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Sciences,
technologies et politique
Replacer Airbus dans la compétition
pour les technologies de puissance
par
Jean-Paul Baquiast 09/03/07
|
Appelons
technologies de puissance celles qui sont nécessaire
à une nation ou un groupe de nations pour exister
de façon indépendante dans un monde marqué
par la compétition pour le pouvoir global. Ce monde
est encore aujourd'hui unipolaire, c'est-à-dire dominé
par la superpuissance américaine. D'autres empires
se préparent pour lui disputer cette domination :
la Chine, l'Inde. Dans la meilleure des hypothèses,
on aboutira à un monde multipolaire, où la
puissance sera mieux répartie, mais où la
compétition ne sera pas diminuée. Les industries
aérospatiales sont au premier rang des technologies
de puissance, sous leur aspect civil comme militaire. Elles
participent donc en premier chef à la course pour
la puissance.
L'Europe
veut-elle figurer en tant que puissance dans le monde multipolaire
qui se met en place ? Si oui, elle doit développer
l'éventail des technologies de puissance nécessaires,
en mobilisant les ressources des grandes nations en ayant
la capacité. Pour cela, elle doit protéger
et aider à se développer les industries aérospatiales
dont elle dispose, qu’elles produisent pour le marché
civil ou pour le marché militaire, au premier rang
desquelles se trouvent Airbus et EADS sa maison mère.
Que
signifie protéger et aider à se développer.
Ce n’est pas nécessairement mettre des capitaux
publics dans l’entreprise, que ce soit sous forme minoritaire,
majoritaire ou avec une minorité de blocage. Si l’Europe
disposait, comme les Etats-Unis, d’une réserve
pratiquement inépuisable de fonds privés prêts
à s’investir dans l’entreprise et à
servir, non leurs propres intérêts à court
terme, mais les intérêts stratégiques
à long terme liés au développement de
technologies de puissance, les capitaux d’Etat ou ceux
de collectivités locales ne seraient pas nécessaires.
Il suffirait que l’Etat fixe clairement les objectifs
stratégiques de l’entreprise, n’intervienne
pas à tort et à travers dans sa gestion, ne
lui impose pas des dirigeants à la compétence
douteuse et surtout, lui accorde une protection indirecte
analogue à celle que toutes les grandes puissances
accordent à leurs industries stratégiques(1).
C'est
bien ce que font les Etats-Unis en ce qui les concerne quand
il s'agit de Boeing. Prétendre que Boeing affronte
Airbus sur le marché international du transport aérien
dans un combat loyal entre entreprises capitalistes ne disposant
d'aucun appui de la superpuissance américaine serait
faux. L'Etat fédéral dispose de nombreux moyens
pour aider les entreprises stratégiques. Même
lorsque les actionnaires relèvent du secteur privé,
ils sont animés d'une volonté de patriotisme
qui en fait de bons soldats de la lutte pour la domination
globale. Les difficultés récentes de Boeing,
dues en grande partie à la mauvaise gestion, ont
été très vite effacées par une
mobilisation générale de toute la nation américaine.
Cette mobilisation s'exerce aussi quand il s'agit de combattre
Airbus et sa maison mère EADS sur les marchés
intérieurs et extérieurs, comme devant l’OMC
avec la querelle des aides indirectes.
Les
difficultés actuelles d'Airbus tiennent en grande partie
à ce que ni les Etats intéressés de près
ou de loin à son activité, ni l'Union européenne,
n'ont voulu admettre officiellement et pleinement la dimension
stratégique, c'est-à-dire vitale, de cette entreprise.
Dimension stratégique signifie primauté des
intérêts et de la volonté des Etats sur
les intérêts particuliers des actionnaires. En
effet, laisser jouer les intérêts privés,
c'est-à-dire ceux des actionnaires, soumet l'entreprise
à une course au profit immédiat empêchant
tout investissement humain et matériel durable. Ceci
d’autant plus que les actionnaires, tant français
qu’allemands, choisis par les Etats pour prendre place
au capital, n’ont qu’un médiocre intérêt
pour l’industrie aéro-spatiale comme d’ailleurs
pour l’industrie de défense. Ils n’y voient
pas l’occasion de réaliser les bénéfices
rapides ou les coups industriels qui les intéressent(2).
Une
tutelle bi-étatique
Par ailleurs, dans le cas d’EADS et d’Airbus,
ce n’est pas un seul Etat qui en exerce la tutelle,
mais au moins deux, la France et l’Allemagne. Il s’agissait
dans l’esprit des gouvernements d’une décision
logique, s’inscrivant dans un effort volontariste
pour concrétiser la construction européenne.
Mais cette décision a entraîné dès
le début des charges qu’une entreprise purement
nationale telle que Boeing n’a jamais eues.
Il
en est découlé des décisions paraissant
aberrantes au plan industriel mais très fondées
au plan diplomatique: mettre en place une co-direction franco-allemande
devant être exemplaire pour la construction européenne.
Cette co-direction impose des contraintes justifiées
politiquement mais indéniablement coûteuses en
termes comptables : partage de la gouvernance, des sites industriels
et des compétences comme aussi partage des sacrifices
nécessaires. Elle se fait inévitablement dans
un esprit de compétition franco-allemand (Chacun "
marquant l'autre à la culotte", selon l'expression
d'un ancien cadre supérieur). Faut-il pour autant y
renoncer ? Evidemment non, ce serait la fin de toutes perspectives
de coopération stratégique entre les Etats européens.
C'est ce qu'on voulu réaffirmer, semble-t-il, la chancelière
Merkel et le président Chirac lors de leur rencontre
à Meseberg le 23 février.
Mais
alors, il ne faut pas hésiter à renforcer
le caractère « public » et « non
libéral » de l'entreprise, en ne laissant à
ceux des actionnaires qui « tirent au flanc »
ni pouvoir de décision ni pouvoir de nuisance. Certains
groupes privés figurant au capital ont voulu ou veulent
se désengager...Qu'ils le fassent. Mais le remède
consistant à les laisser partir serait pire que le
mal si c’était pour les remplacer par d’autres
actionnaires privés qui seraient encore moins fiables
et peut-être se mettraient au service du concurrent
américain, dans le cas où ils proviendraient
de fonds d'investissements ou de pensions internationaux.
Dans
ces conditions, la seule solution en termes capitalistiques
consiste à augmenter les participations publiques,
jusqu’à obtenir au moins une minorité
de gouvernement. C’est ce que proposent maintenant
unanimement, semble-t-il, les dirigeants français
et allemands (lesquels dirigeants allemands, rappelons-le,
avaient au contraire fait pression sur le gouvernement Jospin
pour que des entreprises privées soient appelées
au tour de table).
La
direction d’Airbus, actuellement, dit ne pas souhaiter
une montée des Etats au capital. On peut estimer
qu’Airbus s'adressant à des acheteurs privés
du marché international, ceux-ci seraient susceptibles
d'être inquiétés par le statut d'un
fournisseur que la concurrence s'empressera de qualifier
d'étatique. Nous pensons que l'argument ne tient
pas. Les acheteurs veulent de bons avions, vendus par une
entreprise qui s'intéresse à leurs besoins
et acceptent la course à la compétitivité
du produit. Peu leur importe le statut juridique de l'entreprise.
Compenser
les charges indues
Renforcer
le caractère public et « intergouvernemental
» d'une entreprise comme Airbus (nous dirions la même
chose de EADS) ne voudra pas dire cependant soumettre la
direction de l'entreprise aux petits jeux permanents de
la rivalité entre administrations nationales. Il
faudra trouver moyen d'assurer l'indépendance de
la direction, à l'intérieur de directives
d'ensemble arbitrées par les Etats.
Mais
en contrepartie, lorsque ces directives imposeront, pour
des raisons diplomatiques très justifiées,
des décisions paraissant économiquement irrationnelles,
comme la répartition géographiques des sites
d'avenir, il faudra que les Etats remboursent à l'entreprise
les surcoûts correspondants. Ceci quoiqu'en disent
les économistes libéraux, l’OMC et la
Commission, dont le jeu en cette affaire parait comme d’habitude
aux antipodes du concept de souveraineté européenne
3).
Evidemment, il sera difficile de faire le départ
entre l'efficacité industrielle et les concessions
à la parité politique entre Etats-nations,
pour reprendre le terme de J.P. Fitoussi. Mais le bon sens
pourra y aider. Ainsi, les logiciels de conception des produits
devront être uniques, quoique en pensent certains
responsables d'usines. Mais par contre, et quelque soit
le surcoût, une égale répartition dans
la fabrication et l'assemblage des pièces maîtresses
sera nécessaire, au moins jusqu'à ce que l'entreprise,
ayant renoué avec le succès, puisse sans drames
politiques rationaliser son architecture géographique
et davantage inter-européaniser ses centres de production.
En
ce qui concerne les sous-traitants, qui font véritablement
partie de l’aventure Airbus et de sa culture d’entreprise,
il serait à la fois injuste et dangereux de les sacrifier
à la recherche d’un équilibre comptable
au déséquilibre duquel, nous l’avons
vu, ils n’ont qu’une part infime.
Notes
(1) Jean-Paul Fitoussi en fait la liste
dans un article du Monde (6 mars 2006, p. 2) au titre significatif
: une mondialisation d’Etats-nations. Son analyse dépasse
le cas d’Airbus mais s’y applique parfaitement
:
« Mais y compris à l'égard
des pays développés, il faut se garder de
toute naïveté. La protection y est multidimensionnelle
et prend des formes dynamiques. Le système d'éducation,
d'enseignement supérieur et de recherche obéit
certes à une valeur essentielle de toute société
- la connaissance - mais on peut aussi l'analyser comme
une subvention générale à l'économie
du pays : aux entreprises évidemment, qui bénéficient
à la fois d'une force de travail plus productive,
mais aussi plus autonome et donc mieux à même
d'innover, et des retombées directes et indirectes
de la recherche dont elles pourront tirer le plus grand
profit. (Airbus a-t-il autant bénéficié
de subventions de recherche que Boeing ?) ; aux salariés
dont la compétence accroît la valeur du travail.
De même, les grandes infrastructures, dont l'existence
et la qualité réduisent les coûts de
fonctionnement du secteur privé, en accroissent la
productivité. Mais surtout, un système de
protection sociale bien pensé et bâti, parce
qu'il mutualise les pertes potentielles, qu'il donne au
moins une seconde chance à chaque personne, constitue
une formidable incitation à la prise de risque individuel,
à l'innovation, au goût d'entreprendre. Enfin,
une bonne gestion macroéconomique de l'activité,
parce qu'elle réduit l'incertitude inhérente
à l'investissement - en minimisant le temps des récessions
ou ralentissements - permet aux entreprises de se projeter
davantage dans le long terme, et constitue l'un des meilleurs
antidotes au dysfonctionnement économique majeur
de notre temps : la dictature du court terme.
Cet ensemble de protections, lorsqu'il existe, permet aux
pays de tirer le plus grand parti de la mondialisation,
parce qu'il est à la fois réducteur d'incertitude
et moteur de la productivité. C'est bien parce que
les pays en développement n'en ont pas encore les
moyens qu'un protectionnisme transitoire doit leur être
consenti.
L'Europe a pourtant mal compris le rôle stratégique
qui est le sien et même sa propre dynamique. Elle
a laissé se dégrader son système d'enseignement
et de recherche au grand dam de l'avenir de ses jeunes et
de celui de ses entreprises. Elle s'est, en matière
d'infrastructures, reposée sur ses lauriers d'après-guerre.
Elle n'a pas su, en son coeur continental, proposer à
ses citoyens une conception dynamique de la protection sociale.
Bien au contraire, le discours dominant - même s'il
ne s'est pas encore ou du moins partout inscrit dans les
faits - conduit à l'anticipation d'une régression
inéluctable de la sécurité économique
et sociale. La zone euro, qui est la deuxième puissance
économique du monde, doute encore d'elle-même
au point de s'interdire d'utiliser ses puissants instruments
de gestion macroéconomique ».
Jean-Paul Fitoussi pourrait ajouter ce qu’il sait
d’ailleurs fort bien : le fait que la BCE et les Etats
membres du groupe Euro fassent le choix d’un euro
fort face à un dollar qui se dévalue en permanence
impose au groupe EADS, dans la mesure où il vend
en dollars, la recherche d’économies de gestion
insupportables. Soit elles imposent des délocalisations
auxquelles aucune culture d’entreprise ne résiste,
soit elles rendent difficile voire impossible tout exercice
en équilibre.
(2)
Cette situation rappelle douloureusement le naufrage
du Plan calcul français. L’Etat gaulliste, qui
n’avait pas osé transformer la Compagnie Internationale
de l’Informatique en entreprise publique, ce qui aurait
été dans la logique de sa démarche interventionniste
initiale, en avait confié la responsabilité
à des maisons-mères privées, CGE et Thomson-CSF,
que l’informatique n’intéressait pas et
qui n’avaient qu’une hâte, se retirer de
l’aventure.
3)
A la date du 9 mars, la perspective d'une recapitalisation
d'EADS met la Commission européenne en émoi.
Une telle mesure devrait être soumise à l'autorisation
de Neelie Kroes, la commissaire chargée de la concurrence.
Or Bruxelles craint qu'elle n'affaiblisse la position des
Européens dans le contentieux engagé devant
l'Organisation mondiale du commerce (OMC) avec les Etats-Unis
au sujet des aides publiques versées à Boeing
et Airbus.
Alors
qu'une double procédure d'arbitrage sur les aides
déjà accordées à Boeing et Airbus
est en cours à Genève, les Etats-Unis ont
critiqué une éventuelle injection de fonds
publics dans le groupe européen¬."La position
américaine est claire. Nous cherchons à obtenir
que moins de subventions, pas davantage, aillent aux constructeurs
d'avions de plus de 100 places", a observé John
Veroneau, le représentant adjoint au commerce, le
7 mars à Washington.
Lors
d'un récent passage à Bruxelles, des représentants
de Boeing espéraient, dans la perspective d'un éventuel
règlement à l'amiable du contentieux, que
la crise traversée par EADS lui permette de "gagner
en indépendance" par rapport aux Etats présents
à son tour de table. Un espoir qui risque de s'évanouir
en cas d'intervention publique.
Les
services de Mme Kroes n'en sont pas moins vigilants. "Les
règles d'aides d'État prévoient qu'il
ne doit pas y avoir de distorsion de concurrence entre les
différents producteurs sur le marché européen".
(source Le Monde)
La
Commission semble oublier les distorsions de concurrence permanente
dont bénéficie Boeing aux Etats-Unis, comme
nous l’avons rappelé ci-dessus. EADS attend d’ailleurs
toujours la possibilité de concourir au miraculeux
contrat d’avions-ravitailleurs militaires que l’administration
fédérale américaine avait laissé
espérer.