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Le matérialisme
scientifique
Interview de Jean-Paul Baquiast par
Nouvelles Clefs
septembre 2007
Reproduit avec l'aimable autorisation de Nouvelles
Clefs
www.nouvelles-cles.com/
|
Tout
aussi passionné que Jean Staune par la révolution
scientifique en cours, Jean-Paul Baquiast, dans son livre-plaidoyer
Pour un Principe Matérialiste Fort (http://www.editions-bayol.com/PMF/index.php),
en tire la conclusion exactement inverse : les nouvelles
découvertes permettent plus que jamais d’affirmer
des convictions matérialistes, certes revisitées,
mais ne s’encombrant certainement pas de la moindre
croyance en une quelconque transcendance. Le sujet est d’une
brûlante urgence car, pour cet ancien haut-fonctionnaire
spécialiste des technologies de l’information,
les tentatives d’explication spiritualiste du monde
nous ramènent tout droit à l’obscurantisme
religieux et à l’intégrisme. Son livre,
étonnant de vivacité, explore d’innombrables
pistes, scientifiques, philosophiques, mais aussi sociologiques,
culturelles et techniques, n’hésitant pas à
dessiner des scénarios de science-fiction, où
l’humain parvient littéralement à fraterniser
avec la matière, au point de lui communiquer son
intelligence. Nouvelles Clés
Nouvelles
Clés : Votre titre est-il un pied de nez aux astrophysiciens
défenseurs du « principe anthropique fort »,
pour qui les constantes de l’univers sont si finement
réglées (avec la précision, disent-ils,
« d’un archer qui réussirait à
envoyer sa flèche jusqu’au bout de l’univers,
dans une cible d’un mètre de diamètre
»), qu’on est obligé de supposer qu’elles
résultent d’une intention au départ,
sinon carrément d’une volonté divine
?
Jean-Paul
Baquiast : Je ne visais pas forcément ces astrophysiciens
naïfs. Les termes « principe faible » et
« principe fort » sont couramment utilisés
aujourd’hui en science. Mais le principe anthropique
est en effet un bon exemple des raisons qui me conduisent
à défendre le matérialisme scientifique.
Dans sa version faible, ce principe est une évidence,
et même une tautologie : bien sûr que l’univers
est cohérent, qu’il permet la vie et la conscience,
puisque nous sommes là pour le dire ! Et alors ?
D’abord, rien ne prouve que nous soyons seuls –
notre connaissance de l’univers est encore très
partielle – et surtout, rien n’indique que ce
soit le fruit d’une intention, comme le voudrait le
principe anthropique fort en tentant de réinsérer
la parole divine dans le discours scientifique. Comme disent
les statisticiens, gagner à la loterie n’est
pas prévisible au départ, les probabilités
sont infimes, mais si je gagne, j’ai gagné.
La belle affaire ! L’improbabilité de notre
existence ne prouve pas une intention, elle montre que nous
avons gagné, c’est tout.
Mais il y a mieux encore : les constantes qui servent d’indices
à tout ce raisonnement « anthropique »
ne sont pas si constantes que cela ! Elles sont plutôt
les reflets, à un moment donné, de notre connaissance.
Les défenseurs de la « gravité modifiée
», par exemple (elle-même hypothèse),
font l’hypothèse que la force de gravité
ne s’exerce pas de la même façon selon
l’échelle. De même, la vitesse de la
lumière est une limite dans le modèle einsteinien
(l’infiniment grand), mais que devient-elle dans le
monde quantique (l’infiniment petit) ? Comme la célèbre
Constante de Planck pour l’infiniment petit, la gravitation
ou la vitesse de la lumière sont des constantes temporaires,
des paramètres de description d’un univers
aux limites, qui peuvent changer si l’on découvre
d’autres instruments pour appréhender ces limites.
Et c’est là tout le problème : si vous
faites intervenir la volonté divine, plus besoin
de chercher… ce qui signifie la mort de la science
et de l’esprit critique. Car derrière cette
démarche, comme le montrent le retour du créationnisme
et les théories du Dessein Intelligent, il y a la
volonté d’imposer une parole présentée
comme absolue car divine, et donc supprimer la liberté
de pensée, la laïcité, l’égalité
homme-femme, bref tout notre héritage européen
des Lumières, pour le plus grand bien d’intérêts
idéologiques, politiques et économiques.
N.C.
: Ne peut-on pas, sans adhérer à ces théories
extrêmes, relever certains faits qui s’opposent
au matérialisme ? Que pensez-vous, par exemple, de
la remise en question du darwinisme ?
J.-P.
B. : Evidemment, la critique du darwinisme est possible.
Mais elle n’aura rien de scientifique si elle se contente
d’invoquer, comme réponse aux questions qui
se posent, une intention ou des formes présentes
dès l’origine. Les nouvelles recherches montrent
que l’évolution est bien plus compliquée
que ne le pensait le darwinisme classique. Le génome,
par exemple, peut évoluer autrement que sous l’effet
de mutations purement aléatoires. Ainsi, des observations
de plus en plus nombreuses montrent que la « barrière
germinale », réputée étanche
et protégeant l'intégrité de la partie
codante du génome, peut être franchie par divers
facteurs extérieurs (rétrovirus, radiation…),
résultant de l'activité de l'organisme dans
son milieu. On en déduit que le génome est
modifié par son environnement, de la même façon
que s'il avait subi une mutation aléatoire ne tenant
pas compte du milieu. On peut parler d’auto-évolution
ou de co-évolution associant l’organisme et
son milieu, sa niche. Certains expliquent ainsi le développement
du cerveau. À partir de signes symboliques et de
cris, les préhumains ont pu échanger des données
que leur cerveau, par mutation dirigée, a été
entraîné à traiter. Il s’est donc
développé. L’important est de voir que,
dans une perspective plus générale, organisme
et milieu constituent un super organisme – un concept
nouveau en science, qui permet d’appréhender
la complexité.
N.C.
: Mais le théorème de Gödel ou la mécanique
quantique ont bien poussé de nombreux scientifiques
à dire que la réalité nous échappe
et, ontologiquement, nous échappera toujours. Est-il
interdit de penser que derrière, il puisse y avoir
une conscience ?
J.-P.
B. : Je ne dis pas qu’il faille l’interdire.
Mais vous ne pouvez pas dire que cette conscience supposée
soit humaine, ni anthropomorphe, ni divine. Si, quand on
parle de « réel voilé », on veut
dire « Dieu », on stérilise immédiatement
la recherche. Le physicien quantique, en principe, ne fait
pas cela. Il sait qu’il ne voit pas le réel,
car il n’y a pas de « réel en soi ».
Le monde quantique n’est pas un monde newtonien d’objets
en trois dimensions dont on peut faire le tour, c’est
un monde de micro-états qui restent indéterminés
tant qu’ils n’ont pas été qualifiés
grâce à des instruments et un observateur.
Le physicien quantique ne sait pas ce qu’est un photon
en soi : il voit un micro-état quantique qui se manifeste
d’une certaine façon sur son instrument –
et qu’il interprète par sa conscience, d’où
l’interaction entre conscience, instrument et monde
observé. Mais il n’a pas accès au photon
en soi.
N.C.
: Ne croyez-vous pas que le matérialisme, en désenchantant
le monde, en bannissant la quête de sens, fait dangereusement
le jeu des intégrismes ?
J.-P.
B. : Le matérialisme ne désenchante pas le
monde ! Il refuse d’aller chercher de vieux enchantements
et en propose au contraire un autre : la recherche. De même,
aucun matérialiste sérieux ne prétend
que le monde n’aurait pas de sens. Mais quel sens
? Est-ce un sens qui existait avant, que le scientifique
progressivement découvre et révèle
aux autres, comme un prêtre ; ou est-ce un sens qui
se construit spontanément, par l’évolution
du monde ou par l’évolution des humains au
sein du monde? Autrement dit, est-ce que le sens du monde
a déjà été défini, ou
bien est-ce que le monde acquiert tous les jours un sens
qui se construit, notamment par l’action des scientifiques
? Cette notion de construction est fondamentale pour le
matérialisme fort que je défends.
Prenez la robotique qui sera, je pense, la plus grande révolution
du XXI° siècle. Les robots dits « évolutionnaires
» sont aujourd’hui capables de construire, en
utilisant leurs systèmes de reconnaissance des formes,
un langage pour communiquer entre eux. Ce faisant, ils inventent
une culture, ils créent un sens. Le temps viendra
où un robot aura la capacité de reconnaître
et interpréter les signaux émis par les êtres
humains, l’expression d’un visage, le langage
et de prêter des intentions aux autres en fonction
de leurs réactions, ce qui lui permettra d’adapter
son comportement. Il y aura, alors, des interactions. Robots
et humains s’élèveront à un niveau
supérieur de conscience.
L’enchantement est là, dans la recherche de
la compréhension, dans la recherche d’un équilibre,
d’une évolution harmonieuse du vivant pensé
comme partie de l’univers.
Le matérialiste est une ontologie qui n’a besoin
ni d’un dieu créateur pour se définir,
ni de se penser comme le centre ou la finalité de
l’univers. En ce sens le matérialisme est une
position qui demande à la fois un courage certain
et une grande humilité.