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Article
Sur les cerveaux de Boltzmann
par Jean-Paul Baquiast
22/08/07
|
Voir
aussi notre article : Pourquoi les lois fondamentales de
la physique paraissent-elles ajustées pour permettre
la vie et la conscience ?
http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2007/82/anthropique.htm

Ludwig Eduard Boltzmann
Un
article récent de Mason Inman, dans le NewScientist
du 18 août 2007, p. 20 (voir Spooks
in Space ) soulève un curieux problème,
qui ne semble intéresser que quelques rares cosmologistes
théoriciens du multivers, tels Don Page et Andrei
Linde. Il s’agit d’une hypothèse selon
laquelle les fluctuations de l’énergie du vide
pourraient faire apparaître de façon aléatoire
des « observateurs » dits Boltzmann Brains,
lesquels pourraient venir en concurrence avec les observateurs
humains dans l’observation de l’univers.
Le
concept de cerveau de Boltzmann, ou Boltzmann Brain,
dénommé aussi paradoxe du cerveau de Boltzmann
(qu’il ne faut pas confondre avec le concept de machine
de Boltzmann désignant un certain type de réseaux
de neurones) a été développé
récemment à partir d’une intuition déjà
ancienne due à Ludwig Boltzmann (1844-1906).
Un cerveau de Boltzmann serait une entité consciente
née d’une fluctuation aléatoire provenant
d’un état fondamental de chaos thermique. Boltzmann
ne connaissait évidemment pas la physique quantique.
Mais il avait cherché à comprendre pourquoi
nous observons un haut degré d’organisation
dans l’univers (ou bas niveau d’entropie) alors
que la seconde loi de la thermodynamique professe que l’entropie
devrait augmenter sans cesse. Dans ce cas, l’état
le plus probable de l’univers devrait être proche
de l’uniformité, dépourvu d’ordre
et présentant par conséquent une entropie
élevée.
Boltzmann avait formulé l’hypothèse
selon laquelle nous-mêmes et notre univers, nous serions
les résultats de fluctuations se produisant au hasard
au sein d’un univers à entropie élevée.
Même au sein d’un état proche de l’équilibre,
on ne peut exclure de telles fluctuations dans le niveau
de l’entropie. Les plus fréquentes seraient
relativement petites et ne produiraient que de bas niveau
d’organisation. Mais occasionnellement, et de façon
de plus en plus improbable en fonction de l’élévation
du niveau d’organisation, des entités plus
organisées pourraient apparaître. Pourquoi
n’en observons-nous pas davantage ? Parce que vu les
dimensions considérables de l’univers ces entités
hautement organisées sont très rares à
notre échelle d’espace-temps. De plus, par
un effet de « sélection », nous ne voyons
que le type d’univers hautement improbable qui nous
a donné naissance, et non d’autres éventuellement
différents. Il s’agit là de l’application
avant la lettre, par Boltzmann, du principe anthropique
faible.
La concurrence de niveaux
d’organisation moins élevés
Ceci conduit au concept de cerveau de Boltzmann. Si le niveau
d’organisation de notre univers, comportant de nombreuses
entités conscientes, est le résultat d’une
fluctuation au hasard, son émergence est bien moins
probable que celle de niveaux d’organisation moins
élevés, seulement capables de générer
une seule entité consciente, elle-même plutôt
rustique. Ces entités devraient donc être d’autant
plus nombreuses que serait élevée la probabilité
de leur apparition. Ainsi devraient exister des millions
de cerveaux de Boltzmann isolés flottant dans des
univers faiblement organisés. Il ne s’agirait
pas nécessairement de cerveaux tels que nous les
connaissons, mais seulement de structures suffisamment organisées
capables de jouer le rôle d’observateurs tels
que le sont les humains quand ils observent leur univers.
C’est ici que l’on rejoint la science moderne,
notamment la cosmologie. Celle-ci postule que ce que nous
observons, donnant naissance aux lois de la physique, s’applique
à l’univers tout entier. Dans la physique «
réaliste », l’univers « en soi
», existant indépendamment des observateurs,
est donc conforme à ce que nous observons. Pour notre
part, dans le présent article, afin prendre en compte
la relation entre l’observateur et l’observé
introduite par la physique quantique, nous dirions que ce
que nous observons décrit un certain type de relations
entre l’observateur et l’observé, typique
de l’univers tel qu’il nous apparaît.
Si nous retenons l’hypothèse constructiviste
développée par certains physiciens quantiques,
nous irons plus loin. Nous supposerons que ce que nous observons
décrit un univers créé par la relation
entre l’observateur que nous sommes et l’observé
que nos instruments nous permettent de caractériser.
Mais dans tous les cas, la position unique d’observateur
qui est la nôtre devrait nous permettre d’affirmer
que l’univers tel que nous l’observons (ou le
construisons) est lui-même unique.
Ce ne serrait plus le cas si, conformément à
l’hypothèse des cerveaux de Boltzmann, il existait
des myriades d’observateurs observant un univers plus
global que celui que nous observons. Ceux-ci pourraient
être si nombreux, dans un futur de plusieurs milliards
d’années, qu’ils nous remplaceraient
en tant qu’observateurs. De ce fait, l’univers
que nous avons cru pouvoir décrire perdrait toute
pertinence. Des visions du cosmos profondément différentes
de celles que nous en avons pourraient remplacer la nôtre.
Il ne s’agirait d’ailleurs pas de simples visions
virtuelles mais en fait d’univers différents
qui se substitueraient au nôtre, si l’on retient
l’hypothèse que les univers naissent de l’interaction
entre observé et observateur.
Des fluctuations dans l’énergie
du vide
Selon
Andréi Linde, de Stanford, cité par Mason
Inman, ce ne sont plus des fluctuations dans le niveau d’entropie
qui généreraient des cerveaux de Boltzmann,
mais des fluctuations dans la force répulsive, qualifiée
d’énergie noire, constante cosmologique ou
énergie du vide. On retrouve là les hypothèses
déjà familières relatives à
l’énergie du vide. Il est à peu près
admis que le vide quantique fluctue puisque par définition,
les « particules » qui le peuplent ne peuvent
être au repos. Il peut en émerger de façon
aléatoire des couples de particules-antiparticules
qui s’annihilent, mais aussi des photons voire des
atomes qui interagissent avec la matière ordinaire.
Rien n’interdit de penser que sur une durée
de temps suffisante, puisse se produire une émergence
d’objets plus complexes. Il s’agirait de phénomènes
très improbables mais non entièrement impossibles.
La
probabilité d’apparition d’une entité
consciente répondant aux caractéristiques
du cerveau de Boltzmann serait si faible qu’aucune
d’entre elles, dit-on, n’aurait eu la chance
de se matérialiser pendant les 13,7 milliards d’années
correspondant à l’histoire de notre univers.
Mais si celui-ci s’étend indéfiniment
sous la pression de l’énergie noire, sa durée
de vie s’étend elle-même sans limites
et les chances de voir apparaître des cerveaux de
Boltzmann augmentent considérablement. Ces cerveaux,
il est vrai, n’observerait plus un univers tel que
nous connaissons, mais des espaces uniformes, froids et
noirs, inhospitaliers pour nos formes de vie. Alors nos
propres intelligences auraient depuis longtemps disparu
et la forme d’intelligence incarnée par ces
cerveaux dominerait le cosmos entier.
Nous
n'évoquerons pas dans ce court article les tentatives
des cosmologistes pour qui l’hypothèse des
cerveaux de Boltzmann mérite d’être approfondie.
Ils s’efforcent de rendre compatible cette hypothèse
avec d’autres plus traditionnelles, mettant en scène
l’inflation (une inflation éventuellement non
limitée dans le temps) et l’émergence
de bébés-univers au sein d’un multivers
plus général. Nous avons plusieurs fois dans
cette revue indiqué notre défiance vis-à-vis
de tels modèles, qui pour le moment ne paraissent
pas pouvoir être testés expérimentalement.
Les
cerveaux de Boltzmann peuvent-ils être déjà
parmi nous ?
Mais
il nous semble que, plus immédiatement, des hypothèses
exploitant le concept des cerveaux de Boltzmann mériteraient
d’être formulées. Peut-être même
pourrait on essayer de les vérifier. La possibilité
de voir émerger, dans notre monde matériel,
à partir de l’énergie du vide, des objets
complexes pouvant éventuellement prendre la forme
d’entités intelligentes ne serait pas à
exclure. Le fait que cette émergence soit hautement
improbable, sur la trop courte période de 14 milliards
d’années, n’interdit pas en effet qu’elle
ait pu se produire, au moins une fois. Point n’aurait
été pour cela besoin d’attendre des
trilliards d’années. Ainsi, si mes chances
de gagner à la loterie sont infimes, rien ne m’interdit
en termes de probabilités de gagner dès le
premier coup, quitte à ce que cette éventualité
ne se reproduise plus avant des millions d’années.
Autrement
dit, un ou plusieurs cerveaux de Boltzmann, incorporés
à des ensembles d’atomes plus ou moins organisés,
auraient déjà pu apparaître dans notre
monde à partir de l’énergie du vide.
Certains d’entre eux se sont peut-être développés
dans des parties de l’univers que nous ne connaissons
pas ou que nous ne connaîtrons jamais, compte tenu
de l’expansion. Pourquoi, de la même façon,
ne pas faire l’hypothèse que l’intelligence
des systèmes biologiques dont nous sommes des composants
puisse être née d’une émergence
de cette nature. Dans cette même ligne de conjectures,
nous ne pouvons pas exclure la possibilité de voir
un cerveau de Boltzmann se matérialiser dans notre
monde sous une forme et dans des circonstances que nous
n’aurions évidemment pas pu prévoir.
Il serait paradoxal que si ce phénomène pour
le moins surprenant se produisait sous nos yeux, nous l’attribuions
à la manifestation d’un extra-terrestre –
voire pour les esprits religieux à un miracle –
alors qu’il ne s’agirait que d’une manifestation
banale du monde quantique sous-jacent, monde dont nous ne
connaissons encore pratiquement rien.
Dans
l’article sur les lois fondamentales de la physique,
référencé en exergue, nous évoquions
plusieurs hypothèses pouvant justifier le fait que
ces lois sont ce qu’elles sont. Certaines de ces hypothèses
pourraient utilement être rapprochées de celle
des cerveaux de Boltzmann telle que présentée
dans ce dernier paragraphe du présent article. L’une
de ces hypothèses, qualifiée de darwinisme
quantique, s’accommoderait très bien du concept
de cerveau de Boltzmann. Nous écrivions dans cet
article : "
Autrement dit, des «bulles d'univers», dotées
de temps et d'espace locaux, sont aléatoirement créées
(à partir du vide quantique). Certaines sont annihilées,
d'autres se développent. On peut faire l'hypothèse
que notre univers a été le produit d'une de
ces fluctuations. Une particule quantique aurait vu sa fonction
d'onde réduite et se serait retrouvée sous
la forme d'une particule matérielle ou macroscopique
dont les propriétés auraient été
favorables à la création de particules plus
complexes par « observation » du monde quantique
environnant. Des décohérences et des computations
en chaîne en auraient résulté, d'où
seraient sortis le monde que nous connaissons et les lois
d'organisation des objets physiques, biologiques et même
mentaux qui régulent son développement."
Dans
l’hypothèse du darwinisme quantique, les décohérences
en chaînes se seraient produites à partir de
l’ « observation » des entités
quantiques fondamentales qu’aurait réalisé
une première particule matérialisée.
On comprendrait mieux les pouvoirs générateurs
de cette observation si, à la place d’une particule
unique, c’eut été un cerveau de Boltzmann
tout armé, c’est-à-dire un observateur
disposant déjà d’une organisation matérielle
complexe, avec ses règles émergentes, qui
aurait observé le monde quantique. Ce cerveau-observateur
aurait généré de ce fait notre univers
actuel, régulé par les lois que nous connaissons.
Ces lois elles-mêmes ne seraient autres que celles
selon lequel aurait été organisé (de
façon évidemment totalement aléatoire)
le cerveau-observateur de Boltzmann originaire du tout premier
instant de notre temps et de la toute première particule
de notre espace.
Pour
en savoir plus
Voir,
concernant Boltzmann et l'entropie, un l’article de
Wikipedia dont nous nous sommes inspirés. Voir aussi
les textes cités en référence.
http://en.wikipedia.org/wiki/Boltzmann_brain
Predicting
the Cosmological Constant from the Causal Entropic Principle
par Raphael Bousso, Roni Harnik, Graham D. Kribs, Gilad
Perez
http://www.arxiv.org/abs/hep-th/0702115