Dans
cette page, nous présentons en quelques lignes des ouvrages
scientifiques éclairant les domaines abordés par
notre revue. Jean-Paul Baquiast. Christophe Jacquemin
Laurent
Cohen Tanugi, Guerre ou paix. Essai sur le monde de demain,
Grasset
Laurent Cohen Tanugi est normalien, diplômé de
Harvard, associé au cabinet d’avocats internationaux
Skadden Arps. Il a écrit plusieurs livres et articles
sur les affaires européennes et transatlantiques. La
ministre française des finances Christine Lagarde vient
de lui confier une Mission de réflexion sur l'Europe
dans la mondialisation. Il est donc intéressant d’étudier
les idées que dans son dernier ouvrage, Guerre ou
paix. Essai sur le monde de demain, il propose à
ce sujet.
Ce
ne sera pas faire injure à l’auteur que le classer
parmi les personnalités représentatives en France
d’un « atlantisme » dominant la pensée
politique depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Appelons
atlantistes, très rapidement, ceux qui pensent que la
France et que l’Europe ne peuvent se développer
sainement que dans la mouvance et sous la protection de l’Amérique.
De telles personnalités sont très influentes et
ont toujours été écoutées par les
gouvernements successifs, qu’ils soient de gauche ou de
droite. Elles représentent évidemment des intérêts
économiques et culturels rejetant comme illusoire voire
dangereuse l’idée que l’Europe puisse chercher
en elle-même les ressources d’une puissance et d’une
indépendance suffisante. Aujourd’hui, compte tenu
notamment de la volonté affichée par Nicolas Sarkozy
de se démarquer de la politique de son prédécesseur,
qu’il a condamnée comme une opposition stérile
à Washington, ces personnalités atlantistes pensent
être de nouveau pouvoir orienter la politique française.
Ceci
dit, Laurent Cohen Tanugi a le mérite de se démarquer
des atlantistes à l’ancienne, qui portaient sur
le monde un regard simpliste hérité du temps de
la guerre froide et qui sont assez naïfs pour continuer
à voir dans les Américains, soixante ans après,
les libérateurs de 1944. Pour ces défenseurs de
l'alliance atlantique, les Etats-Unis ayant protégé
l’Occident du péril communiste doivent continuer
à jouer ce rôle tutélaire face à
de nouveaux ennemis assimilés de façon simpliste
aux terroristes islamiques et aux Etats dits voyous qui les
protègent. Laurent Cohen Tanugi veut au contraire montrer
que le monde est en train de se complexifier à une vitesse
considérable, ce qui dément l’illusion de
la fin de l’histoire annoncée par Francis Fukuyama.
Etant très averti des réalités de la géopolitique,
il présente dans les deux premiers tiers de son ouvrage
une description pertinente des nouveaux empires qui sont en
train de se mettre en place dans le cadre de ce que l’on
appelle la mondialisation. On peut contester tel ou tel détail
de la liste des conflits en cours ou prévisibles qu’il
dresse pour nous, mais dans l’ensemble nous ne pouvons
que souscrire à ce tableau. Il serait temps que ceux
des Européens qui ne se sont pas mis encore à
l’heure de cette mondialisation agitée sortent
de leurs illusions sur le village global et les bienfaits d’une
croissance conduite par la main invisible du libéralisme.
Ajoutons que pour nous, cette analyse n'est pas une nouveauté
puisque c'est précisément sur elle que repose
notre exigence d'une Europe Puissance.
Le
diagnostic de l’auteur ne cache pas que les erreurs stratégiques
des Etats-Unis ont considérablement affaibli sa puissance.
Les Etats-Unis resteront un Empire, pour diverses raisons qu’il
nous détaille, notamment la force de son armée
et l’excellence de son appareil techno-scientifique. Mais
ils devront partager avec la Chine et peut-être avec l’Inde
le leadership du monde global, y compris dans ce même
domaine techno-scientifique. L’évolution future
des pays musulmans lui parait difficile à prédire
et possiblement menaçante, du fait notamment de l’instabilité
actuelle des deux grands pays représentant cet axe, l’Iran
et le Pakistan. Quant à l’Europe, ayant renoncé
à assurer son avenir institutionnel par son Non dramatique
au projet de Traité constitutionnel, s’étant
divisée à l’occasion de la guerre américaine
en Irak entre vieille et nouvelle Europe, selon les termes de
Donald Rumsfeld, incertaine sur ses limites géographiques
et culturelles, elle lui parait en risque de disparaître
des radars de l’observation stratégique.
Nous
ne contesterons pas ce diagnostic, trop sommairement résumé
ici. Tout au plus ne serons nous pas d’accord avec l’auteur
quand il considère que Chirac et Schröder, par une
opposition maladroite à G.W. Bush, ont inutilement dégradé
la position diplomatique de l’Europe. Nous pensons au
contraire que cette décision aurait pu marquer la renaissance
de l’Union, dont, n'ayant pas peur des mots, elle a sauvé
l'honneur au regard de l'histoire. Encore aurait-il fallu qu’elle
soit suivie de décisions significatives permettant de
renforcer la compétitivité technologique et militaire
du couple franco-allemand et de l’Union toute entière.
Là
où nous nous séparons radicalement de Laurent
Cohen Tanugi, c’est dans la façon dont il voit
l’avenir de ce que l’on pourra continuer à
nommer l’Occident. Nous pouvons admettre que dans le monde
multipolaire conflictuel qui se met en place, l’Amérique
comme les pays européens puissent représenter
un ensemble de valeurs et d’intérêts résumés
par le terme d’Occident - à condition de ne pas
en barrer l’accès à des pays déjà
proches ou susceptibles de s’en rapprocher, tels que ceux
de l’Amérique Latine ou de la Méditerranée.
Mais nous ne pouvons suivre l’auteur quand il affirme
que l’Amérique doit continuer à jouer presque
exclusivement le rôle de leader ou, pour reprendre son
terme, de sentinelle de la liberté, dans les combats
nécessaires à la défense de cet Occident,
de ses valeurs et de ses intérêts. Ceci voudrait
dire que l’Europe devrait du fait de ses impuissances
congénitales se contenter indéfiniment du rôle
de second. Pour Laurent Cohen Tanugi, ce rôle de second,
disons dans la meilleure des hypothèses de brillant second,
assurerait au mieux l’avenir de l’Europe dans une
mondialisation conflictuelle où seule elle ne pèsera
guère. Aussi bien ne cherche-t-il même pas à
montrer comment l’Europe pourrait, en prenant de l’indépendance
à l’égard de l’Amérique, valoriser
ses atouts dans la perspective d’une recherche de puissance
qu’il juge d’avance illusoire. Nos analyses sur
le besoin d'une souveraineté technologique européenne
ne l'ont pas effleuré.
Nous
pensons qu’il se trompe ou qu’il nous trompe en
faisant miroiter pour l’Europe la possibilité d’un
rôle de second dans la « nouvelle alliance atlantique
» qu’il propose. Les Etats-Unis n’ont ni la
volonté ni même la capacité de partager
leur pouvoir, en quelque domaine que ce soit. Ceci pour des
raisons que nous pourrions qualifier de systémiques et
que nous avons analysées par ailleurs. Nous relatons
régulièrement dans cette revue des incidents ou
déclarations qui le démontrent amplement. Le remplacement
des républicains par les démocrates ne changera
rien à la chose. Les Etats-Unis ne peuvent tolérer
sous eux que des caniches, comme le pauvre Tony Blair l’a
compris à ses dépens. L’Europe doit tracer
sa voie vers la puissance en comptant sur ses propres forces.
La France peut et doit à cet égard lui proposer
des projets ambitieux. Peut-être s’agit-il là
d’un rêve. Nos gouvernements européens, nos
opinions se montreront peut-être en dessous de ce grand
défi. Au moins faudra-t-il essayer. Vouloir capituler
avant le combat relève d’un comportement que nous
ne qualifierons pas ici pour que le débat reste serein.
JPB
Eve
Charrin, L'Inde à l'assaut du monde, Grasset
2007
La
journaliste Eve Charrin, dans ce livre, oppose de façon
très intéressante les voies de développement
suivies par l'Inde et celles suivies par la Chine. Comme il
s'agit des deux superpuissances qui dans les prochaines décennies
joueront un rôle majeur sur l'évolution du monde,
les Européens doivent essayer de comprendre leurs approches.
Concernant la Chine, beaucoup de choses ont été
dites, tant des facteurs de puissance que des faiblesses systémiques
dont elle ne se débarrassera pas de sitôt. N'y
revenons pas ici. Concernant l'Inde, les études sont
plus rares et les erreurs plus répandues. D'où
l'intérêt du livre de Eve Charrin.
Elle
a le mérite de montrer que l'Inde, parfois présentée
comme la plus grande démocratie du monde, est assez éloignée
de nos conceptions iréniques de la démocratie.
La "démocratie" ne concerne que 50 millions
de personnes sur 1 milliard d'habitants. Il s'agit de «
riches » au regard des critères du pays définissant
comme riche un foyer gagnant quelques milliers d'euros par an.
Ces riches envoient leurs enfants dans les meilleures écoles,
puis les font partir à l'étranger pour qu'ils
complètent leur formation, avant de revenir animés
d'une ambition insatiable.
Au
dessus de ces riches se trouvent des super-riches. Il s'agit
d'un certain nombre de grandes familles milliardaires qui se
répartissent le pouvoir politique et le pouvoir économique
(nous avons appris à connaître à nos dépens
la famille Mittal). Leurs représentants sont évidemment
influencés par les Etats-Unis, mais il ne s'agit pas
d'une admiration béate comme on la constate dans les
milieux « atlantistes » français. Ils savent
prendre leur distance (voir notre article précédent
évoquant l'incertitude pesant actuellement sur le pacte
stratégique Inde-USA) . Ils veulent en effet jouer habilement
entre les grands acteurs, Amérique, Russie, Europe bien
sûr, mais aussi les autres puissances émergentes.
L'Université,
pour ceux qui y parviennent, est de grande qualité, meilleure
sans doute que celle de la Chine. C'est une pépinière
pour les inventions faisant appel à la haute technologie.
Elle est en contact permanent avec une diaspora de 20 millions
de personnes vivant à l'étranger et souvent employées
dans des firmes high-tech et des laboratoires de pointe, notamment
aux Etats-Unis. Ajoutons pour notre part qu'un des points forts
de cette élite est qu'elle parle anglais de façon
native. On ne soulignera jamais assez, n'en déplaisent
aux défenseurs d'une francophonie repliée sur
elle-même, qu'il s'agit là , déclin de l'Amérique
ou non, d'un outil indispensable pour naviguer à l'aise
dans le monde en train de se construire.
Pour
le reste des couches sociales, toujours rigidement séparées
en castes difficilement franchissables, ce sont les brahmanes,
assimilables à une classe moyenne, qui poursuivent l'ouverture
économique amorcée en 1971. En bas de l'échelle,
les Intouchables sont et resteront, sauf miracle, durablement
exclus du développement. L'illettrisme (1/3 de la population)
ne préoccupe personne, non plus que ses séquelles,
comme l'esclavage des enfants, récemment remis à
l'ordre du jour par le scandale GAP. Selon l'indice de développement
humain de l'ONU, l'Inde est classée au 127e rang sur
175 pays. Mais cette situation parait, selon Eve Charrin, «
bien acceptée ». L'omniprésence de la religion
joue certainement un rôle déterminant à
cet égard.
Si
l'Inde n'est pas une démocratie à l'européenne,
elle n'est pas davantage une social-démocratie. Autrement
dit les pouvoirs publics, aux différents niveaux central,
régional et local, interviennent peu, sont inefficaces
et souvent corrompus (au regard, encore une fois, de nos critères).
La médecine et la pharmacie sont performantes, mais c'est
uniquement au profit de l'exportation et des riches. La sécurité
sociale publique est inexistante. Les grandes infrastructures,
routières et même ferroviaires, sont délabrées,
de même que l'habitat. La seule exception est le quadrilatère
d'or formé par les villes de Delhi, Bombay, Calcutta,
Madras et Bangalore. Quant à la lutte contre la pollution
et pour la défense de l'environnement, elles ne sont
que matières à articles dans India Today.
On
peut se demander, en lisant Eve Charrin, qui dirige effectivement
l'Inde ? Sans doute pas le seul gouvernement. Sans doute pas
les seules grandes familles industrielles et commerciales. Sans
doute pas les hiérarchies religieuses. Sans doute pas
non plus la presse ni l'embryon d'opinion publique éclairée
qui se forme autour des sites interactifs. Nous pourrions dire
que nous sommes en présence d'un véritable superorganisme,
dont les organes et le fonctionnement restent encore difficile
à identifier tant pour ceux qui en font partie que pour
les observateurs extérieurs. JPB
Steven
Pinker, The Stuff of Thought: Language As a Window into
Human Nature , Allen Lane 2007
Nous
avons plusieurs fois présenté les ouvrages de
Steven Pinker, notamment The
Blank Slate à la recension duquel nous renvoyons
nos lecteurs. Pinker est un spécialiste du langage et
de la cognition. C'est aussi un sociobiologiste évolutionnaire
convaincu. En matière de langage, il considère
donc que celui-ce reflète l'organisation de notre cerveau,
laquelle est innée, cad déterminée par
les gènes propres à l'espèce humaine. En
ce sens il est fidèle à la célèbre
thèse de Chomsky selon laquelle les enfants naissent
avec des capacités câblées dans le cerveau
leur permettant d'apprendre très vite à parler,
ce que les animaux ne peuvent pas faire 1) . Mais il approfondit
cette thèse, laquelle se limite en principe aux capacités
du cerveau à comprendre et utiliser la grammaire. Dans
The Stuff of Thought, il explique que la compréhension
du sens des mots est elle-même câblée à
la naissance. Elle repose sur des significations globales acquises
par l'espèce tout au long de l'évolution. Si le
concept de chien n'est pas câblée, celui d'animal,
associé à des significations comme dangereux,
mangeable, etc. le serait. La mère désigant un
chien à son enfant et le qualifiant de chien permet à
l'enfant d'associer immédiatement la vue et le terme
de chien à une catégorie plus générale
dont son cerveau était déjà porteur. De
la provient la rapidité avec laquelle il apprend le mot
chien et le charge d'un environnement de significations très
riches. Cela ne veut pas dire que les mots décrivent
le monde tel qu'il est, mais seulement al façon dont
à travers l'évolution les humains ont interagit
avec lui.
Pinker
rejette ainsi l'extrème nativisme mais aussi l'extrème
pragmatisme. Ses hypothèses semblent très recevables.
Elles sont cependant contestées par les tenants de la
linguistique évolutionnaire extrème. Pour eux
(notamment Philip Lieberman, auteur de The Biology and Evolution
of Language, 1984) l'expérience acquise par l'individu
tout au long de sa vie est indispensable à l'acquisition
de ce que sont les significations des mots pour lui. Les zones
cérébrales activées par les mots seraient
d'ailleurs les mêmes que celles activées par la
perception des choses et par les activités motrices s'exerçant
à leur sujet.
Nous
présenterons plus en détail ultérieurement
l'ouvrage de Pinker, en reliant ce qu'il veut montrer à
la façon dont les physiciens, à travers le langage
de l'expérimentation et des mathématiques se représentent
l'univers. JPB
1)
Sur les limites rencontrées par les primates dans l'apprentissage
du langage humain, on lira un article très intéressant
du Dr Clive Wynne dans eSkeptic du 31 octobre 2007.
http://www.skeptic.com/eskeptic/07-10-31.html#feature
James
Watson, Avoid boring people, Knopf, 2007
Le
co-découvreur avec Francis Crick de la double hélice
quitte là le style des publications scientifiques pour
livrer ses états d'âme concernant ses relations
sociales et plus généralement l'évolution
politique du monde contemporain. Il se présente évidemment
comme l'antithèse de Craig Venter, avec qui lorsqu'il
était responsable de la partie publique du programme
Human Genome, il a eu de nombreux accrochages. Il exprime aussi
dans cet ouvrage sa foi en la génétique et sa
capacité à comprendre ce qui détermine
en réalité l'être humain, beaucoup moins
libre qu'il ne se l'imagine. James Watson a commis récemment
quelques déclarations sur ce sujet. Il a expliqué
que les Africains noirs souffraient d'infériorité
mentale, sans d'ailleurs définir comment il mesurait
cette infériorité, ni préciser quels critères
définissent pour lui l'intelligence. il a immédiatement
été accusé de racisme et radié de
son poste au laboratoire de Cold Spring Harbor. Par la suite
il s'est excusé. Les réactions s'expliqueraient
par, selon les mots d'Axel Kahn (Le Monde, 31 octobre, p. 19)
par une résurgence actuelle, aux Etats-Unis en particulier,
de la droite déterminiqste anglo-saxonne, un vieux courant
de pensée inégalitariste, scientiste et flirtant
parfois avec le racisme".
Cet
incident ne retire rien, pensons-nous, à l'intérêt
du livre de James Watson, ni à la valeur de la génétique.
Derrière les indignations plus ou moins feintes que suscite
celle-ci (nous voulons dire la science et non les applications
politiques plus ou moins hasardeuses qui en sont faites) se
trouvent aussi des convictions religieuses conservatrices pour
qui l'esprit est une ardoise blanche (Blank slate,
voir ci-dessus) que les prêtres ont le devoir de modeler.
Rien n'est simple, que voulez vous. JPB
Craig
Venter, A life decoded, Viking, 2007
Dans
ce livre, le pionnier du séquençage des génomes
raconte sa vie de chercheur et d'homme d'action que rien manifestement
n'a pu arrêter. On sait qu'il a joué systématiquement
la carte de la recherche privée. Il a fondé en
1992 l'Institute for Genomic Research et en 1998 la compagnie
Celera, consacrée au séquençage du génome
humain. Depuis, il s'est dédié à la biologie
synthétique. Il a d'abord synthétisé le
génome de la bactérie Haemophilus influenza
(provoquant force critiques). En 2007, il est allé
plus loin en fabriquant un chromosome (très largement)
artificiel implanté dans la bactérie Mycoplasma
génitalium, rebaptisée pour les besoins de
la cause Mycoplasma laboratorium. Entre temps, il avait
identifié des espèces marines non encore étudiées,
lors d'expéditions à bord de son propre voilier.
Comme
beaucoup, nous considérions Craig Venter avec suspicion.
Mais manifestement, les critiques qu'il a suscitées venaient
souvent de collègues et d'autorités académiques
jalouses de son talent. En tous cas, ce livre, à condition
de le lire avec la distanciation qui s'impose, offre un modèle
de vie dédiée à la recherche qui devrait
inspirer beaucoup de jeunes chercheurs. JPB
Ted
Niels, Supercontinent: Ten billions years in the life of
our planet, Granta, 2007
L'auteur,
éditeur du magasine Geoscientist, de la Geological Society
of London, résume là les connaissances nouvelles
surprenantes relatives à la dérive des continents
sur Terre depuis que celle-ci s'est formée il y a environ
4 milliards d'années. On considère généralement
que la répartition actuelle des continents provient de
la division d'un supercontinent, la Pangée, qui se serait
produite dans des temps quasi-historiques, 300 à 200
millions d'années avant notre époque. Mais l'étude
d'ailleurs difficile des couches géologiques montre que
le mouvement est cyclique. Tous les 500 à 700 millions
d'années, les continents se fragmentent puis se rassemblent
à nouveau. Il y a 1 milliard d'années existait
un autre supercontinent, baptisé Rodinia, qui s'st morcellé
250 millions d'années plus tard. Précédemment,
d'autres évènements analogues se produisirent,
à partir d'un supercontinent hypothétique, baptisé
Ur, existant il y a 3 milliards d'années.
Le
mouvement se poursuit, puisque les continents dérivent
à une vitesse non négligeable de 15 mm par an.
Nous sommes à mi-cycle. Les hypothèses divergent
concernant la configuration du futur nouveau supercontinent,
déjà baptisé par certains nouvelle Pangée
ou Pangaea proxima. Mais tous s'accordent sur la date
probable, + 250 millions d'années, et sur le fait que
ce nouveau supercontinent sera, comme les précédents,
peu hospitalier pour la vie telle que nous la connaissons. L'homme
aura sans doute disparu et les espèces complexes auront
elles aussi du mal à s'adapter. Il s'agira d'une nouvelle
extinction massive s'ajoutant aux précédentes.
Néanmoins la vie survivra et se complexifiera à
nouveau, en attendant de nouveaux cycles puis la disparition
finale du système solaire. JPB
Benjamin Barber, Comment le capitalisme nous infantilise
Fayard 2007
Benjamin
R. Barber, entre autres titres universitaires et distinctions,
est professeur de Sciences politiques à l’Université
du Maryland. Il préside deux ONG consacrées à
la défense des droits civiques: CivWorld et Demos. Il
conseille régulièrement un certain nombre de grands
dirigeants du monde. Il a publié 17 livres, dont son
classique Strong Democracy (1984, réédité
en 2004) et un ouvrage prémonitoire, encore d’actualité,
Jihad vs. McWorld (1995, avec une préface ajoutée
le 11 septembre 2001).
Dans
ce dernier, il montre que le monde est en train de se structurer
autour de deux vagues opposées, toutes les deux favorisées
par le développement des réseaux de communications.
La première, qu'il nomme le tribalisme, pousse à
l’apparition de multiples communautés géographiques,
ethniques, linguistiques et religieuses. Elles se dressent les
unes contre les autres dans une volonté de rejet réciproque
et d’appel à la guerre sainte. La seconde vague,
désignée du terme de globalisme, cherche à
répandre sur toute la planète les symboles de
la société marchande de consommation, à
base de produits multimedia et de Mac Donald. Ces deux vagues
se séparent de façon irréconciliable mais
dans le même temps elles se rencontrent, souvent dans
les mêmes pays et parfois chez les mêmes individus.
Malheureusement l’une et l’autre sont incompatibles
avec la démocratie qui suppose d’abord la prise
en main des citoyens par eux-mêmes, à l’écart
aussi bien des haines intergroupes paranoïaques que des
comportements acheteurs compulsifs mondialisés.
Dans le nouvel ouvrage qu’il vient de publier «
Consumed: How Markets Corrupt Children, Infantilize Adults,
and Swallow Citizens Whole », W.W. Norton & Co,
2007) traduit en français sous le titre « Comment
le capitalisme nous infantilise », (Fayard), Benjamin
Barber s’en prend plus particulièrement à
ce qu’il appelait précédemment le Mac World,
c’est-à-dire la mise en tutelle de la société
par les industriels producteurs et vendeurs de biens de consommation.
C’est par leur faute que la croissance est dorénavant
associée à celle de la consommation, laquelle
doit au moins augmenter de 5% par an sous peine de crise économique.
Le phénomène est particulièrement oppressant
aux Etats-Unis. Si le consommateur américain ralentit
ses achats, le fabricant américain installé en
Asie (externalisé) ne peut plus payer ses ouvriers asiatiques.
Mais les ressources du consommateur américain ne sont
pas illimitées. Il faut donc qu’il puisse acheter
à crédit. Et qui a intérêt à
lui prêter de l’argent ? L’Etat chinois qui
de cette façon peut maintenir l’emploi dans les
zones industrielles récemment créées pour
satisfaire à la demande occidentale. Elles dépendent
principalement en effet des exportations dans les pays riches
puisque le consommateur chinois n’a pas le revenu suffisant
pour acheter les produits destinés à l’Occident.
A long terme, ce mécanisme n’est pas durable. La
bulle de crédit accumulé finira par crever. Mais
dans l’immédiat il faut continuer à vendre
et donc à emprunter. La publicité joue à
plein dans ce but. Il en résulte une véritable
infantilisation des consommateurs américains (la même
analyse s’appliquant à plus petite échelle
aux Européens). Le capitalisme moderne produit ce que
l’auteur appelle un "ethos infantiliste". Pour
survivre et vendre toujours plus, le capitalisme n'a aujourd'hui
plus que deux solutions : infantiliser les adultes et transformer
les enfants en consommateurs.
Le livre multiplie sur des centaines de pages les exemples de
cette infantilisation et des dégâts durables qu’elle
produit dans les consciences et dans les comportements. Le "capitalisme
responsable" prôné par Max Weber, au service
d’une démocratie politique adulte, qu’il
voyait déjà très menacé dans son
ouvrage de 1995, lui parait désormais durablement sinon
définitivement condamné. Le comportement consumériste
est pour lui inconciliable avec les tendances civilisatrices.
Nous avions précédemment montré que le
philosophe français Bernard Stiegler aboutit exactement
aux mêmes conclusions, en dénonçant la machine
à détruire les identités personnelles que
sont les grandes chaînes de télévision françaises,
au service de Mac Donald et de Coca Cola.
Mais il y a pire. Le consommateur infantilisé est aussi
un égoïste profond, refusant les contraintes des
réglementations étatiques, la prise en compte
des besoins d’autrui et, aujourd’hui, les exigences
du développement durable. Il veut tout, tout de suite
et quel qu’en soit le coût pour la collectivité.
Cette nouvelle haine de l’Etat, instillé dans les
esprits par les industriels et les responsables de leurs campagnes
de communication, a contaminé les esprits des responsables
politiques eux-mêmes. Ceux-ci considèrent dorénavant
que le meilleur service public est celui qui est concédé
à des sociétés privés employant
à grand coût des armées de mercenaires,
y compris dans les fonctions traditionnellement régaliennes
comme la défense et la sécurité.
On voit que Benjamin Barber, vétéran de la science
politique et administrative, rejoint les analyses d’une
jeune journaliste comme Naomie Klein, dont nous avons précédemment
présenté le dernier ouvrage. On dira que les critiques
du néo-libéralisme n’ont pas attendu ces
auteurs pour porter des diagnostics équivalents, sinon
plus sévères. Mais on les entend encore mal dans
les sphères gouvernementales. Il n’est donc pas
mauvais que des personnalités plus insérées
dans l’establishment, comme Benjamin Barber, les rejoignent.
Espérons donc que ce livre, et d’autres analogues,
servent d’avertissement, en Europe et plus particulièrement
en France. Le mal américain dénoncé par
Barber et Klein commence à y faire des ravages : croissance
assimilée à consommation non durable, réforme
de l’Etat assimilée à privatisations, publicité
omniprésente assimilée à culture.
On constate tous les jours, concernant la publicité commerciale,
qu’après la télévision, elle s’empare
dorénavant d’Internet et du téléphone
portable, en ciblant particulièrement les jeunes enfants,
afin d’en faire le plus tôt possible des consommateurs
passifs et des citoyens inconscients. Ce n’est pas avec
ce type de dressage que la jeunesse deviendra capable le moment
venu d’accepter la décroissance des consommations
gaspilleuses et les sacrifices nécessaires à la
prise en compte des besoins collectifs Les seuls sans doute
qui échapperont à son emprise seront, comme le
prévoyait le livre précédent de l’auteur,
Jihad vs. McWorld, ceux qui accepteront de se faire
recruter au service des jihads. Sur ce plan, le monde n’est
pas menacé par la rareté.
Benjamin Barber est moins fécond quand il en vient aux
remèdes possibles à la situation qu’il dénonce.
Il fait appel, dans la tradition du militantisme moral propre
aux pays anglo-saxon, à l’entreprise citoyenne,
au consommateur averti, au microcrédit…Ces réactions
individuelles sont très utiles mais elles ne suffisent
pas. Il n’envisage pas de retour à une intervention
publique modernisée, qu’elle prenne naissance dans
les Etats nationaux, dans les unions d’Etats telles que
l’Union européenne ou au niveau des organisations
internationales. C’est pourtant là que des moyens
à la hauteur des nouveaux enjeux pourraient être
mis en œuvre. Encore faudrait-il qu’un nombre suffisant
de citoyens refusent l’infantilisation et décident
de soutenir des politiques interventionnistes efficaces. La
défense du climat et de l’environnement leur donne
pour ce faire aujourd’hui des arguments très forts.
JPB
*
Le site de Benjamin Barber http://www.benjaminrbarber.com/
Naomi
Klein , The Shock Doctrine, the Rise of Disaster Capitalism
Les historiens
ont présenté à juste titre le régime
soviétique comme une perversion du capitalisme d'Etat
et de l'intervention publique, censés pourtant protéger
les peuples des risques économiques. Mais aujourd'hui,
certains jeunes historiens, parmi lesquels Naomi Klein, dénoncent
le nouveau capitalisme américain comme une perversion
du libéralisme, encore plus dangereux que le communisme,
car c'est le monde entier qu'il met en péril.
Ce nouveau capitalisme américain provoque en effet délibérément
des catastrophes de très grande ampleur, dépassant
les capacités protectrices des institutions publiques
traditionnelles. Il se présente ensuite comme le seul
capable d'offrir les solutions aptes à résoudre
les problèmes qu'il a lui-même fait naître.
Il ne reste plus aux gouvernements qu'à payer les factures,
en diminuant encore les services publics susceptibles de défendre
les populations pauvres victimes des « chocs » imposés
par ces « nouveaux entrepreneurs ».
Naomi
Klein, journaliste politique canadienne, dont nous avions déjà
signalé les analyses pertinentes de ce qu'il faut bien
appeler l'impérialisme américain (l'unilatéralisme...),
vient de publier un nouveau livre, « The Shock Doctrine,
the Rise of Disaster Capitalism » où elle
présente les résultats de quatre ans d'étude
d'un capitalisme américain en train de devenir un fléau
mondial.
Elle
y montre que celui-ci s'est converti à l'ultralibéralisme
après la seconde guerre mondiale, dans la suite des conseils
dispensés par Milton Friedman et ses disciples. Le capitalisme
américain a ainsi définitivement récusé
les analyses de Keynes, pour qui l'Etat doit intervenir en cas
de crise afin assurer le développement et la croissance.
L'Etat et ses institutions sont devenus pour ce capitalisme
de combat l'ennemi à abattre. Les impôts qu'ils
perçoivent pour le fonctionnement des services publics
et de la protection sociale détournent des ressources
qui pourraient rémunérer plus efficacement les
entreprises capitalistes privées.
Mais
comment convaincre les citoyens du fait qu'il vaut mieux remplacer
les services publics par des sociétés privées,
dans tous les domaines, y compris les plus régaliens
tels que la justice, l'enseignement, la sécurité
et la défense. Il faut provoquer des catastrophes d'une
ampleur suffisante pour que les vieux systèmes administratifs
hérités du droit public européen soient
débordés et s'effondrent d'eux-mêmes. Les
entreprises privées, offrant des solutions prétendument
modernes parce que soi-disant en concurrence et technologiques,
apparaîtront alors comme les seules capables d'assurer
la sécurité disparue. Mais elles le feront au
prix fort et au seul profit des privilégiés. La
grande majorité des citoyens pauvres seront abandonnés
à eux-mêmes, dans la misère, la maladie
et les tentations de la criminalité.
Pour
Naomi Klein, la mise à l'essai de cette brillante façon
de trouver de nouvelles sources de profit capitalistique s'est
faite aux Etats-Unis dès les années 70. Mais c'est
l'invasion de l'Irak, elle-même présentée
comme une réponse aux attentats du 11 septembre (provoqués
ou non), qui a inauguré un mécanisme d'ensemble
visant à déstabiliser le Moyen-Orient et à
mondialiser les menaces dites terroristes. Les intérêts
pétroliers américains avaient soutenu cette invasion,
dans l'espoir d'en profiter pour imposer durablement leur emprise
sur les gisements de la zone. Mais aux yeux de Naomi Klein,
ils avaient été naïfs et n'avaient pas vu
que le système était bien plus ambitieux et pervers
: détruire de fond en comble la société
irakienne et par contagion les sociétés voisines,
générer le terrorisme dans toute la Méditerranée,
créer une instabilité quasi planétaire
devant laquelle les Etats (y compris l'Etat fédéral)
et leurs moyens, civils et militaires, se révèleraient
impuissants.
Alors
l'ère des entreprises privées vendant aussi bien
les grands équipements et les matériels que les
mercenaires et les conseils aux gouvernements viendrait enfin.
Les noms des bénéficiaires de ce nouveau capitalisme,
dont les dirigeants sont placés au plus haut de la hiérarchie
politique américaine, sont dans tous les esprits aujourd'hui.
C'est ceux qui composent le dénommé « gang
de la zone verte » censée protéger les implantations
diplomatiques à Bagdad : Halliburton, Blackwater, Parsons,
Fluor, Shaw, Bechtel, CH2M Hill.
Aussi
spectaculaire que soit devenu le remplacement de l'ancien pouvoir
de l'Etat fédéral par ces compagnies mercenaires,
il ne s'agit que de l'écume d'un phénomène
bien plus profond. La crise Irakienne, même envenimée
et transformée en crise Iranienne par les activistes
du Pentagone, ne représentera pas encore un choc suffisant
pour faire sombrer définitivement les institutions publiques
et permettre l'avènement aux responsabilités mondiales
suprêmes du nouveau capitalisme américain. Pour
Naomi Klein, dont nous ne sommes pas loin de partager les analyses,
c'est la grande crise environnementale et climatique qui offrira
le choc de l'ampleur nécessaire.
Si
cette crise ne vient pas assez vite et ne provoque pas des catastrophes
assez grandes, telles que celles dépeintes par le film
du nouveau Prix Nobel de la Paix Al Gore, il faudra la provoquer.
Pour cela, la méthode la plus efficace consiste à
nier le risque, encourager aux Etats-Unis et dans les autres
grands pays pollueurs les industries les plus destructrices,
et... attendre un tout petit peu. Attendre les inondations,
incendies famines, révoltes qui ne manqueront pas de
se produire à grande échelle et rapidement dans
le monde entier. Il sera temps alors de proposer aux élites
des pays riches les meilleures solutions technologiques et politiques
leur permettant de sauver leurs meubles.
Le
lecteur dira que croire à la réalité d'un
tel schéma relève d'une paranoïa anti-américaine
bien injuste. Mais les mois d'enquêtes sur le terrain
menées par Naomi Klein montrent bien que c'est ainsi
que le capitalisme américain a, sinon provoqué
l'ouragan Katrina à La Nouvelle Orléans, du moins
exploité ses suites. La leçon ne sera pas perdue
et tout ce qui pourra générer de nouveaux ouragans
aussi dévastateurs sera considéré comme
une bonne nouvelle par ces nouveaux apprentis sorciers. D'où
l'entêtement persistant de la Maison Blanche qui les représente
à refuser le Protocole de Kyoto et ses suites. JPB
Sources:
* http://www.huffingtonpost.com/john-cusack/the-real-blackwater-scand_b_67741.html
* http://www.naomiklein.org/shock-doctrine
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