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Biblionet

Galilée
et les Indiens
Par Etienne Klein
Flammarion 2008
présentation par Jean-Paul Baquiast
15/12/2008
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Etienne
Klein est physicien. Professeur à l'Ecole Centrale
et il dirige le Laboratoire de recherche sur les sciences
de la matière au CEA.
Il
a publié de nombreux ouvrages, tous inspirés
par le désir de faire connaïtre, sans céder
aux facilités d'une certaine forme de vulgarisation,
les questions les plus difficiles de la physique et
de la cosmologie :
- "Conversations
avec le Sphinx, les paradoxes en physique", le
prix du meilleur livre scientifique de l'année
1993 en Allemagne (1991),
- "Regards sur la matière, des quanta et
des choses'", avec Bernard d'Espagnat (1993),
- "Le temps" (1995),
- "Le temps et sa flèche - actes du colloque",
ed. Étienne Klein et Michel Spiro (1996),
- "L'Atome au pied du mur et autres nouvelles",
prix du meilleur livre de littérature scientifique
de l'année (2000),
- "L'unité de la physique" (2000),
- "La quête de l'unité - L'aventure
de la physique", avec Marc Lachièze-Rey
(2000),
- "Sous l'atome, les particules",
- "La physique quantique",
- "Trésor des sciences : dictionnaire des
concepts", co-auteur (sous la direction de Michel
Serres),
- "Les tactiques de Chronos", prix "La
science se livre" 2004,
- "Petit voyage dans le monde des quanta",
prix Jean Rostand (2004),
- "Il était sept fois la révolution,
Albert Einstein et les autres" (2005),
- "Le Facteur temps ne sonne jamais deux fois"
(2007),
- "Les Secrets de la matière" (2008).
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Nous ne
pouvons qu'être d'accord avec Etienne Klein lorsque,
dans son ouvrage présenté ici, il prend la défense
de la science face aux critiques et, pire encore, à
l'indifférence qu'elle lui paraît susciter aujourd'hui,
y compris chez les jeunes étudiants en science. C'est
très bien et l'on ne peut que souhaiter à ce
livre de nombreux lecteurs.
Mais
nous pensons que son plaidoyer reste trop classique. Il s'appuie
sur une définition un peu scolaire de la science, sans
essayer de comprendre en profondeur comment les processus
scientifiques s'inscrivent dans le développement de
ce que nous avons nommé pour notre part des complexes
anthropotechniques. Nous désignons par là des
superorganismes où la composante biologique et la composante
technologique conjuguent de façon symbiotique leurs
dynamiques évolutionnaires propres. Il est possible
d'observer macroscopiquement de tels «complexes»
mais pour comprendre leurs logiques, il faudrait disposer
d'instruments scientifiques ou, mieux encore, de sciences
qui se cherchent encore. Nous avons proposé dans un
article précédent(1)
de nommer ces sciences, ou plutôt cette science, l'
«hyperscience». Un an plus tard, nous
n'avons pas grand-chose à modifier dans cet article.
Etienne
Klein a raison de rappeler que ce n'est pas la science qui
doit être tenue responsable des guerres, des pollutions,
de la destruction de l'environnement, de la perversion du
mythe du progrès qui était celui des Lumières.
Mais il ne suffit pas d'affirmer cela pour redonner confiance
en la science. Il faut proposer d'appliquer celle-ci à
la compréhension des raisons qui poussent, au sein
des sociétés, qu'elles soient scientifiques
ou traditionnelles, les forces dominantes à se faire
la guerre, que ce soit avec les moyens des technosciences
ou avec des moyens plus classiques. On pourra évoquer
à cet égard les débuts d'explication
proposés par l'analyse des groupes en compétition
darwinienne pour la survie. A supposer que cela soit possible,
ce serait sur la cause et non sur l'effet qu'il faudrait agir
si l'on voulait, empêcher la mobilisation de ces groupes
au profit de leur course à la domination les ressources
des sciences et des technosciences.
L'auteur
a également raison de relever l'effet toujours plus
déstructurant des émissions de la télévision
grand public sur les esprits et les comportements des jeunes
et des moins jeunes. Mais on ne peut s'en prendre à
la télévision sans une analyse approfondie (et
par conséquent scientifique) des raisons expliquant
son succès. Il faudrait aussi proposer des solutions
elles-mêmes fondées sur des analyses scientifiques,
permettant d'offrir aux " bases neurales " des téléspectateurs
des activités susceptibles de les conduire à
s'intéresser aux sciences.
Enfin,
si Etienne Klein se donne beaucoup de mal pour défendre
la science contre les critiques des moralistes, philosophes
et autres crypto-essentalistes (pour ne pas dire calotins)
qui lui reprochent de ne pas pouvoir répondre aux questions
morales et philosophiques que se posent fort justement les
humains, il choisit pour ce faire la défensive. Il
admet en effet que la science ne peut trancher dans les questions
métaphysiques ni proposer de valeurs dépassant
celles concernant sa propre déontologie(2).
Ce faisant, il rejette bruyamment le scientisme qui selon
lui prétend apporter des réponses dogmatiques
et donc non scientifiques à de telles questions.
Nous
prétendons pour notre part que notre auteur, en ce
cas, se trompe. La science peut très bien traiter des
questions de valeur, comme le Bien, le Vrai et le Beau. Le
neurobiologiste Jean-Pierre Changeux le montre clairement
dans son dernier ouvrage(3). Il est
vrai que Jean-Pierre Changeux est considéré
par les bien-pensants comme un démon sorti tout droit
de l'enfer scientiste, tandis que les neurosciences sont présentées
comme des machines à détruire l'humanisme. L'erreur
que fait à notre avis Etienne Klein consiste à
considérer, peut-être parce qu'il est physicien,
qu'il n'est de science que de mathématique. Les mathématiques
ne sont certes pas très disertes en matière
de valeurs. Mais si l'on considère l'histoire des sciences,
au regard de l'évolution de ce que nous appellerons
globalement l'évolution des systèmes biologiques
et anthropotechniques, on voit qu'elles embrassent des domaines
infiniment plus vastes, ne relevant pas nécessairement
de la seule mathématisation.
Concernant
en particulier la génétique et les neurosciences,
ajoutons que ces dernières présentent l'avantage
d'étudier à la fois les acteurs (les corps et
les cerveaux des humains en société) et les
produits de leurs activités. Autrement dit, elles obligent
à prendre en considération un aspect important
de la physique, toujours oublié par le "réalisme",
selon laquelle il n'est pas possible de dissocier l'état
observé, l'instrument et l'observateur. Ainsi devraient-elles
échapper à la critique portée par Etienne
Klein selon laquelle les sciences étudient un monde
de plus en plus distinct de celui des humains, qu'ils fussent
Indiens d'Amazonie ou Européens.
Dans
ces conditions, la science (ou plutôt l'hyperscience
à laquelle nous rêvons) peut très bien
se poser la question du Bien, du Vrai et du Beau en questionnant
les contenus que les sociétés donnent à
ces thèmes, les usages qu'elles en font dans leurs
compétitions darwiniennes et les dérives pouvant
en résulter. Les généticiens et neurobiologistes
(encore eux) sont bien placés pour ce faire puisqu'ils
se proposent d'analyser – en toute modestie scientifique
et sans dogmatisme, chez ceux d'entre eux que ne recrute pas
le neuromarketing politique et commercial – les bases
neurales et l'histoire génétique et épigénétique
de tels comportements «moraux» au sein des espèces
vivantes.
Nous
sommes persuadés que la science peut traiter ces
questions et y intéresser les foules tout aussi bien
que des faiseurs de dogmes bien plus redoutables, les moralistes
et philosophes non scientifiques s'emberlificotant
dans un salmigondis d'idées reçues,
de pulsions nombrilistes et d'une course à
l'audience médiatique. Ces façons de
concevoir la morale et la philosophie (par charité
nous ne mentionnons pas les religions) sont des armes à
retardement par lesquelles des organismes en quête
de puissance cherchent à dominer les esprits. Les
technoscientifiques ne sont que des enfants de chœur
à côté d'eux.
Si
les scientifiques expliquaient cela aux jeunes étudiants,
en leur montrant tout le travail qui est à faire, ils
susciteraient certainement des vocations militantes. C'est
en tous cas ce que nous disent nos lecteurs dans des courriers
de plus en plus fréquents.
Notes
(1) Sur l'hyperscience :
http://www.automatesintelligents.com/echanges/2007/oct/hypersciene.html
(2) Etienne Klein cite le point de vue de
Robert King Merton (The Normative Structure of Science,
1942) selon qui les valeurs scientifiques reposent sur l'universalisme,
le désintéressement, le scepticisme organisé
et la mise en commun des connaissances. Tout ceci est bon
à rappeler, en effet.
(3) J.P. Changeux, "Du vrai, du
beau, du bien : Une nouvelle approche neuronale",
Odile Jacob, 2008.