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Sciences,
technologies et politique
La
politique du pire comme règle de survie
par
Jean-Paul Baquiast 28/06/07
Sources:
* The Nation 14 juin 2007. Laboratory for a Fortressed
World, par Naomi Klein http://www.thenation.com/doc/20070702/klein
* Dedefensa http://www.dedefensa.org/article.php?art_id=4114
La
brillante analyste politique canadienne Naomi Klein explique
dans l'article cité en référence pourquoi
l'Etat d'Israël, apparemment assiégé de
toutes parts et engagé dans de ruineux programmes de
défense, demeure un des centres nerveux mondiaux les
plus dynamiques pour les industries de la haute technologie
de sécurité et de défense. Ses exportations
en ce domaine, notamment vers les Etats-Unis, semblent couvrir
largement ses importations. De jeunes et brillants chercheurs
y lancent sans cesse de nouvelles start-up qui sont parmi
les plus efficaces du monde. Les capital-risqueurs ne lui
manquent pas. Son taux de croissance égale celui de
la Chine. Israël est ainsi devenu le 4e exportateur d'armes
au monde, dépassant la Grande Bretagne.
C'est que, selon Naomi Klein, une grande part des innovations
qui intéressent le marché mondial en pleine
expansion de la sécurité "musclée"
semble provenir d'Israël. Le gouvernement et les milieux
économiques ont compris qu'ils devaient jouer à
fond la carte de la protection contre un terrorisme et une
guerre de 4e génération présentés
comme devant s'étendre au monde entier. Exploitant
à fond le facteur peur (The fear factor),
Israël est en train de proposer à toutes les démocraties
inquiètes de leur avenir face à une insécurité
présentée comme grandissante les outils technologiques
qu'elle a développés depuis une dizaine d'années
pour sa propre défense. Autrement dit, Israël,
transformée en forteresse assiégée par
la volonté de ses gouvernements, lesquels ont depuis
des années refusé tous compromis avec les Palestiniens
au temps où ceux-ci étaient encore accessibles
à la diplomatie, veut persuader le monde occidental
tout entier qu'il doit à son instar se transformer
en forteresse…et acquérir au prix fort les technologies
israéliennes, ainsi que son «savoir-faire»
dans la «gestion scientifique» des suspects ou
des opinions publiques.
Inutile de dire que ce nouveau filon politico-économique,
exploité à fond par Israël tout entier,
convient parfaitement aux faucons américains et aux
lobbies militaro-industriels de ce pays. Ceux-ci cherchent
depuis longtemps à engager le monde occidental dans
une guerre sans fin contre la terreur, guerre dont ils fourniront,
en coopération avec Israël, les armes et les
recettes de management. A eux les matériels lourds,
à Israël les outils plus sophistiqués
d ela prévention et du renseignement.
Dès le 11 septembre, ayant perçu les nouvelles
opportunités qu'offrait le terrorisme, les milieux
économiques israéliens ont compris qu'ils pouvaient
s'appuyer sur le chaos grandissant que les entourait et sur
leur propre expérience de forteresse de plus en plus
assiégée pour devenir, selon l'expression de
Naomi Klein, un salon permanent des technologies dite de "homeland
security'". Aujourd'hui, ses produits clés dont
les recettes à l'exportation s'accroissent annuellement
de 20% et dépassent le milliard de dollars, sont les
barrières et murs de protection «intelligents»,
les drones, les systèmes d'identification biométriques,
les systèmes de vidéo et audio surveillance,
les logiciels de «profiling» des passagers, les
technologies d'interrogatoire des prisonniers, systématiquement
utilisés par Israël dans son bouclage des territoires
occupés. L'université Ben Gourion, qui est à
la pointe de ces recherches, s'enorgueillit de proposer des
produits tels qu'une « Innovative Covariance Matrix
for Point Target Detection in Hyperspectral Images »
ou des « Algorithms for Obstacle Detection and Avoidance
».
Aussi bien, pour tous ceux qui, en Israël comme aux
Etats-Unis, vivent de ce filon extraordinaire, l'accroissement
du chaos à Gaza et dans les territoires occupés
constitue un moteur qu'il ne faut absolument pas stopper.
Par la force des choses, il s'établit de facto
une politique du pire, considérée comme profitable
et à encourager. Elle justifie la vision d'un
monde où seules les quelques élites ayant
su s'entourer de frontières infranchissables
pourront survivre alors que tout autour d'eux sombrera
dans l'anarchie, la violence et la mort. Plus le monde
réel ressemblera à ce modèle, plus
les affaires seront prospères.
Au
Salon du Bourget à Paris, à partir du 18 juin,
les visiteurs ont pu ainsi admirer le Cogito1002 ou «
Suspect Detection Systems » permettant aux
compagnies aériennes de détecter parmi les passagers
de possibles terroristes. Un ordinateur pose des questions
piège au passager, lequel tient en main un «
biofeedback sensor » enregistrant ses réactions
corporelles. Certaines de celles-ci peuvent le faire tomber
dans la catégorie des suspects, ce qui justifiera de
le soumettre à des interrogations de police plus approfondies.
Les concepteurs du système se vantent de l'avoir conçu
en exploitant les interrogatoires conduits auprès de
milliers de jeune Palestiniens candidats au suicide. Dans
un domaine plus technologique, l'industriel de défense
Elbit propose ses drones de surveillance et d'attaque Hermes
450 et 900 (image ci-contre), dont les
prospectus commerciaux assurent qu'ils ont été
employés avec succès dans la bande de Gaza.
Aux Etats-Unis, Elbit à vendu plusieurs de ces MALE
destinés à la surveillance de la frontière
mexicaine. Par ailleurs, il a conclu avec Boeing un contrat
de 2,5 milliards de dollars pour établir une «
frontière virtuelle » autour des Etats-Unis.
La politique du pire conçu
comme règle de survie
Certains observateurs naïfs s'interrogent sur les raisons
certainement aussi obscures que morbides qui poussent un certain
nombre de dirigeants dans des pays en conflit comme Israël
ou les Etats-Unis à pratiquer une infatigable politique
du pire. Toutes les occasions pouvant conduire à des
négociations et à un recul dans les affrontements
sont systématiquement refusées. Des provocations
permanentes accroissent au contraire les tensions, transformant
un opposant raisonnable en adversaire enragé. Ces mêmes
observateurs naïfs soupçonnent un goût morbide
pour la catastrophe, une recherche systématique du
chaos final. Ils attribuent cela soit à des perversions
mentales toujours prêtes à renaître dans
les sociétés humaines, soit à la recherche
mystique de l'Armagedon où le Christ ressuscité
reconnaîtra les siens - soit plus prosaïquement
à la survivance du concept trotskiste du chaos créateur.
Les excès d'un adversaire conduisant inévitablement
au renforcement des excès de l'autre, la politique
du pire s'autogénère en permanence.
Il est certain qu'il convient de se demander quelles
causes profondes, depuis quelques années, poussent
en parallèle Israël et les Etats-Unis à
s'engager dans des voies dont résulteront inévitablement
la destruction totale du premier et l'affaiblissement
durable des seconds. Mais la raison n'est-elle pas
plus prosaïque ? Cet aveuglement mortel ne résulte-t-il
pas simplement du fait que les contrôles démocratiques
ont cessé depuis longtemps de s'exercer sur
les acteurs du complexe militaro-industriels dans ces deux
pays. Pour ces acteurs, un profit immédiat garanti
par la politique du pire qu'ils appliquent et font
appliquer compense bien le risque plus hypothétique
d'une catastrophe finale à laquelle, de toutes
façons, ils espèrent bien pouvoir survivre
grâce à leurs relations.
L'Europe
doit-elle se laisser entraîner dans cet engrenage?
Aujourd'hui,
nul ne peut prévoir ce que feront dans le proche
avenir, tant les Etats-Unis qu'Israël. Continueront-ils,
en s'appuyant éventuellement l'un sur
l'autre, à rechercher l'aggravation de
la situation au Moyen-Orient ? La question qui leur est
posée immédiatement concerne l'attitude
qu'ils adopteront vis-à-vis de l'Iran.
Celle-ci, très probablement, joue aussi pour sa part
la politique du pire. Autrement dit, elle poursuivra son
programme de nucléarisation de ses vecteurs balistiques
et continuera à menacer de s'en servir dans
quelques années, aussi bien contre Israël que
contre les Etats sunnites voisins, voire les Etats européens.
On peut craindre que s'il reste orienté tel
qu'il l'est actuellement, le gouvernement de
Téhéran ne redoute pas, voire souhaite une
attaque atomique préventive venant d'Israël
ou des Etats-Unis. Cette attaque serait certes terriblement
dévastatrice mais ne ruinera pas l'Iran qui
est un grand pays. Elle inaugurerait un tel chaos que les
Iraniens pourraient espérer en profiter pour affirmer
leur prédominance dans la région. Mais il
ne semble pas qu'ils soient pas les seuls aujourd'hui
à souhaiter une attaque contre eux. Al-Quaida, pour
des raisons différentes, n'y verrait que des
avantages. L'organisation terroriste profiterait elle
aussi, et mieux sans doute que l'Iran, du bouleversement
régional voir mondial qui s'en suivrait.
Israël
et l'Amérique sont donc devant un choix immédiat
crucial : jouer de toutes leurs forces la détente
et la négociation, pour isoler l'Iran et pacifier
les foyers de guerre civile qui se multiplient, ou pousser
au pire de leur côté, notamment en procédant
à une frappe préventive contre l'Iran.
Compte tenu des éléments évoqués
dans la première partie de cet article, on peut craindre
qu'ils ne choisissent cette dernière solution.
La
situation actuelle, avec les risques majeurs qui se profilent,
pose une nouvelle fois la question du rôle de l'Europe.
Celle-ci pourrait jouer un rôle dans une négociation
globale, mais il ne faudrait pas qu'elle se laisse
entraîner par les Etats-Unis et Israël dans la
radicalisation du conflit. Or c'est bien ce qu'elle
semble en passe de faire. Il est de mauvais augure de voir
que les Européens, par la voix unanime des pays membres
de l'Otan, semblent finalement accepter l'installation
de la base américaine de missile anti-balistique
en Pologne et en Tchéquie, laquelle est explicitement
dirigée contre l'Iran sinon contre la Russie.
Ils paraissent donc eux aussi faire de l'Iran l'ennemi
principal, ce qui ne contribuera pas à faciliter
leur rôle de médiation au Moyen-Orient.
Est-ce
à dire qu'en Europe aussi se trouvent des intérêts
industriels ou militaro-industriels qui voudraient profiter
de la peur de la guerre et de l'insécurité pour
ne pas laisser à Israël et aux Américains
le riche marché des systèmes de prévention
et de défense. Voudraient-ils faire de l'Europe une
forteresse assiégée vivant à l'abri de
ses frontières électroniques? Autant nous sommes
partisans de la défense économique et militaire
européenne, si elle concourre à l'indépendance
et à la souveraineté de l'Europe, autant nous
ne voudrions pas voir celle-ci devenir une base avancée
américaine dans de futures guerres avec le reste du
monde.
Note
Naomi Klein, née en 1970, est l'auteur de plusieurs
ouvrages: No
Logo: Taking Aim at the Brand Bullies (Picador) ; Fences
and Windows: Dispatches From the Front Lines of the Globalization
Debate (Picador). Devant paraître bientôt,
The Shock Doctrine: The Rise of Disaster Capitalism
traitera, parmi d'autres, du théme évoqué
ici.