Colloque
: La révolution des nanotechnologies : quels espoirs
? quels enjeux ?
Compte-rendu
par Christophe Jacquemin
Colloque
tenu l'après-midi du 1er février dans le cadre
du 55ème forum d'Iéna, du Conseil économique
et social
Palais d'Iéna
"L'une
des vocations du Conseil économique et social est d'explorer
les champs de l'avenir et notamment toutes les questions qui
découlent de ce que la science dévoile, avec sans
cesse plus d'intensité et d'abondance" .
Animé
par Philippe Pérez, journaliste éditorialiste
en charge de la rubrique Science (Journal Les Echos), ce colloque
s'est articulé autour de deux principales tables-rondes,
"La révolution des nanos, jusqu'ou ?" , "Quel
impact prévisible des nanotechnologies sur l'individu
et la société". Celles-ci ont été
complétées de projections de films, d'une synthèse
effectuée par Alain Obadia, membre du Conseil économique
et social., suivie de la clôture du Colloque par François
Goulard, ministre délégué à l'enseignement
supérieur et à la recherche
Nous
ne ferons pas ici le compte-rendu de la première table
ronde, celle-ci ayant surtout abordé des thèmes
déjà si souvent évoqués (présentation
de ce que sont les nanotechnologies, leurs applications possibles...),
et dont nous avons déjà souvent parlé dans
ces colonnes. Nous signalerons cependant une des questions posée
au cours des débats, concernant la place de l'Europe
dans la compétition internationale et développerons
à ce sujet la présentation faite sur ce thème
par Philippe Gallay, administrateur principal à la Commission
européenne (direction générale de la recherche
- direction " science, économie et société).
Plutôt que de présenter la première partie
des débats dans son ensemble, Automates Intelligents
a préféré se focaliser sur la seconde table
ronde, consacrée aux risques pouvant résulter
du développement des nanotechnologies. Nous livrons ainsi
cet ensemble in extenso [un peu réécrit et en
l'agrémentant d'intertitres en couleur verte], ce sujet
ayant encore à notre avis été trop peu
souvent abordé lors des colloques émanant d'institutions
scientifiques. Mais il semble que les choses soient en train
de changer, ce dont nous nous réjouissons. Car en matière
de nanotechnologies, le débat doit être connu des
citoyens, débat qui doit être serein et à
la mesure des enjeux.
Christophe
Jacquemin
A savoir : colloque les 19 et 20 mars 2007 à la
Cité des Sciences et de l'Industrie
(entrée libre, dans la limite des places disponibles)
En
juin 2006, le Premier ministre a chargé les ministres
François Goulard (chargé de la Recherche)
et François Loos (chargé de lIndustrie),
dorganiser un débat sur les enjeux et les
opportunités des nanotechnologies. Objectif :
- faire connaître les nanotechnologies, la diversité
de leurs domaine dapplication, leurs apports pour
la fabrication de produits utilisés dans la vie
quotidienne, leurs enjeux en termes de compétitivité
de notre pays ;
- apporter des réponses aux principales interrogations
que suscite leur développement et de mettre en
perspective les risques liés à ce nouveau
domaine afin de mieux les prévenir.
Une synthèse des débats et des contributions
se tiendra les 19 et 20 mars 2007, à la Cité
des sciences et de lindustrie, pilote de cette opération.
Dans
ce cadre, un
comité de pilotage a identifié les débats
et travaux collectifs consacrés aux nanotechnologies
qui ont débouché sur des avis motivés.
Chacun des organismes, groupes dexperts ou associations
a pu réaliser un cahier dacteur synthétisant
les conclusions auxquelles ils sont parvenus.
Les cahiers sont consultables sur le site Internet de
la Cité des sciences www.cite-sciences.fr/nanotechnologies,
et donnent une vue densemble des travaux et discussions
menés jusquà présent sur les
nanotechnologies. Ils peuvent être complétés
par toute autre contribution qui peut être envoyée
à ladresse suivante : college@cite-sciences.fr
Ces ressources seront le support de trois tables rondes
auxquelles chacun est invité à assister
les 19 et 20 mars.
Au
cours des
tables rondes, des scientifiques, des industriels et des
responsables publics exprimeront leurs positions et en
débattront avec les porteurs davis et avec
le public le plus large.
Lundi
19 mars 2007
14h30
18h : questions aux acteurs de la recherche
Mardi
20 mars 2007
9h30
13h : questions aux industriels
14h30 17h30 : questions aux politiques et aux
pouvoirs publics
17h30
: clôture par les deux ministres, avant dinaugurer
une exposition pédagogique consacrée aux
nanotechnologies: «EXPO NANO, la technologie prend
une nouvelle dimension».
En
savoir plus :
www.cite-sciences.fr/nanotechnologies
|
|
Présentation du Colloque
"La
révolution des nanotechnologies : quels espoirs
? quels enjeux ?"
1er février - Conseil économique et
social
(présentation extraite du programme)
Voir le programme
Un
nouveau monde est en train de naître. Il nous promet
des produits plus petits, plus légers, moins chers.
Il nous propose des ordinateurs plus performants, des
moyens de communication plus rapides, des traitements
médicaux plus efficaces, un environnement plus
propre, un cadre de vie plus agréable. Comment
ces promesses seront-elles tenues ?
C'est
à cette question que tenteront de répondre
les différents intervenants lors de trois tables
rondes sur le cadre et les limites de la révolution
des nanotechnologies, le point de vue de l'Europe, et
l'impact prévisible des nanotechnologies sur l'individu
et la société.
Nb
: contrairement à ce qui a été annoncé
dans le programme, le colloque a été ouvert
par Hubert. Bouchet (membre du conseil économique
et social - Secrétaire général UCI-Fo)
- et non Jacques Dermagne. Denis Griot n'est pas intervenu
dans la première table-ronde comme annoncé.
Même chose pour Jean-jacques Beinex et Henry Revol
pour la seconde table-ronde)
|
|
Extrait de la première
table ronde
"La révolution des nanos, jusqu'ou ?"
Intervenants
(de gauche à
droite sur la photo)
- André-Jacques Auberton-Hervé,
président de SOITEC
- Catherine Bréchignac,
directrice du CNRS
- Jean Therme :directeur de la
rechefche technologique au CEA
- François Quinn : conseiller
scientifique, l'Oréal recherche
Question
de Philippe Perez, adressée à Catherine Bréchignac
:
Comment se situent la France et l'Europe dans la compétition
internationale ?
Le vieux continent est-il dans la course et les applications
possibles des nanotechnologies naîtront-elles dans les
entreprises européennes?
Catherine
Bréchignac :
Votre question comporte deux volets. Le premier impose d'avoir
bien à l'esprit que la recherche est internationale et
qu'il n'y a pas de recherche qui ne soit pas au niveau international.
Toute recherche nationale n'a pas d'intérêt. Nous
sommes tous placés dans la compétition internationale.
Au niveau de la recherche publique, je dirais que l'on a
trois grands groupes, qui sont à peu près financés
de la même façon : les Etats-Unis, l'Europe
et l'Asie. Et dans l'Asie, le Japon a une part importante, mais
la Chine est en train de monter. Donc c'est à peu près
financé de manière équivalente.
En revanche, en recherche dite privée,
les Etats-Unis et le Japon sont là très en avance
sur le reste de l'Europe.
Donc nous, Français, nous nous inscrivons tout d'abord
dans la communauté européenne et je dois dire
que nous sommes bien placés au niveau de la recherche
publique et de toute la recherche en amont, y compris sur des
applications. Nous sommes bien placés car il y a les
deux principales institutions françaises qui sont le
CEA et le CNRS qui ont vraiment travaillé, et de manière
complémentaire dans ce domaine, avec des pôles
forts, l'un à Grenoble (MINATEC) et l'autre en région
parisienne. Nous disposons de pôles fort, d'une complémentarité.
Nous travaillons et avons des projets ensemble.Et au niveau
du ministère, la France a fait une chose que je trouve
très valable : celle d'avoir 5 centres, qui s'appellent
des C nanos, répartis sur l'ensemble du territoire, dans
lesquels travaillent les chercheurs de manière concertée.
Donc, côté recherche publique, je dois dire que
notre place est bonne et doit rester à ce niveau.
*
* * * *
Question
de la salle, adressée à Catherine Bréchignac
:
Comment se situent la France et l'Europe dans la compétition
internationale ? Le vieux continent est-il dans la course et
les applications possibles des nanotechnologies naîtront-elles
dans les entreprises européennes ? Quel est la part du
budget de l'état américain consacré à
la recherche par rapport au budget français
Catherine
Bréchignac : Je ne donnerai pas de
chiffres car ils sont toujours interprétés de
travers. Ce qui important, c'est de faire les bonnes comparaisons.
Il faut ramener les choses au nombre d'habitants : on compare
toujours la France aux Etats-Unis, ce qui n'a rien à
voir en terme de population. Moi, je me considère européenne,
je pense que la France fait partie de l'Europe et qu'il faut
comparer d'abord l'Europe aux Etats-Unis.
La part de la recherche publique française, comme je
l'ai déjà dit tout à l'heure, de manière
macroscopique dans l'Europe et au niveau des nanos, est conséquente
puiqu'avec l'Allemagne nous sommes les deux pays les plus importants
à mettre des budgets dans ce domaine.
Je rappelle que l'argent européen représente simplement
5% de l'argent des états-membres, donc ce sont vraiment
les états-membres qui mettent des crédits dans
le domaine.
Je répète
que, de manière à peu près de manière
équitable, concernant les trois grands blocs Etats-Unis,
Asie, Europe, la recherche publique est équilibrée
et représente à peu près les mêmes
montants. 
Nanotechnologies
: le point de vue de l'europe
Intervenant
:
Philippe Gallay,
administrateur principal à la Commission européenne
(direction générale de la recherche
direction " science, économie et société")
Lire
l'intervention

Seconde
table ronde :
" Quel impact prévisible des nanotechnologies sur
l'individu et la société"
Intervenants
(de gauche à droite sur la photo)
- Didier Sicard, président
du Comité consultatif national d'éthique pour
les sciences de la vie et de la santé
- Philippe Lemoine : président
général de Laser, membre de la CNIL
- William Dab, ancien directeur
général de la santé, professeur au CNAM
(chaire d'hygiène et sécurité)
|
Cette
table ronde était précédée
d'un film, dont nous relevons ici deux extraits :
"Les
laboratoires sont
organisés en réseau sur la toxicité
en amont avant la production industrielle. C'est la première
fois que des biologistes, chimiste, physiciens, économistes,
juristes, philosophes, sociologue, toxicologues, experts
des nanosciences travaillent sur ensemble sur ces questions
: ceci relève d'une position volontaire et réfléchie
pour se poser la question de l'impact de ce que je fais,
impact économique, social, individuel. Cette réflexion
est assez exemplaire. Ce type de recherche conjointe ne
s'est pas vu auparavant dans de nombreux domaines des
sciences. Pourtant, c'est à ce prix que l'on contribue
à un développement responsable des nanotechnologies".
(Ariel Levenson - Physicien au CNRS - directeur du labo
C Nano d'Ile-de-France)
"Toute
la question - et d'ailleurs en médecine, on est
habitué à faire cela - toute a question
est celle de la balance entre les bénéfices
et les risques. Un médicament est mis sur le marché
lorsque qu'on a la démonstration que les bénéfices
sont supérieurs au risque. Et quand un médecin
prescrit un médicament, c'est après avoir
analysé les risques et les bénéfices.
Ainsi, en médecine, on n'est pas dans une problématique
de risque nul. C'est complètement utopique. On
est en permanence dans cette analyse bénéfices/risques.
Il faut transposer ce raisonnement dans les milieux industriels.
Ceci veut dire être capable d'analyser les bénéfices
réels de cette technologie et être
en mesure de
détecter le plus tôt possible des effets
non voulus sur la santé. C'est la seule façon
d'instaurer un climat de confiance sinon cela risque de
mener à des blocages comme pour les OGM et cela
peut devenir tellement passionnel que l'on ne peut plus
avoir de discussion rationnelle sur ces questions."
(William Dab - responsable hygiène et sécurité
-CNAM))
|
|
*
* * * *
Philippe
Perez : Avant de passer la parole à
nos intervenants, je voudrais faire quelques précisions
car avec cette table ronde, nous abordons un sujet assez difficile.
Pourquoi ? Parce que lorsque l'on parle de bénéfices/risques,
on manipule un concept un peu statistique, c'est-à-dire
que lorsque vous allez à la piscine, traversez la rue
ou vous vous faites vacciner, intuitivement ou inconsciemment,
vous estimez que le jeu en vaut la chandelle : il y a un risque
mais vous décidez de le prendre, vous avez un objectif
-celui de traverser la rue, soit d'éviter une maladie.
Le problème est que la mesure de ce risque n'est pas
évidente du tout.
Rappelons ce bon mot : l'objet le plus dangereux inventé
par l'être humain est le lit puisque finalement presque
tous les êtres humains mourraient dans leur lit. Donc
au nom du principe bénéfices/risques, il faudrait
peut-être interdire la fabrication des lits
Au
cours de cette table ronde, nous allons essayer de passer en
revue quels pourraient être les aspects bénéfiques
et les aspects risques des nanotechnologies.
En fait, des risques on en prend tous le temps : lorsque l'on
mange une pizza, on prend le risque d'avaler de travers et de
s'étouffer. Et la notion de bénéfices/risques
est une notion statistique. William Dab va certainement nous
en reparler en détail.
Et
pour les citoyens, cette notion statistique peut être
vécue différemment : ainsi, lorsqu'il existe 1
risque sur 1 million de développer un effet secondaire
grave au cours d'une vaccination, quand cela tombe sur vous
ou sur votre enfant, alors ici, vous considérez que c'est
du 100%.
De la même façon, si nous parlons du risque choisi
et risque subi, celui-ci peut être vécu de façon
très variable suivant les situations : lorsque vous allez
écouter un concert de rock, vous prenez du 120 décibels
dans les oreilles et cela ne vous pose pas trop de problème
parce que c'est votre choix. En revanche, si c'est votre voisin
qui fait ce bruit avec sa perceuse et qui vous inflige 80 décibels,
c'est-à-dire largement moins, vous allez trouver cela
insupportable. Donc cette notion est très individuelle.
En
tant qu'experts sur le sujet, j'aimerais que chaque intervenant
résume la manière dont aborde le problème
des risques éventuels liés à l'introduction
massive des nanotechnologies dans la société et
qu'il nous dise ensuite quels peuvent être les bénéfices.
Je
commence par vous, William Dab :
Est-ce que les nanotechnologies, telles qu'on les a présentées
cet après-midi répondent exactement à ce
rapport bénéfices/risques. Je vous pose cette
question car une personne du CNRS disait : "au fond, il
y a une inquiétude supplémentaire avec les nanotechnologies
et les nanoparticules parce qu'on ne savait pas ce qui se passait
véritablement en deçà d'une certaine dimension,
ce que pourrait être leur effet dans l'organisme. Donc
on ne peut pas précisément les assimiler à
un médicament".
Alors, quel est votre avis ?
William
Dab : Merci de me donner l'occasion de développer
cette problématique de sécurité sanitaire
sur ce sujet qui, à n'en pas douter, va être un
des grand sujets de développement de notre siècle.
Je suis absolument convaincu que la question des risques va
être centrale dans les développements.
Au sein de notre équipe, nous nous occupons aux Arts
et métiers des enseignements de sécurité
sanitaire, ceci allant de la licence pro aux diplômes
d'ingénieur. Et tous nos enseignements s'articulent autour
de deux convictions fortes :
- la première est que le risque doit être pris
en compte dès la conception, et nous avons accumulé
aujourd'hui suffisamment de connaissances scientifiques pour
pouvoir le faire ;
- la deuxième est que le risque, pour être géré,
doit être mesuré et doit être surveillé.
Nous disposons de travaux d'ingénieurs portant d'ores
et déjà sur les procédures de gestion de
risque qu'il est rationnel et recommandable d'utiliser dans
les processus de production et d'utilisation des nanomatériaux.
Et nous arrivons à la conclusion que l'on peut gérer
ce problème rationnellement, même dans la situation
de grande incertitude où nous sommes encore à
l'heure actuelle,.
Cela peut paraître un peu paradoxal de le dire, mais il
est possible d'avoir une approche rationnelle d'un problème
même quand il existe beaucoup de choses qui nous empêchent
de présenter un bilan clair sur les risques/bénéfices.
Une vision procédurale du
principe de précaution
Ici,
la notion qui vient bien évidemment à l'esprit
est celle de principe de précaution. Nous sommes dans
un pays qui a donné à ce principe une valeur de
norme constitutionnelle : il s'agit de l'article V de la charte
de l'environnement. Et donc, nous devons être maintenant
à la hauteur de l'exigence posée dans cet article.
Pour aller à l'essentiel de ma réflexion sur ce
sujet, j'ai eu de bonnes raisons de me faire l'ardent partisan
du principe de précaution, y compris de l'élever
au niveau de normes supérieures. Donc maintenant, toute
la question est : quelle vision a-t-on de la mise en uvre
de ce principe ?
La vision que j'en ai est procédurale, c'est-à-dire
que si on en fait un principe de risque nul, nous allons à
mon avis placer notre pays plus que les autres dans une situation
de faiblesse dont on ne se relèvera pas. En revanche,
si on en a une vision procédurale, je pense que l'on
peut prendre le leadership sur un sujet qui va devenir très
important. Ceci veut dire par exemple d'organiser la veille
scientifique. Il s'en fait beaucoup, mais je pense que l'on
a déjà désormais plus d'expertises collectives
sur le sujet des nanotechnologies que de publications françaises
sur l'évaluation des risques. Je pense qu'il y a là
besoin de mieux organiser, de mieux systématiser, de
mieux organiser les forces d'expertises dont nous disposons,
et qui ne sont pas très nombreuses dans notre pays.
Organiser
la gestion des risques et le débat public
La
deuxième chose, me semble-t-il est d'organiser l'évaluation
des risques. Des collègues disaient dans le film que
l'on vient de voir :"c'est la première fois
que l'on se préoccupe d'évaluer les risques avant
même que l'on soit passé à l'étape
de production". Or je ne suis pas d'accord avec cette
assertion : c'est loin d'être la première fois,
il existe de très nombreux exemples dans l'industrie.
Le monde du médicament en est par exemple une illustration
tout à fait convaincante.
Cela
dit, je ne suis pas du tout convaincu que les investissements
faits dans le domaine de l'évaluation des risques soit
à l'heure actuelle à la hauteur des investissements
qui se comptent en milliards d'euros - la Commission européenne
vient de nous le rappeler. En fait, on en est très très
loin.
Si on regarde par exemple ce qui se passe dans le domaine pharmaceutique,
dans le domaine de l'aéronautique ou dans celui du nucléaire,
qui sont trois grand domaines porteurs de risques, on aurait
à peu près 10% de l'investissement de l'industriel
qui se porterait sur les questions de sécurité
et cela, je suis désolé, on en est loin pour les
nanotechnologies. Mais ce n'est pas juste une question de montant
d'argent. C'est aussi une question d'organisation de la communauté
scientifique, de formation des jeunes et d'avoir suffisamment
de compétences justement pour évaluer ces risques.
Enfin, je pense - et cela fait aussi partie du principe de précaution
- qu'il faut organiser le débat public et le succès
d'une après-midi comme celle-là montre combien
ce besoin est fort, et c'est tout à fait normal. De nombreuses
initiatives ont déjà été prises,
d'autres vont arriver. De façon personnelle, je pense
qu'une question aussi importante justifie, si l'on veut être
dans un esprit de précaution, une sorte de forum permanent,
de débats, aussi bien sur les aspects bénéfices
que sur les aspects risques.
Et
il me semble que c'est au prix de ces procédures, qui
n'ont rien d'extraordinaires, que l'on peut donner un contenu
concret au principe de précaution. Il faut tirer les
leçons des précédents, comme l'amiante,
cela a été dit, qui est un échec de la
prévention, ou encore la question des OGM, qui d'une
certaine façon est un échec de procédure
de précaution qui a abouti au blocage total dans lequel
nous sommes actuellement en France. Citons aussi la crise de
la vache folle qui est à la fois initialement un échec
de la précaution mais ensuite un succès de la
prévention. Derrière ces trois politiques publiques
je pense que nous avons tous les ingrédients qui doivent
nous permettre de promouvoir une gestion des risques modernes,
dans des situations comme celles-là.
Philippe Pérez :
Didier Sicard, comment peut-on concilier finalement le principe
de précaution - dont on vient de dire qu'il est inscrit
dans la Constitution et nous sommes le seul pays au monde à
avoir ce type d'article - et le besoin de progrès économique,
industriel, scientifique dont nous avons parlé ? En d'autres
termes, est-ce que la science, l'économie et l'industrie
sont compatibles avec un principe de précaution poussé
à son extrême tel que cela semble être le
cas en France ?
Didier
Sicard : Je ferai une réponse lapidaire :
il est poussé à son extrême sur le plan
institutionnel. Il est poussé à son minimum sur
le plan pratique et l'histoire des crises sanitaires en France
en est une bonne démonstration.
Je reviens sur le débat. Vous faisiez antérieurement
allusion au débat sur les OGM, tenu dans cette instance,
il y a 6 ans, débat dont je faisais partie. Et je me
dis que peut-être aujourd'hui, l'atmosphère mutuelle
est plus chaleureuse et plus respectueuse. Car le débat
sur les OGM s'était terminé ici dans cette instance
par un pugilat où au fond, les administrations, les scientifiques,
les entreprises disaient : "circulez, il n'y a rien à
voir. Nous sommes certains de l'innocuité totale ".
Et de l'autre côté se trouvaient des citoyens,
des Associations telles Greenpeace qui disaient "c'est
le scandale du siècle ". Donc au fond, la nécessité
est qu'il ne faut pas qu'un débat soit un échec
et aboutisse à cette partie de ping-pong un peu vaine.
La question du respect des personnes...
Alors
brièvement, l'éthique. Ou bien on la confine dans
une sorte de divination d'un bénéfices/risques
pour laquelle elle est encore plus impuissante que les experts,
et il n'y a pas d'experts en éthique. Ou bien on la confine
dans une espèce de réflexion humaniste sur la
modification de la personne par telle ou telle substance. La
question n'est pas là. La question c'est l'éternelle
question du respect des personnes, et du respect des personnes
par la science.
Et ce n'est pas forcément facile de savoir quel est le
curseur du respect des personnes. Et peut-être que dans
ce débat actuel sur les nanotechnologies, ce qui apparaît,
ce qui transparaît justement dans l'avis de la Commission
européenne pour la bioéthique, avis du 17 janvier,
c'est l'embarras. C'est l'incantation qu'il faudrait dépenser
plus d'argent parce qu'il faudrait rechercher de façon
plus précise les risques. Et on a l'impression que c'est
de l'ordre de l'évidence. Mais lorsqu'on a dit cela,
c'est pour au fond se défausser : on l'a dit, mais on
n'a rien fait.
Quels retentissement des nanomatériaux
sur le plan biologique ?
Et
on est quand même extrêmement frappés de
voir que d'un côté il y a des informations sur
le franchissement des barrières, par exemple entre le
sang et le cerveau. Cette grande barrière qui protège
peut-être des infections du cerveau pour telle ou telle
bactéries dans le sang.
Alors, ou bien cela franchit les barrières, et cela pose
des questions nouvelles qu'il faut travailler. Ou bien, cela
ne les franchit pas et là, il faut avoir des preuves
absolues que cela ne les franchit pas.
Et peut-être que dans ce domaine, la recherche de preuves
négatives, pour une fois, s'impose. Et ce n'est pas simplement
parce qu'on aura badigeonné telle ou telle souris de
telle ou de telle crème ou de tel ou tel nanomatériaux
que l'on pourra, le cur léger, continuer à
penser qu'il n'y a pas d'effet à long terme.
Parlons de la notion, au fond, de biodégradabilité
des nanomatériaux. Elle pose question. Quel effet par
exemple sur l'humain, au début de la vie, l'embryon,
les femmes enceintes... si ils sont exposés aux nanomatériaux
? Le problème, c'est de ne pas exposer (...). La recherche
sur l'animal, même si s'il y a un espace considérable
avec l'humain, s'impose.
Au fond, pour qu'il y ait un climat de confiance, il faut éviter
d'avoir cette vision que l'on voit parfois dans les films :
"c'est merveilleux, les stent(1)
vont pouvoir avoir une action locale et il n'y aura pas de toxicité
générale, les médicaments, c'est fini,
ils ne seront plus toxiques parce qu'ils vont atteindre leur
cible
". il y a ici un côté film animé,
un côté excessivement prometteur de façon
radieuse, alors que la question très simple que les citoyens
se posent est : quel est le retentissement de ces nanomatériaux
sur le plan biologique.
Et c'est vrai que l'investissement en matière de recherche,
en matière de médecine, n'est pas à la
hauteur et ici, la France n'est pas isolée, c'est plutôt
un problème européen, américain et asiatique.
C'est-à-dire qu'il y a d'un côté cette vague
inquiétude, avec ce transfert sur ce qui pouvait apparaître
il y a quelques années sur la gelée grise(2),
l'autoréplication, qui sont, là encore, des questions
de science fiction, qui ne sont pas les questions importantes,
de débats - éventuellement animés - mais
qui ne sont pas à mon avis des débats centraux.
Or, la vraie question est : Pouvons-nous continuer à
avoir cette finalité d'utilisation, avec cette compétition
de milliards, de centaines de milliards de dollars, et que nous
ne pouvons même pas répondre à des questions
essentielles extrêmement simples. Quelle est le devenir
à long terme de ces nanomatériaux au début
de la vie, au milieu de la vie, après la mort ? Est-ce
que les nanomatériaux ne se dégraderont plus jamais
? Quel est, au fond, ce rapport du corps aux nanomatériaux,
avec leurs propriétés physique.
Et le danger ici est d'en faire une espèce de diabolisation
de type Greenpeace, qui disait que c'était l'apocalypse.
Ce serait tout à fait absurde de présenter cela
de cette façon.
L'inquiétude éthique est de se dire qu'on est
peut-être à un moment charnière où
l'on voit la rapidité d'usage et l'incertitude sur le
devenir.
(1)
Ndlr : Du nom d'un dentiste anglais. Petit ressort glissé
dans une cavité naturelle humaine pour la maintenir ouverte.
Il est essentiellement utilisé dans des artères
au cours d'une angioplastie. Ils peuvent également être
employés dans l'urètre, les canaux biliaires.
(2) Inquiétude notamment exploitée dans le livre
"Prey" (La Proie) de Michael Crichton, ouvrage dont
nous avons parlé dans nos colonnes (voir
actualité du 04/02/03)
Philippe
Pérez : Nous allons terminer avec
Philippe Lemoine, qui outre être président directeur
général de Laser, est aussi membre de la CNIL.
Et pourquoi la CNIL ? : parce que l'on commence à parler
de certains capteurs (nous avons quelques exemples dans le film
qui a été projeté tout à l'heure)
qui pourraient être introduits dans le corps humains,
chargés de récolter une information qui par définition,
serait extrêmement intime puisqu'elle concerne notre santé,
domaine privé s'il en est. Alors évidemment, on
se pose la question de savoir qui peut utiliser cette information
? Ce débat est déjà un peu ancien, mais
il rebondit avec l'arrivée des nanotechnologies puisque
nous sommes ici confrontés à une science et une
technologie qui permet d'accéder de façon extrêmement
discrète à ces paramètres personnels.
Que pouvez-vous nous en dire ?
Philippe
Lemoine : Je voudrais mettre ici l'accent sur les
enjeux vus par cette problématique Informatique et liberté,
et donner des pistes d'interrogations.
Vu du côté Informatique et liberté, il existe
deux grands enjeux : :
-
un enjeu lié à ce que représente ce passage
à l'échelle nano, c'est-à-dire à
l'échelle de l'atome, par rapport à celle du micron,
dix fois plus importante, niveau auquel se situe l'électronique,
et l'informatique d'aujourd'hui. Ce changement d'échelle
est l'annonce d'évolutions très fortes.
Il s'agit d'abord de la poursuite du mouvement de miniaturisation
qui existe en informatique et électronique, la poursuite
du mouvement de gain extrêmement rapide de performances,
liée à la miniaturisation elle-même. Vous
connaissez tous la loi de Moore, disant qu'il existe tous les
18 mois un doublement de la performance, par rapport au même
prix de revient des composants. Et cela va continuer. Donc il
existe des changements extrêmement importants.
Un bouleversement lié à
la capacité proche de gérer à distance
des événements et des objets à l'échelle
atomique
Mais
les plus importants à venir, ce sont ceux liés
à la capacité d'identification des objets, des
produits, des événements et leur interconnexion.
En même temps que cette miniaturisation et de ce qu'on
appelle l'informatique pervasive - celle qui pénètre
dans les différents aspects, dans les différents
objets et éléments, on a une évolution
importante du plan de nommage internet.
Avec la version actuelle d'internet, la version 4 (IPV4), on
a la possibilité de gérer 4 milliards d'adresses,
ce qui est maintenant un petit peu juste (on en est à
un peu plus d'1milliard d'internaute sur la terre). Avec IPV6,
il sera possible de gérer 340 milliards de milliards
de milliards de milliards d'adresses : c'est donc un changement
extrêmement important dans lequel on n'est pas dans l'optique
de pouvoir connecter par internet uniquement chaque être
humain - ou chaque être humain dans des situations différentes,
pas uniquement chaque machine, pas uniquement chaque objet de
consommation (2000 à 3000 objets entourent chaque être
humain en moyenne sur terre), mais cela permet d'avoir pratiquement
une codification au niveau précisément de l'échelle
atomique.
Donc les réflexions qui existent en matière d'informatique
ou de technologies de l'information - je rappelle que cela représente
à peu près 60% de ce qu'on attend des applications
industrielles des nanos, aussi dans le domaine informatique
et électronique, sont liées à cette capacité
de gérer à distance des événements
et des objets à l'échelle atomique.
Vers
la métaconvergence
-
Et donc, le deuxième grand enjeu qui arrive là-dessus
est ce que la National Science Foundation (NSF) a appelé
la " métaconvergence ", ce rapprochement entre
nano, bio, info, cogno, c'est-à-dire le rapprochement
NBIC entre tout ce qui est lié aux technologies de l'information,
notamment, et aux sciences du vivant. Mes deux confrères
viennent d'évoquer avant moi les problématiques
liées aux sciences du vivant, eh bien il va y avoir de
plus en plus d'interactions avec un monde tout à fait
différent, qui est celui des sciences de l'information,
qui se pose d'autres questions, de l'informatique ou autre,
et qui peut représenter d'autres dangers ou d'autres
risques - pour prendre le vocabulaire qui a été
institué jusqu'à présent.
Des
pistes d'interrogation
Dans
ce cadre, je mentionnerai trois pistes d'interrogation, extrêmement
importantes :
1)
nous devons éviter une "suridéologisation"
en France de ces problèmes.
En fait, lorsque l'on parle des nanotechnologies, on a l'impression
que l'on rencontre à la fois le mythe du Golem, l'être
artificiel, le mythe de Big Brother, et le mythe du surhomme.
Il faut dire que la NSF porte ici sa part de responsabilité
puisque l'on a dopé les crédits de recherche sur
les nanotechnologies aux Etats-Unis en considérant -
pour prendre les termes employés par la NSF - qu'il y
avait la possibilité, derrière le thème
des nanotechnologies, de développer les capacités
mêmes de l'homme et qu'il y avait une perspective appelée
transhumanisme, c'est-à-dire un homme en transformation
: je pense ici que c'est la meilleure façon de susciter
des débats stériles, à savoir que dès
qu'on finance la recherche et développe les programmes
de recherche, on peut y introduire des perspectives aussi idéologiques
que celles-là ;
Des
développements qui doivent correspondre à une
finalité claire et légitime
2)
Il faudra qu'il y ait peu à peu des rapprochements entre
les perspectives dans lesquelles les sciences du vivant, les
perspectives qui ont eu lieu sur les OGM et des débats
qui sont issus de l'écologie ont construit certains principes
d'action, dont le principe de précaution et les types
de débats qui ont existé autour du thème
" informatique et liberté ".
Comme
il a déjà été dit, il n'y a pas
du tout quelque chose de neuf en matière d'informatique
et liberté, ce sont des enjeux dont il est question dans
les démocraties occidentales depuis le milieu des années
70 et qui a amené à mettre l'accent moins sur
un principe de précaution que sur un principe de finalité.
Un peu comme lorsque Nietzsche disait que "Dans la volonté
de puissance, le plus grand danger était le développement
des techniques lorsqu'il n'y a pas de finalités qui sont
données" : les législations informatique
et liberté sont construites autour de l'idée de
dire que nous n'acceptons pas le développement d'application
des technologies qui ne correspondent pas à une finalité
déterminée.
Il s'en suit alors un ensemble de principes qui sont importants
dans les lois informatique et liberté et qui consistent
à dire qu'un traitement doit correspondre à une
finalité claire et légitime ; on ne peut saisir
de l'information que de façon loyale et licite, dans
la logique même dans lequel elle repose ; les citoyens
doivent avoir un moyen de s'opposer à des saisies illicites
d'information, de pouvoir accéder aux informations qui
les concernent et pour certains types de traitement, il faut
des mécanismes d'autorisation, de régulation par
des instances telles que la CNIL
Mieux
faire connaître l'action de la CNIL car les principes
qui structurent les lois informatique et liberté sont
totalement méconnus des milieux qui s'occupent aujourd'hui
de nanotechnologies
3)
On se rend compte que dans tous ces débats, la CNIL a
beaucoup de pain sur la planche. la première des choses
à faire est de se faire mieux connaître. Parce
qu'on se rend compte que, en prenant la décision de participer
à tous les débats ayant lieu sur les nanotechnologies
- j'ai participé à des débats citoyens
à Grenoble, en Ile-de-France ou autres) et à cette
occasion, on s'aperçoit la plupart du temps que les principes
qui structurent les lois informatique et liberté sont
totalement méconnus des milieux qui s'occupent aujourd'hui
de nanotechnologies et donc on a la preuve que la première
chose à faire est de faire connaître ces lois,
de montrer qu'elles ont une pertinence par rapports aux évolutions
en cours.
Philippe
Pérez : Deux questions, émanant
de chercheurs du CNRS.
La première a trait à la toxicité. Un certain
nombre de chercheurs disent que des particules qui ne sont pas
toxiques au niveau macromoléculaire peuvent le devenir
quand elles franchissent la barrière des nanotechnologies
ou des nanoparticules. C'est-à-dire, en quelque sorte,
parce qu'elles rentrent dans la cellule, leur mode d'action
se modifie, et donc elles deviennent alors toxiques. Qu'en est-il
?
Et j'ai aussi une question secondaire à celle-ci : y-a-t-il
donc une spécificité à la toxicité
des nanotechnologies ? Faut-il restreindre les recherches ou
faut-il intégrer dans les recherches ou dans l'éthique
des recherches cette dimension qui fait que le monde de la nanotechnologie
est différent du monde macro et que, ceci étant,
il faut prendre des précautions supplémentaires
?
Nous
sommes déjà exposés aux nanoparticules
William
Dab : Est-ce une nouveauté ? Oui et non. Nous
sommes déjà exposé à des nanoparticules
: la combustion des moteurs diesel ou essence de nos voitures
fabriquent des nanoparticules que nous respirons. La toxicologie
et l'épidémiologie des particules ultrafines est
quand même relativement bien cernée, y compris
sur le plan de la discussion de la causalité avec certains
problèmes respiratoires, certains problèmes cardiaques,
causalité non démontrée, mais jugée
digne d'intérêt sur des cancers, notamment ceux
du poumon.
Donc on ne part pas de rien. On a très bien vu dans le
film projeté que, s'agissant des nanoparticules, si elles
se comportent comme des particules libres et indépendantes,
et comme Didier Sicard le disait à l'instant, on a suffisamment
de motifs pour être en situation d'hypervigilance, parce
qu'à la toxicité propre des particules ultrafines
va s'ajouter la capacité de passer à travers toutes
les membranes biologiques de l'organisme. Nous avons déjà
des photos prises au microscope électronique qui montrent
des particules incluses dans les cellules myocardiques, par
exemple, qui sont respirées, qui passent à travers
la barrière alvéolaire, qui passent à travers
la barrière vasculaire , qui passent à travers
la barrière cellulaire et que l'on retrouve dans le myocarde.
Cela entraîne-t-il des conséquences sur les troubles
du rythme cardiaque ? Ce n'est pas démontré, ce
n'est pas étudié. Il n'y a pas de recherches cliniques.
Mais les cadres qui nous permettent d'étudier cette toxicité
existent. Les travaux très nombreux qui ont été
en France comme au niveau international en matière de
pollution atmosphérique ultrafine - et même si
le thème des nanos porte en lui un changement de paradigme,
je pense que l'on a quand même des bases fortes pour guider
les recherches en matière d'évaluation des risques
et en cela on ne part pas de rien.
Philippe
Pérez : Je me tourne vers
vous Monsieur Sicard pour vous poser la question un peu en d'autres
termes. Compte tenu de ces inconnus physiques qui pèsent
sur les nanotechnologies, faut-il légiférer de
manière particulière pour prendre en compte cette
inconnue dont beaucoup juge qu'elle fait prendre un risque très
important à la population ?
Didier
Sicard : Je ne crois pas que la loi soit destinée
à protéger les risques. En tous cas, c'est toujours
a posteriori que telle ou telle revendication d'indemnisation
intervient , et la loi peut avoir ici son rôle. Mais on
imagine mal la loi très précise encadrant telle
ou telle recherche, ou alors elle le fait sur un plan embryologique
: l'embryon , par exemple, avec la loi sur la bioéthique.
Mais on ne voit pas très bien comment la loi interdirait
ex cathedra l'utilisation de nanomatériaux chez
l'homme. La question posée ici est le travail, c'est-à-dire
la capacité, l'exigence.
Tout à l'heure, notre collègue européen
dans sa présentation disait qu'il fallait plus de connaissances.
Or on s'aperçoit que la connaissance est tirée
vers l'usage et que la connaissance vers ce qui pourrait gêner
l'usage apparaît toujours comme suffisamment contraignante,
coûteuse, pour être retardée par les autres.
Et je pense que la France a ici peut-être une responsabilité
particulière en raison de son passé, lors d'affrontements
ambigus dans des crises précédentes.
Question
de la salle, émanant d'un responsable d'une
association de développement d'un village malien.
La loi de Moore s'adapte-t-elle aussi à la fracture sociale
? J'entends par là : va-t-il y avoir un fossé
toujours plus grand - je pense qu'il existe - entre les nanobranchés
(ceux qui naviguent avec leur téléphone satellitaires
et tout ce qu'on veut) ? Et en matière de santé,
quels sont les équipements, les hôpitaux qui pourront
manier ce genre de techniques ? Et signalons la fracture avec
les pays en voie de développement parce qu'ils n'auront
jamais accès à ce genre de techniques, qu'ils
ne maîtriseront pas.
Didier
Sicard : C'est évident. La question posée
ici est celle de voir que nous sommes dans une fracture qui
ne se consolide pas mais qui est en train de craquer, et toujours
plus chaque jour.
La simple transfusion sanguine, qui était possible dans
son principe dans les années 70, ne l'est plus en 2007
parce que nous avons établi des normes scientifiques
de sécurité qui sont absolument incompatibles
avec les pays du Sud . Alors, dans ce domaine, l'usage des nanomatériaux,
de nanotechnologies, de nanomédicaments par les pays
du Sud
Oui, c'est évident. Mais ce n'est qu'un
des aspects secondaires. Et se réfugier dans cette question
en pleurant, en disant "le Sud n'aura pas, il me semble
qu'il faudrait s'en méfier.
Je crois que la question est générale et a trait
à notre égoïsme permanent et notre incapacité
croissante, au fond, notre mépris du Sud croissant. Et
les nanotechnologies n'en sont qu'une illustration, mais elles
ne l'aggravent pas.
Autre
question de la salle émanant d'un représentant
du groupe stratège Eco international :
Il me semble qu'il est peut être simple de faire une analyse
de risque sur une nanoparticule, prise à un instant t,
avec son effet sur une semaine, un an, deux ans. Je peux conceptualiser
le fait que l'on fasse des analyses sur les effets cumulés
de 10 natures de nanoparticules différentes sur un an,
deux ans, trois ans. Est-on bien capable d'analyser des effets
sur 10, 20, 30 ans sur un corps humain, effets cumulés
de plusieurs dizaines ou centaines de nanoparticules de nature
différente ?
William
Dab : La réponse est oui, mais partiellement.
Qu'est-ce qui est intéressant sur le plan de la santé
publique et de quoi a-t-on besoin pour gérer rationnellement
le risque ? Ce n'est pas d'une connaissance aussi fine que celle
que vous énoncez. Mais on a besoin de savoir, dans les
conditions réelles de vie, dans lesquelles nous sommes
exposés simultanément à des centaines de
polluants, des centaines d'agents chimiques, physiques, biologiques,
quel est leur impact global sur la santé.
Mobiliser l'épidémiologie dans le domaine
des nanotechnologies
Et
là, nous avons aujourd'hui - et c'est le grand changement
ici - des méthodes et des techniques qui nous permettent
d'avancer dans la voie d'une gestion rationnelle. Attention,
je ne dis pas que cela nous permet de répondre à
toutes les question, mais je parle ici de gestion rationnelle.
La toxicologie est là pour nous parler des mécanismes.
Pas des impacts sur la santé. Pour parler des impacts
sur la santé, nous avons l'épidémiologie
- qui n'est pas encore mobilisée à l'heure actuelle
dans le domaine des nanotechnologies, alors qu'elle devrait
l'être puisqu'il y a d'ores et déjà des
travailleurs exposés. Ils devraient d'ores et déjà
être surveillés sur le plan épidémiologique.
L'INSERM va s'y mettre.
C'est très bien, mais pour moi, il faut s'y mettre cette
année. Pas l'année prochaine, mais dès
maintenant.
Philippe
Pérez : Peut-on dire que plus le risque
est faible, finalement, plus la mesure du risque est compliqué
?
William
Dab : Pour l'instant, :je ne sais pas si il est faible
ou pas. L'autre chose, c'est que l'on a toutes les méthodes
d'évaluation des risques, au sens du savoir existant
pour modéliser le risque futur qui peut être mobilisé,
sur lequel d'ailleurs les journaux de langue anglaise commencent
à parler. Juste au cours de la semaine qui vient de s'écouler,
j'ai pu voir 6 articles de ce type dans ma revue de presse.
Un savoir qui va se construire
C'est-à-dire
qu'on utilise des modèles mathématiques pour prévoir
un certain nombre d'impacts. On génère ces modèles
à condition de faire des hypothèses. Celles-ci
sont-elles vraies ou fausses ? : il est encore trop tôt
pour le savoir. Mais on fait par exemple la même chose
pour modéliser l'épidémie de grippe. On
sait que le pic épidémique sera atteint fin février-début
mars. On le sait aujourd'hui de façon relativement robuste
parce l'on a 20 ans de recul. Donc ce n'est pas un savoir qui
va se construire du jour au lendemain, mais nous disposons de
méthodes scientifiques qui permettent de modéliser,
et qui accompagneront ce développement industriel.
Philippe
Pérez : Pour encore préciser la
question, qui tracasse de nombreuses personnes, j'ai d'autres
questions qui tournent autour de ce thème. Peut-on, grâce
à la modélisation justement espérer avancer
dans ce domaine et répondre à cette question,
comme on le fait en épidémiologie normale : dans
30 ans ou dans 40 ans, et au cours de toute une vie, une personne
qui aurait été exposée à une telle
somme de particules pourrait effectivement avoir un risque supplémentaire
? Est-ce qu'on saura faire cela ? D'ailleurs, y a-t-il un sens
a essayer de le faire ? Et si on ne peut pas le faire, faut-il
mettre alors en avant le principe de précaution qui consiste
à dire : puisqu'on ne sait pas mesurer un risque, restons
assis sur notre chaise et reparlons-en dans 30 ans
?
Le
principe de précaution est de dire "je fais, mais
avec des procédures
qui me permettent toujours de faire marche-arrière
William
Dab : Non. Le principe de précaution, ce n'est
pas cela. Ce n'est pas de dire "Si je ne sais pas, je ne
fais pas". Le principe de précaution est de dire
: "Je fais, mais avec des procédures qui me permettent
de faire marche-arrière si on s'aperçoit avoir
pris une voie qui est erronée."
Le grand développement de l'épidémiologie
aujourd'hui, c'est la possibilité relativement peu coûteuse
offerte par les nouvelles technologies de communication, de
mettre des cohortes sous observation scientifique et médicales.
Cohorte, mot bizarre vouant dire qu'il s'agit de groupes de
personnes qui partagent un certain nombre de caractéristiques
et qui sont mises sous observation.
La première cohorte qui n'ait jamais été
réalisée est celle de Framingham en 1948. Toutes
les connaissances acquises sur la prévention des maladies
cardio-vasculaires dont on dispose aujourd'hui nous viennent
de cette cohorte-là. Ceci représente 60 ans de
recherches accumulées. Richard Dole à montré
par une cohorte, chez les médecins britanniques, que
le tabac était cancérigène. Et à
l'époque, ils ont fait cela avec du crayon, de la gomme
et du papier. Aujourd'hui nous disposons d'internet, de téléphones
portables
la technologie nous permet de faire des cohortes
épidémiologiques de très grandes ampleurs,
y compris - pour répondre à votre question - la
capacité d'identifier des risques beaucoup plus faibles
qu'auparavant. Et c'est ce type de technologie qu'il faut mettre
en uvre, dès maintenant.
Phillippe
Perez : une question sur la traçabilité.
Comment peut-on, et peut-on être sûr, que les particules
ou nanoparticules qui seront utilisées ne se disperseront
pas dans la nature, que l'on pourra les récupérer
(même si cela paraît extrêmement difficile)
? Comment prendre en compte cette dimension de traçabilité,
qui est vraie d'ailleurs dans beaucoup de secteurs, à
commencer par l'agroalimentaire ? Peut-on imaginer de mettre
en place des structures ou des organisations ou des procédures
pour imposer aux gens qui manipuleront ces nanoparticules une
forme de traçabilité telle qu'on la connaît,
par exemple, dans l'industrie pharmaceutique ?
William
Dab : En partie oui, il me semble. D'ailleurs, dans
son rapport d'expertise, l'Agence française de sécurité
sanitaire et du travail donne ici des recommandations sensées.
Mais une question scientifique n'est pas résolue, ne
relevant pas de l'épidémiologie, question cruciale
et dans laquelle il faut faire un effort très important.
Il s'agit de la métrologie, c'est-à-dire les méthodes
qui permettent la mesure de ces nanoparticules.
Développer les méthodes
de mesurages en nanotechnologies, dans lesquelles nous sommes
actuellement très démunis
Nous
n'avons pas de méthodes de mesurage à cette échelle
qui soit standardisée, c'est-à-dire valide et
reproductibles. Einstein disait : "Une science a l'âge
de ses instruments de mesures" . Et alors là,
pour le coup, nous sommes extrêmement démunis et
il faut organiser très vite la communauté des
métrologues, pour la France et pour l'Europe. Parce que
si on crée les masses critiques, je pense que l'on peut
avancer assez vite et disposer des appareils de mesure et de
suivi de ces particules, qui permettront la traçabilité
que vous évoquez.
Autre
question de la salle émanant d'un consultant
indépendant dans le domaine des nanotechnologies:
Ma question concerne les réglementations. A partir du
moment où vous incluez des nouvelles technologies, vous
avez des paramètres qui viennent s'inclure les uns par
rapport aux autres. A combien évaluez-vous le nombre
de ces paramètres pour disposer d'une vision exhaustive
du cahier des charges que vous semblez vouloir mettre en place
? Et une deuxième question, récurrente à
celle-ci, est bien évidemment de savoir comment vous
évaluez, par rapport au principe de précaution,
le frein que vous mettez avec ce principe par rapport à
la compétition mondiale dans le domaine des nanotechnologies
?
Dider
Sicard : La traçabilité est un domaine
très important.
Elle a rapport avec la question de l'insu, c'est-à-dire
d'être au courant. Et effectivement la traçabilité
aboutit paradoxalement à une inquiétude excessive.
S'adapter aux nouvelles technologies
sans forcément en faire immédiatement
un passage normatif légal
Des parlementaires européens et américains,
je crois, se sont fait doser tel ou tel cadmium ou tel ou tel
métaux dans le sang, pour voir inscrire, désormais
dans l'espace public, des normes de cadmium sanguin. Et l'on
s'aperçoit qu'il est absurde de définir la présence
d'un nanomatériau du cadmium sans que l'on ait pu travailler
sur le danger du cadmium. Il ne faut donc pas prendre le problème
à l'envers. La traçabilité doit être
parallèle, mais le travail réside avant tout dans
l'accumulation de données modestes. Ce que la société
demande, ce n'est pas l'exhaustivité de la connaissance.
On se rend compte que c'est absurde et que ce ne sera jamais
le cas. On demande de pouvoir progressivement et simultanément
avancer, non pas en termes de normes, de quantité de
nanomatériaux dans l'atmosphère, ce qui aboutirait
au fond à une impossibilité technique. Mais plutôt
sans cesse d'avancer chez l'animal, à une surveillance
chez l'homme, au fond d'inventer, d'avoir sur un imaginaire
scientifique capable de s'adapter à ces nouvelles technologies
sans en faire immédiatement un passage normatif légal,
qui me paraîtrait contreproductif et en même temps
internationalement vain.
Philippe
Perez : J'aimerais que nous revenions sur le problème
de finalité dont vous parliez tout à l'heure,
parce que l'on voit bien que c'est aussi quelque chose à
double tranchant. On voit apparaître ici ou là,
aux Etats-Unis, des capteurs destinés avant tout à
une utilisation humanitaire. Il s'agit de surveiller des gens
fragiles, par exemple des personnes atteintes de la maladie
d'Alzheimer, par exemple avec la confection de bracelets qui
permettent de retrouver ces personnes, où qu'elles soient.
On voit aussi, avec l'arrivée des technologies RFID des
choses encore plus compliquées, telles par exemple des
puces injectables qui permettaient de retrouver des gens dans
certaines situations et l'on voit tout de suite, bien sûr,
les utilisations frauduleuses, ou tout au moins non-éthiques,
de ce type de produit.
Donc pour en revenir à ce problème de finalité,
à chaque fois que l'on dispose d'une nouvelle technologie,
on a une bonne et une mauvaise utilisation potentielle
Comment faire la part des choses et comment accepter le progrès,
quand il apporte un bénéfice supplémentaire
- ce qui semble être ici le cas - et qui bien sûr
peuvent conduire à des dérives auxquelles il faut
mettre bon ordre
Philippe
Lemoine : Je vous répondrai par trois remarques.
- Tout d'abord, merci de relancer par cette question. En fait,
nous nous trouvons devant des domaines de questions absolument
considérables et une après-midi entière
ne suffirait pas à avoir un débat sur les enjeux,
par exemple, liés à la santé. Mais si l'on
veut, dans cette enceinte de la République, rendre compte
des enjeux qui sont liés aux nanotechnologies, il n'y
a pas aussi importance sur ces enjeux de santé que cela.
Il ne s'agit pas ici d'une perspective d'avoir de la poussière
comme l'amiante ou des microparticules avec des effets sur la
santé. Il se trouve ici que ces poussières seront
intelligentes, dotées de fonctions d'intelligence, de
repérage, de suivi, et que cela pose une catégorie
de questions différente de celles abordées jusqu'à
présent. Et les problèmes ne sont pas vus sous
la même perspective.
Tout à l'heure William Dab parlait, dans une optique
de régulation, du problème de la traçabilité.
Ces problèmes de régulation par la traçabilité
peuvent être vus, dans d'autres circonstances et d'autres
usages, comme au contraire soulevant des problèmes qui
sont de l'ordre du contrôle. Les mêmes outils, qui
peuvent avoir dans certains domaines d'applications une utilité
pour la société, peuvent au contraire représenter
un risque.
- Deuxièmement, je crois qu'il faut bien distinguer la
vision prospective, dans laquelle nous sommes avec les nanotechnologies,
avec des situations actuelles qui existent d'ores et déjà
- vous avez parlé du bracelet électronique, de
la RFID qui existe aujourd'hui dans plusieurs pays pour avoir
par exemple des documents d'identité qui sont contrôlés
à distance de telle ou telle façon, qui vont être
utilisés plus généralement pour le suivi
de médicaments ou de produits de consommation - tout
ceci ne repose pas sur une échelle nano, mais pose aujourd'hui
un problème de généralisation de la surveillance
à distance grâce aux traces que laissent ces objets.
Nous sommes passés du sujet
des fichiers à celui du contrôle des traces
L'objet
principal de travail de la Commission informatique et liberté
a peu à peu glissé d'un sujet qui était
les fichiers à un sujet qui est celui du contrôle
des traces. Un exemple : lorsque vous utilisez un téléphone
portable, même lorsqu'il est éteint, il laisse
des traces lorsqu'il est en veille, qui permettent d'obtenir
une géo-localisation à distance des personnes.
Aujourd'hui, les différents opérateurs de télécommunications
d'un pays comme la France doivent répondre à des
questions de la justice, des juges d'instruction, de la police.
Et c'est déjà massif. Aujourd'hui, chez un opérateur
de télécommunications, il y a 70 personnes travaillant
à temps plein, qui ne font que répondre à
des demandes des juges d'instruction ou de la police sur ces
questions de géo-localisation.
Et on n'est pas là du tout dans une optique de prospective.
Lorsque vous avez parlé de la RFID, il s'agit d'une technologie
pour aujourd'hui et pour demain qui n'est pas encore à
une échelle prospective.
Ne jamais accepter le raisonnement
qui consiste à dire que l'on stocke les informations,
même si aujourd'hui on ne sait pas quoi en faire, "parce
que cela sera nécessaire demain"
Alors,
pour revenir à votre question, peut-on agir aujourd'hui
et que peut-on faire par rapport à demain ? Oui et ce
que la CNIL souhaite faire, c'est d'autoriser - en répondant
au principe de finalité - des applications à chaque
fois en fonction d'une finalité déterminée
et refuser systématiquement le raisonnement de technicien
qui consiste à dire "si pour cette application,
on recueille des informations, il faut les garder car elles
seront peut-être utiles demain pour autre chose".
Et ici la CNIL répond qu'il ne faut pas les garder.
Si vous imaginez autre chose, eh bien à ce moment, vous
le préciserez et vous ferez de nouvelles demandes d'autorisation.
Nous n'admettons jamais le raisonnement qui consiste à
dire que l'on stocke les informations, même si aujourd'hui
on ne sait pas quoi en faire, parce que cela sera nécessaire
demain. Et ceci nous paraît d'autant plus fondamental
que nous vivons dans une époque dans lequel existe une
demande de sécurité considérable, et l'on
constate que par exemple dans ces domaines de téléphonie
ou de connexion internet, dans tous ces domaines qui laissent
des traces, il y a nombreux type de délais. Il y a le
délai technique nécessaire pour les opérations
; il y a le délai juridique, qui est souvent nécessaire
pour les opérateurs de garder de l'information en cas
de contestation de tel ou tel type. Il y a aussi les délais
marketing qui sont plus long. Et puis, au-delà, il y
a le fait que l'on peut avoir, comme le Patriot Act l'a créé
aux Etats-Unis ou comme plusieurs lois l'ont créé
en France en matière de sécurité, l'imposition
qui est faite à un opérateur de dire " ces
informations que vous aviez gardées, on va vous faire
l'obligation de les garder plus longtemps, parce qu'à
un moment ou à un autre, tel ou tel organisme de surveillance
va en avoir besoin. Eh bien, on vit déjà avec
cela et je crois que l'un des problèmes qui se pose avec
les nanotechnologies c'est que surtout compte tenu du besoin
de gérer les problèmes de traçabilité
pour les problèmes de santé ou autres, nous allons
avoir une démultiplication de ce type d'interrogation
par rapport à l'avenir.
Didier
Sicard : Le téléphone portable, on
sait que l'on en a ou que l'on n'en a pas. Alors que la question
des nanos c'est : "à l'insu des personnes".
Et donc là, on rentre dans une interconnexion cachée
qui pose d'emblée des problèmes qui doivent être
évoqués à présent.
Question
de la salle, émanant d'une journaliste (AGORAVOX)
:
Du point de vue de la traçabilité, on a évoqué
les efforts nombreux. Nous sommes quand même dans un constat
de réalité où les industriels mettent sur
le marché des nanotubes de carbone avec une appellation
de ces nanotubes qui est " graphite de synthèse
", c'est-à-dire qu'ils n'identifient pas le caractère
spécifique des nanotubes de carbone avec leur effet toxicologique
particulier , ce qui risque de poser un problème important
d'autant que les normes ISO ne sont guère attendues avant
2009. Donc, comment va-t-on s'organiser ?
Ce qui m'amène au deuxième volet de ma question
: j'ai été très sensible à l'exposé
de Philippe Gallay tout à l'heure du point de vue de
l'interrogation sur la gouvernance et il me semble que, au sein
des enjeux évoqués aujourd'hui, il faut s'interroger
sur la synergie des acteurs. Et on voit très bien que
l'innovation technique ne s'assortit pas aujourd'hui d'une innovation
sociale. On a vu dans la mise en place de MINATEC à Grenoble
qui même si Jean Therme (première table ronde)
s'est organisé pour visiter beaucoup de maires locaux
pour faire connaître son projet, eh bien la machine de
questionnement social , de discussion publique, ne s'est pas
organisée.
Philippe
Perez : Revenons à la première partie
de la question :
Faut-il s'inquiéter particulièrement des nanotubes
de carbone ?
Savoir articuler simultanément
la politique industrielle, la politique de recherche
et la politique de sécurité sanitaire
William
Dab : Non-plus particulièrement de celle-là
que d'autres. On n'en sait rien. Il y a trop d'incertitudes
- encore une fois - pour savoir construire une hiérarchie
des risques. Il y a un raisonnement analogique qui est écrit
dans des publications scientifiques, évidemment, lorsque
l'on cherche le référent qui nous permet de raisonner
"toxicité", on arrive très vite, en
termes de biodisponibilité, de durabilité, sur
la question de l'amiante. Donc c'est vrai qu'il y a là
un sujet particulier. Encore une fois, toutes ces questions
reviennent à la question de notre capacité à
articuler simultanément la politique industrielle, la
politique de recherche et la politique de sécurité
sanitaire. Et si on y arrive, on pourra alors mettre en place
des outils qui ne nous permettront pas forcément d'éviter
les risques, mais qui nous permettront de les détecter
le plus rapidement possible, quand il est encore temps de réagir
et de les maîtriser.
Voilà, il me semble, l'objectif raisonnable que l'on
peut se donner aujourd'hui dans notre société.
Mais si on laisse la politique de sécurité sanitaire
dans son coin, elle va manquer d'efficacité et de pertinence.
Philippe
Perez : une question pour monsieur Sicard : Vous
avez parlé tout à l'heure d'investissements insuffisants
dans le domaine de la surveillance. Que suggérez-vous
pour que l'on prenne en compte cela sous l'aspect financier
et qu'on lance des projets véritablement centrés
sur la mesure des risques potentiels des nanotechnologies. ?
C'est d'ailleurs un thème qui était apparu dans
une réunion qui s'est tenue au CNRS hier, où des
chercheurs eux-mêmes demandaient que ce soient des chercheurs
indépendants de ceux qui font des recherches sur les
nanotechnologies qui mènent des programmes spécifiquement
dédiés à l'étude de toxicologie
sur ces particules.
Dider
Sicard : Humblement, je n'ai pas de réponse,
mais je suis d'accord avec Catherine Bréchignac qui,
dans la première table ronde, se méfiait de cette
séparation.
Je crois qu'il ne faut pas séparer la recherche industrielle,
la recherche technologique, et la recherche du risque. Il faut
que ce soit les mêmes. Le problème réside
dans la valorisation des chercheurs, parce que celui qui est
plutôt du versant toxicologique est considéré
comme de seconde zone, alors qu'en fait il est plus important
que celui qui va chercher l'application. Donc, intuitivement,
je serais plutôt partisan que la recherche toxicologique
soit intégrée à la recherche-développement
et non pas séparée en en faisant une sorte de
ghetto de chercheurs, qui serait idéologiquement encourager
à dire qu'il n'y a aucun risque, ou alors qu'il y a des
risques considérables. 
Retour au sommaire