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Editorial
L’Amérique
passe au vert
par
Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin
04/06/2008
|
L’opinion
mondiale vient d’être frappée par la
conversion de General Motors aux véhicules verts,
annoncée fin mai. Elle se traduit par la fermeture
de 4 usines fabriquant des SUV ou 4/4. Les monstrueux véhicules
qui jusque là étaient l’emblème
d’un mode de vie américain présenté
par G.W.Bush comme non négociable vont sans doute
subitement paraître aussi démodés que
les « belles américaines » des années
60. Les automobilistes moutonniers qui en Europe pensaient
grâce à ces engins se hisser dans l’échelle
sociale, alors qu’ils n’en avaient aucun besoin,
se sentiront sans doute trahis.
Il
est cependant difficile de dire si la décision de
GM permettra de redresser le secteur américain de
l’automobile. Les industriels européens qui
depuis des décennies avaient toujours visé
petit, contraints par une taxation salvatrice sur les carburants,
disposent d’une certaine avance. Mais les industriels
américains sont capables de retournements rapides
et surprenants. Ils l’avaient montré lorsqu’à
la fin des guerres du vingtième siècle, ils
avaient en quelques mois reconverti leurs fabrications militaires
en fabrications civiles.
Le
vrai risque pour le reste du monde n’est pas là.
Il est dans l’intérêt croissant du capital-risque
américain pour les investissements de ce que l’on
appellera globalement ici les « énergies vertes
», lesquelles sont à la fois renouvelables
et propres. Un article du NewScientist (31 mai 2007, p.
36) montre que ces investissements sont passés de
$200 millions en 2005 à $1.200 en 2007. Le mouvement
se poursuit en s’amplifiant actuellement. Les investisseurs
en capital-risque sont principalement présents dans
la Silicon Valley et la côte Ouest. Les nouveaux acteurs
industriels s’y retrouvent aussi pour la plupart,
Amyris Biotechnologies, Ausra, Stion (énergie solaire),
Transonic Combustion (amélioration du rendement des
moteurs thermiques). Mais d’autres se développent
ailleurs, tels Konarka (énergie solaire) dans le
Massachusetts, Range fuel dans le Colorado.
Pour
les capital-risqueurs américains, à qui il
faut reconnaître le mérite d’avoir sinon
provoqué du moins accompagné et amplifié
les divers booms mondiaux de l’informatique et de
l’Internet, les énergies vertes apparaissent
comme l’eldorado du nouveau siècle, les sources
d’une nouvelle croissance qui devrait être plus
longue que la précédente. « La meilleure
façon de créer le futur est de l’inventer,
mais la seconde meilleure façon est de le financer
» selon un propos attribué à John
Doerr, partenaire dans la firme de capital-risque KPCB.
Ce sont de tels gens qui sont en train de faire basculer
la politique gouvernementale fédérale jusque
là étroitement mise au service de l’industrie
pétrolière. Leur but est de placer les Etats-Unis
à la tête d’un combat mondial pour la
lutte contre le réchauffement climatique. L’objectif
est « moralement » vertueux, ce qui compte dans
ce pays. Mais il est aussi selon eux très profitable
– surtout si les Etats-Unis savent prendre la tête
d’un mouvement qu’ils avaient jusqu’alors
délaissé. Il s'agit d’obtenir, là
comme partout ailleurs, quelques années d’avance
sur les concurrents, de façon à en faire des
clients ou, au mieux, des sous traitants.
Les
technologies vertes présentent, comme le font encore
par ailleurs celles de l’électronique, deux
avantages aux yeux du capital-risque : celui de proposer
un cycle d’innovation rapide (2 ans environ au lieu
de 15 à 20 ans pour les centrales nucléaires
de 4e génération) et celui de permettre une
baisse rapide des coûts en fonction des quantités
produites. Par ailleurs, elles ne nécessitent que
peu de matières premières rares – à
l’exception de certains métaux et composés
minéraux très disputés dont il faut
sécuriser les approvisionnements.
N’oublions
pas cependant qu’aux Etats-Unis, les industriels privés
ne sont pas seuls à supporter l’effort du passage
au Vert. Dans le budget fédéral militaire
et spatial américain, des sommes considérables
sont investies au profit de filières pouvant donner
lieu sans grands efforts à des applications civiles.
Le propre de la Silicon Valley et régions analogues
est de mêler étroitement les Universités
travaillant principalement sur des contrats d’Etat
(de la Darpa notamment), des start-up, des capital-risqueurs
et autres business angels, ainsi finalement que des banquiers
classiques. La crise actuelle incite ces derniers à
se reconvertir ailleurs que dans le financement de l’immobilier.
Ce
sont là de mauvaises nouvelles pour l’Europe
qui est incapable de définir une démarche
de recherche-développement conjuguant les interventions
de l’Etat et les initiatives privées, susceptible
de se traduire par des politiques industrielles de grande
ampleur. Les laboratoires et quelques start-up ne manquent
pas d’idées, les ressources naturelles sont
là, mais les conflits entre régionalismes,
l’absence de la moindre volonté d’intervention
« patriotique » au niveau des institutions,
les blocages persistants de multiples lobbies (refus des
biotechnologies, guerres picrocholines entre éolien
et solaire, pour ne citer que les moindres), condamnent
les innovateurs à la stagnation. Il faut souhaiter
qu’une prise de conscience se fasse, mais peut-on
y compter ?
Les
concurrents auxquels seront confrontés les nouveaux
investisseurs du Vert américain viendront comme toujours
dorénavant de l’Asie. Mais rien n’exclut
que la puissance du tissu économique et technologique
dont dispose encore l’Amérique lui permette
de gagner cette nouvelle bataille.