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Sciences,
technologies et politique
Sur l'agrobiologie
par Joël
Gernez
Management & Organisation
joelgernez@free.fr
14470 Courseulles sur Mer
20/07/07
|
Nous
avons demandé cet article à un de nos correspondants,
Joël Gernez, pour préciser concrètement
les possibilités de l'agrobiologie. Le débat
est en effet ouvert dans notre revue suite à la présentation
du livre Pesticides dans le numéro précédent
(http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2007/82/pesticides.htm).
L'auteur précise qu'il n'est pas un expert de l'agrobiologie,
mais un qualiticien intéressé par les méthodes
d'organisation et de travail. Ancien vétérinaire
rural, bien au fait des données humaines et économiques
de l'agriculture intensive, il a suivi pendant plusieurs
années des éleveurs biologiques normands en
essayant de leur faire découvrir eux-mêmes
leurs méthodes de travail. AI
L'un
des objectifs de l'agrobiologie est d'éviter tout
recours aux intrants de synthèse (engrais, pesticides,
médicaments). De ce fait elle est avant tout un ensemble
de bonnes pratiques agronomiques, agro-environnementales
et hygiéniques.
C'est un bon exemple de la mise en oeuvre de méthodes
préférentiellement à l'utilisation
de produits
Quatre
exemples illustrent la démarche :
Le
plus classique est la pratique du "faux semis"
préférée au semis de graines enrobées
de pesticides :
on prépare le sol comme pour semer (du blé ou
autre), mais on attend que les graines de mauvaises herbes
lèvent pour les détruire à 80% par un
hersage. Alors seulement on sème le blé, qui
lève et se développe dans un sol propre avec
une concurrence réduite. C'est plus difficile (aléas
météo) mais plus astucieux et moins polluant
que les graines enrobées. A terme c'est beaucoup plus
efficace : absence d'apparition de résistances aux
herbicides, pas d'effets secondaires du pesticide sur la microflore
et la microfaune du sol, pas besoin de blé OGM...
En
élevage de ruminants on résout les problèmes
de parasitisme en permettant un contact modéré
entre hôte et parasite de façon à maintenir
l'immunité, plutôt qu'en essayant de détruire
le parasite par des médicaments, lutte très
coûteuse et éternelle fuite en avant. Les pratiques
de pâturage tournant et de bonne gestion des bandes
d'animaux permettent de se passer à 95% de produits
antiparasitaires, ce qui évite des résistances
ainsi que des conséquences néfastes sur les
prairies (réduction de la flore et la faune coprophages.
En Australie, aux USA et depuis peu en Europe des milliers
d'hectares de prairies sont appauvries par la rémanence
dans les bouses de résidus d'antiparasitaires, en
particulier des ivermectines).
Un
céréalier agrobiologiste beauceron avouait modestement
devant un technicien de la Chambre d'Agriculture de l'Eure
et Loir ne pas savoir comment traiter en bio une "attaque
de rouille" (maladie cryptogamique) sur ses blés,
mais, disait-il, "c'est parce que je n'en ai jamais"
puis il exposait très précisément ses
méthodes de prévention.
Au
jardin un bon moyen d'éviter le ver de la carotte
est d'alterner lignes de carottes et lignes de poireaux
(semés au bon moment) car la mouche de la carotte
ne vole pas à plus de 10-15cm d'altitude ; elle est
arrêtée par les "haies de poireaux",
c'est plus élégant que les insecticides.
Ces
pratiques nécessitent beaucoup d'observation, de
compétence et de motivation
Une
étude sur la fréquence des mammites (inflammation
chronique de la mamelle des vaches) dans les élevages
a montré que l'ensemble des éleveurs conventionnels
maîtrise "moyennement" ce problème,
à grand renfort de produits antibiotiques et antiseptiques.
Chez les bio, qui utilisent dix fois moins de produits,
on distingue deux groupes bien différents : un groupe
qui maîtrise plutôt mal et l'autre groupe qui
maîtrise plutôt bien. Ce dernier groupe est
composé en majorité d'éleveurs plus
jeunes, plus productifs, et qui suivent plus de formations
que les précédents.
Au total, les bios maîtrisent les mammites au moins
aussi bien que les conventionnels (mais pas beaucoup mieux,
il y a encore du travail !).
Les
études statistiques sur les reconversions montrent
que ce ne sont pas les paysans les plus anciens et les plus
traditionnels qui passent à l'agrobiologie. Au contraire
il s'agit des plus modernes, parfois les plus intensifs,
qui prennent un virage radical et qui, performants selon
les critères du système intensif, deviennent
également performants dans le système agrobiologique.
On trouve aussi un nombre significatif de néoruraux
dotés d'un bagage scientifique conséquent.
Cette constatation va à l'encontre des arguments
qui décrivent la bio comme un retour au passé.
Bien au contraire il s'agit d'une agriculture très
avancée et très moderne. On est surpris, lorsqu'on
parle avec de bons agrobiologistes, de la somme de méthode
et d'astuce mise en jeu dans les moindres détails
pratiques, alors que les agriculteurs conventionnels ont
surtout fait des progrès dans la connaissance des
produits et des dosages.
Efficacité
économique : il y a quelques années un éleveur
bio laitier du département de la Manche, qui nourrissait
ses vaches exclusivement à l'herbe et au foin toute
l'année, sans aucun apport de soja ou céréales,
démontrait que son revenu, obtenu avec un quota de
200 000 litres sur une ferme de 65 hectares, était
le même que celui de son voisin conventionnel installé
sur une surface plus importante, disposant de 400 000litres
de quota et utilisant ensilages et concentrés. Ce résultat
était dû à une compétence exceptionnelle
(on vient de loin observer ses prairies, et apprendre comment
chaque parcelle d'herbe doit être surveillée
tous les jours, au prix d'une dizaine de km de marche à
pied). Depuis, avec l'arrivée de ses fils, il a fallu
augmenter le troupeau, acheter de la terre et la reconvertir.
il a connu des moments difficiles mais aux dernières
nouvelles la performance revient.
Pour
autant il n'y a pas de modèle unique et les ensilages
bien conduits et utilisés en petites quantités
ont leur place, y compris l'ensilage de maïs, dont
les rendements en bio dépassent régulièrement
ceux obtenus en conventionnel. La recette ? Pas de monoculture,
introduction de prairie et de légumineuses dans la
rotation, engrais verts, compostage du fumier, travail du
sol fractionné et sans compactage, etc., un itinéraire
technique obligatoirement plus complexe que labour/semis/engrais
et pesticides voire OGM, mais tellement plus stimulant et
plus durable.
L'agrobiologie
nécessite qu'une partie du savoir se développe
sur place, à la ferme, au lieu d'être externalisé
puis réintroduit sous forme d'intrants. Ce n'est
pas le modèle qui a été développé,
en France en particulier, depuis 50 ans, et dans les organismes
de conseil technique publics ou privés. C'est un
changement de mentalité difficile à opérer.
Sur les 11 traitements enregistrés en conventionnel
sur une parcelle de carottes, 8 étaient préconisés
par un technicien, 3 seulement par le libre arbitre du producteur.
L'agrobiologiste ne demande pas à un organisme de
surveillance des ravageurs de l'alerter par e-mail des "attaques"
de pucerons sur son tournesol avec préconisation
des produits et des doses, car d'une part ces problèmes
sont rares, et d'autre part il aimerait que la recherche
se consacre plutôt aux méthodes préventives
: existe-il une succession de cultures ou une association
propre à réduire les populations de pucerons
sur cette parcelle compte tenu de la nature du sol, de l'hydrologie,
de la climatologie etc.? Voilà une question d'avenir,
évidemment plus ardue que "quel est le produit
miracle?" car le produit miracle on en trouve un chaque
année.
Malheureusement, dans le système économique
actuel la solution "produit" possède un
certain nombre d'avantages : les tonnes de produit vendues
génèrent du PIB, beaucoup plus que les salaires
des chercheurs en écologie microbienne ou entomologique...
Par
ailleurs, de plus en plus d'études objectives confirment
le bien fondé à terme des pratiques bio et la
valeur nutritionnelle des produits bio. La bio a longtemps
été pénalisée par une image empirique,
traditionaliste ou "baba-cool" ; ce n'est plus le
cas, et même s'il persiste des pratiques un peu "ésotériques"
la qualité principale du bon agrobiologiste est la
rigueur. Laisser faire la bonne nature, certes, mais en comprenant
ce qui se passe et en donnant le petit coup de pouce au bon
moment, sous forme de méthode et non de produit.
La bio ouvre un champ de recherches immense et passionnant,
y compris dans domaines comme la biodynamie inspirée
des "révélations" de Rudolf
Steiner ou les cristallisations sensibles. L' INRA a
du travail devant lui...
La
bio, agriculture pour une petite élite de paysans
hypercompétents et hypermotivés ? le problème
est réel. Mais il n'y a rien de mystérieux
dans la bio, tout s'apprend et s'explique un jour ou l'autre.
Les éleveurs qui franchissent le pas sont surpris
de voir la pathologie diminuer très vite dans leur
troupeau en 3-4 ans, mais ils disent qu'il faut 5 à
10 ans pour se sentir vraiment à l'aise sur le plan
agronomique.
Des études sont à mener sur la flore microbienne
du sol, des fourrages et des productions (produits laitiers
ou à base de viande). Il semble qu'il existe une
continuité en ce domaine et que les flores les plus
intéressantes (pour les fromages, par exemple) soient
celles qu'on retrouve dans les sols les mieux conduits.
Lorsqu'une firme pharmaceutique écrit dans le dossier
d'AMM (autorisation de mise sur le marché) d'une
molécule antiparasitaire "absence d'effets secondaires
à la dose thérapeutique", il ne s'agit
que des effets immédiats sur le bovin traité.
Il faut maintenant mesurer les effets à long terme
sur l'ensemble de l'écosystème (la prairie,
les insectes, les oiseaux qui s'en nourrissent et leurs
prédateurs, les eaux de ruissellement et d'infiltration,
les poissons etc.) non seulement de la molécule d'origine
mais aussi de ses résidus après métabolisation.
Nous voici au bord de la polémique, mais comment
l'éviter si nous restons rigoureux ?
Dans un prochain article, nous parlerons plus précisément
de deux questions avec des experts :
- l'agrobiologie peut-elle nourrir le monde ?
- quel est le "rendement économique et social"
de l'agrobiologie : coûts de revient et création
d'emplois ?
Pour
en savoir plus
Quelques sites de référence :
la FAO
http://www.fao.org/organicag/default-f.htm
http://www.fao.org/organicag/frame5-f.htm
site
de l'ITAB (France) http://www.itab.asso.fr/
site
de la FNAB http://www.fnab.org/
site
de la FIBL (Suisse) http://www.fibl.org/francais/index.php