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Editorial
1
Pour un
nouveau paradigme scientifique
par
Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin
21/12/2008
|
L'année
2008 a confirmé aux yeux de tous l'incapacité
des systèmes de gestion dits scientifiques à
maîtriser l'évolution des «mondes»
globaux dans lesquels ils opèrent. Cette incapacité
avait été signalée depuis longtemps par
les théoriciens du chaos. Mais l'imprédicabilité
d'un système chaotique et la façon inouïe
qu'il a de réagir à des interventions qui se
veulent correctrices n'avaient pas encore été
perçues par chaque citoyen. Ce n'est plus le cas aujourd'hui
: les soubresauts de la finance internationale et des marchés
de matières premières survenus ces dernières
semaines mettent en évidence les limites des modèles
mathématiques et informatiques qui se prétendaient
capables de gérer les systèmes complexes sous-jacents.
L'ensemble des spécialistes discourent aujourd'hui
de la faillite des mathématiques financières.
Ce sont moins celles-ci à notre avis qui sont aberrantes
que les rôles dont on a voulu qu'elles se chargent.
Viendrait-il à l'idée d'un possesseur de Formule
I d'entreprendre le rallye des neiges ?
La
faillite des grands systèmes économico-politiques
n'est malheureusement pas une nouveauté. On peut admettre
que le déclenchement des deux dernières guerres
mondiales a illustré l'incapacité des gouvernants
à gérer les affrontements entre économies
et impérialismes. Mais personne à ces époques
n'aurait pensé que ces affrontements auraient pu être
prévenus grâce à la science. On les considérait
comme aussi inévitables que des tremblements de terre
ou des épidémies.
Ce
n'est plus le cas aujourd'hui. Face aux conflits entre économies
et impérialismes qui se préparent, certains
experts scientifiques conseillant les responsables politiques
assurent proposer des solutions. C'est actuellement le cas
concernant les trois grandes crises qui se préparent
en s'enchaînant : crise climatique et environnementale,
crise démographique et économique, conflits
politico-militaires. Les experts et les décideurs
pensent avoir élaboré des modèles mathématico-informatiques
capables de simuler (représenter) les situations
en cause. Par ailleurs, ils multiplient les réseaux
d'observatoires destinés à alimenter ces modèles
en données. Ceci les conduit à des préconisations
voulant éviter les risques les plus graves. Il ne
reste plus qu'à s'entendre pour organiser ce que
l'on pourrait appeler une gouvernance mondiale, à
partir d'îlots régionaux capables d'appliquer
ces préconisations, aussi efficacement que possible,
chacun dans sa sphère d'influence. C'est ainsi, dans
le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique,
que se sont mises en place les négociations internationales
ayant abouti aux accords de Kyoto et à leurs suites
actuelles.
Bien
entendu, nul ne se dissimule l'ampleur de la tâche
ni les difficultés à résoudre. On admet
l'existence de nombreuses zones obscures voire inconnaissables
avant longtemps. Exemple : quelle est l'influence exacte
des réseaux de télévision sur les comportements
individuels, consommateurs ou belliqueux ? Autre exemple
: comment se déterminent les évolutions démographiques
? Troisième exemple : comment expliquer l'extraordinaire
attrait des comportements à risque ? Et, pour en
ajouter au tableau, nous pourrions aussi évoquer
un quatrième exemple, illustrant les questions apparemment
insolubles. Il concerne les " tricheurs ": comment
faire pour que, dans un monde où le maximum de règles
sont édictées pour assurer le bien commun,
certains individus ne s'en affranchissent pas en profitant
des sacrifices des autres ? Face à ces non-réponses,
on se rassure trop souvent en pensant que la multiplication
des études et expérimentations de terrain
pourra éclaircir les points obscurs et permettre
d'envisager les remèdes adéquats.
Cette
confiance intuitive tient à ce que, dans nos sociétés
technologiques, l'opinion fait dans l'ensemble confiance à
la pratique régulatrice permettant aux décideurs
comme aux populations de prendre ou d'accepter les bonnes
mesures. Cette pratique est d'inspiration scientifique. Elle
repose sur une méthodologie depuis longtemps admise.
Il faut d'abord faire l'hypothèse que les phénomènes
obéissent à des lois. Il faut ensuite vérifier
ces lois hypothétiques en multipliant les expérimentations.
Si les lois résistent aux expériences, elles
seront utilisées pour construire un modèle global
du monde à partir duquel l'on pourra édicter
des règles de comportement optimales, aussi bien concernant
les individus que les groupes (1).
Cependant,
sachant que les lois scientifiques évoluent en permanence,
sous la pression de nouveaux faits d'observations, il faudra
donc les modifier, ce qui transformera les certitudes d'hier
en problèmes pour demain. Par ailleurs, les lois ne
se modifient généralement pas l'une après
l'autre, en douceur. Elles évoluent d'un bloc. Les
philosophes des sciences savent depuis longtemps que les lois
permettant d'élaborer des modèles du monde s'organisent
en grands paradigmes qui se succèdent dans le temps.
Si, à l'intérieur d'un modèle donné
du monde, les erreurs de prévision ou les phénomènes
inexplicables s'accumulent, il faut en conclure non seulement
que certaines lois sont fausses mais aussi que c'est l'ensemble
des lois, autrement dit le paradigme auquel elles se rattachent
qui doit être changé. Cependant, changer de paradigme
ne se décide pas a priori. Cela se constate
a posteriori. Un soir le monde scientifique se couche
angoissé par un paradigme qui fait eau de toute part
et le lendemain il s'éveille avec un nouveau paradigme
dans lequel les difficultés de la veille paraissent
au contraire susceptibles d'être résolues.
Dompter
le monstre…ou les monstres ?
Mais
pour que se produisent les changements de paradigmes grâce
auxquels ont toujours progressé les connaissances scientifiques,
il faut que s'accumulent les difficultés et les échecs
découlant de l'application des anciennes connaissances.
C'est bien à notre avis ce qui se produit actuellement
dans les domaines où se préparent les grandes
crises que nous venons d'évoquer au début de
cet éditorial. Prenons pour le montrer un exemple que
nous avions développé dans des textes précédents
: celui du complexe militaro-industriel (MIC) américain
bien représenté par le Pentagone. L'un et l'autre
sont-ils analysables et par conséquent maîtrisables
dans le cadre du paradigme rassemblant les théories
économico-socio-politiques actuelles ? La question
est d'importance si l'on considère que c'est le MIC
qui a tiré l'Amérique de la Grande Dépression
dans les années trente et qui lui a permis depuis d'assurer
sa domination sur le monde pendant plus de soixante ans, y
compris jusqu'à ces dernières années
où les erreurs accumulées de jugement et de
décision inspirées par le MIC mettent désormais
l'Amérique au bord de la catastrophe.
La
question de savoir si les théories économico-socio-politiques
actuelles permettent ou non de comprendre et maîtriser
le Pentagone intéresse aujourd'hui directement les
«réformateurs» américains. Ceux-ci
comptent semble-t-il sur Barack Obama pour dompter le monstre
et affecter les centaines de milliards de dollars dont le
pays dispose chaque années à des besoins autrement
urgents que la réparation de ses propres dramatiques
erreurs. Mais elle concerne également le reste du monde
(the rest of the world). Comment une puissance qui
demeure encore la première pourra-t-elle s'acquitter
de sa part de responsabilité dans la lutte contre les
diverses crises énumérées plus haut,
notamment la crise climatique et environnementale, si elle
reste dirigée par une structure qui est en grande partie
à la source de ces crises ?
Dans
le cadre du paradigme actuel, celui des théories
économico-socio-politiques reconnues par l'établissement
scientifique, les chercheurs et les décideurs croient
disposer des lois permettant de comprendre le phénomène
du Pentagone. Ils espèrent donc malgré sa
complexité pouvoir le maîtriser. Les obstacles
qu'ils rencontreront, selon eux, ne seront pas liés
à des lacunes du paradigme théorique mais
à des difficultés pratiques d'application.
C'est ainsi que le système, entre autres résistances,
refuse obstinément de se laisser observer en détail.
Mais les réformateurs ne désespèrent
pas. Avec le temps, avec un peu plus de continuité
dans la volonté de changement, on pourra mieux analyser
le monstre, mieux le gouverner et si besoin était,
le remplacer par un autre plus adapté aux exigences
de notre temps.
L'avenir
proche dira si cet espoir se réalisera ou si, au contraire,
le Pentagone et avec lui le MIC continueront à conduire
l'Amérique (et l'Europe…) au désastre.
Mais il y a bien d'autres «monstres» dont les
comportements apparemment incontrôlables mettent le
monde en péril: les industries pétrolières,
les industries automobiles, les pêcheries, pour ne citer
que les plus voyantes. Toutes ont été dénoncées
par les experts de la lutte contre le réchauffement
climatique et pour la défense de la biodiversité.
Certaines ont promis de modérer leurs développements.
Mais en fait, elles continuent à détruire la
planète et nul gouvernement ne veut ni ne peut limiter
leurs ambitions. Il réside dans cet échec quelque
chose qui devrait alerter les scientifiques. Comment se fait-il
que les avertissements reposant sur des analyses généralement
acceptées par tous les experts spécialistes
sérieux ne soient pas pris au sérieux ? Pourquoi
les intérêts particuliers continent-ils à
l'emporter sur ce que l'ensemble des scientifiques disent
être l'intérêt général ?
Pourquoi finalement, cette défaite de la science face
au monde qu'elle prétend décrire ?
Pour
une hyper-science
Il
ne nous parait pas suffisant d'expliquer que les intérêts
trouvant profit à promouvoir une «croissance»
aveugle et destructrice sont plus forts que les discours rationnels.
Si la raison scientifique ne l'emporte pas sur les forces
destructrices, c'est sans doute parce que cette raison n'a
pas bien analysé les processus évolutionnaires
qui sont à l'œuvre sur la planète. Elle
n'a pas bien compris la façon dont les décisions
sont prises par les organismes petits et grands qui influencent
l'évolution. Là où elle croît voir
à l'œuvre des volontés accessibles aux
discours rationnels elle ignore la présence de processus
décisionnaires s'inspirant de bien d'autres déterminismes.
Ceux-ci demeurent invisibles pour le moment car les théories
économico-socio-politiques en vigueur ne permettent
pas le nouveau regard qui s'imposerait(2).
C'est
pourquoi, dans ces domaines, il nous semble nécessaire
de changer de paradigme. Mais comme indiqué plus haut,
on ne décide pas un changement de paradigme. Tout au
plus peut-on encourager l'évolution des postulats scientifiques
qui le sous-tendrait. Il existe heureusement une méthode
très simple à cette fin. Elle est d'ailleurs
déjà en œuvre marginalement, ce qui nous
permet d'en parler. Elle résulte de l'introduction
spontanée (nous pourrions évoquer une contamination)
dans les sciences économiques, sociales et politiques
des approches et contenus de toutes les autres sciences. Nous
pensons notamment à celles dites de la complexité
et à celles de l'artificiel – sans oublier évidemment
la physique théorique et la cosmologie. D'ores et déjà
en naissent de nouveaux regards sur le monde, sur l'homme,
sur l'esprit. Nous ne prétendons pas qu'alors de nouveaux
paradigmes se dessineraient qui permettraient de mieux affronter
l'évolution de la planète et la marche à
la catastrophe qui semble la caractériser sous l'influence
des humains. Ce serait trop optimiste. Néanmoins les
blocages tenant aux anciens paradigmes pourraient commencer
à disparaître.
Dans
cette perspective, ce que nous avons appelé ailleurs
une hyper-science pourrait commencer à se construire
spontanément. Elle conduirait à renoncer à
des postulats bien ancrés, comme celui de l'indépendance
et du libre-arbitre de l'observateur. Mais en contrepartie,
à partir de l'explosion des technologies de la communication,
elle pourrait faire apparaître un cerveau global au
sein duquel interagiraient les cerveaux individuels, qu'ils
soient biologiques et artificiels. Une nouvelle insertion
des organismes terrestres au sein du cosmos pourrait peut-être
alors en émerger.
NB:
ceux souhaitant s'informer de l'état actuel des inquiétudes
relatives au Pentagone pourront se référer
à un article de Thomas Schweich, cité par
Dedefensa:
http://www.dedefensa.org/article-que_faire_de_moby_dick_le_monstre_bureaucratique_23_12_2008.html
Notes
(1) La seule façon d'échapper
aux difficultés de la démarche régulatrice
consiste à postuler que le monde n'est pas compréhensible.
Il serait donc selon ce point de vue inutile sinon dangereux
d'intervenir dans son fonctionnement. La meilleure politique
consisterait à laisser faire les différents
acteurs. Leur libre activité produira un ordre optimum.
Mais cette solution de facilité, aussi séduisante
qu'elle soit, ne résiste pas lorsque les difficultés
s'accumulent. Les esprits les plus libéraux en appellent
tous alors à une reprise de la régulation.
(2) Rappelons que dans d'autres articles
nous avons suggéré que ce ne sont pas des humains
individuels qui décident aujourd'hui de l'évolution
de la biosphère, mais des entités associant
de façon symbiotique des organismes biologiques et
des technologies elles-mêmes de plus en plus autonomes.
Nous avons proposé de les nommer des «complexes
anthropotechniques».