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Humour
L'effet
papillon dans l'effet papillon !
|
Stéphane
Jourdan, né en 1957, a une formation d'ingénieur
en agriculture et un DEA en écologie. Il
a résidé de longues années
à Tahiti et aux Marquises et vit actuellement
en Nouvelle Zélande.
C' est avant tout un naturaliste, passionné
des sciences en général. Il s'intéresse
en particulier à l'Evolution biologique,
la linguistique du français et des langues
polynésiennes, la toponymie et les migrations
polynésiennes, les mathématiques
ayant une composante graphique, la physique, l'évolution
des civilisations et le progrès de l'humanité.
Il a déjà publié 3 articles
dans automates-intelligents.
Stéphane
Jourdan: stefjourdan@caramail.com
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Nous avons tous entendu parler de l'effet papillon. Ce soit-disant
principe scientifique est devenu un lieu commun, un cliché
que les journalistes emploient à tout bout de champ
pour donner à leur articles une touche hi-tech. Pourquoi
l'effet papillon est-il ainsi devenu aussi galvaudé
! Ne serait-ce pas un effet collatéral du réchauffement
(qui empêche un bon refroidissement des cerveaux) ?
Dans cet article nous essaierons de tirer une hypothèse
scientifique de la grande vulgarisation du prétendu
effet.
D'ou
vient l'effet Papillon ?
Le
terme viendrait du titre d'une conférence donnée
en 1972 par Lorenz, un météorologue considéré
comme un des redécouvreurs de la théorie du
chaos. Le
titre de cette conférence, une métaphore pour
certains (mais la rumeur oriente plutôt vers une boutade
destinée à réveiller les auditeurs...)
était «Prédictibilité: le battement
d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une
tornade au Texas?» (Predictability: Does the Flap
of a Butterfly's Wings in Brazil Set off a Tornado in Texas)
Selon
certains ce titre n'aurait même pas été
vraiment décidé par Lorenz lui-même mais
par l'organisateur du colloque et quand Lorenz s'en serait
aperçu, il aurait été trop tard pour
le rectifier. Quoiqu'il
en soit, au cours de cette conférence, Lorenz lui-même
s'est paraît-il employé à minimiser la
portée de cet énoncé (qu'un battement
particulier des ailes d'un papillon particulier puisse provoquer
des phénomènes météo) puisque
:
-
le même papillon battait des ailes toute la journée
- d'autres papillons en faisaient autant
- d'autres animaux, à commencer par nous même,
déplaçaient beaucoup plus d'air qu'un simple
papillon, etc.
L'effet
Papillon a-t-il un caractère scientifique, existe-t-il
vraiment ?
Le
sujet de la conférence de Lorenz était de montrer
une application particulière du “principe de
la sensibilité aux conditions initiales”, bien
connu par ailleurs en physique (mais aussi dans la vie courante
: se lever du pied gauche). En fait, dans le cas particulier
exploré par Lorenz - qu'il nomma les attracteurs étranges
- les comportement d'une équation mathématique
(aux paramètres de laquelle une petite variation est
appliquée au départ) quoique numériquement
distincts, sont en pratique remarquablement similaires et
parallèles (ce fait est bien visible sur les images
proposées par la page de wikipedia en anglais : http://en.wikipedia.org/wiki/Butterfly_effect).
Par la suite, il a été confirmé que l'analyse
scientifique de l'évolution imprévisible des
systèmes météorologiques, qui empêche
la vision de leur évolution à court terme (8
jours), attribuait plutôt ce fait à un comportement
inhérent à ces systèmes, et non à
la méconnaissance des conditions initiales. D'ailleurs
il est aisé de voir que de tels systèmes, comme
d'autres systèmes chaotiques, sont en fait caractérisés
par l'émergence d'une stabilité à moyen
et long terme (mois - années) et non d'un chaos de
plus en plus grand (la courbe bleue et la courbe jaune sur
l'image sont remarquablement similaires, même si elles
diffèrent pour toujours...). C'est ce qui permet d'ailleurs
de décrire des climats : les événements
météorologique en un lieu donné se succèdent
de façon aléatoire et avec une amplitude imprévisible
mais leur compilation statistique n'en donne pas moins une
résultante assez stable, le climat local, qui est bien
étudié a posteriori avec les outils statistiques
classiques. L'existence réelle de ce climat local est
aussi corroborée par le caractère particulier
de la végétation, qui se comporte comme une
sorte d'intégrateur biologique.
De
toute façon, le bon sens nous dit qu'avant d'explorer
si réellement un battement d'aile à Rio pouvait
provoquer une tornade au Texas, il aurait fallu étudier
si un battement d'aile au Texas pouvait déjà
avoir ce résultat !
Pourquoi les écrivains
et les journalistes ont-ils tant parlé de l'effet
papillon?
De
nombreux livres et films ont exploité l'idée
de la sensibilité aux conditions initiales dans leur
intrigue, généralement en conjonction avec
un voyage dans le temps, et cela avant la grande vulgarisation
de l'effet papillon par les journalistes. A un moment de
l'histoire racontée dans ces livres ou films, un
personnage modifie volontairement (avec des intentions bonnes
ou mauvaises) ou involontairement, un ou plusieurs paramètres,
souvent anodin au départ, mais menant souvent à
la mort d' un animal ou d'une personne...
Une variante est d'empêcher la rencontre de deux personnes
(Il va de soi que l'événement à éviter
à tout prix dans une entreprise de ce genre est de
se rencontrer soi-même ou encore ses propres parents,
ce dont les films raffolent évidemment). De retour
à son époque, le héros trouve en général
le monde modifié d'une manière incroyable, ce
qui permet d'agrémenter l'histoire de nombreux événements
qui seraient autrement difficiles à justifier dans
le scénario...
Les
pages de Wikipedia nous donnent la liste de tous les films,
romans ou autres BD qui ont exploité une variante
de l'effet papillon (le site en anglais cite d'ailleurs
des oeuvres qui ne sont pas reprises sur la page en français
(pour passer de l'une à l'autre il suffit de cliquer
sur le lien des langues à gauche).
Notons
encore que ces modifications du passé engendrant
un bouleversement de l'avenir n'ont rien de météorologique
et ne concernent pas non plus un décalage de lieu
: l'action et l'effet ont une unité de lieu et c'est
finalement du théâtre car grâce au voyage
dans le temps, on respecte en pratique une unité
de temps.
Ces
procédés littéraires ne correspondent
pas réellement à ce qu'on attend d'un effet
papillon : une modification contemporaine ou presque à
ses conséquences (mais il est vrai que le paradigme
de départ ne dit pas au bout de combien de temps le
battement d'aile donne l'ouragan...) mais éloignée
de son point de départ. Toutefois j'utiliserai dans
la suite de cet article cette nouvelle acception, même
si on peut la considérer seulement comme une analogie
au vrai effet papillon.
Dans
son article très comique mais aussi très bien
documenté de 1995 : “la chasse à l'effet
papillon, Nicolas Witkowski (http://www.tribunes.com/tribune/alliage/22/witk.htm
cité par wikipedia) a étudié l'origine
possible du choix du papillon (qui aurait longtemps été
une mouette). Remarquant que dans une nouvelle de Bradbury
datant de 1948, c'était déjà un papillon
que le voyageur dans le temps avait tué sans s'en rendre
compte ou encore que Poincaré avait déjà
parlé de cyclone, il découvre que les courbes
engendrées par les attracteurs étranges –
regardez à nouveau l'image - de Lorenz ressemblaient
à des Papillons...il vaudrait mieux dire, à
des demi-papillons !
Witkowski recense encore plaisamment (sans prétendre
être exhaustif) les différentes variantes géographiques
(il décèle une africanophobie et une américanophylie
dans notre effet), climatiques (on passe par toute la gamme
des orages, des ouragans, des cyclones sans oublier les
tempêtes de neige et les raz de marée, on verra
qu'on peut aller plus loin...) et plus rarement biologiques
(l'animal est quelquefois une libellule). Enfin il s'indigne
d une tendance américano-américaine à
centrer la cause, le papillon en fait, hors des Etats-Unis
mais les dégâts, au contraire, dans la mère
patrie !
L'effet
Papigé ?
Là
où Witkowski est moins profond c'est quand il tente
d'expliquer d'où vient ce foisonnement incroyable
de citations (en pratique souvent de réappropriations
avec modification de l'énoncé ) de l'effet
papillon :
“L'ampleur
de ce phénomène médiatique, qui déborde
largement le cadre scientifique, montre à l'évidence
que le concept de chaos fait vibrer quelque fibre mythique
ou à tout le moins qu'il entre en résonance
avec des préoccupations essentielles.”
Sa théorie s'arrête là !
Selon
nous au contraire, le succès de l'effet papillon
est à attribuer à une toute autre cause :
l'effet Papigé !
Pour
mieux comprendre la nature de cet effet, qui sera énoncé
à la fin de l'article, examinons maintenant une des
dernières manifestations de l'effet papillon, qui
n'existait pas, il est vrai, à l'époque de
l'article de Witkowski !
Dans
un “Bloc-note” du journal Le Point (n° 1781
du 2 novembre 2006) le philosophe et essayiste français
Bernard-Henry Lévy a proposé que l'effet papillon
était une “loi établie par les théoriciens
du chaos et qui veut qu'un battement d'ailes de papillon
au Brésil puisse déclencher un tremblement
de terre à Kobe”
On
remarque que pour notre philosophe, et contrairement à
l'américanisme attribué à l'effet par
Nicolas Witkowski (cf. http://www.tribunes.com/tribune/alliage/22/witk.htm),
l'action
démarre bien en Amérique (du Sud) mais se propage
centripètriquement en Asie, dans un événement
réel de surcroît, cas qui n'avait jamais été
présenté à ma connaissance. De plus on
est frappé par le surprenant saut théorique
entre une conséquence habituellement météorologique
(ouragan, déluge, tornade) et un phénomène
sismique. Certes, il y avait déjà le cas cité
par le Nouvel Observateur en 1994 dans lequel Jean-Edern Hallier
(pas moins) avait évoqué un papillon en Amazonie
provoquant un raz de marée au Mexique (cité
par Witkowski).
On
peut dire à la décharge de JEH qu'un raz de
marée, disons une augmentation du niveau de la mer,
peut effectivement être liée à un cyclone,
comme on l'a vu à la Nouvelle Orléans, quoique
les raz de marée les plus dévastateurs soient
plutôt liés à des tremblements de terre,
comme en Indonésie.
Par
ailleurs il n'est pas impossible que, réellement, le
déclenchement de certains séismes soit à
mettre en relation avec une pression atmosphérique
particulièrement faible en un point donné et
à un moment donné influant sur la croûte
terrestre, ce qui enlève à l'énoncé
de BHL sa nature si poétique et pourrait en faire une
vraie théorie scientifique, s'il l'avait conçue
à cette fin, ce qui est douteux.
Un
nouveau paradigme
Bizarrement,
et contrairement à ses observations de départ
et à ce que son article montre du début à
la fin, Witkowski finit par trouver que les différents
ressasseurs de l'effet papillon n'ont pas fait preuve de tant
d'originalité que cela ! Il déplore que le bel
effet soit utilisé sans discernement et sans adaptation,
y compris dans l'univers des neurones ou des individus humains...
A
l'opposé, l'article de Wikipedia dans son paragraphe
: Nouveau Paradigme, sous-entend que la montée de
popularité de l'effet papillon serait due à
son utilisation comme métaphore sociale.
Nous
proposons ici une troisième interprétation
:
Le
fait que l'effet papillon soit devenu si populaire, sa réutilisation
dans de nombreux domaines, à la limite de l' artistique,
dans les sciences sociales aussi bien que dans les sciences
dures (du moins dans les articles qui s'y réfèrent)
ressortent à l'évidence d'un fascinant effet
d'amplification : une mise en abyme dont Witkowski ne paraît
pas s'être aperçu :
Quel
que fut le vrai événement fondateur de l'histoire,
de l'anecdote, elle a été colportée à
tout moment comme une légende urbaine et ce qui est
remarquable, c'est que sa dissémination, une tempête
intellectuelle dans la tête des journalistes et vulgarisateurs,
s'est produite elle-même selon le modèle physique
envisagé (mais ici dans le monde mental) : le battement
de langue d'un écrivain ou d'un organisateur de colloque
s'est transformé en grand courant de vent !
C'est
donc pour distinguer l'effet papillon de sa propre dynamique
de vulgarisation qu'il importait d'introduire un nouveau
concept pour le deuxième phénomène;
l'effet Papigé.
Cet
effet ou principe s'exprime de la manière suivante
:
“
Une théorie d'apparence scientifique sera d'autant
plus propagée dans le grand public que :
1 les sciences supposées être en question échapperont
complètement à ceux qui la répètent;
2 sa formulation sera plus poétique, permettant ainsi
une appropriation suivie de réinterprétation,
permutation, etc.
L'effet
Papigé tire naturellement son nom du milieu dans lequel
il se propage : ceux qui n'ont pas pigé...
La
météo commence à se dégrader sérieusement
à Auckland, d'où j'écris cet article,
et comme j'entends le vent siffler par-dessous les portes
et les fenêtres de ma maison, je commence à me
demander si quelqu'un n'a pas malencontreusement démoli
une maison à Kobe (ébranlée par le dernier
tremblement de terre ?) écrasant ainsi malencontreusement
un papillon ???

Image précédente (voir plus
haut) manipulée par l'auteur
voir
d'autres images papillonesques :
http://www.viewsfromscience.com/documents/webpages/chaos_p3.html
http://www.urbanhonking.com/universe/archives/earth_life/