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La conscience artificielle replacée
dans la perspective de l’hyperscience
par Jean-Paul Baquiast 13/01/2008
|
(à discuter)
Le
projet de conscience artificielle développé
par Alain Cardon [voir
présentation] se heurte manifestement à
un préjugé métaphysique profondément
ancré chez ceux qui découvrent toute sa portée.
Ce préjugé repose sur une conviction en forme
de postulat, qui n’a rien de rationnelle, mais qui tend
à perdurer: dans le cadre d’une conscience artificielle,
on ne peut pas sans danger laisser des agents robotiques élaborer
des "pensées" dont l’homme ne contrôlerait
pas le mode de production et par conséquent les contenus.
Il serait certes toujours possible de bloquer leur diffusion
dans la société mais le seul fait que ces pensées
puissent être produites et «contaminer»
certains esprits représenterait un risque insupportable.
Il
est vrai que l’objet même de la réalisation
d’une conscience artificielle est révolutionnaire.
Il consiste en effet à produire un mécanisme
de création de pensées et plus généralement
d’hypothèses sur le monde capables d’échapper
aux contraintes du fonctionnement de la pensée humaine
traditionnelle. Celle-ci, façonnée par des cultures
anciennes ayant généré un lourd héritage
d’interdits, restreint systématiquement la capacité
de formuler des hypothèses originales, qu’elles
soient ou non scientifiques. L’univers local, celui
dans lequel nous vivons, perd ainsi la possibilité
de faire apparaître des mutations à partir desquelles
de nouvelles formes évolutives pourraient être
sélectionnées.
En
formulant des hypothèses véritablement originales,
les humains doivent-ils précipiter l’évolution
du monde dans des directions nécessairement imprévisibles?
Des systèmes de génération de pensées
artificielles peuvent-ils les y aider ? A ces questions fondamentales,
nous verrons que la pensés dominante contemporaine,
que ce soit celle des religions ou celle de la science traditionnelle,
répond par la négative. Seule l'hyperscience,
telle que nous la définissons ici, pourrait répondre
au besoin.
La
conscience artificielle s’inscrit dans le développement
de ce que nous avons nommé par ailleurs l’hyperscience,
seule susceptible selon nous de représenter pour le
monde du XXIe siècle l’équivalent de ce
que fut au XVIIIe siècle occidental la Révolution
des Lumières. Pour le montrer, il faut opposer les
postulats de la science traditionnelle à ceux de l’hyperscience.
La science traditionnelle
Certains
postulats, prenant la forme de dogmes, freinent depuis des
siècles l’évolution de la représentation
que l’humanité se fait du monde et de la connaissance.
On les retrouve sous des formes peu différentes, aussi
bien dans les religions que dans la science traditionnelle.
En voici quelques uns(1) :
Il existe un corps de valeurs distinguant les hommes du reste
de la nature et qu’il ne faut absolument pas transgresser,
sous peine de retomber dans la matérialité la
plus basse. Ces valeurs sont proposées par les religions,
dans la perspective d’un au-delà de la vie terrestre.
Pour les athées, elles s’incarnent dans la philosophie
dite de l’ «humanisme». Les valeurs de l’
«humanisme» n’intéressent que la
seule vie terrestre, mais elles sont produites par un processus
politique qui est censé leur donner un caractère
aussi fondamental et intouchable que les valeurs religieuses.
Beaucoup d’hommes modernes, qui ne se reconnaissent
plus dans les religions, retrouvent l’essentiel des
prescriptions de celles-ci dans l’humanisme, objet d’une
sacralisation de même nature(2).
Ils refusent de remarquer que ces croyances et prescriptions
ont été élaborés au cours d’une
évolution bien précise, sous la pression d’intérêts
bien définis, n’ayant rien d’immanent,
et qu’elles devraient aujourd’hui faire l’objet
de révisions.
Dans ces conditions, la science doit imposer à l’évolution
de la société humaine, dont même les
religions ne peuvent nier les manifestations, des cadres
qu’elle ne devra pas transgresser. Elle trouvera ces
cadres dans le corps de valeurs fondant les croyances religieuses,
pour les uns, les valeurs de l’humanisme, pour les
autres.
La société humaine est capable d’orienter
son évolution et par conséquent celle de la
science. Elle n’est pas déterminée par
des lois dont la maîtrise lui échapperait.
Elle dispose à cette fin d’une propriété
unique, qui est la capacité de s’auto-déterminer
grâce à l’exercice de la conscience volontaire.
En cela la société humaine diffère
radicalement du reste du monde, physique ou biologique.
La conscience volontaire prend naissance dans les cerveaux
humains. Elle acquiert une portée collective par
l’intermédiaire des institutions politiques
elles-mêmes éclairées par les découvertes
scientifiques.
La science et les technologies, dans la mesure où
elles semblent augmenter les pouvoirs de l’homme sur
la nature, doivent rester contraintes dans leur créativité
par les limites que leur fixera la conscience volontaire
de l’homme, éclairée si nécessaire
par l’esprit divin.
L’hyperscience
L’hyperscience,
dans la définition provisoire que nous proposons
ici, comporterait les traits suivants, qui la distingueraient
de la science traditionnelle :
Elle
multiplierait les hypothèses, sans se laisser embarrasser
par des considérations de convenance. Ainsi serait
remis à l'ordre du jour le concept d'anarchisme méthodologique
lancé par le regretté et aujourd'hui oublié
Paul Feyerabend(3).
Elle multiplierait parallèlement la mise en service
d'équipements lourds ou légers destinés
non seulement à tester les hypothèses déjà
formulées mais à faire naître ce que
Michel Cassé appelle des nuages d'incompréhension,
indispensables à l'avancement de la recherche. Elle
laisserait ces équipements se diversifier librement
en fonction des lois évolutives propres aux filières
technologiques.
Elle serait radicalement transdisciplinaire. Non seulement
elle naviguerait hardiment d'une spécialisation à
l'autre au sein d'une discipline donnée, mais aussi
d'une discipline à l'autre, et ceci de préférence
quand tout paraît les séparer. Pour l'aider,
il faudrait multiplier les outils et les réseaux
permettant le rapprochement des connaissances et des hypothèses.
Elle n'hésiterait pas, en fonction du développement
des systèmes évolués d'intelligence
artificielle et de simulation du vivant, à faire
appel à leurs agents intelligents pour relancer l'esprit
inventif des scientifiques humains et aussi pour collecter
les fruits d'un raisonnement non-humain qui pourrait agir
en interaction avec l'intelligence humaine. Nous retrouvons
là le projet de conscience artificielle d’Alain
Cardon.
Elle renoncerait au préjugé selon lequel la
science doit unifier et rendre cohérents tous les
paysages auxquels elle s'adresse. Le même individu
pourrait se donner du monde des représentations différentes,
selon qu'il décrirait les horizons de la physique
théorique, de la vie, des neurosciences, des systèmes
dits artificiels ou, plus immédiatement, de l'art,
de la philosophie et de la morale. Le préjugé
selon lequel le monde est un et doit être décrit
d'une façon unique est sans doute un héritage
du cerveau de nos ancêtres animaux, pour qui construire
cette unité était indispensable à la
survie dans la jungle. Elle a été reprise
par les religions monothéistes, dont les prêtres
se sont évidemment réservés la représentation
du Dieu censé incarner cette unité.
Elle se débarrasserait du préjugé du
«réalisme». Le réalisme, qui inspire
encore la plupart des sciences et plus généralement
des discours sur le monde, repose sur l’hypothèse
qu’il existe un réel en soi, existant en dehors
des hommes, dont les scientifiques, grâce à la
science expérimentale déductive, pourraient
donner des descriptions de plus en plus approchées.
En fait, le contenu des descriptions réalistes du monde
proposées par le discours scientifique traditionnel
reflète surtout les « théories »
élaborées par les scientifiques dominants, souvent
au mépris des expériences nouvelles, dont la
remise en cause ébranlerait leur pouvoir et celui des
intérêts pour qui ils travaillent. L'hyperscience,
tout au contraire, postule le constructivisme », thèse
selon laquelle la science construit l'objet de son étude,
c'est-à-dire un objet partiel, toujours modifiable,
mais fournissant aux espèces vivantes une niche évolutive
avec laquelle elles sont en interaction dynamique. L’hyperscience
construit d'abord cet objet en le qualifiant comme thème
de recherche puis en vérifiant expérimentalement
les hypothèses qu'elle formule à son sujet.
L'expérimentation a pour objet de maintenir une cohérence
entre les hypothèses précédemment vérifiées
et les nouvelles, sans pour autant s'interdire une remise
en question (ou plutôt une extension) des premières.
Elle est nécessairement et fondamentalement empirique:
cela marche ou ne marche pas. Si elle cherche à regrouper
et unifier les causes et leurs expressions sous forme de lois,
c'est sans prétendre rechercher - et encore moins prétendre
avoir trouvé - une cause première définitive
(une loi fondamentale) .
Ainsi l’hyperscience postule que les valeurs proposées
par les religions ou par l’humanisme, quel que soit
leur intérêt éventuel, font partie de
ce processus de construction. Il n’y a pas de raison
de les dire immanentes. Elles peuvent être déconstruites
et reconstruites comme toutes les autres formes de «connaissances».
L’hyperscience fait par ailleurs le constat qu’elle
se déroule de façon globalement inconsciente
et globalement non contrôlable par des processus dits
de décision volontaire. Le scientifique, à l’instar
des autres entités du monde, se borne à constater
l’ «émergence» de nouveaux états
du monde produits ou non par son action et qui ne correspondent
pas nécessairement à ce qu’il avait prévu.
L’hyperscience ne nie pas l’émergence
d’états de conscience, qu’elle qualifiera
plutôt d’états auto-réferrents.
Mais ceux-ci peuvent apparaître potentiellement dans
tout système biologique ou technologique, «
individuel» ou «collectif» doté
d’une architecture lui permettant d’observer
son fonctionnement et de conférer aux produits de
cette observation des effets rétroactifs modifiant
l’action en cours. Le corps humain doté de
son cerveau, les sociétés humaines composés
d’individus dotés de tels corps et cerveaux,
constituent des exemples d’une architecture de cette
nature, mais ils en sont pas les seuls dans l’univers,
au moins en principe. Ces états de conscience sont
par définition limités dans leur champ et
dans leur durée puisque les sociétés
humaines disposent de corps et de cerveaux eux-mêmes
limités et surtout fractionnés. Les déterminismes
provoquant les décisions dites conscientes ou volontaires
ne sont pas tous connus et par conséquent ne peuvent
tous être gouvernés par des décisions
conscientes. Autrement dit, être auto-référent
ne veut pas dire être auto-gouvernable ou auto-pilotable.
Les états de conscience qui émergeront dans
le cadre de l’évolution des sociétés
hyperscientifiques présenteront cependant par rapport
à ceux produits par l’évolution des
sociétés scientifiques ou des sociétés
empiriques traditionnelles l’avantage de parler le
même langage conceptuel et instrumental, celui de
l’information calculable. Ceci permettra d’y
réintégrer les productions des consciences
artificielles et plus généralement des automates
numériques qui vont se multiplier dans le monde des
réseaux Leur portée et leurs pouvoirs heuristiques
seront donc considérablement accrus. Il en sera probablement
de même de leurs capacités d’auto-référence
et d’auto-pilotage, si celles-ci ne sont pas contraintes
a priori par des limites à ne pas dépasser.
Un
monde posthumain
L’hyperscience est ainsi un des processus émergent
caractérisant l’évolution du monde.
Elle ne peut prétendre éclairer exhaustivement,
et moins encore piloter de façon volontaire, ni ses
thèmes ni ses orientations. Ce qui n’empêche
pas que les humains, dotés, sinon de conscience volontaire,
du moins de conscience, veuillent légitimement réagir
à ses productions, que ce soit pour les freiner ou
pour les augmenter. Mais réagir ne signifie pas pouvoir
les commander ni les orienter, sauf à la marge. Le
développement de l’hyperscience semble commandé
par des processus résultant de la compétition
"darwininenne" entre technologies instrumentales,
lesquelles obéissent à des règles évolutives
complexes résultant de l’interaction entre
systèmes biologiques et super-organismes artificiels.
L’hyperscience
fait émerger de nombreux «mondes» qui s’insèrent
de façon à la fois originale et imprévisible
dans les sociétés humaines : mondes des nanotechnologies,
des biotechnologies et de la vie artificielle, des infotechnologies
(parmi lesquelles les systèmes d’intelligence
artificielle évolutionnaire dits aussi systèmes
cognitifs, comparables à celui proposé par Alain
Cardon). Les humains, au nom de la religion ou de l’humanisme,
croient pouvoir les arrêter ou les contraindre dans
des limites étroites, mais c’est une illusion.
Tout au plus peuvent-ils s’associer en réseaux
coopératifs avec eux pour bénéficier
des «augmentations» que les technologies proliférantes
apportent aux capacités biologiques des humains.
On
a tendance à dire que l’hyperscience ainsi
conçue fait ou fera apparaître des sociétés
et des individus transhumains ou posthumains. C’est
une possibilité, mais elle n’est pas la seule.
Compte tenu du caractère imprévisible du développement
des systèmes technologiques, on verra peut-être
aussi apparaître des sociétés ou des
entités individuelles véritablement a-humaines
(si l’on préfère ce terme à celui
d’in-humaines qui fait peur).
L’avantage
évolutionnaire des sociétés post-humaines
et a fortiori des sociétés a-humaines envisagées
ici sera que se développant en réseaux capables
de traiter de l’information sans les contraintes de
support, de temps et d’espace s’imposant aux systèmes
biologiques, elles pourront sortir des limites de l’environnement
terrestre et « construire » des univers cosmologiques
que les humains, même s’appuyant sur leurs connaissances
scientifiques, sont incapables pour le moment d’imaginer
et à plus forte raison de réaliser(4)
.
Notes
(1) Ces postulats se sont imprimés
dans les psychismes et avant cela dans les cerveaux des hominiens
parce qu’ils ont permis la survie des sociétés
primitives dans un monde qu’elles commençaient
seulement à interpréter par la rationalité
empirique. Malheureusement, comme beaucoup d’acquis
évolutifs, ils survivent encore en produisant plus
de nuisances que de services.
(2) On ne décrira pas ici les différentes
formes que prend aujourd’hui la sacralisation –
souvent d’ailleurs toute verbale - de l’humanisme.
(3) Paul Feyerabend, Contre la méthode,
esquisse d'une théorie anarchiste de la connaissance
(1975).
(4) Pour d’autres considérations,
voir "Bienvenue au royaume de l’hyperscience"
http://www.automatesintelligents.com/echanges/2007/oct/hypersciene.html