Si
pour l'instant, ce système permet uniquement de résoudre
des problèmes particuliers s'exprimant sous forme du
"modèle d'Ising bidimensionnel en champ magnétique",
l'entreprise prévoirait d'ores et déjà
l'intégration d'un coupleur supplémentaire qui
rendrait le calculateur quantique universel et permettrait,
entre autres, de faire des simulations quantiques.
Le système est actuellement conçu pour une utilisation
de concert avec un calculateur conventionnel sur des problèmes
NP-complets(4)
: en pratique le client commence à résoudre
le problème sur ordinateur classique, jusqu'à
rencontrer le noyau dur NP-complet, transférant alors
la suite des opérations à D-Wave qui termine
la résolution de manière quantique.
Peut-être
trop beau pour être déjà vrai ?
Tout
cela paraît bien beau cependant avec 16 qubits de puissance
de calcul - soit plus de 64000 opérations en simultané
(216)
( [ce qui est déjà en soi une belle
prouesse] -, Orion est encore loin des supercalculateurs.
D-Wave, en tous cas, annonce sans complexe le lancement d'une
version à 32 qubits d'ici à la fin de l'année,
puis des versions à 512 qubits et 1024 qubits pour
2008 !
Alors, faut-il déjà considérer la mise
à l'index des ordinateurs traditionnels ?
A notre avis, cela semble être bien prématuré.
D'ailleurs l'entreprise elle-même déclare que
le calcul quantique ne doit pas être vu ici comme un
remplacement des calculateurs digitaux, mais comme l'apport
de nouvelles possibilités, par exemple dans le cas
de certains types de calculs liés à la finance,
la biologie, la chimie, la sécurité (biométrie
notamment), la défense, la logistique...
Le
prototype présenté est aujourd'hui 100 fois
plus lent qu'un calculateur numérique courant. Pour
chaque problème considéré, Orion fait
tourner le calcul de multiples fois (à
cause du bruit de fond qui fait que la puce peut retourner
quelquefois des résultats erronés) et
détermine quelle réponse a la probabilité
la plus élevée d'être exacte. La
meilleure solution est déterminée par le niveau
d'énergie le plus bas du système. La deuxième
meilleure solution - en raison de la nature physique du calcul
- est le deuxième niveau bas d'énergie, etc.
La solution qui minimise l'énergie et qui ressort le
maximum de fois est considérée comme étant
la bonne(5).
Deux
objectifs sont alors poursuivis par D-Wave :
- parvenir à une solution plus précise, avec
la même rapidité qu'un calculateur numérique,
- obtenir une solution de la même exactitude mais de
façon plus rapide qu'un calculateur numérique.

La meilleure solution est celle qui minimise l'énergie
du système
Et
là, on imagine qu'il va falloir quelque temps pour
passer de la preuve du concept à la réalisation
de ces objectifs. Certains problèmes - et non des moindres
- restent en effet encore à résoudre. Comment
par exemple augmenter le nombre de qubits sans générer
d'interférences nuisibles au calcul, la correction
des erreurs semblant être un problème prégnant
? Combien de temps prendrait un calcul effectué par
méthode adiabatique avec des milliers de qubits ? D'ailleurs,
cette méthode est-elle la panacée ? Sans parler
de la taille des réfrigérants à
l'hélium liquide nécessaires au refroidissement
des composants (taille de la pièce qui accueille la
machine(6))
? Et puis, finalement, comment programmer ce type d'ordinateur?

Quelle sera à la finale la taille de l'ordinateur
quantique?
S'agit-il
ici d'un fabuleux saut technologique ou plutôt d'un
effet d'annonce pour lever plus de fonds auprès d'éventuels
investisseurs ? Comment vraiment le savoir puisque la start-up(7)
n'a pas permis l'inspection de la machine durant
ou après les démonstrations.
Les
opérations étaient en effet télécommandées
à distance depuis un ordinateur portable, le système
Orion étant physiquement localisé a Burnaby
(Canada), "le système étant trop sensible
pour être facilement transportable", selon
les déclarations de la compagnie, dont on peut penser
qu'elle souhaite aussi protéger le secret industriel.
Le prototype n'a donc pas pu être testé par des
spécialistes extérieurs reconnus. Seth Lloyd
lui-même, père des travaux sur le modèle
adiabatique de calcul quantique a déclaré «rester
toujours un peu sceptique jusqu'à ce que je vois vraiment
ce qu'ils ont fait (...). En tous cas, je suis heureux que
D-Wave se soient lancée dans cette voie».
Mais selon Geordie Rose - co-fondateur de D-Wave - les résultats
de la démonstration devraient être soumis à
examen par des pairs, en vue d'une publicaton dans un grand
journal scientifique.
Quoi qu'il
en soit, et en attendant la commercialisation directe annoncée,
D-Wave va proposer de louer le temps de calcul d'Orion et
de lui envoyer les problèmes à résoudre
par Internet(8).

Ecran d'accueil prévu pour la location en ligne
de temps de calcul sur Orion.
Les données sont envoyées à D-Wave par
internet, qui propose la minimisation
du temps de calcul dans la résolution des problèmes.
(Objectif affiché
dans le business plan de l'entreprise pour le 1er trimestre
2008)
Et dès
le courant de ce deuxième trimestre 2007, un système
Orion devrait par ailleurs être mis gratuitement à
disposition de la communauté scientifique avec l'objectif
d'obtenir des chercheurs l'élaboration d'algorithmes
quantiques pouvant être implémentés dans
la machine.
A suivre de très près, donc.
Pour l'instant, contentons-nous de filer la métaphore
en disant que, tel un qubit, nous voici placés dans
un bel état de superposition, mitigé entre scepticisme
de rigueur et confiance en l'avenir.
(1)
Notons cependant qu'il existe déjà de telles
entreprises, spécialisées par exemple dans la
cryptographie quantique. Voir notamment http://www.idquantique.com.

(2) A la différence d'un bit classique
de la physique traditionnelle, un bit quantique (qbit) peut
être soit un 0, soit un 1, soit simultanément
les deux (on parle ici d'états superposés).
Ceci permet d'accélérer drastiquement la vitesse
de calcul au point que certains problèmes par principe
insolubles jusqu'ici peuvent désormais se résoudre
facilement. 
(3) Ordinateur quantique qui, en théorie,
n'a pas besoin d'être isolé du monde extérieur
pour fonctionner et qui peut supporter de faibles écarts
de température. A la différence des prototypes
d'ordinateurs quantiques qui utilisent par exemple des impulsions
laser sur des électrons, excitant ainsi ces particules
afin de les mettre dans un état quantique particulier
(dans ce type d'ordinateur, le système doit être
suffisamment longtemps isolé du monde extérieur
pendant les calculs, difficulté augmentant avec le
nombre de qubits, il faut être aussi capable de pouvoir
lire l'état quantique final sans détruire le
résultat), l'ordinateur quantique adiabatique se sert
du refroidissement des circuits métalliques, les plaçant
dans un état supraconducteur dans lequel les électrons
circulent librement (jonction Josephson et effet tunnel) donnant
pour résultats des qubits. C'est ensuite la variation
du champ magnétique qui conduit graduellement les qubits
à s'ajuster entre eux.
Pour concevoir Orion, système qui lie profondément
logiciel et matériel, D-Wave s'est appuyé sur
les travaux de Seth Lloyd du MIT (modèle adiabatique
de calcul quantique), et notamment sur son article "Scalable
architecture for adiabatic quantum computing of NP hard Problem".
http://arxiv.org/PS_cache/quant-ph/pdf/0211/0211152.pdf.
(4) Un problème NP-complet (NP
pour Nondeterministic polynomial ; en français : problème
non-déterministe polynomial) bien connu est celui de
la tournée du voyageur de commerce, qui consiste à
trouver la plus courte route entre différentes villes.
Dans un problème NP-complet, le temps de calcul augmente
exponentiellement avec le nombre de données (donc impossible
- ou presque - à mener sur des ordinateurs conventionnels).
Grâce à l'ordinateur quantique, on passe d'un
temps de résolution exponentiel à un temps de
résolution polynomial.
(5) Un test sur des problèmes
où la réponse correcte était déjà
connue a montré que la majorité des réponses
données par l'ordinateur quantique était toujours
exactes.
(6) Selon Geordie Rose, co-fondateur
de D-Wave, l'unité de réfrigération consomme
la plus grande partie de la puissance à 20 kilowatts,
ce qui est faible comparé à des fermes de serveurs
. Pour lui, l'extension du nombre de qubits sur la puce n'exigera
pas le besoin d'une augmentation massive de la réfrigération.
(7) Forte aujourd'hui de 25 personnes,
D-Wave est une spin-off du département de physique
et d'astronomie de l'université de Colombie britannique
(UBC). 
(8) Objectif affiché dans le business
plan de l'entreprise pour le 1er trimestre 2008. 
Pour
en savoir plus :
On pourra relire avec intérêt
notre article Pour un grand programme européen,
l'ordinateur quantique (22/01/2004) : http://www.automatesintelligents.com/echanges/2004/jan/quantique.html
Site de D-Waves Systems : http://www.dwavesys.com
Sur le calcul quantique adiabatique, voir
"Quantum information science" (MIT - 14 mars 2006)
: http://ocw.mit.edu/NR/rdonlyres/E26486E1-E922-491E-8449-F0AEA5B399C3/0/lecture_10.pdf