaire aventure engagée par le Dr Craig Venter,
que nos lecteurs connaissent bien. C'est lui qui a entrepris,
entre autres décryptages appliquant la biologie moléculaire
aux études génomiques, de séquencer le
génome humain. L'opération devait rester unique
en son genre et rapporter de fabuleux profits, mais elle a été
rattrappée par le projet public Génome humain.
Ce qui n'a pas empêché Craig Venter d'accumuler
les succès scientifiques et commerciaux. On sait que
dorénavant il cherche, à partir d'un yacht armé
par ses soins, à mieux comprendre les origines de la
vie dans les profondeurs marines. Sa société Celera
Genomics poursuit aujourd'hui de fructueuses recherches en biotechnologies.
C'est
triste à dire, mais il est certain qu'un personnage comme
Craig Venter, quels que soient ses défauts, n'aura jamais
pu percer en Europe, moins encore en France.
Celera
https://www.celera.com/celera/about
"La
Troisième Révolution énergétique",
Anne Lauvergeon et Michel-H. Jamard. Plon
Jean-Paul Baquiast 12/11/2008
La
question de l'avenir de l'énergie nucléaire dans
l'avenir des approvisionnements énergétiques du
monde semble dorénavant réglée : on ne
pourra pas se passer de l'énergie nucléaire. Faut-il
alors recommander la lecture d'un livre qui argumente en ce
sens ? Ceci
d'autant plus que ses auteurs sont étiquetés d'emblée
comme représentants ce que l'on appelle le lobby nucléaire
et qu'ils ontdéjà fort bien réussi à
favoriser la diffusion de leur livre à travers une présence
active dans les médias ? Est-il nécessaire, autrement
dit, de lire un ouvrage dont les principaux arguments ont déjà
été exposés ?
Nous
le pensons, car le livre présente plusieurs intérêts.
Le premier est la clarté de l'argumentation en faveur
de cette source d'énergie. Les débats sur le nucléaire
sont souvent obscurcis par le parti-pris des lobbies inverses,
ceux des anti-nucléaires de toutes provenances et les
réponses souvent maladroites de représentants
de l'industrie. Anne Lauvergeon pour sa part se place résolument
dans la perspective de la grande crise systémique qui
se prépare, marquée non seulement par la raréfaction
des combustibles fossiles mais par la lutte contre le réchauffement
climatique. Elle note qu'après le remplacement du bois
par le charbon, à partir de la seconde moitié
du XVIIIe siècle, puis la généralisation
du pétrole et de l'électricité au début
du XXe, nous vivons une transition énergétique
radicalement différente : Alors que les deux premières
furent poussées par l'esprit de conquête - conquête
de la planète, de ses espaces, de ses richesses, la révolution
que nous allons vivre le sera par l'esprit de conservation.
Il
est en effet devenu impossible de penser développement
et croissance économique sans se soucier de la bonne
gestion du patrimoine commun et de la lutte contre le réchauffement
climatique. Cette croissance devra être "durable"
et "équitable". Le livre rappelle que 2 milliards
d'hommes n'ont pas accès à l'électricité,
alors que l'augmentation de la population, qui passera de 6
à 9 milliards d'êtres humains en 2050, entraînera
un doublement de la consommation d'énergie. Il invite
à une sorte de révolution de la société,
où ce ne sera plus une énergie comme le pétrole
qui détermine les façons de vivre, mais le citoyen,
qui doit "façonner un mode de vie propice à
l'avènement d'une nouvelle donne énergétique.
Pour
convaincre, le livre affronte les anti-nucléaires et
plus généralement les partisans de la décroissance
sur leur terrain. Il plaide non seulement pour le développement
du nucléaire mais pour les économies d'énergies
et les énergies renouvelables, éolien et solaire
notamment. Dans le même temps, évidemment, il répond
aux critiques directes faites au nucléaire. Les réacteurs
sont fiables. L'uranium est en quantité suffisante et
les centrales de " 4e génération ",
qui pourraient se développer à l'échelle
industrielle en 2040, consommeront 50 à 100 fois moins
de combustibles tout en brûlant une grande partie de leurs
déchets. Les déchets sont stockables et recyclables.
Dans ce plaidoyer, Anne Lauvergeon n'insiste pas assez pensons
nous sur les promesses de la fusion nucléaire, avec les
premiers travaux qui commencent à Cadarache pour la réalisation
du réacteur expérimental Iter. Il s'agira, sauf
difficultés imprévues, d'une solution à
50 ans. Mais y travailler dès maintenant sera une source
considérable d'acquisition de savoir-faire rapidement
utilisables, notamment dans la réalisation de matériaux
résistant aux neutrons rapides. Rappelons également
qu'avec l'aéronautique, l'espace et le ferroviaire, il
s'agit d'un des rares domaines où les Français
disposent d'une compétence de tout premier plan international
- sans doute la meilleure au monde dans le nucléaire.
Voilà qui devrait faire réfléchir beaucoup
de détracteurs.
Le
livre aborde aussi les questions militaires. Les auteurs estiment
que le risque sera limité. La technologie de l'EPR, le
réacteur de troisième génération
conçu par Areva et Siemens, offre selon eux les meilleures
garanties de non-prolifération. Ceci dit, ils conviennent
que de telles centrales ne peuvent pas être développées
dans des pays instables ou techniquement incompétents,
ne fut-ce que parce que les opérations indispensables
de maintenance ne seraient pas entreprises. Ceci parait assez
évident, mais le dire clairement met en évidence
une réalité d'aujourd'hui, que le politiquement
correct refuse d'admettre : de nombreux pays du monde ne sont
pas en état d'aborder les nouvelles technologies, quelles
qu'elles soient. Ils les laisseront dépérir ou
en feront des usages dangereux. Ajoutons que, concernant les
risques, beaucoup peuvent provenir d'une utilisation terroriste
de technologies nucléaires de première génération,
à la portée de tous aujourd'hui. Les pays développés
ne devraient donc pas accepter de se priver des technologies
du futur car de toutes façons, sans des mesures qui ont
peu à voir avec la sûreté nucléaire
mais tout à voir avec la sûreté générale,
ils n'assureront pas leur sécurité.
Un
enjeu européen
Les
lobbies anti-nucléaires ne seront évidemment pas
convaincus par la lecture du livre d'Anne Lauvergeon et Michel-H.
Jamard. Ils continueront à défendre contre toute
vraisemblance la sortie du nucléaire, notamment dans
des pays comme l'Allemagne où ils détiennent des
positions politiques solides. Ceci montre que le débat
doit être non pas franco-français mais européen.
L'Europe, globalement, peut-elle à la fois abandonner
les énergies fossiles (ce que beaucoup de pays, notamment
l'Allemagne où le charbon est solidement implanté,
se refusent encore à faire) et résoudre les besoins
en énergie (électricité et carburant) avec
les seules énergies vertes et les économies d'énergie
? Nous pensons que cela est tout à fait possible, à
condition de prendre le défi au sérieux. Il faut
en faire une des principales sources de croissance économique
et technologique pour le 21e siècle.
Nous
avons montré dans un article récent que, sans
mentionner les économies d'énergie indispensables
par ailleurs, un très grand programme européen
de sortie du pétrole faisant appel à tous les
usages actuels et futurs de l'électricité pourrait
résoudre la dépendance aux combustibles fossiles.
Mais il devrait nécessairement inclure une part incontournable
(autour de 20%) de production d'électricité nucléaire.
Les ressources budgétaires nécessaires à
de tels investissements (provenant notamment d'un allégement
des factures pétrolières) devraient être
réparties équitablement entre les différentes
sources. Aucune ne sera bon marché, contrairement ce
qu'affirment les défenseurs polémiques des énergies
douces. Anne Lauvergeon et Michel-H. Jamard n'abordent pas véritablement
cet aspect des choses. C'est un peu dommage. Si les citoyens
au bon sens duquel ils veulent faire appel ne s'en saisissent
pas directement, les débats resteront confus.
Ajoutons
un dernier point. Implicitement, le livre postule que la production
de l'électricité nucléaire comme sa distribution
doivent rester dans des groupes publics où les Etats
disposeront de la quasi-totalité du capital. Introduire
des fonds d'investissement ou des entreprises capitalistes privées
dans la gestion de ces enjeux de société majeur
seraient – c'est nous qui le disons- une véritable
trahison de l'intérêt collectif. Encore faudrait-il
que les Etats ne se comportent pas, y compris en Europe, comme
beaucoup de potentats de par le monde. La volonté (que
semble conserver Nicolas Sarkozy) de faire entrer au capital
d'Areva ou d'EDF des groupes de ses amis donnerait un très
mauvais signal dont souffrirait l'ensemble des intérêts
de la filière nucléaire en France et dans le monde.
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